"La Créatrice... Je l'ai vue. Elle m'a dit qu'Hyalis lui a offert un spectacle digne : la douleur. Il aurait concocté une potion ayant l'effet du feu, et l'aurait ingérée. Les flammes se sont répandues sous sa peau, dans ses veines, dans ses fibres et ses os. Dans le seul but d'attirer  l'attention de la Toute-Puissante. Mais cette torture n'avait pas de fin, et ce n'est qu'après plusieurs lunes que sa détermination fit trembler le palais de Sa Divinité. Son corps entier avait fondu, il ne restait rien hormis une masse amorphe noire inutilisable, ses deux yeux céruléens, et sa volonté, suffisante pour le maintenir en vie. En récompense, elle me ramena entièrement à la vie, et lui octroya la capacité de manier les restes de son corps. Si d'aventure nous sommes séparés, alors je disparaîtrai entièrement du monde, et pour citer l'Absolue, 'il ne sera plus le même'.  Que notre mère à tous soit louée ! Dorénavant... Des entrailles des pécheurs, notre Sauveur renaîtra. J'honorerais sa bonté, j'honorerais son sacrifice."

. . . . . . . . . . . . .

Dire que Celes était déçu serait un euphémisme. Les gens sous ses yeux étaient parfaitement humanoïdes, si ce n'est pour leur teint de peau si blanc qu'il en deviendrait presque inquiétant, et leurs écailles. Certains ont aussi quelques cavités visibles sur leurs corps, presque comme si on avait décroché quelque chose de force.

"Mais donc, pourquoi se sont-ils tous rassemblés ici ?"

"Va savoir."

Lorelei savait très bien pourquoi, mais elle n'avait absolument aucune envie d'en parler, pour l'instant, elle n'avait dans tous les cas aucun intérêt à le faire. Celes avait bien l'impression qu'elle manigançait quelque chose de son côté, et il espérait que le plan donné par Régina allait se mettre en place avant celui de sa supérieure.

Régina leur a, en vérité, donné à tous les deux pour mission d'éliminer Lorelei. Pour ce faire, ils ont passé un certain temps à étudier toutes les issues possibles, afin de trouver la meilleure possibilité. Si le plan tourne mal, Régina sera prête à agir, mais pour l'instant, tout allait bien. Mais la partie la plus complexe du plan reposait sur le hasard, et en particulier sur Celes. Naturellement, il était plutôt inquiet. 

Ameris, elle, parlait avec un vieillard.

"Puis-je vous poser une question de plus ?"

"Faites donc, Votre Excellence, faites donc !"

"Hm... Pourquoi avez-vous l'air si... vieux ? La naissance de votre espèce n'est pas suffisamment éloignée pour que votre apparence soit naturelle."

"Est-ce un problème ?"

"Nullement."

"Jeunesse, âge adulte, vieillesse... Tous sont des instants, à l'échelle du monde. Et il faut savoir savourer chacun d'entre eux. Peut-être que les corps des miens sont immortels, tant que le temps seul peut nous abattre... J'accepterais le jour où la mort me ramènera à notre Ange, et ce, la tête haute !"

"Je vois..."

"Vous avez une autre question, Votre Excellence ?"

"Mon nom est Ameris, nul besoin d'être si révérencieux."

"Au contraire, très chère ! Je peux le sentir, vous êtes une descendante de la première Itération."

Elle haussa un sourcil, avant de soupirer. Cela faisait plutôt sens que ces hérétiques soient capables de ressentir ces choses.

"Ce n'est pas exact."

"Oui, excusez-moi... Vous descendez du... Déicide, me trompé-je ? La fondatrice du Royaume d'Asphodel, Dracaena de son nom, était le fragment le plus puissant du Déicide. Sa descendance, des siècles plus tard, reste anormalement puissante."

Le vieillard n'avait plus un air si jovial au moment de mentionner Dracaena, ce qui n'échappa pas à Ameris.

"N'exagérons rien. Je n'ai rien à voir avec ceux qui viennent directement."

"Paraît-il que, pour d'obscures raisons, chaque fragment du Déicide porte le nom d'une fleur... Est-ce bien vrai ?"

"Demandez aux principaux intéressés."

"Ah ! Je n'en aurais pas l'occasion... Lorelei ne tardera pas à tous les éliminer. Elle touche au but, après tout !"

Elle haussa un sourcil.

"Que voulez-vous dire..?"

"Et bien, elle est l'une des raisons pour lesquelles les fragments du Déicide ne vivent jamais bien longtemps ! N'êtes-vous pas son alliée ?"

Lorelei et Hyalis semblaient occupés à communiquer ensemble. Ils étaient réellement capables de se comprendre seulement par la pensée. Dans tout ça, c'était Celes était perdu.

"Dame Lorelei..."

"Hm ?"

"Je... Comment dire..."

"Déçu ?"

"Très exactement ! Les habitants du premier plateau sont... Hormis le vieux bonhomme plus loin, ils sont tous si barbants !"

La masse noire sur l'épaule de Lorelei souria, autant que sa sœur.

"C'est ce que l'on appelle arriver trop tard. Ils ont tous déjà rempli leurs rôles."

"... Que voulez-vous dire ?"

"Pendant que tu ne fais rien, le monde continue d'avancer. Voilà tout."

"Si le but était de rendre vos mots moins inquiétants, c'est un échec."

"As-tu remarqué ces cavités en chacun d'entre-eux ?"

"... Oui ?"

