Chapitre 23 - Récitatif
Edelweiss resta silencieuse quelques secondes, avant de sourire.
"Je préfère le Sonah doux et innocent."
"P-pardon..."
"JNe t'excuse pas. Je vais tenter... quelque chose, à l'extérieur."
"Quoi..?"
"Je pense avoir découvert un moyen de ne plus être affecté par la liquéfaction. Je vais juste devoir manipuler l'esprit de la cité entière pour les forcer à faire ce que je veux, mais ça, ce n'est pas très important. Après quoi, je retournerais au cinquième plateau. Je t'attendrais là-bas."
Il acquiesça, n'ayant pas suivi grand-chose, mais le plan lui convenait. A un détail près.
"Tu vas aussi t'introduire dans... mon esprit ?"
"Nullement. Simplement, je suppose que les lycanthropes ont moins de risque de subir la liquéfaction. En bref, moins l'être est humain, moins la possibilité de subir une liquéfaction est élevée. Compte tenu de l'apparence de ta forme bestiale, je dirais que tu y es presque entièrement immunisé."
"Oh..."
Il le prenait à la fois plutôt mal, mais d'un autre il voyait enfin un léger avantage à son statut. C'était insuffisant, presque humiliant, mais il devait vivre avec. Il n'allait pas faire la fine bouche lorsqu'il s'agit de bonnes nouvelles. Puis, malgré tout, il reste conscient qu'il se situe au sommet des lycanthropes. Là où les plus faibles ont une apparence de loup humanoide, lui, ressemble davantage à une chimère. Comme la préceptrice l'a déjà mentionné, la forme de loup humanoïde est primitive, presque sous évoluée.
Edelweiss tourna les talons sans délai, et Sonah fit de même, se dirigeant vers le lieu de rendez-vous prévu avec Clymene, alors que le public transformé en abominations abstraites chantait à tue-tête, à l'image d'une chorale funéraire dans la grande salle. Même ceux en dehors n'y ont pas échappé, ils subissent tous la même transformation, peut-être un peu plus lente cela dit. Certains semblent s'être rejoints, pour devenir des abominations siamoises qui gagnent alors plus rapidement en largeur et, accessoirement, en immondice. Une odeur nauséabonde de fluides vitaux en tout genre et mélangés commençait à envahir les lieux, dans lesquels résonnent les chants distordus des anciens humains, devenus des choses. Si un tel spectacle est bien réel, alors à quoi diable ressemble l'enfer ? C'était la question que Sonah se posait, avant d'arriver devant la pièce, où il entra, le cœur battant la chamade.
Le lustre et quelques lanternes étaient allumés. Clymene regardait à la fenêtre, mais en entendant Sonah arriver, il décida de fermer le rideau, le lycanthrope ayant malgré tout eu le temps de voir un ciel distordu.
"Docteur..! Enfin, Sonah, voulais-je dire. Qu'as-tu pensé de mes performances ?"
C'était une question honnête, sans aucun aspect hautain ou malsain. Simplement de l'innocence et de la franchise, récompensées par le silence de celui interrogé. En conséquences, la star décida de reprendre la parole.
"Je l'admet, j'ai peut-être négligé certaines préparations. Mais en dépit de cela, j'ai malgré tout réussi !"
"... Réussir quoi ?"
"Par changer ce monde, je voulais évidemment dire 'le soigner'. Chose promise, chose due : j'ai soigné ce monde. Enfin..."
Il avait l'air quelque peu incertain, mais honnête malgré tout. Il n'y avait rien de malsain, pas une once de folie, et cela rendait la chose d'autant plus dérangeante.
"Ce n'était qu'un premier acte. Le rituel utilisé n'est pas le dernier. Si je t'ai invité ici, c'est pour que l'on déploie le second... ensemble. Avec l'aide de mon associée, ce sera un jeu d'enfant ! Et ce monde sera guéri de tous ses maux, de chaque fléaux."
Sonah lève les yeux, jetant un regard mêlant inquiétude et choc. Il comprenait bien ce qu'il se passait, mais il n'avait pas la force de l'accepter.
