— Est-ce que tu sais ce qu'est le zugzwang Sara ? me demanda Tao.

Je le regardai, inutile, remplie de rage. Je voulais le tuer. Je ne comprenais pas, j'avais tout vérifié, j'avais tout sécurisé, mais il savait, depuis le début il savait et il n'avait rien fait ! Il avait attendu que j'arrive enfin au moment pour lequel j'avais tout sacrifié pour apparaître ? Pourquoi ? Je pouvais parler, mais pas bouger, c'était les effets de la kétamine que j'avais utilisée et il me regardait attendant une réponse.

Je regardai les autres et personne ne parlait, comme s'ils savaient que la situation était beaucoup plus dangereuse, parce que j'étais moi-même maîtrisée par Tao, sans savoir pourquoi.

— Je suppose que non alors, continua-t-il. C'est une tactique aux échecs, elle force l'adversaire à jouer un coup qui le mettra dans une position très délicate, qui affaiblira son jeu.

Il était en train de me dire qu'il m'avait manipulé pour en arriver là...

— Je sais que tu dois être en colère, je le vois dans ton regard, mais tu comprendras, on est là pour la même chose Sara.

Il s'avança vers Eric Pender et le regarda étrangement avant de prendre la matraque électrique et de la pointer sur ses parties intimes.

— Tout ça à cause de ça..., dit-il pour lui-même. Tu sais que j'ai passé un an à Austin ?

Eric ne bougeait pas, personne ne bronchait, Tao était dangereux et déterminé, ça se voyait à son regard.

— J'ai été un des enfants d'accueil de Mme Davis, c'est là que j'ai rencontré Emily. C'était comme une évidence pour moi, peu importait notre différence d'âge, elle avait juste cinq ans de plus, qu'est-ce que c'est cinq ans ? Rien du tout ! s'écria-t-il brusquement.

Eric transpirait à grosses gouttes, son père regardait Tao comme tous les autres, sauf Alex.

Alex me regardait, je ne savais pas comment tout allait se finir, alors je m'autorisai à le regarder aussi, une dernière fois. Il me comprenait, c'était tout ce que je voyais dans son regard, il me comprenait...

— Emily était une fille géniale, dès mon premier jour chez sa famille, elle m'avait pris sous son aile. Je n'ai jamais eu de famille, j'étais un enfant de la rue et pour une fois quelqu'un me prêtait de l'attention et ça faisait du bien. Rapidement, j'ai compris que ce que je ressentais était beaucoup plus fort qu'un amour fraternel, beaucoup plus puissant. Je n'ai pas compris lorsqu'un jour, en rentrant de l'école, elle n'était plus là, elle avait disparu, elle s'était suicidée. Je n'ai pas compris jusqu'à ce que Sara arrive à Austin.

Il me regarda de nouveau, un rictus aux lèvres.

— Avant que tu arrives dans la boîte, Thomas nous avait parlé de toi, Cassandra Morgan de MIT, j'ai été surpris. En général, avec des diplômes comme les tiens, on vise plus haut et puis lorsque j'ai cherché j'ai vu que tu y étais bien, mais quelque chose n'allait pas. Hacker le système informatique de la meilleure école d'ingénieur du monde c'est fort, ton ami est fort, ça m'a pris plusieurs semaines avant de comprendre, mais peu importe, c'était nécessaire à ton plan. Dès cet instant, tu as éveillé ma curiosité, je me demandais ce que tu venais faire à Austin alors je t'ai traqué.

Impossible, c'était impossible, je l'aurais su, je n'avais pas fait d'erreur...

— Eh oui Sara, tu as fait une erreur. Au départ, je ne trouvais rien, je n'avais même pas pu entrer dans ton système informatique, et pourtant j'avais ton adresse. Et puis, j'ai remarqué l'intérêt que tu portais à Alexander Grayson et la façon que tu avais de réagir, de paraître détachée, je ne sais pas j'ai suivi mon instinct. Alors quand j'ai vu que ses données et celles de toutes les personnes présentes ici avaient été téléchargées à leur insu, j'ai su que c'était toi.

Il me lança un regard compatissant avant de reprendre.

— Et puis enfin, j'ai réussi à avoir accès à ton ordinateur ! Lorsque tu t'es payé les services d'un groupe du darkweb, j'ai eu de la chance. Le hasard a voulu que tu tombes sur un groupe que je gère en partie, d'ailleurs j'ai trouvé que tu avais été trop loin en faisant subir ça à ta mère, mais bon quand j'ai appris qu'elle avait tué ton père pour Carl... enfin bref ! Donc j'ai eu accès à ton ordinateur et j'ai vu que tu avais fait des recherches sur Emily, que tu avais fait le lien entre cette soirée et le suicide d'Emily. Comme toi, Sara, Eric l'a violé et elle s'est suicidée, n'est-ce pas Eric ? termina-t-il en s'accroupissant face à lui.

