Chapitre 1 (partie 2). Eternal Sunshine of Spotless Mind.

" C'est du vent le cinéma, de l'illusion, des bulles, du bidon. " - Jean Gabin.


La voix masculine qui vient de rompre le silence a le mérite d'avoir fait taire l'ensemble des élèves qui s'impatientaient dans le couloir. L'individu en question tourne vigoureusement une clé dans la serrure de la salle de classe avant d'en ouvrir la porte.

Les chuchotements de mes camarades se font aisément entendre, tandis que nous avançons dans le local, excités de voir ce que ce nouveau cours va donner. Un parfum de vieux livres, de poussière et de craie enivre immédiatement mes narines. Camila et les autres filles de la promotion arborent un sourire graveleux et ainsi, je comprends rapidement que ce nouvel enseignant va avoir la cote auprès de la gent féminine. C'est vrai qu'il est tout à fait séduisant. Au vu des traits de son visage subtilement dessinés, j'imagine qu'il doit avoir une petite trentaine d'années.

— Installez-vous en silence et rapidement s'il vous plaît, ordonne-t-il en frappant dans ses mains.

Nous nous exécutons et je décide de m'asseoir au deuxième rang auprès de ma blonde préférée. Mon entière attention se dépose sur le professeur face à nous, bien en hâte d'en savoir un peu plus au sujet de son cours. Il dépose ses deux mains à plat sur son bureau en acajou pendant qu'il fait voyager ses yeux sur chacun de nous en attendant le silence complet. Visiblement, il aime se faire respecter.

— Bon. Je suis Álvaro Delagado, votre professeur d'analyse filmique. Premièrement, je tiens à m'excuser auprès de vous d'avoir été absent durant votre premier mois de scolarité. De ce fait, je compte sur vous pour que nous rattrapions ce retard. Je ne tolérerai donc aucun laisser-aller et ne ferai pas de passe-droit. J'espère que c'est aussi clair de votre côté que ça l'est du mien.

Très bien, il a l'air chiant à mourir.

J'envoie une grimace excédée vers Camila qui me répond de la même manière. Le fameux Álvaro s'avance vers nos tables avant de marcher lentement entre les allées. La salle de classe est immense et sa voix rauque résonne délicatement entre les murs blancs. L'air sérieux, il explique point par point les principes de son cours en énumérant cela sur ses doigts fins. Ce cours a l'air d'être intéressant. L'histoire du cinéma dans son sens large, l'étude de films mythiques et leurs impacts. Cela me plaît.

Ce professeur semble savoir où il veut aller et malgré le fait qu'il soit un peu rude, il est férocement charismatique. Son allure est distinguée. Il arbore une chemise blanche élégante qu'il a sublimée d'une cravate sombre. Le tout, agrémenté d'un pantalon en lin gris chiné soutenu par une ceinture à boucle argentée. La totalité de ses vêtements doit coûter un bras, cela se voit nettement. Même si son attitude m'agace, je me surprends à glisser mon regard sur son postérieur délicieusement mis en valeur.

— Je dois vous avouer qu'avant de donner ce cours, je me suis un peu renseigné sur vos identités, ainsi je vois tout à fait qui vous êtes. Donc pour faire des présentations plus intéressantes je vous propose de répondre à tour de rôle à cette simple question. Quel est le film de votre vie ? propose-t-il en s'asseyant sur son bureau, un sourire en coin sur le bord des lèvres.

J'aime beaucoup trop de films pour ne pouvoir en choisir qu'un seul. Je tapote nerveusement mes ongles sur le bois de la table, en pleine réflexion quant à ce choix cornélien. Monsieur beau brun ténébreux semble plutôt jubiler de nous voir ainsi nous torturer les méninges pour répondre à sa fichue question.

— N'ayez pas peur, il n'est pas question de juger le film que vous aurez choisi. Je suis simplement partisan de cette fameuse idée du : dis-moi ce que tu regardes et je te dirais qui tu es. Alors ne réfléchissez pas trop et sortez-moi le premier qui vous est venu à l'esprit lorsque je vous ai posé cette question.

Facile à dire.

Les présentations commencent au premier rang et s'enchaînent. Certains font les grands cinéphiles frimeurs en citant des œuvres telles que Citizen Kane et cela me fait lever les yeux au ciel. D'autres sont plus réalistes et sortent parfois des films dont j'ignorais l'existence.

