JEU VICIEUX
J'observais mon reflet dans la glace. Le plasticien avait fait du bon boulot et la femme que je voyais était tout ce que je n'étais pas au fond, une beauté parfaite à l'inverse de mon âme.
Mais ça plaisait, je le voyais dans le regard avide des hommes et parfois mauvais des femmes qui les accompagnaient, je détestais.
Je le voyais dans le regard d'Alex, même si pour lui c'était plus ma personne ou plutôt mon personnage qui l'attirait. Son instinct protecteur et un brin sauveur le perdrait définitivement un jour, et malheureusement pour lui, il ne savait pas qu'il avait rencontré la femme qui allait causer sa perte, à lui et aux autres.
— Tout va bien Cassie ?
C'était censé être mon dernier jour chez lui, et dire que je n'avais pas apprécié le séjour serait un mensonge. Il me traitait comme une reine, mais je voyais bien que ce n'était qu'une façade, il était triste et il ne fallait pas être devin pour savoir que le cas Annie Clarke et papa Grayson était la cause de son regard blessé. Avec soulagement, j'avais constaté que son regard ne m'avait pas fait spécialement d'effet, il n'avait pas non plus cherché à aborder le sujet avec moi. J'avais réussi à fermer la brèche qu'il avait pu trouver dans ma carapace de béton, tout allait bien, je ne ressentais rien même dans nos moments intimes, tout allait bien. Sauf mon épaule, qui me faisait toujours souffrir bien que la douleur se soit atténuée.
— Oui j'arrive, lançai-je.
Je sortis de la salle de bain luxueuse de l'appartement, tout était luxueux ici sans être bling-bling pour autant. Alex avait bon goût, et son appartement était à son image : classe, simple et chaleureux. J'arrivai dans le salon où il avait préparé un petit déjeuner et avait acheté un bouquet de roses blanches, mignon.
— Il ne fallait pas Alex, dis-je en lui souriant et en déposant un léger baiser sur ses lèvres.
Il sourit comme un gamin, bien qu'un voile d'inquiétude avait traversé son regard lorsqu'il avait posé ses yeux sur mon épaule, et me tira la chaise pour que je m'installe.
— Comment va ton épaule ?
— Ça va, je vais au boulot aujourd'hui, je ne pourrai pas rester sans rien faire pendant une semaine, lançai-je en guettant sa réaction.
Il se raidit sur sa chaise et au moment où il voulut parler, on sonna à la porte.
— J'y vais, tu as déjà fait beaucoup de choses ce matin, dis-je en me levant.
J'ouvris la porte et une Callie Vasquez souriante se tenait en face de moi avec deux cafés et une boîte de beignets. Elle me regardait avec de grands yeux, mais ne dit rien du tout. J'avais vu là un moyen de m'esquiver, Alex serait assez mal à l'aise. Je laissai donc la porte ouverte et récupérai mon sac à l'entrée avant de lancer :
— J'y vais, ton amie est là Alexander.
— Cassie, attend !
Je ne lui répondis pas et sortis en bousculant théâtralement Callie Vasquez, avant qu'il ne me rattrape :
— Cassie, reste, s'il te plait, c'est juste une amie !
— Une amie qui est amoureuse de toi depuis toujours. Oui, je le sais, Eric me l'a dit. Je vous laisse discuter, je vais travailler, ne t'inquiète pas, tout va bien, on se voit plus tard.
Il me laissa partir, apparemment choqué par cette révélation, comme s'il ne le savait pas. Ça tombait bien, je savais qu'il comptait me convaincre de rester et je n'avais plus besoin de refuser maintenant. J'avais des choses à faire, et je devais être chez moi pour avancer. J'arrivai au bureau et les yeux de Josie s'écarquillèrent lorsqu'elle me vit :
— Cassandra ! Mon Dieu, qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? cria-t-elle.
— Rien Josie, une petite blessure, la rassurai-je. Je vais m'en remettre.
— Tu devrais rentrer te reposer, tu ne peux pas travailler dans ces conditions !
— Ne t'inquiète pas, mon cerveau est en pleine forme, c'est le plus important.
