Chapitre 13 - Eleutherius, cité des arts
Le monde est sombre, oppressant, surtout en ces temps obscurs où n'importe qui pourrait soudainement se liquéfier sans crier gare, ne laissant que de la peinture aux couleurs inégales. Le quatrième plateau est plus petit que les autres, tant que presque son entièreté est couverte par la grande cité d'Eleutherius, qui apparaît comme une oasis de lumière et de couleur dans ce monde terne.
Ses bâtiments et tours blanches, couronnés de dômes dorés scintillent sous le soleil, apparaissant comme des joyaux, dont la lueur apporte un sentiment de soulagement. Les rues sont décorées de divers plantes radieuses, et de bien du bleu, qui rappelle l'océan. L'ambiance ici est à la réjouissance, Eleutherius est un paradis, loin des problèmes de la vie ailleurs. En apparence, tout du moins.
Les rues pavées sont animées et débordantes de vie et d'énergie. L'art est célébré partout : via des statues majestueuses de personnalités historiques, d'objets, de La Créatrice, ou simplement là pour montrer le talent via des formes complexes. Les affichages participent aussi à cette ambiance, présentant des œuvres, des peintures et tableaux, ou annonçant des événements indépendants qui, malgré tout, suscitent l'engouement général - l'enthousiasme est une valeur cardinale ici. La musique flotte dans l'air, que ce soit grâce aux artistes de rue ou encore depuis les fenêtres ouvertes.Une douce cacophonie, dans laquelle les complaintes restent muettes, car rien ne doit y mettre fin.
'Thyrsus' n'est pas qu'un spectacle, c'est un véritable festival, le plus grand depuis quelques décennies. Certes, le Concours Régina, celui dans lequel l'on célèbre la beauté de celle qui préside sur le continent est des plus grandioses, mais il semble faire bien pâle figure face au Festival de Thyrsus. Mais ça n'a pas d'importance ! La démesure étant un art, l'on a décidé d'incorporer le Concours Régina, quand bien même il n'a eu lieu il n'y a qu'un mois.
L'effervescence atteint son apogée, un niveau jamais vu auparavant. Les échafaudages se dressent ici et là, soutenant les décors dédiés aux représentations en plein air. Des bannières en soie aux motifs fantastiques flottent dans les airs, suspendus plus ou moins haut. Lors du festival, même les rues seront utilisées. La place centrale sera par ailleurs la galerie d'exposition du Concours Régina. De nombreuses statues plus ou moins imposantes sont même en préparation tout autour, et même en bordure de la ville, où d'autres échaffaudages sont en préparation pour toujours plus de festivités. Au milieu de la place centrale se trouve une bâche recouvrant une imposante statue, supposément de La Créatrice, l'œuvre ultime du meilleur sculpteur que le monde ait connu. Les artistes se préparent tous. Les théâtres, galeries, musées, salles de bal, et opéras sont tous en préparation. Tout naturellement, l'Opéra Helena, opéra le plus prestigieux que ce monde ai connu, sera au cœur des festivités, avec nombre de représentations, dont trois différentes par Clymene d'Orpheus, un talent comme on en voit qu'un par siècle, si ce n'est millénaire.
Nul ne se plaint, nul n'en a la permission. Malgré son éclat, sa radiance, cette cité est étouffante, oppressante. Nombreux sont ceux qui ne trouvent pas de public, et qui échouent en boucle. Nombreux sont ceux ayant du succès, mais qui se perdent de vue. Ceux dénués de talents finissent inévitablement par céder à la déchéance, et se contentent alors d'assister à autant de représentations que possible, pour montrer à quel point ils sont raffinés. En Eleutherius, être autre chose que bourgeois est une forme de suicide en société : perdre la face, c'est perdre son devoir de vivre, c'est couvrir toute sa lignée, ancêtres compris, de honte, un déshonneur. Il va sans dire que ceux qui quittent cette cité sont de la pire engeance, tant et si bien que les œuvres de leurs ancêtres sont souvent détruites. Le passé n'a ici de valeur que si le présent arrive à garder sa dignité.
C'en est presque dystopique. La moindre expression de mal-être est sévèrement réprimée, et ceux qui dévoilent leur souffrance sont ostracisés. A moins, évidemment, que leurs tourments soient utilisés pour l'art. Mais si tel est le cas, les malheureux n'auront droit à aucun repos, et leurs tourments, si jugés dignes d'intérêts, seront couverts de louanges, car ils auront divertis la populace.