Eric ne bougeait pas, il était livide. Il était malade, c'était la seule explication possible, Eric Pender était malade, j'étais sûre qu'il avait violé d'autres filles, beaucoup d'autres...

— Répond-moi Eric, je ne suis pas aussi patient que Sara, chantonna Tao.

— Je ne me souviens pas..., dit-il.

— Tu ne te souviens pas ? répéta Tao. Tu ne te souviens pas parce que ce n'était pas la seule n'est-ce pas ? Tu as profité de plusieurs filles ce soir-là... Félicitations, Carl, ton fils est un violeur !

Je sentais les effets s'estomper beaucoup plus vite que prévu, Tao avait dû prendre une seringue avec une dose plus légère. Il envoya une décharge puissante à Eric, qui sembla presque ne plus pouvoir respirer.

— Sara, si j'ai bien entendu, Skyler t'a coupé les cheveux ce jour-là, et plein d'autres choses c'est ça ? Je ne comprends pas pourquoi tu ne lui as pas rendu la pareille, mais ne t'inquiètes pas, je vais le faire pour toi. En plus, elle faisait partie des personnes que détestait Emily, elle a plusieurs fois mentionné ton nom et celui de Clara. Alors en l'honneur de Sara, et en attendant qu'Eric se remette, je vais m'occuper de vous.

Il prit un ciseau sur la table et commença à couper les cheveux de Clara et Skyler qui ne bougèrent pas d'un millimètre, se contentant de pleurer. Je ne ressentis pas de satisfaction, rien du tout, j'avais eu ce que je voulais, mais la situation m'échappait et il fallait que je l'arrête, mais même si je pouvais sentir mes orteils, je ne pouvais toujours pas me relever pour le moment.

— Très bien, vous êtes sages dis donc, c'est beaucoup trop facile. J'ai prévu quelque chose qui devrait te faire plaisir, Sara. Si j'ai bien compris Eric, son père et ta mère sont les vrais coupables de ton malheur non ? Alors j'ai prévu un petit jeu, tu vas voir, c'est vraiment sympa, j'ai juste besoin de faire quelques ajustements.

Les sièges étaient disposés en U, il détacha Annie et Eric et les fit changer de place pour qu'Eric se retrouve en face de son père.

— Si vous croyez que vous allez vous en sortir comme ça, vous allez le payer ! cracha Carl Pender qui avait été silencieux depuis.

— Si quelqu'un doit payer ici, c'est bien toi Carl ! Tu es coupable autant que ton fils, tu savais qu'il était dangereux, tu savais qu'il avait violé au moins deux adolescentes, mais tu l'as couvert !

— Sara, arrête-le, me dit ma mère. Je pense que tout le monde a compris, c'est bon, tu as eu ta vengeance, arrête-le je t'en supplie.

— Sara ne peut rien faire ! cracha Tao. Et tu devrais la fermer avant que je ne te jette d'un toit comme tu l'as fais pour ton pauvre mari !

Il envoya une décharge à Carl pour le sonner et plaça une arme dans ses mains avant de les lier, l'arme en direction d'Eric, et en fit de même pour son fils. Le temps qu'ils se ressaisissent, ils étaient tous les deux en train de pointer une arme sur l'autre. Tao éclata de rire et je pus enfin sentir mes jambes entièrement, mais mes bras étaient faibles, encore cinq minutes et je pourrais me relever, cinq minutes...

— Très bien, alors voilà le jeu ! Il y a une balle dans chaque arme, commença Tao. Alors, disons que chacun a deux coups à tirer, si vous avez de la chance vous pourrez rester vivant, sinon, je jouerai à pile ou face pour savoir qui de vous deux va vivre... ou pas !

— Tao, dis-je d'une voix faible que j'exagérai.

— Tu parles enfin ! s'exclama-t-il.

— Arrête s'il te plait, il existe d'autres moyens de se venger, personne ne doit mourir... Emily ne mérite pas que son nom soit associé à un meurtre, pense à sa famille.

— Personne, sauf ton père et Emily c'est ça ? Tous les deux tués en plus ! Et puis tu es une hypocrite ! Tu te rends compte de tout ce que tu as fait pour te venger d'Eric ? ! Tu devrais me remercier Sara, j'ai eu le courage de finir ce que tu avais commencé ! On ne vient pas du même monde, c'est soit eux, soit nous !

— Leur mort serait trop facile, répliquai-je. Vivre en sachant qu'on aurait pu éviter tout ça est beaucoup plus difficile que de mourir !

— Personne ne mourra, qui sait ? Je sais que tu avais imaginé une autre fin, mais bon, c'est le jeu, j'ai juste profité de toi comme tu l'as fais avec eux, surtout Alexander, le pauvre... Alors les Pender ? On se décide ? On va pas passer la nuit ici, et puis j'ai beaucoup de choses à faire.

