EMILY DAVIS

Mon téléphone vibra légèrement, m'indiquant que tout était chargé. Je croisai le regard d'Annie Clarke, suspicieux et inquisiteur.

— Bon on retourne à l'intérieur ? Le discours va commencer, lança Skyler Johnson.

— On vous rejoint, dit Alex

Il attendit que tout le monde s'en aille avant de se tourner vers moi.

— Je suis désolé pour l'attitude de mes amis, on se connaît depuis toujours et ils pensent souvent qu'ils doivent tout savoir de ma vie privée.

— Ne t'en fais pas, il n'y a pas de mal, on y retourne ?

Il me sourit et me précéda pour m'ouvrir la porte vitrée de la terrasse. Sa mère montait sur scène au moment où nous entrions dans la salle.

— Bonsoir à tous. Je suis heureuse de voir que comme tous les ans vous êtes si nombreux à vous être déplacés ce soir. La cause que je défends depuis maintenant quinze ans me tient beaucoup à cœur, et est un sujet qu'on ne peut plus négliger de nos jours, en tant qu'adultes, mais surtout en tant que parents.

Elle s'arrêta un instant, et reprit son discours.

— La génération actuelle est plongée dans une technologie que nous n'avons pas connue, et qui est tellement plus dangereuse et destructrice si nous ne la maîtrisons pas, et n'imposons pas de limite. Les réseaux sociaux, toutes ces nouvelles applications qui font partie du quotidien de nos enfants sont aussi dangereuses et peuvent être fatales pour certains jeunes.

Je regardais en direction d'Eric Pender et sa bande, et Clara Rossi semblait très gênée.

— Nous nous souvenons tous de la jeune Emily Davis, qui a mis fin à ses jours après avoir été victime de harcèlement scolaire il y a maintenant treize ans, que Dieu ait pitié de son âme. Et tous ces nouveaux moyens de communication n'existaient pas...

Je perdis le fil, sous le choc. Étaient-ils responsables de la mort de cette Emily Davis ? L'attitude de Clara Rossi était beaucoup trop suspecte, je ne voulais pas y croire pourtant. Après ce qu'ils m'avaient fait, ils auraient dû arrêter tout ça, ils auraient dû se calmer, avoir des remords au moins, pas pousser une autre fille aussi loin, tellement loin qu'elle s'était donné la mort ? J'eus un haut-le-cœur, et me dirigeais discrètement aux toilettes, sous le regard surpris d'Alex.

Je me passai de l'eau sur la nuque et me regardai dans le miroir. J'avais une sale tête, il ne fallait pas que je me montre aussi faible, il fallait que je transforme ce sentiment en colère et en haine, comme j'avais appris à le faire. La porte s'ouvrit et Alex entra :

— Ça ne va pas Cassandra ? me demanda-t-il inquiet.

— Oui ça va, désolée, j'ai eu un petit coup de chaud, mais tout va bien.

— Tu es sure ? Tu veux que je te raccompagne chez toi ?

Comment croire que quelqu'un d'aussi avenant que lui a pu commettre des actes aussi ignobles ? Est-ce que comme pour moi, il avait fui, ou avait fermé les yeux ? En tout cas, il n'avait rien fait, cette fille était morte, il fallait que je sache. Comment avais-je pu louper quelque chose d'aussi grave ?

— Oui, ça va, j'ai juste besoin de quelques minutes, je te retrouve dehors.

Il me regarda et s'en alla. Je sentais que j'allais perdre mon sang froid, je ne pouvais pas attendre plus longtemps avant de savoir ce qu'il s'était vraiment passé. J'avais repéré la sortie de secours et je m'en allai discrètement, le cœur battant à vive allure. Je pris le premier taxi et rentrai directement, une douche pour me détendre et j'allumais mon ordinateur.

Emily Davis, née le 24 août 1988 décédée le 15 avril 2002, à peine un an après cette fameuse nuit.

Elle était jolie, rousse avec de beaux yeux verts en amande. Bonne élève, elle avait une année d'avance et faisait partie du club de maths, d'échecs, de théâtre et de rodéo du lycée.

Deux sœurs aînées, Caroline et Kimberley, son père était architecte et sa mère assistante familiale.

Elle était dans la classe d'Annie Clarke, de Skyler Johnson et d'Eric Pender.

Je le savais, j'étais persuadée qu'ils avaient quelque chose à voir avec le suicide d'Emily Davis, je le savais.

Quelques jours avant, selon sa sœur Kimberley, elle avait été à la fête organisée par Annie Clarke, et trois jours après elle s'était pendue dans sa chambre, sa mère avait découvert le corps.

C'était horrible, j'en eus un haut-le-cœur, je tremblais tellement j'étais en colère, et je devais absolument parler à la famille d'Emily, malgré les années passées, il le fallait.

Je n'avais pas vu l'heure passer, il était presque une heure du matin. On sonna à la porte et je savais déjà que c'était Alexander, il avait dû s'inquiéter de mon départ. Il fallait que je sache s'il avait quelque chose à voir avec cette histoire. J'ouvris la porte et il se tenait là, l'air inquiet :

— Cassandra... Je... Je ne voulais pas débarquer comme ça, mais j'étais vraiment inquiet pour toi.

Je me décalai pour le laisser entrer.

— Qu'est-ce qui ne va pas ? demanda-t-il une fois installé.

— Tu veux une tasse de thé ? J'allai en préparer.

— D'accord.

Je fis bouillir de l'eau en silence, je savais qu'il se posait des questions, et c'était ce que je voulais. Je posai deux tasses sur la table et m'installai à ses côtés sur le canapé.

