Chapitre 26 - Sentiment persistant

"Le jour où notre dieu a disparu... Où ma divinité à moi s'est volatilisée... C'est presque comme si le ciel avait perdu sa pureté, son éclat. La liberté était enfin nôtre, mais celui qui l'a rendue possible n'était plus. Son corps, souillé à jamais, s'est métamorphosé... Grande sœur m'a dit que la vie ou la mort sont des destins bien moins cruels que cela. Mais il reviendra. Notre Sauveur reviendra."

. . . . . . .

La troisième Itération est un sujet obscur. Peu de monde n'apprécie mentionner ces monstruosités, et la troisième en particulier est peu appréciée.

Les trois sont à la source d'importants bouleversements : montée massive des eaux en à peine un jour, propagation de la magie à chaque être vivant, écosystème changé, topographie du monde entier altérée, anéantissements de masse, avènement de nouvelles espèces... On suspecte que la deuxième Itération soit celle ayant créé la prophétie. Son corps, dénué de vie, n'est pas approchable car quiconque entrerait en contact avec serait changé en sirène ou autre abomination.

Là d'où vient la troisième Itération, les esclaves avaient tous le nom d'une couleur. Celui béni par La Créatrice s'appelait Vermeil. Si le mentionner est si dérangeant, c'est bien car il était un enfant lors de son avènement. Ce n'est pas tant lui le problème, mais les questions à se poser suite à son apparition. Son apparition signifierait-elle que Sa Divinité ai perdu foi en ce monde ? Sinon, pourquoi diable offrir un tel pouvoir à un tel individu ?

Tous ces questionnements, notre mauvais duo s'en moque éperdument. Celes est là pour en apprendre plus sur les Itérations, et Ameris veut percer les secrets de Lorelei et Hyalis. Et cela commençait par entrer en contact avec le peuple de ce plateau. Enfin, sortir de ce long tunnel avant tout. Pourquoi diable la sortie du laboratoire menait sur une grotte ?

"Si ça t'intéresse, je suis au courant de quelques potins !"

"A propos de..?"

"De Lorelei, évidemment ! Alors, curieuse ?"

"... J'ose espérer qu'ils ont un minimum d'intérêt."

Celes, enthousiaste comme souvent, souriait. Il commença alors à parler des fameux potins à son alliée, qui depuis quelques temps, avait appris à y accorder de la valeur.

"Selon certains, elle aurait un certain nombre de documents liés à l'incident du royaume de Scopuli, sur l'île d'Orpheus."

"Tu veux dire... Là où la troisième Itération a été observée ?"

"Oui !"

"Lorelei est une férue d'histoire, cette rumeur n'a probablement pas d'intérêt."

"Alors... Quelqu'un l'aurait surprise dans son bain !"

Ameris lança un regard en coin à son camarade, sourcils froncés. Il s'était volontairement arrêté sans expliquer plus uniquement pour frustrer la soldate. Face à la réussite de sa mission, il enchaîna.

"Et cette personne a dit que Dame Lorelei a deux excroissances dans le dos. Des os... brisés. Ça a sans doute dû être douloureux..."

La connexion était assez simple à établir.

"Tu insinues que Lorelei serait... une sirène ? La dernière en vie, donc ?"

"Oui ! Après tout, elle refuse de mentionner son espèce. Elle méprise ceux du premier plateau, les hérétiques comme elle les appelle. Si Vermeil était un esclave, sirène qui plus est, devenu Itération, est-ce que ce ne serait pas cohérent de mépriser ses 'restes' ?"

Ameris était perplexe mais, en admettant que ce raisonnement soit bon, il avait un minimum de sens.

"Donc tu supposes également qu'elle était une esclave..?"

"Possiblement."

"L'on ne sait que trop peu de choses à propos des sirènes. Par exemple, leur capacité à manipuler via leur voix... Est-ce qu'elles étaient capables de contrôler ce pouvoir ? Puis, un corps ramené par nécromancie est, en théorie, ramené à son état d'origine, et se régénère entièrement à chaque blessure. Admettons que ces excroissances étaient ses ailes, elles auraient déjà été restaurées."

"Si bien sûr elle est une revenante."

"Par ailleurs, je doute de la crédibilité de tes propos. Sans offense, évidemment."

"Mais-..!"

Il voulait enchaîner, mais Ameris lui fit signe de se taire d'un simple mouvement de main. Enfin, ils voyaient une lumière au bout de ce tunnel. Quelques secondes plus tard, les voici enfin sortis, et donc dans la zone qui les intéresse : les Landes du Faisandé.

Une terre immaculée, couverte d'une neige éternelle, où chaque forme de végétation est constituée de cristaux, à l'exception de l'herbe. Les rares autres couleurs, bleu, rose ou rouge, ont un aspect très pastel. Malgré la beauté du paysage, il est très vide : aucune habitation, très peu d'arbres, et hormis quelques hérétiques habituellement présents, il n'y a pas d'autre forme de vie.

Comme l'on peut s'y attendre, le premier plateau est recouvert sur plus de la moitié par le corps d'une créature gigantesque, qui cependant s'est mêlée au paysage, elle en fait même partie : ses entrailles sont des cavernes, et son corps entier forme la topographie du lieu. Il est dur de comprendre ce à quoi ressemblait cette créature, car il semblerait qu'elle disposait de nombreux membres, et que globalement, elle ignorait totalement les lois de la physique. Elle a continué à se transformer, même après avoir été abattue, allant jusqu'à fusionner avec le sol du continent, tant que même pour les plus expérimentés, il n'est pas particulièrement évident de discerner ce qui constitue le monstre, et ce qui est le sol du continent d'Asphodel.

