ÉTAPE1: INSTAURER UNE RELATION DE CONFIANCE

La nuit avait été mauvaise, très mauvaise.

Ça faisait plusieurs années que je ne faisais plus de cauchemars, et il suffisait d'une soirée pour que mes angoisses nocturnes reviennent me frapper de plein fouet.

Le nom d'Emily Davis me hantait, tout comme le souvenir de l'annonce de la mort de papa, elle s'était donné la mort comme lui.

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24 janvier 2003.

L'hiver était glacial, maman avait décrété que je n'avais pas besoin d'un manteau chaud, je ne le méritais pas, et j'avais rendu notre vie si froide que le ressentir physiquement me rappellerait ma responsabilité. Oui, maman aimait comparer chaque évènement à notre situation.

Jamais je n'aurai cru à un tel revirement de situation, surtout venant de mes parents, ils avaient été si aimants avec moi, nous avions passé des soirées entières à rire en regardant de vieux films muets.

Ce jour-là, j'avais donc été en cours à pied. La seule hâte que j'avais, c'était de terminer ma scolarité, de partir le plus vite possible de ce trou à rat, Lexington, à une heure d'Austin. J'arrivais dans ce lycée où je ne connaissais personne, je ne voulais connaître personne, plusieurs personnes m'avaient abordé, mais ils avaient fini par laisser tomber.

Ce jour-là, j'étais en cours de maths, nous avions l'interro surprise hebdomadaire et j'avais fini les exercices depuis vingt minutes. On frappa à la porte et le proviseur en personne entra dans notre classe.

— Sara Parker, suivez-moi s'il vous plait.

Je savais que c'était une mauvaise nouvelle, je pensais que ça concernait maman. Tout le monde me regardait, et je me levai pour suivre le proviseur. Maman était dans le couloir, elle était effondrée et j'ai su que c'était papa. Lorsqu'elle me vit, elle se leva avec difficulté.

— Tu es contente? me demanda-t-elle doucement.

— Qu'est-ce qu'il se passe, maman?

Le proviseur était devant nous et ne disait pas un mot.

— À cause de toi, c'est à cause toi, ton père est mort Sara! Il s'est pendu, et c'est ta faute, cria-t-elle. De ta faute! ! J'aimerais retourner en arrière et que tu ne sois jamais née, jamais! Je ne te pardonnerai pas ça, je ne te pardonnerai pas...

— Mme Parker, vous êtes sous le choc, vous ne devriez pas dire ces choses.

— Vous, vous la fermez! hurla-t-elle.

Papa était mort, il avait mis fin à ces jours, et c'était de ma faute. Je me sentais mal, comme si j'allais tomber, alors je me mis à courir.

Hors de ces murs qui m'étouffaient.

Hors de la vue de ma mère qui ne me supportait plus.

Hors de mon esprit qui risquait de m'échapper.

Hors de mon âme qui avait presque disparu.

Hors de tout.

Je courrais jusqu'à ne plus pouvoir respirer, me laissant tomber au bord d'une route. Je n'avais pas senti mes larmes couler, mais mon cœur oui, comme si on le prenait et qu'on le déchirait doucement.

Ce jour-là, la culpabilité m'avait terrassé et ne m'avait jamais quitté.

Ce jour-là, j'avais décidé que chaque personne responsable de mon malheur paierait le prix fort.

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Le lundi, je retournai au bureau, n'ayant pas répondu à l'invitation de mes collègues prétextant un léger rhume. Josie, à l'accueil, me fit un sourire désolé.

— Cassandra, j'espère que tu ne m'en veux pas d'avoir donné ton adresse à Mr Grayson, il a tellement insisté, et de ce que j'ai entendu tu lui avais tapé dans l'œil. Tu n'es pas en colère ?

Je me forçais à lui sourire, même si je n'en avais aucune envie.

— Non, ne t'inquiète pas, c'est bon pour cette fois.

Elle me sourit et je montai jusqu'à mon étage.

— Cassie ! Alors tu te sens mieux ? Waw, la tête ! T'es sûr que tu vas mieux ? me lança Isaac.