"Donc... C'est ta faute..? Tu veux guérir les gens... Avec la liquéfaction ? E-et, quelle associée ?!"
"Peut-être que tu ne la connais pas... Mais son nom est Dracaena d'Asphodel ! Cela fait plusieurs années que je la connais, et, après que je lui ai parlé à cœur ouvert de tout ce que je pense de ce monde... Elle prépare les rituels et leurs spécificités, quant à moi, je suis chargé de la mise en place, ainsi que de les accélérer. Elle a rendu le premier suffisamment évident afin de distraire les plus aguerris, le second, lui, en plus d'être à plus grande échelle, est dissimulé. Nul ne peut le détecter. Tout est prêt ! Maintenant, ce dont j'ai besoin... C'est de ton aval. Ensemble, nous déclencherons le second, et tout sera terminé."
"Tu as vu le public..?! Tu ne les as pas sauvés ! Ce que tu as fait-... C'est pire que mourir !"
En temps normal, Sonah ne prononcerait pas de tels mots, mais les émotions ont pris le dessus. Pour lui, le véritable enfer, c'est de vivre, certainement pas de mourir, mais sous le coup de l'émotion, il devenait plus 'normal'.
"Ceux liquéfiés renaîtront en une espèce différente-, ils n'auront plus à craindre la liquéfaction. C'est un cycle, vois-tu. L'âme de ceux liquéfiés va implorer Sa Divinité dans ses derniers instants, et gracieusement, elle offrira l'immunité à ce fléau. Nous le pensons tous deux, Sonah ! Ce monde est malade, et le problème réside dans le concept d'humanité. Si elle vient à disparaître au profit d'autre chose, est-ce vraiment une mauvaise chose ?"
Sonah ne voyait en rien une solution là-dedans, tout cela lui paraissait même profondément stupide.
"Tu en es sûr..? Si La Créatrice était comme ça... Le monde ne serait pas dans cet état..!"
Clymene regarda ailleurs l'espace de quelques instants, mais il en fallait plus pour lui faire perdre la face. Il connaît parfaitement le lycanthrope, alors il sait quoi dire, quand et comment.
"Admettons que Dracaena m'ai menti, et que la liquéfaction entraîne réellement la mort... Serait-ce vraiment une si mauvaise chose ? Face à l'inévitable, l'inéluctable, la fatalité, la mort n'est-elle pas une issue sensée ? Une issue généreuse ? Te connaissant, je sais que tu considères la mort comme une possibilité, plus qu'envisageable, tu la vois comme préférable. Mourir n'est pas une honte, et offrir la mort est, bien plus souvent que le monde ne l'admet, totalement acceptable. Quel est le meilleur choix : laisser le monde agoniser, ou abréger ses souffrances ?"
Un discours inacceptable.
Mais Sonah voulait pardonner. Il aimait réellement Clymene, et à ce titre, il voulait lui pardonner, malgré tout ce qu'il a pu faire ou dire. C'était égoïste de sa part, mais il le voulait. Mais il se força à aller à l'encontre de ses sentiments.
"Ce n'est pas à toi d'en décider..!"
"S'ils ne sont plus vivants après les faits, peuvent-ils vraiment me blâmer ?"
Clymene était jusqu'alors inébranlable, mais en voyant la réaction du lycanthrope à ses mots, il sentit quelque chose vaciller en lui. La vue du visage de son bien-aimé se décomposer lui faisait l'effet d'une volée de poignards dans le corps. Naturellement, cela ne faisait que quelques instants, pas même une seconde, alors il essaya de se rattraper, mais Sonah prit les devants.
"Pourquoi est-ce que tu fais ça..? J-je comprends pas..."
"... Je peux tout t'expliquer, si tu le veux."
"Non ! Non, non, non ! Je... Je ne dois pas chercher à comprendre."