Je montai et répondis la même chose à mes collègues avant de commencer à travailler. L'ambiance était assez froide, contrairement à d'habitude, et à ma grande surprise ce fut Tao qui brisa le silence :
— Il paraît que c'est Alexander Grayson qui t'a frappé vendredi soir au Firehouse.
— Pardon ?
Il répéta sa phrase, mots pour mots, en me regardant dans les yeux. Lui qui jouait les timides, bizarrement là il n'avait aucun mal à s'exprimer.
— C'est n'importe quoi ! Tu ne sais pas de quoi tu parles Tao ! Si c'est pour sortir des conneries pareilles, tu devrais continuer à rester dans ton mutisme quasi permanent ! m'énervai-je beaucoup plus que je ne le voulais.
Mes collègues me regardaient tous, surpris par mon ton et Tao baissa les yeux en rougissant.
— Cassie, calme toi, il ne voulait rien insinuer, dit Isabelle.
— Vous pensez tous ça, n'est-ce pas ? Comme s'il était capable d'être violent volontairement !
— Justement si, dit doucement Isaac. Il a déjà été violent envers une femme, c'est pour ça qu'on s'inquiète pour toi Cassie.
Alors là, je tombais carrément des nues ! Alex, violent envers une femme ? Alors qu'il avait presque pleuré qu'il n'avait jamais touché une femme de sa vie ? Je n'arrivais pas à y croire.
— Il a eu une altercation avec un ami et je me suis interposée. Il ne m'a pas frappé volontairement, et si ça avait été le cas, croyez bien qu'il serait sans doute à l'hôpital à l'heure qu'il est !
J'avais dit la vérité pour les faire taire et que je puisse réfléchir tranquillement à ce que je venais d'apprendre. Il fallait que je sache qui était la femme en question, et pourquoi Alex avait agi violemment. Il y avait forcément une explication, ou alors il cachait complètement son jeu et j'étais une proie pour lui ? Impossible...
C'était complètement hypocrite de ma part de penser ça étant donné que je jouais au même jeu, mais le contexte était complètement différent.
J'étais rentrée chez moi vers treize heures sous les ordres de Thomas et je ne me fis pas prier. J'ouvris directement mon ordinateur et constatai que j'avais reçu une nouvelle vidéo de ma mère. J'avais demandé à en recevoir une toutes les quarante-huit heures et cette fois-ci elle faisait beaucoup moins la maligne. Elle commençait à paniquer et elle n'arrêtait pas de pleurer, la pauvre... Au moins le choc la calmerait pour un bon bout de temps, et vu la manière dont elle m'avait traité, c'était amplement mérité.
J'avais également une alerte pour un article concernant Clara Rossi. Elle était assistante chez Kenett Technoligy, et apparemment ils devaient présenter une toute nouvelle invention visant à réduire les émissions de CO2. Je ne voyais pas trop le rapport avec elle, son nom était juste cité dans l'équipe de présentation. Ils étaient en concurrence avec un autre groupe New609 Tech qui travaillait sur la même invention, mais ils avaient trouvé les premiers. Je parcourus les photos des différents membres des deux groupes pour voir si quelqu'un m'était familier, mais rien, l'article était sans intérêt.
Je pouvais enfin me concentrer sur la piste que ma mère avait trouvée, les comptes des Johnson et des Pender. Elle était persuadée que la mort de mon père n'était pas un accident, que ça avait un lien avec de soi-disant transactions financières suspectes. Les Johnson étaient dans l'industrie du pétrole et les Pender avaient fait fortune grâce aux courses de chevaux.
Les documents en question montraient effectivement d'importantes transactions vers des comptes qui, à vue d'œil, étaient situés dans des paradis fiscaux. Je ne pouvais pas croire qu'il avait été tué, si c'était vrai, juste pour ça. J'avais des doutes sur la véracité des propos de ma mère, elle était capable d'inventer cette histoire pour avoir ce qu'elle voulait, mais ça méritait d'être creusé. J'allais en avoir le cœur net avec ce bon vieil ami qui avait tant fait ses preuves : le chantage. Une copie des documents, le nom de mon père et une phrase si cliché : « Je sais ce que vous avez fait ».
