LES RÈGLES CHANGENT

— Qu'est-ce que tu attends ? Ouvre la porte, je ne vais pas rester là comme une idiote !

Elle me regardait de haut en bas, et fit un de ses sourires qui annonçait généralement une blague salace. Certaines choses n'avaient pas changé avec elle, des choses que j'aimais tant avant. J'ouvris la porte et entrai dans l'appart sans lui répondre.

— C'est indigne de la personne que tu es devenue, cet endroit, je comprends pourquoi tu veux partir d'ici.

— C'est toujours mieux que le trou à rat dans lequel papa t'a laissé pourrir, répondis-je avec une colère contenue.

C'était bas, je le savais, mais je devais annoncer la couleur, elle avait réussi à venir ici, elle allait partir moins confiante.

— Ce trou à rat, comme tu dis, était beaucoup mieux quand tu l'as quitté, alors arrête de penser que l'endroit où je vivais m'importait ! Tant que tu n'y étais pas, ça m'allait, ma chère Sara.

Elle me souriait lorsqu'elle avait dit ça, et je faisais tout pour cacher le séisme qui venait de ravager mon cœur.

— Tu sais aussi bien que moi que papa ne t'aurait jamais épousé s'il t'avait rencontré à cette époque, toi qui prônais des valeurs et des principes si forts, tu es devenue une pauvre ivrogne, une pathétique égoïste. Tu as été incapable de traverser cette épreuve, dans la joie et la tristesse hein ? Ces vœux que tu as renouvelés trois fois, tu as été incapable de les tenir, alors tu devrais te regarder dans un miroir, la seule chose que je vois c'est une femme qui a tout raté.

Je lui souris à mon tour et repris :

— Maintenant, dis moi ce que tu veux, j'ai autre chose à foutre que de perdre du temps avec toi, maman, appuyai-je.

Elle se mit à rire, à pleurer de rire même.

— Quand je te vois, je vois tout ce que je n'ai jamais voulu avoir dans la vie Sara. Aujourd'hui, je vais enfin obtenir ce que je veux, et je ne veux pas que tu sois un obstacle pour moi, alors mettons-nous d'accord Cassandra, tu m'évites, je t'évite, tu ne dis rien, je ne dis rien. La seule chose que je vais te demander c'est de m'aider sur quelque chose.

— Qu'est-ce que tu comptes obtenir ?

— Ça ne te regarde pas !

— Tant que tu ne me dis rien, je ne t'aiderai pas. Tu penses bien que si je suis ici, ce n'est pas pour rien ! J'ai les moyens et l'intelligence pour arriver à mes fins, tout est prévu, aucun obstacle ne m'arrêtera, je détruirai tout sur mon passage, sans l'ombre d'une hésitation, je n'ai rien à perdre, alors c'est toi qui vois, soit tu parles soit tu dégages d'ici !

Elle s'installa sur le canapé et se mit à réfléchir.

— Il y a une chose que tu ignores Sara, une chose qui changera tout pour toi, et si tu m'aides je te dirai ce que c'est, en la mémoire de ton père.

J'étais perplexe, je ne savais pas ce que c'était, mais j'avais vu passer dans son regard un éclair de tristesse, et je savais qu'elle ne simulait pas.

— Dis-moi ce que tu veux, je t'aiderai peut-être, répondis-je.

— J'ai besoin d'avoir accès aux comptes d'Olivia Pender, je sais que tu es capable de le faire, alors donne-moi cet accès.

— Pourquoi ?

— Sara ! Je t'ai dit ce que je voulais, tu vas m'aider oui ou non ?

— Dis-moi ce que j'ignore, je te donnerai accès aux comptes, capitulai-je.

— Promets-le-moi Sara.

— Je te le promets.

Quoi que ce soit, je tiendrai ma promesse, je n'avais pas le choix. Elle se leva et se mit à faire les cent pas, ce qui ne présageait rien de bon. Mon rythme cardiaque s'accéléra, je ne voulais pas penser que ça concernait mon père, mais j'en étais presque sûre. La seule personne qui pouvait justifier la présence de ma mère ici était mon père.

— Ton père ne s'est pas pendu, comme on le croyait. Je ne te l'ai pas dit à l'époque parce que je voulais que tu te sentes coupable de sa mort, mais il est tombé de la tour One American Center. Quelques semaines après ton départ, j'ai croisé l'officier Callum, elle m'a dit qu'ils avaient des soupçons, qu'ils pensaient qu'il y avait eu lutte, mais faute de preuve, ils n'ont pas continué l'enquête. J'étais sous le choc, je ne voulais pas croire que ton père avait été poussé, tué, je ne voulais pas y croire. Mais lorsque j'ai trouvé de vieux documents concernant des transactions suspectes des Pender et des Johnson, j'ai su. Je suis revenue ici, et j'ai décidé de découvrir la vérité.