Autre chose vacilla en Clymene, dû au lourd sous-entendu que malgré tout, Sonah voulait rester à ses côtés, mais il se forçait à s'opposer à lui. Le lycan est ainsi : seules deux personnes ont de la valeur à ses yeux, et il existe pour celles-ci. Il pourrait tout faire pour ces deux individus, mais il se retrouvait piégé : Edelweiss est entièrement opposée aux actions de Clymene, alors il doit choisir entre l'un ou l'autre. Forcément, son sens commun l'a guidé vers la cause la plus juste.
"Je ne te comprends pas, Sonah... Chaque personne en ce monde est malade, et le cœur du problème réside dans ce monde abject qu'est le nôtre. Seul un acte radical pourrait le changer, et donc, nous amener le salut à tous. Après ces rituels, il ne restera plus qu'un monde à rebâtir ! N'est-ce pas la meilleure chose à faire ? Si chaque être meurt, alors il n'y aura plus de souffrance. Si, au contraire, chaque être vient à renaître, ce sera en tant que membre d'une espèce plus forte que l'humanité, l'espèce qui nous remplacera. Si la liquéfaction frappe, c'est car La Créatrice le veut. Le temps de l'humanité est compté, et moi, je crois fermement en mes actes. J'offre une seconde vie à chacun, une vie libérée de la faiblesse d'un corps humain.
"Je me moque de ce monde, de l'humanité-... Des espèces, et aussi de cette fausse déesse ! Je... Je ne veux même pas vivre ! J'existe pour deux personnes, alors pourquoi je chercherais à sauver les autres..? "
"Que veux-tu dire..?"
"Je.. Je suis un lycanthrope. On me déteste parce que j'existe. Quoiqu'il arrive... Je ne pourrais jamais rien accomplir.... Mais du moment que toi et Edel êtes avec moi... Alors j'ai tout ce dont j'ai besoin. C'est tout ce que je veux..! Mais maintenant... Je sais que ce que je veux est mal. Mais..."
Il ne savait pas comment exprimer ce qu'il ressentait, mais malgré tout, le fond de sa pensée restait assez évident. Son ami n'a toujours eu que très peu de raisons de vivre, et c'était un fait. Toutefois, aucune raison n'est mauvaise, et les deux en sont conscients. Sonah pense ainsi : il veut bien subir un monde entier, si c'est pour les deux personnes en qui il croit le plus.
La confiance de Clymene tombait en morceaux petit à petit, lui qui n'avais pas compris ce que Sonah voulait. Il pensait que le lycanthrope voulait le bien pour tous, voulait un monde meilleur. Mais semblerait-il que non. Pourquoi un individu tel que lui chercherait le bien universel, après tout ?
"... Tu désires donc m'abandonner..? Mon erreur est-elle si... Si importante que désormais, tu ne veux plus me voir ? Si je suis trop stupide pour te comprendre, alors je te le demande, enlace-moi, embrasse-moi, parle moi à coeur ouvert comme on le faisait !"
Sonah fit un pas en arrière, alors que Clymene faisait le contraire. Le lycanthrope hocha la tête négativement, sans rien dire de plus.
"C'est ainsi, donc..?"
Clymene soupira pour reprendre son calme, avant de sourire tendrement à celui qu'il aime.
"... C'est ce que je mérite. Peut-être que cette associée a abusé de ma faiblesse, peut-être ai-je fais tout cela car je méprise ce en quoi ce monde m'a changé, peut-être suis-je simplement stupide... Pour toutes ces raisons, et tant d'autres encore, tu es plus qu'en droit de me mépriser."
"... Je ne te déteste pas."
"Cela me touche. Mais si tu juges que cela est la meilleure chose à faire... Alors pars. J'accepterais ma fin, la tête haute, sans quitter cet opéra. Sache que... Que tout ce temps ensemble a rendu ma vie digne d'être subie. Si c'était pour te rencontrer... Alors la vie valait la peine d'être vécue."
Sonah fit quelques pas en arrière, avant de se retourner. Avant de quitter la pièce, il parla à nouveau.
"Je... t'aimerais toujours, Clymene. Pour toujours."
Il quitta les lieux précipitamment, réprimant un sanglot.
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