J'espérais vraiment qu'ils n'auraient pas la même réaction qu'Annie Clarke, même si je savais que je ne laisserais plus mes pulsions prendre le dessus comme pour elle.
J'envoyai un message à Alex pour lui proposer de se voir ce soir pour un ciné et un resto, il n'avait pas essayé de me joindre, le connaissant, il devait penser que j'étais en colère. Après l'avoir fait retomber dans mes bras à ce point, je n'allais pas mettre de distance entre nous. Je jouais un peu avec lui, mais je voulais aussi tester ses limites, voir à quel point il supporterait mes sautes d'humeur, surtout depuis que mes collègues m'avaient appris qu'il avait déjà été violent. Il me répondit brièvement qu'il était d'accord et je me préparai tranquillement.
La soirée s'annonçait intéressante, je voulais savoir, mais surtout, je voulais que ce soit lui qui me dise ce qu'il s'était passé. J'arrivai un peu en avance au restaurant, et m'installai en attendant Alex et son très probable bouquet de roses.
Quelqu'un riait fortement et mes voisins de table semblaient vraiment agacés. Je suivis leur regard et je me rendis compte que la femme en question était Clara Rossi, elle était un peu ivre et accompagnée d'un homme qui lui était complètement sobre et qui lui souriait faussement. Son visage me semblait vraiment familier, mais je ne savais plus où je l'avais vu. Alex arriva avec un bouquet, sa mère avait vraiment réussi à lui donner cette habitude. Il m'embrassa rapidement et s'installa en face de moi sans dire un mot.
— Ça va ? demandai-je.
— Non, ça ne va pas Cassandra.
Cassandra ? Il était plus agacé que je ne le pensais.
— La visite de ton amie s'est mal passée ?
Il fronça les sourcils et ouvrit la bouche avant de la refermer, soupirer et répondre calmement.
— On passe deux jours parfaits et il te suffit de voir une amie venir me rendre visite et tu t'en vas comme une voleuse ? C'est ridicule Cassie !
Il prenait énormément sur lui et je souriais intérieurement.
— Ridicule ? Comme ta réaction lorsque je dînais avec un client il y a quelques semaines ?
Il me regarda, incrédule. C'était assez puéril comme réponse, je devais l'avouer.
— Je t'apprécie beaucoup, Cassie, vraiment beaucoup, mais je ne sais pas comment réagir avec toi, j'ai l'impression de toujours marcher sur des œufs.
— On apprend à se connaître, Alex, c'est récent, toi et moi c'est nouveau.
— Oui, mais tu ne me laisses pas entrer, à chaque fois que tu te dévoiles un peu, tu te refermes tout de suite après.
L'homme que j'avais en face de moi ne pouvait pas avoir été violent avec une femme, c'était impossible.
— Écoutes Cassie, je vois bien que tu as dû vivre beaucoup de choses difficiles, je le vois. Je me doute que tu dois avoir beaucoup de mal à faire confiance, j'ai raison ?
Il posa sa main sur la mienne et reprit :
— Prends tout le temps qu'il te faut, je ne vais aller nulle part. S'il te faut des semaines, des mois, pas trop non plus, mais je serai patient. C'est la première fois depuis longtemps que je ressens quelque chose d'aussi fort, alors je ne compte pas te laisser, tant que tu voudras de moi.
Il termina son discours, et il m'avait touché. L'espace d'une seconde, je ressentis mon cœur battre plus vite, mon regard plongé dans le sien. J'aurais pu rester dans cet état longtemps si le souvenir de l'homme qui accompagnait Clara Rossi ne m'était pas subitement revenu. C'était le PDG de New609 Tech, l'entreprise concurrente de la sienne, et si elle était avec lui, vu son attitude fausse et calculatrice, c'était surement dans l'intérêt de son groupe. Je mis cette information dans un coin de ma tête et regardai de nouveau Alex qui ne m'avait pas lâché du regard.
— Est-ce que je peux te poser une question ? demandai-je.
— Tout ce que tu veux.
Son air amoureux allait changer du tout au tout s'il s'avérait que Tao avait raison.