Bonjour la délicatesse, mais il n'avait pas tort. Je n'avais pas dormi de la nuit et même mon footing matinal n'avait pas suffi à me détendre.

— Ne l'écoute pas, c'est un imbécile ! me dit Isabelle en souriant.

Tao, avec qui j'avais échangé seulement quelques mots, posa un café sur le coin de mon bureau et alla s'installer à sa place. Je le remerciai et il hocha vaguement la tête, il m'intriguait beaucoup, j'étais sûre qu'il cachait quelque chose, mais j'avais d'autres priorités.

La matinée passa très lentement et j'eus beaucoup de mal à me concentrer. À midi, mes collègues sortirent manger à l'extérieur, mais je n'avais pas la tête à y aller, et ils n'insistèrent pas. Thomas était absent aujourd'hui, et je ne fus pas surprise de voir Alexander débarquer, deux sacs à la main. Il m'avait appelé la veille, mais je n'avais pas répondu.

— Salut Cassie, j'ai entendu dire que tu ne te sentais pas bien, alors je t'ai apporté un déjeuner.

Il se tenait là, avec un air enjoué et souriant, comme s'il voulait me communiquer sa bonne humeur, mais la seule chose que je voyais en le regardant était le visage d'Emily Davis.

— Oui, ça va mieux, je n'ai pas vraiment faim.

— Même pour une tarte à la noix de pécan ? La meilleure de la ville, ça ne se refuse pas, un peu de sucre devrait te faire du bien.

Je lui souris et acceptai. Nous parlions de tout et de rien, il me révélait certains détails de sa vie, et je lui livrais des anecdotes purement inventées qui le faisaient rire.

Instaurer une relation de confiance. Les choses avançaient très bien, il m'appréciait beaucoup et il fallait être aveugle pour ne pas voir qu'il voulait plus.

— Écoutes, je sais que c'est ton autre métier, alors je voudrais de demander quelques conseils.

— Tu veux investir ? demandai-je.

— Oui, j'ai plusieurs idées.

C'était le moment de faire un pas vers lui, le parfait moment.

— Très bien, on pourrait discuter de ça autour d'un dîner, ce serait plus sympa ?

Il haussa les sourcils, surpris, mais se repris très vite et sourit de nouveau.

— Ce serait très sympa, ça me va, par contre je m'occupe de tout !

— Si tu veux.

— Je dois y aller, je ne voudrais pas que les gens jasent encore plus, dit-il avec un clin d'œil.

— Merci pour la tarte et d'être passé, ça m'a fait plaisir.

Il s'en alla. Je n'avais pas menti, ce moment m'avait fait plaisir, car j'avançais dans mon objectif le concernant et j'étais de meilleure humeur. J'appelai Martin Gates, mon client installé à Dallas pour lui proposer de nous rencontrer à Austin, ce jeudi au Truluck's Seafood, l'un des meilleurs restaurants de la ville et celui où Annie Clarke et Skyler Johnson dînaient chaque jeudi soir.

Le jeudi arriva très vite, j'attendais Martin qui devait arriver dans quelques minutes. Si mes informations étaient bonnes, Annie et Skyler arriveraient dans dix minutes.

— Cassandra, désolé du retard ! Tu sais que ce n'est pas mon genre de faire attendre une jolie femme.

— Ne t'inquiète pas, comment vas-tu ?

Martin était un homme bien, très humble, je l'appréciais beaucoup et ça me dégoutait presque de l'utiliser pour me rapprocher d'Annie Clarke, mais j'étais sûre de mon coup, à cent pour cent. J'avais choisi une table proche de l'entrée, c'était impossible qu'elles ne nous voient pas et j'avais raison. Ce que je n'avais pas du tout prévu était la présence d'Eric Pender et d'Alexander. Je détournai immédiatement le regard, sentant qu'il me regardait.

— Tu penses que c'est une bonne chose ? Ça ne me rapportera pas forcément d'argent, mais je n'en perdrai pas non plus et c'est quelque chose qui me tient à cœur, tu vois ?