— Tu as toujours vécu ici ? demandai-je.

Il parut surpris de ma question.

— Oui, je suis né à Austin, j'y ai passé toute mon enfance et mon adolescence. J'ai fait mes études supérieures à la Carnegie Mellon University, et je suis revenu depuis deux ans maintenant à Austin.

— Carnegie Mellon, waw la classe.

— Pas mieux que le MIT, mais pas mal non plus, dit-il en souriant. Et toi, d'où viens-tu ?

— Je viens de Philadelphie, j'ai passé quelques années à Boston chez ma tante et je suis entrée à MIT.

— Tu as fait un double cursus, c'est ça ?

— Oui, finance et ingénierie. Pourquoi tu es revenu à Austin ? Tu aurais pu avoir un poste plus prestigieux ailleurs.

— C'est la ville où je me vois fonder ma famille, construire mon avenir, je m'y sens bien, c'est chez moi. Et toi, tu as mis de côté un métier qui te rapporte beaucoup pour venir ici, ta famille n'a pas déchanté ? Je veux dire de New York à Austin, il y a une grosse différence.

Je pris une gorgée de thé, mon histoire était toute prête et parfaitement ficelée.

— Je n'ai plus de famille, alors peu importe où j'irai, ce sera toujours un nouveau départ pour moi.

— Oh, je suis désolé, je ne savais pas.

— Ce n'est rien, ça fait longtemps maintenant.

Je voyais bien qu'il voulait poser la question, mais il se retenait.

— Ma mère est morte d'une cirrhose du foie il y a dix ans, elle abusait trop de l'alcool et ça l'a tuée. Mon père était... il est parti quand j'avais douze ans et je ne l'ai plus jamais revu.

Il s'approcha de moi et me prit la main doucement, comme s'il avait peur que je le rejette.

— Et malgré tout ça, tu es là, brillante, indépendante, tu as réussi ta vie, je suis sûr que ta mère aurait été fière de toi.

— Je ne pense pas, elle ne s'intéressait pas à mes études, elle voulait juste que je quitte la maison le plus vite possible.

Il me regardait si profondément, j'aurais juré que s'il avait pu prendre un peu de mes souffrances il l'aurait fait.

— C'est ce qui te tracassait ce soir ?

— Non, ce n'est pas ça.

Je m'arrêtai une seconde prenant soin de plaquer un masque de tristesse sur mon visage.

— C'est l'histoire de cette Emily Davis.

Il se figea à peine une seconde, mais je l'avais remarqué.

— Oui, c'était horrible, à l'époque nous avions été bouleversés...

— Tu la connaissais ?

— Non, enfin vaguement. Elle était dans la classe de certains de mes amis, mais je ne la fréquentais pas.

— Je me demande toujours comment des personnes peuvent être aussi cruelles envers d'autres, au point de les pousser à commettre l'irréparable...

— Emily était une fille fragile...

Son attitude et ses réponses me prouvaient que j'avais raison. Même s'il n'était pas directement impliqué, il savait quelque chose.

— Ma sœur n'était pas une fille fragile et pourtant elle a mis fin à ces jours à cause du harcèlement dont elle avait été victime ! dis-je en m'emportant un peu.

Il ne répondit pas, il rougissait même et il ne m'en fallait pas plus.

— Désolée de m'être emportée, c'est juste que c'est un sujet sensible.

— Non, tu n'as pas à t'excuser...

— Il est tard, tu devrais y aller.

Il regarda sa montre.

— Tu es sûre que ça va aller ?

— Tout va bien, ne t'inquiète pas.

— Très bien, je peux t'appeler demain ?

— Oui, tu peux Alexander, merci d'être passé, c'était vraiment gentil.

— Non, c'est normal, bonne nuit Cassie.

Il s'en alla et je me laissai tomber sur mon canapé. Je n'étais pas la seule, et bizarrement, même si j'étais triste pour Emily Davis, j'étais heureuse, heureuse parce que ça ajoutait une raison de plus à ma vengeance. Le peu de réserve que j'avais pu ressentir durant tout ce temps s'envola, même celle que j'avais par rapport à Alex.

Même s'il n'était pas directement coupable, il semblait être adepte de la non-assistance à personne en danger. Sa gentillesse et sa loyauté lui faisaient faire des choses idiotes, et ça, c'était beaucoup trop facile. Beaucoup trop lâche, beaucoup trop faible, et sa faiblesse serait son principal handicap.

Il fallait maintenant que je m'occupe de créer un lien avec les autres, une relation de confiance, une amitié sincère et solide. Avec Skyler, ça allait être simple, mais Annie n'était pas une idiote, elle ne se laisserait pas atteindre aussi facilement, mais j'avais une carte à jouer, et elle ne résisterait pas. Comme beaucoup de femmes, elle cherchait l'amour, le prince charmant, un jeune homme riche et brillant, et j'avais exactement ce qu'elle voulait.

Mon carnet d'adresses était plutôt rempli, et je devais rencontrer un de mes anciens clients qui s'était installé à Dallas et qui voulait me consulter sur un investissement. Comme par hasard, l'heure et le lieu de notre rendez-vous correspondraient au rendez-vous hebdomadaire d'Annie Clarke et de Skyler Johnson.

J'allai appeler Asim demain, il pourrait creuser plus loin concernant Emily Davis, mais quoi qu'il me dise, dans mon esprit, ils étaient déjà coupables, et rien ne pourrait changer ça.

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