— On m'a dit que tu avais déjà été violent avec une femme, est-ce que c'est vrai ?
Plusieurs expressions passèrent sur son beau visage, la surprise, la colère et enfin l'inquiétude.
— C'est vrai ? insistai-je. Parce que tu m'as juré que tu n'avais jamais touché une femme de ta vie.
Il réfléchissait, ses doigts s'étaient resserrés sur les miens et il ferma les yeux un instant.
— C'était un accident, lâcha-t-il.
— Tu as frappé une femme accidentellement ?
— J'étais... je n'étais pas dans mon état normal, Cassie je te le jure, j'étais ivre et drogué, elle le sait, elle m'a pardonné ! Jamais je n'aurais fait ça, jamais ! J'avais des hallucinations, je croyais que c'était moi que je frappais, j'en étais persuadé, je me détestais tellement à cette époque, j'avais à peine dix-sept ans. J'ai fait quelque chose que je ne me pardonnerai jamais, et je n'ai pas supporté de vivre avec ça.
Il était complètement paniqué, c'était donc vrai...
— Tu la connaissais ?
— Oui, c'était Callie.
Callie Vasquez ? Il avait frappé Callie Vasquez ? Est-ce que c'était son mensonge qui l'avait mis dans cet état ? Il n'avait pas supporté de mentir au sujet de cette nuit-là et il avait craqué ?
— Cassie, je... Je sais que je t'ai menti, mais je ne t'ai pas frappé volontairement, je te jure que je ne t'avais pas vu.
— Je sais Alex, je sais, répondis-je. Mais je...
— Je ne suis plus du tout le même, j'étais un garçon paumé, j'ai changé et je tiens à toi.
— Est-ce que Callie et toi étiez en couple ?
Cette question était sortie toute seule, et j'appréhendai la réponse.
— Nous étions des gamins.
— Okay, écoute, je pense qu'on va reporter cette soirée à plus tard.
— Cassandra, s'il te plait.
— Ne t'inquiète pas, je ne suis pas en colère, juste surprise. Tu me dis que tu ne me comprends pas, que tu ne sais pas comment réagir avec moi, mais tu as aussi tes petits secrets apparemment. On se voit demain ?
— Tu promets ? demanda-t-il si doucement qu'il me fit de la peine.
— Oui, je promets Alex.
Je sortis en le laissant à table et rentrai directement chez moi. Il fallait vraiment que j'achète un bien, je ne supportais plus cet endroit impersonnel. Callie Vasquez avait un avantage sur moi, elle avait un moyen de pression sur Alex et elle resterait dans sa vie tant qu'elle le désirerait avec leur passé et leur histoire. Ça me dérangeait, ça me dérangeait beaucoup, Alex était à moi et je ne voulais pas avoir une quelconque concurrence.
J'étais en train de bouillonner intérieurement et il fallait que je me change les idées. Je n'avais pas de réponse des Johnson et des Pender. Je me penchai donc sur Clara Rossi et regardais toutes les données que j'avais sur elle. Ado, elle était toujours stone et idiote, adulte, elle était juste idiote, tellement idiote que même un enfant pouvait entrer dans son ordinateur et son téléphone à distance. Très vite je trouvai des échanges avec Gregory Ramos, le PDG de New609 Tech, ils avaient été supprimés, mais tout était resté dans son cloud... Clara avait envoyé une copie de tous les travaux auxquels elle avait accès à Gregory Ramos, heureusement les informations n'étaient pas top secrète et son entreprise n'allait pas se faire devancer.
Elle ne devait pas se rendre compte de la gravité de son acte, j'hésitais pourtant à l'exposer. Son patron était un ami des Johnson et elle avait été embauchée grâce à la mère de Skyler. Au moins, avec un peu de chance, son amitié avec Skyler serait compromise, et ça m'avancerait dans la division du groupe. Je transférai donc, avec une pointe de scrupule, les informations que j'avais trouvées au patron de Clara Rossi, à Skyler Johnson et ses parents.
Je soupirai de satisfaction, je ne regrettai rien, les regrets ne servaient à rien.
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