Carl Pender eut ce regard à ce moment-là, je ne savais pas qu'il n'aimait pas son fils, il l'avait tellement protégé, il l'avait couvert, pourquoi ?

— Finissons-en, dit-il avant d'appuyer sur la détente et causer les hurlements des filles.

Les yeux d'Eric s'écarquillèrent et je vis tellement de souffrance passer dans son regard, mais rien ne se passa, et Tao sourit avec satisfaction. C'était ce qu'il voulait, il connaissait la nature de la relation d'Eric et de son père, il savait que ça le briserait de savoir que son père était capable de prendre ce risque qui pouvait le tuer.

Son sourire s'élargit et je compris, il n'y avait de balles que dans une seule arme...

Je pouvais bouger, je me relevai avec difficultés et attrapai l'arme qui était à quelques centimètres avant que Tao ne puisse l'attraper, mais le coup de feu retentit. Trop tard...

— Oups..., lâcha Tao.

Eric regarda son père avec horreur et Carl baissa la tête sur sa blessure.

Ma mère hurlait, Annie, Skyler, Clara et Callie restèrent bouche bée et Alex était horrifié, il regardait Eric et son père à tour de rôle. C'était ce que Tao voulait, il voulait qu'Eric tue son père. Je me dirigeai vers Carl, il ne pouvait pas mourir, je n'étais pas une meurtrière, ce n'était pas comme cela que les choses devaient se passer, ce n'était pas prévu. J'avais peu de force, alors le coup que me porta Tao me fit tomber facilement et il récupéra mon arme.

— Sara... Arrêtes ça, tu veux ? Tu n'es pas contente ? Eric a tué son père, enfin pas encore, mais il est en train de se vider de son sang, dans quelques minutes il sera mort et Eric vivra avec ça sur la conscience, c'est ce que j'appelle une belle fin. Il saura que c'est parce qu'il a commis toutes ces horreurs que son père est mort ! Et surtout, l'image de son doigt appuyant sur la gâchette le hantera toute sa vie, comme Emily me hante, comme son agression te hante, Sara.

Ma mère hurlait sans s'arrêter, Carl fermait les yeux doucement et il finit par rendre son dernier souffle. Il était mort...

— Papa ? dit Eric hébété.

Ce n'était pas ce que je voulais...

— Papa ? Papa ! Non ! Non, non, non, papa réveille toi ! hurla-t-il. Cassie je t'en supplie, aide le, je t'en supplie, je suis désolé, pardon... pardon... papa, pleura-t-il.

Ce n'était pas ce que je voulais...

Tao le regarda avec mépris et nous regarda tous.

— Il est temps que je vous dise comment les choses vont se passer maintenant que tout est fini ! Eric a tué son père et vous êtes tous témoins de ça, toi aussi, Sara. Chacun va retourner à sa vie, le corps de Carl sera retrouvé demain matin, avec toutes les histoires qu'il traîne, on conclura très vite à un règlement de compte, on est au Texas n'est-ce pas ? Pour information, chacune des armes utilisées sont au nom de chacun d'entre vous, les drogues utilisées, le matériel, tout, Sara n'a pas assuré ses arrières jusqu'au bout, mais j'ai veillé à ce que chacun d'entre vous soit mêlé à ce meurtre. Alors, à vous de voir, la prison ou la liberté avec une mort sur la conscience ? Ou plutôt deux ?

Je me relevai de nouveau, mais Tao ne fit rien. Carl Pender était mort dans ma cave.

— Vous allez tous vous réveiller chez vous, et vous devrez prendre une décision, dans tous les cas vous serez perdants. Quoi que vous fassiez, je le saurai, je le saurai et je vous rappellerai ce moment. J'ai des yeux partout, vous ne le savez pas, mais vous ne pouvez vous fier à personne, à partir d'aujourd'hui, c'est moi qui déciderai de la suite de vos misérables vies. Ah ! et si vous pensez à dire quoi que ce soit à la police, sachez qu'il n'y aura aucune preuve, tout aura disparu, tout sur tout. On trouvera des empreintes, des armes, des preuves, mais seulement les vôtres, sauf toi Sara, toi tu es libre, tu l'as mérité, termina-t-il.

Il injecta une dose de morphine à tout le monde sauf à Alex, puis se pencha et me chuchota une phrase à l'oreille. Je regardai Alex sous le choc, il ouvrit la bouche puis la referma et me lança un dernier regard, avant de sentir l'aiguille et entendre la dernière phrase de Tao :

— Échec et mat Sara, mais ne t'inquiète pas, vous pourrez être qui vous voulez, où vous voulez, je ne serai jamais après toi, c'est une promesse...

Ce n'était pas ce que je voulais, j'avais joué et j'avais perdu, tout perdu, le pire dans tout ça, c'était que je ne ressentais aucun soulagement. Je ne me sentais ni libre, ni fière, ni sereine, rien, j'avais fait tout ça pour rien...