Chapitre 14 - Folie artistique
Le Refuge est un lieu assez rustique dont le seul charme se trouve dans l'ancien. De nombreuses salles, décorées de façon assez sobre. La couleur du bois est celle que l'on remarque le plus ici, tant qu'elle couvre l'entièreté les murs ! Personne n'a pris le temps de refaire la peinture, semblerait-il.
Sonah est entré puis s'est dirigé vers une salle quelconque dans un coin. Une fois arrivé ici, il retira enfin sa capuche afin de fouiller dans un meuble, plus précisément un tiroir portant son nom. Il sort alors un parchemin qu'il déploie, afin de le relire.
Il viendra alors s'asseoir sur l'un des fauteuils, et au même moment, une personne entra.
"Bonjour, docteur~..En avance aujourd'hui ?"
Un rare sourire viendra illuminer le visage de Sonah, alors qu'il acquiesça.
"Comme toujours !"
Le jeune homme viendra s'asseoir face au lycanthrope. Ses mouvements sont très élégants, tant que l'on dirait presque qu'ils sont tous calculés à l'avance. Un simple regard posé sur lui suffit pour comprendre qu'il est la définition même de noblesse. Clymene d'Orpheus, tel est son nom. Malgré son jeune âge, il est de loin le meilleur en matière d'opéra sur toute la ville d'Eleutherius, si ce n'est sur le continent d'Asphodel tout entier, un talent comme l'on en voit trop rarement.
Depuis très jeune, il baigne dans la folie de cette cité grandiose, tant qu'il n'en est jamais sorti une seule fois. Les grands murs immaculés sont son monde. Et naturellement, à vivre ainsi, rien ne peut bien tourner. C'est pour cela qu'un jour, il a décidé de lui-même d'aller au Refuge sans que quiconque ne soit au courant. Par chance, l'un des confidents avait son âge, et naturellement, il est allé vers celui-ci. C'est ainsi qu'il rencontra Sonah : deux garçons venus ici pour la première fois, les deux ayant un but opposé, chaque fois rempli, mais ironiquement, les deux remplissent également le second rôle l'un pour l'autre.
"Tu es toujours d'accord pour venir me voir à l'Opéra ?"
"... Oui ! Je pense être prêt."
Sonah parlait évidemment des autres. Il déteste les foules, et donc, à chaque fois, aussi ridicule que cela puisse paraître, il doit se préparer mentalement pendant de nombreux jours pour être prêt. Et la majorité du temps, il finit par abandonner en dernière seconde. Mais cette fois il ne pouvait pas. Non seulement Edelweiss allait l'accompagner, mais en plus de cela, c'est Clymene qui l'invitait, et il ne voulait pas le décevoir ou l'attrister. D'autant plus que Sonah se sentait ridicule, lui et son anxiété, car il allait simplement s'asseoir et regarder, rien de plus. Mais malheureusement, il continuait de s'inquiéter de la sorte. Un cercle vicieux à se mépriser lui-même pour sa propre nature et son incapacité à changer.
"Si tu ne penses pas pouvoir supporter la foule, je pourrais te faire passer derrière la scène pour que tu puisses écouter malgré tout. Puis si ça ne suffit pas, je me contenterais de te chanter quelque chose en privé. Quelle voix préférerais-tu ?"
Dit-il en souriant, en ajustant l'une de ses mèches noire délicatement. Ses cheveux sont ondulés couleur jais, et arrivent jusqu'au bas de son dos, et force est de constater que, plus encore que le reste de son corps et ses tenues, il les entretient. Il a par ailleurs divers colliers de perles accrochés, qui donc se mêlent à certaines mèches sans les accrocher. C'est une forme d'accessoire supplémentaire : certains enroulés autour des mèches, d'autres qui flottent avec celles-ci.
D'ailleurs, de vue, le corps de Clymene est ce que l'on pourrait qualifier de parfaitement androgyne. Aucune caractéristique masculine, aucune féminine, il est impossible de deviner son genre. Il n'a pas toujours été ainsi : son corps a été modifié via magie, au nom de l'art, et ce, dans le but de 'plaire au plus grand nombre' comme ses géniteurs l'ont dit. C'est-à-dire permettre à tous de fantasmer sur Clymene en fonction de leurs préférences personnelles. C'est l'un des aspects les plus sombres de cette ville.