Elle s'arrêta, me regarda et soupira :

— Tiens ta promesse, Sara, je tiendrai la mienne, nous voulons la même chose au fond : venger ton père, alors évitons de nous mettre des bâtons dans les roues.

Elle prit son sac et se dirigea vers la porte me laissant sous le choc.

— Tu viens chez moi, tu me menaces et tu oses parler de bâtons dans les roues ? Ce n'est ni toi ni papa que je veux venger, c'est Sara Parker. Cette fille qui a un jour été la tienne, mais qui est morte depuis si longtemps. Tu as abandonné, tu as brisé la promesse que tu avais faite. Je te donnerai ce que tu veux, mais je veux que tu me laisses m'occuper de ça. Si les Pender et les Johnson sont responsables de la mort de papa, ils paieront encore plus ! Tu es un obstacle, pars et laisse-moi gérer ça, dis-je d'une traite.

— Je ne partirai pas. Comme je te l'ai dit il y a presque quinze ans, je l'aime plus que toi, je ferai ce que j'ai à faire, tiens ta putain de promesse et ne nous croisons plus, tu pourras m'envoyer toutes les informations à ce numéro. Au revoir, Cassandra, ou plutôt adieu, Sara.

Elle claqua la porte.

— Adieu, maman, murmurai-je

Papa avait été tué...

Les soupçons se portaient sur les Johnson et les Pender, et je savais qu'ils seraient vite avérés. Je n'avais même pas cherché à accéder au dossier de l'enquête : pour moi, mon père s'était pendu. Il fallait que je vérifie, juste pour en avoir le cœur net, mais si ma mère était revenue, elle devait en être sûre. Même si j'en voulais à mon père d'avoir fait preuve de si peu de force, de courage pour faire vivre sa famille, préférant abandonner, je ne pouvais pas ignorer cette information.

Tout changeait si c'était le cas, il n'y aurait plus aucune limite, aucune...

-----------------------

La matinée était passée sans que je m'en aperçoive. Je devais déjeuner avec Alexander, j'avais accepté sans réfléchir, les révélations de la veille occupant tout mon esprit...

J'étais quasiment sûre qu'Eric Pender allait débarquer ce midi, j'avais échangé quelques messages avec lui où j'évoquais mon besoin de quitter le bureau rapidement pour me changer les idées. Il était tellement prévisible que lorsque je le vis dans le hall, j'étais presque déçue, Alexander devait descendre au même moment : je voulais qu'il nous voient ensemble.

— Cassandra ! lança Eric d'un ton jovial. Je viens te sauver pendant une heure, tu verras, tu seras requinquée pour la reprise !

Je lui souris gênée avant de répondre.

— Oh... je ne m'attendais pas à te voir, j'ai prévu d'aller...

— Eric ?

Alexander, comme prévu, était là devant nous, il nous regardait tour à tour en se demandant surement ce qu'il se passait.

— Qu'est-ce que tu fais là ? reprit-il.

Eric me lança un regard confus comme s'il avait peur de dire la vérité.

— Eric est venu me proposer de déjeuner avec lui, nous nous sommes croisés hier à la salle de sport, répondis-je.

— Ah d'accord.

— Ce n'était pas prévu, repris-je. On peut déjeuner ensemble si vous êtes d'accord, ajoutai-je avec un sourire.

Le visage d'Alexander se ferma et il plaqua un faux sourire, mais aucun des deux ne répondit.

— Non, laisse tomber Cassie, je vais vous laisser en amoureux, je ne voudrais pas que ton copain m'en veuille ou me tue avec son regard. On se voit plus tard, en tout cas j'espère que tu vas bien.

Il s'en alla en me faisant un clin d'œil. Alex bouillonnait, mais il ne disait rien.

— Tu es en colère ? demandai-je innocemment.

— Non, je ne savais pas que tu discutais avec Eric, dit-il froidement.

— Okay, tu es en colère. Je le vois souvent à la salle de sport, alors on a discuté plusieurs fois, je ne savais pas qu'il allait passer.

Il ne répondit pas, et avança jusqu'à la sortie.

— Alex, dis-je une première fois sans avoir de réponse.

Je le suivis à l'extérieur.

— Alexander !

Cette fois-ci il s'arrêta, et me regarda. Je voyais qu'il était en colère, une veine frontale ressortait et il avait les poings serrés dans ses poches.

— Qu'est-ce qu'il t'arrive ? J'ai pas le droit de parler à un autre homme ou juste à Eric ? On a discuté hier, j'allais mal et il était là, alors, oui, ce moment nous a rapprochés, je ne vois pas pourquoi ça te pose problème, c'est avec toi que...

Je m'arrêtai à ce moment précis, et repris.

