J'avais trouvé la maison idéale à cinq minutes de chez Eric Pender du côté de Great Hills. Ça m'éloignait un peu du centre, mais c'était nécessaire, la maison avait une immense cave à aménager et surtout un vieux monte-charge en état de marche et c'était exactement ce dont j'avais besoin. Le reste de la maison était sobre, je n'avais plus qu'à imaginer entièrement les lieux, même si c'était pour les quelques mois restants.

Eric m'attendait devant, je lui avais donné l'adresse et il était venu directement.

— Salut Cassie ! Tu as trouvé ton bonheur ? Cette maison vient tout juste d'être sur le marché, tu dois être une des premières à la visiter !

— J'adore cette maison, elle est parfaite, répondis-je. Tu veux aller où ?

— On peut aller chez moi si ça te va ? On est juste à côté, et on sera plus tranquille pour parler. Si tu n'es pas d'accord par rapport à Alex je comprends, mais on est tous les deux sobres, se sentit-il obligé d'ajouter.

Il était très sérieux, je ne savais pas de quoi il voulait me parler, mais ça avait l'air très important.

— D'accord, je te suis.

Il ne parla pas durant le court trajet qui séparait ma future maison de la sienne, il semblait très préoccupé et je ne savais pas vraiment quoi penser. Est-ce que j'avais fait une erreur qui aurait éveillé un quelconque soupçon ? Où alors ça concernait Alex ?

— Entre, Cassie, bienvenue dans mon humble demeure, dit-il en faisant une révérence.

Si je ne l'avais pas connu avant, j'aurais vraiment pu l'apprécier, il avait un côté sympathique et peut-être qu'il avait changé au fond, mais je m'en fichais complètement. Eric Pender restait Eric Pender, peu importait les années qui étaient passées.

— Waouh, c'est... majestueux.

À l'inverse de l'intérieur d'Alex, qui était sobre, classe et décoré avec goût, Eric avait tout du parfait fils à papa, texan, riche et qui étalait sa richesse, en veux-tu en voilà.

— Ça me ressemble, je te l'accorde, viens, on va s'installer.

Je le suivis et nous nous installâmes au bar.

— Il est presque midi, tu veux manger quelque chose ? J'ai préparé un chili hier, si ça te dit, il est top !

— Par contre ta modestie : pas trop, dis-je en riant. OK, va pour le chili alors, on pourra discuter comme ça, et tu me diras ce qui est si important.

Il s'affaira en cuisine, et je le regardai. Je n'aurai jamais imaginé qu'il se mettrait aux fourneaux, sa famille était plutôt du genre à avoir plusieurs domestiques, une caricature des fameux Ewing de Dallas.

— Comment va ton épaule ?

— C'est encore un peu douloureux, mais ça va passer.

— Tu ne prends pas d'anti douleur ?

— Non, je n'aime pas trop les médicaments, j'en prends vraiment quand je n'ai pas le choix.

Il prépara deux assiettes et s'installa :

— Voilà, riz, tacos et nachos bien sûr ! Pour ton épaule, tu devrais, une luxation peut vraiment être douloureuse.

— Je sais.

Nous commençâmes à manger et je devais avouer que c'était bon.

— Quand on te voit, on penserait pas que tu cuisines, c'est vraiment bon.

Il sourit et but un verre de whisky cul sec avant de commencer.

— Déjà, sache que je ne te dis pas tout ça pour te donner une mauvaise image d'Alex, c'est vraiment un gars bien. Mais je dois te mettre en garde, il y a des choses que tu dois savoir, je t'apprécie et je ne veux pas que tu subisses les conséquences de son passé.

— Très bien, je t'écoute, fis-je, intriguée.

S'il s'agissait de l'histoire avec Callie, il était vraiment culotté, surtout avec ce qu'il avait fait.

— Tu as surement entendu que tu étais une des premières femmes à vraiment susciter l'intérêt d'Alex et à le fréquenter officiellement. Mais tu dois savoir qu'Alex a traversé un moment vraiment difficile, compliqué pour nous tous, et ses parents et son frère Colin ont dû prendre une décision radicale.

Il ne parlait pas de l'histoire avec Callie, ça semblait être quelque chose de plus grave.

— Tout a commencé à cause d'une fille, nous étions ados et on était clairement cons, mais cette fille, Sara Parker, a détruit la vie de mon meilleur ami.