Je dois avouer que l'idée de ce nouvel enseignant est plutôt pertinente. J'en apprends davantage sur les goûts de mes camarades et de cette façon, j'apprécie d'autant plus certains de mes compagnons d'études. Pourtant, la fatigue prend le dessus. Mon regard se perd dans le vide et je dois lutter contre l'alourdissement de mes paupières. Les voix de mes camarades entremêlées à celle de mon professeur ne deviennent qu'un écho lointain, un délicieux bruit qui s'écarte de plus en plus de mon âme.

—  À ton tour, quel est ton film fétiche ?

Mon cœur fait un léger bond dans ma poitrine lorsque je m'aperçois qu'il s'adresse à moi. Je me redresse sur ma chaise avant de me racler la gorge pour éclaircir ma voix.

— Euh, bégayé-je. Eternal Sunshine of Spotless Mind.

Ce titre à rallonge carrément imprononçable fait visiblement glousser quelques-uns de mes camarades. Le professeur lui, fronce légèrement le regard et j'ignore pourquoi.

— Hum. Pour quelles raisons ?

— Je ne sais pas trop. Je trouve qu'il a une façon tout à fait intéressante d'évoquer l'amour sans tomber dans le cliché niais de certains autres films.

— Tu n'aimes pas l'amour ? me demande-t-il en croisant les bras contre sa poitrine.

— Ce n'est pas ce que j'ai dit.

— Alors pourquoi ce choix ?

— Je l'ignore, parfois ça ne s'explique pas, voilà tout.

Il se met à rire doucement, avant de tourner les talons pour se diriger vers son bureau. J'avoue ne pas comprendre ce qu'il vient de se passer et j'interroge du regard Camila qui semble tout aussi surprise que moi.

— Bon, très bien. Peut-être que certains d'entre vous ne sont pas spécialement à l'aise pour s'étaler sur les raisons de ces choix devant tout le monde. Je vous propose de combler la fin de ce cours en m'expliquant précisément sur une feuille l'origine de votre amour pour le film que vous venez de me citer, propose-t-il en s'asseyant.

Nous nous exécutons sans broncher. J'arrache une feuille vierge de mon carnet de notes pour y étaler mes arguments. Je suis soudainement très inspirée et c'est visiblement le cas des autres élèves puisque le silence règne en maître dans la salle de classe.

Après avoir énuméré avec précision les raisons de mon amour absolu pour Eternal Sunshine of Spotless Mind durant une demi-heure, je relève le visage vers ce fameux Monsieur Delgado. Il a enfilé une paire de lunettes à monture noire et semble gribouiller tout un tas de choses sur un bout de papier. J'imagine qu'il a sûrement encore d'autres idées du genre pour la suite. 

— Le cours est terminé, veuillez sortir en silence s'il vous plaît et me déposer vos feuilles avant de quitter la classe.

Je me crois carrément au lycée avec une telle phrase. Je soupire doucement en me levant de ma chaise, laissant tous mes camarades passer avant moi. Une fois seule face à son bureau, je lui tends mon écrit soigné de mon écriture manuscrite.

— Une minute, m'ordonne-t-il en attrapant la feuille qu'il dépose sur le tas de copies.

Je stoppe ma fuite et me tourne vers lui.

Qu'est-ce qu'il me veut ? J'ai un café qui m'attend.

— Si je t'ai un peu embêté au sujet de ton film c'est parce qu'il est l'un de mes plus grands coups de cœur, avoue-t-il en caressant machinalement sa barbe de trois jours.

— Je vois.

— Je voulais simplement que tu étoffes ton avis sur ce chef-d'oeuvre, mais j'ai plutôt hâte de lire ton argumentaire maintenant. J'espère qu'il ne sera pas aussi décevant que ton intervention de tout à l'heure, ironise-t-il en haussant les épaules.

Pour qui se prend-il ? Il est détestable. Même si mes pensées l'assassinent d'injures, je me contente de hocher la tête face à lui. Il m'invite à quitter la salle de classe en désignant la porte de ses yeux, je m'exécute.

La porte se ferme derrière mon dos, tandis que j'avance vers Camila qui m'offre un large sourire satisfait. Sa joie de vivre diffère totalement de ma mine sombre. J'ignore si ma mauvaise humeur me plombe le moral, mais je suis fermement agacée.

— Il a l'air passionnant, s'écrit-elle avec enthousiasme.

— C'est un connard, ouais.

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