— Écoute, tu sais quoi, laisse tomber, je n'ai plus faim.

Je fis demi-tour et retournai dans le bâtiment.

— Cassie, attends, dit-il en me rattrapant.

— Laisse-moi Alexander, s'il te plait.

Je ne le laissai pas parler et remontai au bureau. Il allait surement appeler Eric, et ils allaient surement se prendre la tête, c'était exactement ce que je cherchais. Eric allait me voir comme un défi, et je le laisserai croire que quelque chose était possible.

La journée se terminait presque, et je me préparais à aller voir Alan Grayson. Une fois dans son bureau, à la première occasion, je tenterai de télécharger les données de son ordinateur. Si ce que ma mère m'avait dit s'avérait vrai, tout changeait, tout, et je devais réunir toutes les informations financières et professionnelles, ma vengeance devait être personnelle avant tout, mais là, j'allai tout faire pour détruire leurs carrières et leurs réputations. Au moment où je sortais, un livreur arriva avec un énorme bouquet de roses rouges et une carte.

«Désolé, accepte mon invitation à dîner ce soir pour me faire pardonner, Alex»

Je ne savais pas où il était, mais j'étais sûre qu'il était dans le coin.

— Renvoyez le bouquet, dis-je avant de partir.

Je sortis et allai directement voir Alan Grayson. J'arrivai à dix-neuf heures et attendis patiemment à l'accueil. Mr Grayson vint en personne m'accueillir.

— Mlle Morgan, quel plaisir de vous revoir, je vous sers quelque chose à boire ?

— Non merci, Mr Grayson.

— Détendez-vous, vous avez l'air tendue, un petit verre de Hennessy's ? La bouteille me vient de mon père, je le bois que pour des occasions spéciales, ajouta-t-il.

Vieux porc, je n'arrivais pas à croire qu'Annie Clarke se le tapait, écœurant.

— Non merci, c'est très gentil.

Il se servit un verre et s'installa à son bureau en me dévisageant.

— Est-ce que mon fils est au courant de votre venue ici ?

— Je n'ai pas besoin de l'informer de tous mes faits et gestes, je suis libre de mes mouvements, répliquai-je en le regardant dans les yeux.

— Très bien, installez-vous, je vais vous montrer quelques biens intéressants. Mais avant ça, je voudrais vous montrer quelque chose. Il s'agit d'un projet sur lequel je travaille depuis plusieurs temps, un projet immobilier au Mexique.

— Un projet immobilier de quel genre ? demandai-je en m'installant.

Il me tendit son ordinateur et me fit signe de regarder. Il s'agissait d'un projet de construction de plusieurs maisons dans différents quartiers modestes du Mexique. Le genre de projet qui donnait l'illusion que les promoteurs voulaient permettre aux personnes ayant des revenus moyens qu'ils pourraient devenir propriétaires. Tous les projets de ce genre étaient des escroqueries, surtout dans les pays d'Amérique du Sud.

— Il faut que j'étudie ça de plus près, dis-je

— Vous et Alexander êtes intimes alors ? Mon fils est quelqu'un de bien, vous savez, j'espère qu'il saura vous combler dans tous les domaines...

Je le regardai faussement choquée et, surtout, dégoutée. Son téléphone sonna à ce moment et il sortit de la pièce pour discuter. J'en profitai pour brancher ma clé, il me fallait une minute trente pour récupérer toutes les données, j'espérais qu'il ne reviendrait pas avant. Mon cœur battait la chamade, mais la fin du téléchargement arriva et je pus récupérer ma clé de justesse avant qu'il n'entre et referme la porte.

— Alors de quoi parlions-nous ? Ah oui, Alexander, comment se passent les choses entre vous ?

Il était derrière moi et il posa ses mains sur mes épaules, je me dégageai brusquement, comme si j'avais reçu une décharge. J'avais ressenti ce que je ressentais lorsqu'un homme me touchait il y a plusieurs années, lorsque je ne supportais aucun contact masculin, lorsque je n'avais pas rencontré Joshua...

— Je pense qu'il vaut mieux que j'y aille.

Je pris mon sac et me levai sans le regarder.

— Voyons, Mlle Morgan, je ne voulais pas vous faire peur, je suis désolé, j'ai tendance à être un peu familier par moment.

— Il n'y a pas de problème, je vais y aller, je suis pressée.

Il se recula et me laissa passer en m'ouvrant la porte.

— Vous ne voulez pas voir les biens que j'ai à vous proposer ?

Je ne répondis pas et m'en allai en accélérant le pas. J'étais tellement en colère, je le détestais et malgré le fait que j'avais prévu d'attendre avant de révéler sa relation avec Annie Clarke, je savais que son réveil demain matin allait être difficile.

Les règles avaient changé.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top