Chapitre 2 - Edelweiss
Le niveau croissant des eaux a été remarqué il y a vingt-cinq ans de cela, lors de la première Nuit du Déicide. Cet événement au nom fort peu charmant se réfère à une seule et unique nuit, où la lune s'est changée en un anneau blanc, dont l'intérieur était noir. De cet intérieur se dégageait une aura d'un rouge crade, celui similaire à du sang coagulé. Ce rouge a couvert le ciel entier, qui peu après commença à sangloter, jetant son aura morbide sur tous les mortels d'en dessous. Un premier signe de la prophétie, qui serait en vérité l'héritage d'une antique malédiction, jetée sur le monde par un être trop puissant pour mériter de vivre.
Cependant, les autres signes de la prophétie ont commencé à se révéler il y a seulement dix-neuf ans, l'un des premiers effets ayant été de faire muter différents humains, leur enlevant une partie de leur humanité, ce qui les a changé en ce que l'on pourrait qualifier de lycanthropes. Des humains parfaitement normaux, cependant plus agiles et ayant un bien meilleur odorat que la mienne, capable de se changer en loups humanoïdes sous certaines conditions. Mais paraît il que certains font pire que cette transformation outrageusement banale, qualifiée de primitives par les experts.
Les raisons de ce changement sont restées un mystère pour trois ans , jusqu'à ce qu'une femme du nom d'Edelweiss n'intervienne. Ses méthodes d'examens, qualifiées de torture, ont été rejetées. Elle a alors mené ses observations illégalement sur les lycanthropes, tous maintenus captifs, avant de trouver un dénominateur commun caché du public. Son procédé n'est cependant un secret pour personne : elle s'est introduite dans le monde intérieur de ses sujets, et a ainsi pu tout comprendre à leur propos. Ses méthodes, discutables mais pas moins efficaces, ont su séduire les quatre autorités du continent, et ainsi, Edelweiss n'a pas été sanctionnée.
Par la suite, elle a pu créer sa propre filière dans l'Institut Fortitudo, ayant appris ses méthodes à certains. Dont Celes, qu'elle a personnellement recommandé.
"Dame Edelweiss est-elle déjà entrée en ton monde intérieur ?"
"Peu après la création de sa filière, quand j'étais encore très jeune, oui ! Mais plus jamais depuis."
"Mais comment peux-tu le savoir..?"
"Elle me l'a dit. Elle savait déjà pour ma constitution, donc elle se demandait si cela avait un effet sur mon for intérieur."
Le duo arriva devant une salle dont la grande porte était ouverte.
"Attention, j'entre !"
Ameris regarda son compagnon, décontenancée. A sa place, elle aurait préféré annoncer sa présence puis attendre l'autorisation pour rentrer, mais elle ne se posa pas davantage de questions.
Cette pièce était un genre de laboratoire, décoré par de nombreux objets propres aux alchimistes, et de très nombreuses données rédigées sur des parchemins, disséminés ça-et-là, certains même suspendus au-dessus du sol via des fils robustes. Il y a un certain nombre de plantes en tout genre, dont des carnivores ayant l'air en plutôt bon état, à en juger par leurs formes enrobées.
"Celes..? Et-... Oh, une membre de l'Ordre."
"Ameris Gazestorm, mes salutations."
La fameuse Edelweiss est une femme vêtue d'une robe blanche et noire, aux cheveux cendrés courts, avec de courtes tresses jumelles sur les côtés de son visage. Ses yeux dorés particulièrement perçants sont décorés d'un anneau noir dans chaque, au milieu de l'iris.
"Celle qui manie feu et foudre.. Humanité et divinité, en somme. J'aimerais te voir à l'œuvre, un jour." Elle gardait un sourire ayant quelque chose de plutôt malsain. "Quant à toi, Celes, que veux-tu ?"
"Je voulais vous demander conseil."
"Mh... Toi aussi, tu pars en voyage, je présume..?
"... Vous aussi ?"
"Je pars en direction du premier plateau. Ses résidents sont simplement incapables de résoudre les crises d'eux-mêmes, alors, j'ai décidé de prendre la situation en main."
Les plateaux n'ont pas de nom, ils sont simplement numérotés de un à cinq. Plus le chiffre est proche de cinq, plus le plateau est surélevé, moins il est menacé par la montée des eaux. L'institut Fortitudo et l'Ordre de Temperantia sont tous deux sur le cinquième. C'était assez étrange de dire que le premier plateau avait un quelconque problème. Ses résidents sont des parias, universellement méprisés, dont on ne peut malheureusement pas se débarrasser. Ils n'ont jamais eu l'occasion d'instaurer une quelconque forme d'autorité, par ailleurs. Tous préfèrent les ignorer, mais si Edelweiss en personne voulait s'y rendre, alors c'est que cela en valait le détour.
"Je vois... Enfin, je crois."
"Mais, tu sais, Celes... Tu n'es pas obligé de partir en voyage. Je peux simplement écrire une lettre à nos dirigeants de sorte à ce que tu restes à l'Institut. Ou je peux les forcer de façon... Mh, je te laisse deviner comment."
Edelweiss est capable de s'introduire dans le monde intérieur de chaque individu, sans aucune exception. Ce qu'elle y fait n'est pas clair, mais elle peut simplement obtenir tout ce qu'elle veut de n'importe qui. En sachant ça, nombreux sont ceux qui essaient de la fuir comme la peste. Il en va de même pour ses élèves qui, une fois en âge de comprendre tout ce que cela implique, préfèrent plier bagage. Sauf Celes.
"Non, non, je compte bien y aller."
"Je préférais le Celes qui n'osait jamais me contredire... Hmph, ainsi soit-il. J'espère que ta camarade sera suffisante pour assurer ta protection."
"Vous dites cela parce que vous voulez toujours m'étudier ?"
"Tout naturellement."
C'était bien là la seule raison pour laquelle Edelweiss a personnellement recommandé Celes, qui à l'époque n'était qu'un garçon bien trop jeune et orphelin, encore parfaitement malléable et presque sans passé. Elle ne cache pas que tout ce qui l'intéresse est la condition unique de son élève.
"M'enfin... J'ai récemment reçu un rapport évoquant un cas de liquéfaction partielle dans un village du second plateau. La victime est encore plus ou moins consciente, alors, profites en."
"Vous voulez que j'explore son monde intérieur ?"
"Tout à fait. Sur ce, ma calèche m'attends. Bon voyage."
Elle se dirigea vers la porte avant de s'arrêter, puis de se retourner vers Ameris.
"Quand à toi, soldate. J'enverrais sans doute un messager te voir à mon retour. J'ai bien des choses à te dire."
Puis elle tourna les talons, sans un mot de plus, si ce n'est un faible rire cristallin, ayant quelque chose d'effrayant.
Celes est en effet lui aussi capable de visiter le monde intérieur des individus, une capacité à ne sous-estimer sous aucun prétexte. Dans un tel lieu, il n'y a ni mensonge ni protection, seule la vérité sur l'individu. Sans surprise, les détenteurs d'un tel pouvoir sont méprisés, et bien souvent victimes de 'malheureux incidents' qui, presque à chaque fois, ajoutent une sépulture aux cimetières.
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