"Hyalis les a creusées pour moi."

Celes regarda la petite masse informe, perplexe. Celui-ci forma un genre de long pic avec son corps, et transperça le vide avec, à plusieurs reprises comme pour donner une image de ce qu'il a fait.

Le jeune chercheur n'en avait certainement pas besoin. Ce dont il avait besoin c'était de savoir comment une créature aussi pathétique serait capable de creuser de blesser de façon permanente des corps immortels. Ce n'est certainement pas quelque chose qu'un petit être tel que lui serait capable de faire, ni même un humain ou encore une quelconque autre créature. Alors que son esprit envisageait les différentes possibilités, un frisson traversa Celes. Il a toujours détesté ne pas savoir. D'autant plus lorsqu'un plan de grande importance reposait sur lui, il préférerait avoir connaissance de chaque variable, mais il allait malheureusement devoir faire sans ça.

"Mais donc, où voulez-vous en venir ?"

"Ce n'est pas quelque chose qui te concerne entièrement... Quand bien même tu pourrais te rendre utile."

Lorelei regarda dans la direction d'Ameris, qui discutait toujours avec le vieillard. Certains des hérétiques les ont même rejoints. Sa théorie se confirmait : les restes d'une Itération attirent inévitablement d'autres restes. Quoiqu'il en soit, c'était le moment idéal, et pour les deux camps.

"Suis-moi."

Elle avança en direction d'un passage quelconque, suivie de près par Celes.

"Où allons-nous..?"

"Voir le coeur de cette créature."

"Oh-.."

Comme prévu par Régina.                                                                                                                                        Après trois minutes de marche, ils arrivèrent dans une grande salle. Lorelei continua d'avancer. Plus Celes y pensait, moins il était à l'aise ici... Cet endroit était avant tout un gigantesque cadavre, et le fouler ainsi du pied lui donnait une sensation étrange.

"J'aurais besoin que tu touches le coeur, et que tu t'introduises dans son monde intérieur. Tu en es capable, n'est-ce pas ?"

"Et bien... Si ce corps est encore actif, ce sera sans doute possible."

"Son coeur bat encore, alors je ne vois pas de problème."

"C'est... Urgh."

Il secoua la tête un bon coup pour chasser toutes ces pensées trop intrusives. Cette chose qui couvre donc la majorité de ce plateau est en vie ? Il marchait dans un corps ? Cette pensée lui fit froid dans le dos.

Au bout de cette grande salle se trouvait une masse de chaire formant un cœur : celui de forme symétrique, au bout pointu et dotés de deux arcs-de-cercle au sommet. Bien des veines sortaient de ce cœur pour aller partout dans cette salle, sans doute pour connecter différentes parties du corps. Et dans ce réceptacle violacé qui battait encore, il y avait une forme d'enfant humanoïde, quoique légèrement déformé.

"Oh... Il est plutôt massif. Mais je pense pouvoir rentrer dans son monde intérieur sans soucis."

"Fort bien..."

Alors que Celes se retourna vers sa supérieure et la masse sur son épaule, il remarqua que leurs yeux avaient changés. L'un comme l'autre avaient désormais un anneau noir dans chaque iris.

"V-vous..."

"Permet-moi de nous présenter à nouveau. Je suis Lorelei, directrice de l'Institut Fortitudo."

Elle regarda en coin la petite masse sur son épaule.

"Et voici mon précieux petit frère, Hyalis. Nos destins sont liés pour toujours. Tu es un chercheur, alors chercher des noms est dans ta nature... Tu peux nous appeler..."

Elle souria, en rabattant l'une de ses mèches sur le côté.

"L'Itération Géminée. Ensemble, nous sommes la quatrième Itération."

"Mais-..!"

Ce n'était pas prévu, bien loin de là. Tous savaient que Lorelei et Hyalis n'étaient pas humains, mais certainement pas qu'ils formaient une Itération. Jusque là, chaque prise de parole de Celes ou Ameris était calculée, pour paraître naturels. Elle ne les avait peut-être pas entièrement percés à jour, mais elle devait se douter de quelque chose.

"Silence. Je t'ai donné un ordre."

"B-bien."

En tant que sirène, Lorelei a tout naturellement le pouvoir de pousser qui elle désire à lui obéir, Celes ne faisait pas exception. Le sort de dissimulation lancée par Hyalis, afin de cacher leurs magies et caractéristiques physiques similaires à La Créatrice, était levé. En conséquence, plus loin, Ameris ressentit un afflux en magie comme jamais elle n'en a connu. Il la surclassait de loin, et surpassait même sa mère, ou encore Edelweiss.

Elle, la préceptrice, savait déjà, et alors qu'elle profitait d'un bon café, elle souria doucement à Sonah.

"Tu l'as senti ?"

"Je... crois..?"

"La quatrième Itération entre enfin en scène, après s'être cachée des yeux de tous pendant plusieurs décennies. Deux esclaves déterminés à ramener leur prédécesseur d'entre les morts, et pour ce faire, ils comptent bien offrir à la Toute Puissante un spectacle simplement inoubliable. Que cela détruise ou non Asphodel tout entier."

Edelweiss était toujours aussi souriante. Ses desseins avançaient sans accrocs. Maintenant que la Quatrième s'est révélée, sa cible, le premier fragment du Déicide, n'allait pas tarder à se révéler aux yeux de tous.                                                                                                                                                    Les plans de chacun avançaient à merveille, ce qui voulait dire que très bientôt, l'un d'eux va échouer.