Pour échapper à la misère, ils s'abreuvent de la misère d'autrui, en la changeant en leur prétendu bonheur. C'est à peu près ainsi que tout fonctionne ici.
Malgré tout, Sonah était attaché à ce lieu. Certes, de plus loin que les résidents, mais il y avait quelqu'un de précieux pour lui ici. Puis, ce paysage et cette atmosphère n'avaient de cesse de le fasciner, autant que de l'étouffer.
Fort heureusement, la majorité du temps, il se rend simplement dans un bâtiment à la devanture peu attirante, simplement nommé le Refuge. Le seul lieu où les maux sont traités. Ceux qui s'y rendent doivent cacher leur identité, pour leur propre sécurité.
Ici, les médecins s'occupent des patients, et les Confidents écoutent les tourments de ceux venus parler, cherchant alors à les aider, à leur offrir un échappatoire.
"Vois-tu, je ne pensais pas que tu prendrais cette tâche autant au sérieux, Sonah."
Edelweiss était honnête en disant cela, c'était réellement inattendu.
"C'est... Surtout pour une seule personne."
"Mh, quand bien même, je doute que ce soit ta seule raison. Tu dois sincèrement apprécier écouter les autres. Et, si après une année de loyaux services tu es toujours accepté, c'est que tous apprécient ta personne."
Cela paraissait assez irréel pour le lycanthrope, qui se contenta de silencieusement acquiescer. Il va sans dire que l'un comme l'autre savaient qu'il n'y croyait pas.
"Et toi, qu'est-ce que tu vas faire ?"
"Je pense simplement visiter, arpenter les rues. Je suis comme contrainte par mon âme noble à profiter des niaiseries nobiliaires des mortels. Et, évidemment, j'entends bien réserver une place à l'Opéra Helena."
"Clymene a déjà réservé pour nous deux..!"
"Oh ? Tu lui parles de moi..?"
Sonah secoua la tête nerveusement.
"Non, non, non ! Il sait juste que je suis souvent avec toi..! Je parle de toi seulement si j'en ai la permission."
"J'espère sincèrement qu'un jour tu ne ressentiras plus les interactions comme de lentes agonies."
"Je... Je veux juste te parler à toi et Clymene. Les autres... Mh, je préfère les éviter."
Visiblement, l'altercation avec Celes a laissé des marques immédiates. Son peu d'envie d'interagir avec autrui n'est plus, désormais. Mais Edelweiss n'allait pas abandonner pour autant, elle comptait bien essayer à nouveau de le pousser à forger des liens. Mais avec qui ? Ameris ? Un cimetière serait sans doute plus animé, mais ils partagent un certain nombre de points communs malgré tout.
"Si cela te convient, alors soit. Je ne vais pas essayer de trop te forcer, mais ce serait bon pour toi de parler à plus d'individus."
"Mais..."
"Contrairement à ce que Celes a dit, il n'y a pas de raisons pour toi d'avoir peur. Tu es un garçon doux et aimable, jamais tu n'attaquerais quelqu'un à moins d'être en grand danger."
Au fond de lui, Sonah savait que la préceptrice avait raison, mais une petite voix au fond de son esprit faisait de son mieux pour le convaincre du contraire, menant à... de la confusion, des doutes, de l'incompréhension, tous bien visibles.
"M'enfin, tu devrais te rendre au Refuge sans délai. Je vais vaquer à mes occupations pendant ce temps."
Le garçon acquiesça avant de se mettre en route. Edelweiss tourna également les talons.
Elle ne comptait certainement pas ne faire que du tourisme. Dès son arrivée ici, elle a remarqué une quantité de magie colossale relativement bien dissimulée, quelque part. Un sort à grande échelle, sans doute dont la portée est l'ensemble du quatrième plateau, est en préparation. Et pour une raison qui lui échappait, la préceptrice avait un très mauvais pressentiment à ce propos. Peut-être que son imagination lui jouait des tours, mais certains murs, sur de petites surfaces, partageaient des caractéristiques avec les humains dont la liquéfaction vient de commencer. Pire encore, en regardant certains visages furtivement, certains présentaient les premiers signes de la liquéfaction mais personne ne se posait de questions. Et cela n'annonçait rien de bon.
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