Chapitre 16 - Da Capo

"Une statue à l'effigie de La Créatrice ? "

"Bien sûr ! L'on peut remarquer la forme de son sceptre malgré la bâche."

Edelweiss était sur la place centrale, en train de discuter avec un vieil homme passionné de sculpture, qui prétend être à l'origine de diverses statues de Régina elle-même. La grande dame regarda alors la bâche qui recouvre l'imposante statue de la divinité. Sans doute que cette oeuvre doit dépasser les vingt mètres de hauteur. Pourtant, le fait que La Créatrice préfère les performances pures plutôt qu'au spectacle est un savoir commun. C'est alors assez évident que l'artiste a décidé de dépeindre la déité uniquement pour attirer davantage les regards, pas en signe de respect envers celle-ci.

"Pardonnez donc mon manque d'éducation, mais pourriez-vous m'expliquer les... preuves, si je puis dire ? Qu'est-ce qui vous fait dire qu'il s'agit d'une œuvre à l'effigie de Sa Divinité ?"

Elle avait décidé de se faire passer pour une simple jeune femme dans cette ville que sa réputation n'atteignait pas. Selon ses estimations, nul n'allait manquer une occasion de "l'éduquer" par pure prétention, non pas sur la déesse, mais bien sur la sculpture elle-même.

"Le sommet du sceptre de Sa Divinité est à hauteur de ses yeux. Et ce sommet est un croissant de lune ! A en juger par le sommet de la bâche, et la forme prise sur le côté, il semblerait bien que ce soit une statue de La Créatrice. Puis, l'artiste lui-même l'a annoncé comme tel !"

"Je vois... Mh, et bien sur ce, je vous laisse, mon bon monsieur."

"N'oubliez pas de réserver une place à l'Opéra Helena ! La petite Clymene va nous en mettre plein les yeux ! Vous en aurez pour votre argent ! "

Il continuait mais Edelweiss était déjà partie.

'La petite Clymene'. La préceptrice savait déjà que Clymene était la victime par excellence de la folie qui touche cette cité. Son apparence, altérée par magie, permet à tous de fantasmer sur lui sans retenue. Et cet homme avait une fantaisie bien précise, qui était à vomir.

Quoi qu'il en soit, les observations d'Edelweiss continuaient sans accroc. Une femme vêtue d'une robe extravagante, et peut-être trop imposante, décida de lui adresser la parole.

"Vous, là !"

"... Plaît-il ?"

"Vous êtes une étrangère !"

"Oui, oui. Je suis simplement venue profiter de toute cette animation. Il est essentiel de se détendre, surtout dans une époque aussi sombre que la nôtre."

"Une époque sombre ? Mais de quoi parlez-vous donc ?"

Edelweiss se contenta de sourire d'un air prétentieux qu'elle ne pouvait retenir. Les gens d'ici sont donc réellement fous, tant qu'ils en oublient que ce monde est en bonne voie de finir englouti sous les flots.

"N'y faites pas attention. Auriez-vous quelque chose à me conseiller ? Il y a tant de choses ici, mon intellect d'étrangère ne parvient pas à tout emmagasiner."

"Oh ! Demain, lorsque la nuit sera au sommet, l'Opéra Helena ouvrira ses portes pour sa plus grande représentation depuis sa création ! Clymene chantera, 'jusqu'à ce que l'endroit devienne l'envers' !"

"... Je ne comprends pas..?"

"C'est une façon de dire qu'il changera notre monde ! Nos vies, nos habitudes, notre perception de chaque chose : il promet de tout altérer. Une telle promesse, c'est des plus audacieux ! Toutefois, je ne pense pas que votre équilibre mental tiendra face à l'une des représentations de notre précieuse astérie. Voyez-vous, pour les étrangers, ce serait sans doute trop... écrasant."

"J'en prends note. Merci à vous."

Elle tourna les talons sans se retourner.

C'était la quatorzième personne à laquelle Edelweiss adressait la parole. Dix d'entre elles avaient de légers signes de liquéfaction sur leurs corps : des tâches, des yeux qui coulent le long du visage ou autre, mais personne ne dit rien. Et leur état de santé ne s'est pas dégradé le moins du monde.

Edelweiss supposait que ce sort massif en préparation était lié à cette liquéfaction progressive. En sa qualité 'd'astre assassin', elle était très sensible à la magie qui l'entoure, et peut presque toutes les comprendre. Ainsi, elle avait déjà déduit la portée du sort, et quand il se déclenchera. C'est-à-dire l'ensemble du quatrième plateau, et une maigre partie du cinquième. Quant à quand, il sera terminé d'ici un mois entier au bas mot. A moins d'une erreur dans ses estimations, mais ce serait assez surprenant venant d'elle.

Il restait plusieurs questions : qu'est-ce qu'il allait provoquer, et pourquoi ? Il était si massif que ce n'était pas un simple sort, mais bien un rituel.

S'il allait se déclencher dans un mois, elle avait le temps d'enquêter un peu plus. Les sujets victimes de liquéfaction ici sont encore entiers, sains d'esprit et de corps. C'était l'occasion parfaite pour en apprendre plus sur ce phénomène, en s'introduisant dans leurs mondes intérieurs.

Elle commença à déambuler dans les rues, afin de trouver la proie idéale. Lorsqu'elle utilise ce pouvoir, Edelweiss n'a pas de limite de distance à respecter, et elle n'avait même pas à se concentrer ni à rester immobile.

A force de marcher, elle remarqua une cible intéressante. Une femme quelconque, qui, à en juger par l'état de ses cheveux, son cou, ses oreilles, ses mains et son visage, était atteinte d'une liquéfaction assez avancée.

Elle soupira doucement, avant de cligner des yeux. Après ce si court instant, la voilà dans le monde intérieur de sa victime, inconsciente de ce qu'il se passait en son for intérieur.

Pendant qu'Edelweiss visite un monde intérieur, son corps reste actif de lui-même. Avoir une conscience suffisamment puissante pour exister simultanément en deux lieux différents, c'est dans ses cordes.

Quoiqu'il en soit, ce monde intérieur était assez basique. Des cubes partout. Ils constituaient le sol, un quadrillage qui s'étendait jusqu'à quelques centaines de mètres plus loin, aboutissant sur un mur, constitué de ces mêmes formes géométriques.

Au milieu, il y avait une lueur assez remarquable, qui attira l'attention de la préceptrice. C'était ce qu'elle cherchait. Cette lueur était une sphère de liquide, qui essayait de s'échapper de ses chaînes, qui elles, sont des serpents. Seulement deux serpents, le reste semble avoir déjà céder, à en juger par la présence du liquide similaire à de la peinture en dessous. Les dernières chaînes ne vont pas tarder à lâcher.

"Tu n'as rien à faire ici. Tu le sais bien, pourtant..."

C'était très simple de le ressentir : cette sphère n'avait rien à faire là. C'était un corps étranger, d'abord présent dans l'esprit. Une simple faille suffirait à en laisser une faible partie s'échapper, ce qui lancerait alors les premières conséquences sur le corps. Et plus le temps passera après cette première faille, plus il sera facile d'en créer de nouvelles.

Edelweiss regarda cet abominable liquide avec dégoût.

"Alors, Dracaena... Que veux-tu à ce monde ? Et surtout, comment as-tu survécu jusqu'ici..?"

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