Toutefois, selon certains rapports divulgués par Lorelei, les profondeurs du continent se changent lentement et gagnent les propriétés du corps de la créature. Ce plateau entier est parcouru par une aura étrange. Après tout, le corps de la créature est utilisé comme partie du lieu, mais tous sont conscients qu'il s'agit de ce qui était autrefois un esclave, devenu Itération, dont le corps dépossédé de son pouvoir a muté en cette chose aux multiples membres et visages.

Il n'y a, cependant, pas âme qui vive à proximité.

"Tout ce blanc partout-... Mes yeux brûlent."

"Une vraie princesse."

Ameris avança en direction de l'une des cavités qui, possiblement, servait d'entrée dans le corps de la bête. Celes se contenta de la suivre, amusé par sa remarque.

"Estime-toi heureuse que je ne te demande pas de me porter sur tes épaules, ô preux chevalier."

"Tu ne devrais pas avoir peur de me demander ça, ô Princesse. C'est avec grand plaisir que je te jetterais dans l'océan du haut du cinquième plateau."

"Oh-..! C'est-..."

"Rien de plus qu'un bain."

"... Tu devrais arrêter l'humour, Ameris. Ca ne te va pas."

Celle-ci se contenta de sourire vaguement, une vue bien rare, qui, plutôt que de flatter Celes, n'eut pour effet que de le mettre mal à l'aise. Cet échange, ce prétendu 'humour', sonnait bien trop faux à son goût. Quelque chose n'allait pas.

Mais Ameris n'ajouta rien, et approcha de la cavité. L'intérieur de celle-ci était éclairé, divers organes diffusaient de la lumière.

"Bon, et bien..."

"Tu veux rentrer..?"

"Lorelei n'a rien dit à ce propos, n'est-ce pas ?"

"Je ne crois pas."

"Et bien rentrons."

Elle avança sans attendre, et le chercheur se retrouvait bien obligé de lui emboîter le pas. Il savait bien pourquoi il faisait tout cela, mais tout de même, toute cette mise en scène inutile l'agaçait. Mais c'était bien pour le bien de la mission. Et l'un de ses rôles était notamment de faire la conversation.

"Rentrer dans un cadavre te rend bien enthousiaste..."

"J'ai bon espoir de trouver quelques objets de valeur ici, voilà tout."

"... Là, en général, les personnes aimables expliquent un peu plus."

Cette 'caverne' n'avait rien de spécial. Il ne faisait ni trop chaud, ni trop froid. Il y faisait clair, le silence le plus complet régnait. Sans doute que le duo n'était pas encore dans une partie utilisée. A l'évidence, ceux qui habitent ici se sont sans doute installés loin du laboratoire de Lorelei qui, nul n'en doute, les utilise pour ses objectifs personnels.

"Ce corps est le reste d'une Itération, un trésor historique. Peut-être que je pourrais reconvertir quelques parties, que ce soit sa chair ou ses organes en armes, si sa magie ne l'a pas entièrement quitté."

"Mh... Tu sais que, selon les rapports, certaines parties du continent qui sont en contact avec le corps... Gagnent les propriétés de celui-ci ?"

"Et c'est bien pour cela que je présume que, quelque part, un cœur bat encore. Cela devrait t'intéresser aussi, non ?"

Le duo s'arrêta. Celes était pensif.

Il passe chaque jour à s'inquiéter de, si oui ou non, il disparaîtra, dû à sa forme éthérée. Sa plus grande crainte est toujours de soudainement cesser d'exister, et malheureusement, bien que cette crainte pourrait s'avérer inutile, il ne peut s'empêcher d'y penser. La seule solution à laquelle il a pensé, c'est bel et bien de trouver une source de magie suffisante pour changer sa propre constitution, d'un être éthéré à un humain normal. S'il veut exploiter le pouvoir d'une Itération, ou en devenir une lui-même... Le jeune homme n'est pas encore sûr.

"Mais toi, alors ? Autant que je sache, tu n'as pas besoin de plus de pouvoir. Tu manies le feu et la foudre, en combat tu es inépuisable, et à ce jour, personne ne t'as vaincue. Et ce n'est qu'une partie de ton palmarès !"

Ameris hocha la tête négativement.

"L'on ne manque jamais de puissance, Celes."

"... C'est assez effrayant, venant de toi."

"Garde ton imagination sous contrôle. Si je veux plus de pouvoir, c'est pour ma vengeance."

"... Est-ce que tu vas m'expliquer de quoi tu veux te venger..?"

Ameris soupira, avant de reprendre sa marche, suivie de près par son compagnon de route.

"Le jour où nous serons en danger de mort, sans doute."

"Cette vengeance te tient à cœur, uh ?"

"Naturellement. Imagine si l'on te privait de ta raison d'être. Que ferais-tu ?"

Celes cligna des yeux, chose qu'Ameris ne pouvait pas remarquer. Ces quelques mots ont lancé un blanc désagréable entre les deux. Alors, la vengeance de la soldate aurait pour objet sa famille ? Il est vrai que Régina d'Asphodel, sa mère, a renoncé au royaume. Peut-être que sa progéniture cherche à le restaurer ? On ne peut nier que, si tel est le cas, gagner en puissance n'aurait rien de mauvais. Puis, qui diable cracherait sur plus de pouvoir ?

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