— Bonsoir Cassandra, quelle surprise de te voir ici.

Ils se tenaient tous les quatre devant nous et Skyler Johnson avait parlé. Je croisai le regard d'Alexander qui n'était plus du tout doux, son visage était fermé. Eric Pender lui me fit un clin d'œil pervers, et Annie regardait Martin comme je l'avais prévu.

— Tiens bonsoir à vous, dis-je à mon tour. Effectivement, c'est une surprise. Je vous présente Martin Gates, un client et ami de Dallas.

Les traits d'Alexander s'adoucirent et Annie prit les devants.

— Bonsoir, je suis Annie Clarke et voici Skyler Johnson, Eric Pender et Alexander Grayson qui travaille avec Cassandra.

Martin, gentleman qu'il était, se leva pour serrer la main à chacun d'entre eux.

— On vous laisse travailler, mais dès que vous aurez terminé venez prendre un verre avec nous si ça vous dit, minauda Annie.

— Avec plaisir, répondit Martin. Enfin si tu es d'accord Cassandra.

À ce moment-là Annie me regarda, m'intimant silencieusement d'accepter en souriant. Premier pas, même si je savais que c'était par intérêt, le reste, j'en faisais mon affaire.

— D'accord.

Elle me sourit de plus belle et lança un « à tout à l'heure » à Martin. Nous terminâmes notre dîner et allâmes rejoindre le groupe. Alexander ne m'adressa que très peu de mots durant ce moment, et Eric se contentait de blagues vaseuses. Annie discutait avec Martin, mais il dut s'en aller après un appel, et j'en profitai pour m'en aller aussi quelques minutes après.

— Attends, Cassandra, ça te dit qu'on se fasse une journée shopping, ça nous permettra de faire connaissance, et je pourrai te montrer qu'on peut aussi être à la pointe de la mode à Austin, proposa Annie.

— Oui, pourquoi pas.

— Et moi Cassie, je peux prendre rendez-vous pour avoir des conseils financiers ? lança Eric

Je n'eus pas le temps de répondre qu'Alexander le remit à sa place avant de se lever et de sortir du restaurant. Je ne devais pas gâcher ce que j'avais réussi jusqu'ici, alors après avoir laissé mon numéro à Annie je sortis à mon tour. Il était devant sa voiture et s'apprêtait à monter.

— Alexander, attends !

Il se retourna et attendit que j'arrive.

— Tu as un souci ? Tu as l'air sur les nerfs.

Il ne me répondit pas. Je décidai donc de jouer une autre carte.

— Est-ce que j'ai fait quelque chose de mal ?

Cette fois-ci il me regarda, il n'avait pas vraiment changé de l'enfant qu'il était sur certains points.

— Non, tu n'as rien fait du tout, je suis désolé, c'est moi, je suis un idiot.

— Pourquoi tu dis ça ?

— Te voir avec un autre homme au restaurant... Je sais que je devrais pas réagir comme ça, mais ça m'a agacé.

Avantage Cassandra, il était mordu, tellement prévisible.

— C'est juste un ami, c'était purement professionnel, et puis tu as bien vu qu'il semblait intéressé par ton amie Annie.

— Je sais, mais Eric s'intéresse aussi à toi Cassie, et ça m'énerve, tu peux pas savoir ! Il voit ça comme un jeu, parce qu'il a compris que tu m'intéressais !

— Peut être, mais lui, il ne m'intéresse pas du tout Alex, vraiment pas.

— Pas pour le moment.

Je soupirai et repris en lui prenant la main.

— Écoute, je sais quel genre d'homme me plait, et Eric ne me plait pas du tout, ça n'arrivera jamais, alors ne te tracasse pas avec ça.

Il plongea dans mes yeux et je savais qu'il allait m'embrasser. Je fis donc abstraction de tout le reste, le plus infime doute disparut et laissa place à mon objectif. Alors, lorsqu'il posa ses lèvres sur les miennes, je lui rendis son baiser.

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