"Celle que tu veux."
Cette question de 'quelle voix préférerais-tu', est bien étrange. Clymene est un mage de naissance, sans apprentissage, il est capable de manier la magie parfaitement. La sienne est originale : il accueille des esprits en lui, et les utilise dans le cadre de ses performances. De cette façon, son acting est toujours plus vrai que nature, et absolument irréprochable. Il est également capable d'adopter n'importe quel type de voix. Son être tout entier est dédié à l'art, tant qu'il n'a pas d'identité propre, et quand bien même sa noblesse le dissimule, Sonah le sait très bien, les deux en ont déjà parlé à de nombreuses reprises. L'un sait tout de l'autre.
"Bien, bien. Par ailleurs, ta place et celle de ta mère sont toutes deux à l'écart, sans autre spectateurs autour, tout en ayant une vue correcte sur la scène."
"Merci.. Merci beaucoup !"
Clymene souria d'un air sournois, puis il se contenta de lancer un clin d'œil à Sonah, qui venait seulement de comprendre.
"Ce n'est pas ma mère..!"
"Pardon, pardon... Je te taquine."
Sonah se contenta de vaguement sourire en réponse, avant d'essayer de reprendre la parole. Mais Clymene fut plus rapide, et il souria doucement, plaçant l'une de ses mèches sur le côté.
"Je me demandais, docteur... Selon toi, qu'est-ce qui ne fonctionne pas en ce monde ? Sur notre continent, plutôt."
"... Trop de gens voient les autres comme des... erreurs, des tâches à effacer, et à défaut de pouvoir le faire, à moquer. Je dirais que... Que tout le monde est malade et mourant, même s'ils prétendent aller bien. Mais le problème n'est pas en nous, mais plutôt... dans cette ère, directement."
C'était plutôt vrai. Et le seul moyen de se débarrasser d'un tel fléau, c'est via une intervention viscérale, brutale, radicale. Une douleur nécessaire, mais le problème reste le même à chaque discussion de ce type, qu'importe l'ère, qu'importe l'endroit : Comment agir ?
"Je... Ferais-je donc partie du problème ?"
"Non, non ! Certainement pas. On... Nous avons tous nos problèmes. Peut-être que tu devrais... Laisser ce que tu veux ou pense se dévoiler plus souvent. Réprimer peut être bon, mais au final... A trop le faire, on finit par s'oublier. Je pense que, si tout le monde était plus fidèle à soi-même, le monde serait toujours horrible, mais peut-être vivable."
"Docteur, la première fois, nous en sommes venus à la même conclusion. Il faut restaurer le monde à ce qu'il était : un royaume de liberté, où tout le monde serait heureux."
Sonah détourna le regard, quelque peu embarrassé. La panique le rends horriblement niais, et change sa façon de parler. Mais tout ça, c'est réellement ce qu'il veut.
"C'est... C'est embarrassant."
"Nullement ! Tu as même plutôt raison. Si seulement c'était possible, peut-être que toi, ou tout ceux qui viennent ici... Peut-être qu'ils se sentiraient tous mieux. De même pour ceux par delà l'océan, ou même les défunts."
Sonah acquiesça, avant de reprendre.
"Sinon, est-ce que tu as encore ces... cauchemars ?"
Clymene regarda ailleurs, quelque peu pensif.
"Oui. Plus le temps passe, plus ils s'aggravent. Je vois ma mère m'attaquer, mon père se... mh, tu le sais déjà. Et je vois ma sœur, supplier pour mon aide au milieu des flammes."
"Comme d'habitude..."
"Mais depuis quelque temps..."
Il posa une main sur sa poitrine, au niveau du cœur.
"Depuis peu, je vois les gens se dissoudre, et ce qu'il reste d'eux s'envole vers les cieux. Eux, et la ville entière. Et pourtant, tous restent inconscients de ce qu'il se passe autour d'eux. Et au final, il ne reste que moi au milieu de ruines et d'effluves obscures dans l'air. Mais à chaque fois..."
Il hésita avant de conclure.
"A chaque fois, chaque nuit, après ce désastre, je vois mon reflet. Je le contemple, et ce reflet est toujours le même. Je ne sais pas ce que cela suppose, néanmoins... Ce reflet, c'est toujours toi, Sonah."
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