Je faillis m'étouffer et reposais ma fourchette en buvant un peu d'eau.

— Ça va Cassie ?

— Oui, ça pique un peu trop, vas-y, continue.

Il se foutait clairement de ma gueule, j'ai détruit la vie d'Alexander ?

— On a déconné avec elle, on avait un peu bu et on s'est un peu foutue de sa gueule. Tu sais ce que c'est, les soirées d'adolescents, on s'amuse à faire des jeux idiots. Enfin bon, je dis pas que j'en suis fier, mais Alex, lui, a été complètement transformé après cette soirée. Ses parents étaient assez proches de ceux de Sara, je pense qu'il s'en est voulu, surtout qu'après ça, elle a été raconter qu'on l'avait torturé, agressé, frappé et séquestré, elle a même porté plainte. Heureusement que mes parents se sont occupés de cette histoire.

Il s'arrêta pour boire un peu et débarrassa nos assiettes.

— Tu veux un dessert ?

— Non merci, je n'ai plus faim.

Et c'était le cas de le dire, mon appétit était coupé par ce qu'il racontait si naturellement, et avec tellement de banalisation que j'avais presque envie de vomir. Il fallait pourtant que je garde mon calme, que je reste presque stoïque.

— Donc, Alex a complètement changé après cette histoire. Il a d'abord commencé par déprimer, il refusait de nous voir, il ne sortait plus, il ne montait même plus à cheval alors qu'il adore ça. Ses parents étaient très inquiets, son frère Colin pensait qu'il s'était passé autre chose cette nuit-là et on ne comprenait pas non plus.

— Il y a peut-être eu un souci cette nuit-là non ? demandai-je doucement.

— Non, il n'y a rien eu du tout. Alex déprimait tellement, ses parents ont décidé de l'envoyer dans une maison de repos pour quelques semaines.

Il avait été en maison de repos ? Il avait été affecté à ce point alors, c'était une bonne chose, au moins il avait une conscience lui pas comme ce connard d'Eric.

— Il est revenu après ça, un peu plus vivant, mais c'est vraiment lorsqu'il s'est mis à fréquenter Callie, que tu as rencontrée, qu'il est parti en vrille. Callie faisait partie de notre groupe, elle a un peu fréquenté nos soirées, mais elle était surtout là pour Alex. Elle a toujours eu un faible pour lui, mais le point positif c'est qu'il était beaucoup plus vivant avec elle, malgré la mauvaise influence qu'elle avait sur lui. Je connais Alex, et je savais que Callie lui rappelait un peu cette Sara Parker, il aimait les filles fragiles, qui avaient besoin d'être secourues, enfin tu vois le genre. Mais Callie était un junkie, alcoolique et elle a entraîné Alex dans ses dérives.

Mon rythme cardiaque s'accélérait, je ne savais pas si j'allais supporter ça plus longtemps.

— Un jour Alex a complètement pété les plombs, il a passé ses nerfs sur Callie, pourtant il disait l'aimer, mais personne ne sait ce qu'il s'est passé dans sa tête. Son frère, Colin, dit que les relations amoureuses ont cet effet sur lui, que toutes les filles qu'il a fréquentées ont plus ou moins subi ses sautes d'humeur, c'est pour ça qu'il n'est jamais vraiment resté longtemps avec quelqu'un.

— Tu me fais peur, Eric, mentis-je. Qu'est-ce que tu veux me dire ?

Il me prit la main et je me raidis.

— Écoute-moi Cassie, si jamais il te touche une nouvelle fois, tu m'appelles et je lui refais le portrait ! Personne ne doit toucher à ce magnifique visage.

Il retira sa main et se réinstalla sur son siège. Il pensait me manipuler, il pensait que j'étais conne à ce point...

— Si je te dis tout ça, c'est parce que quand je vois Alex avec toi, j'ai l'impression de le revoir avec Callie, sans l'alcool et la drogue, et ça m'inquiète. Son attitude de l'autre soir au Firehouse, même s'il n'a pas fait exprès, il t'a quand même frappé. Il a du mal à supporter que tu sois avec un autre homme, et ça dès le début de votre rencontre. J'ai peur qu'un jour il s'en prenne à toi, il faut que tu sois prudente, Cassie.

— Je pense que tu trompes, Alex est adorable avec moi, il n'a jamais montré de quelconque signe de violence, répondis-je d'une petite voix.

— Si sa mère n'avait pas eu cette crise cardiaque, je ne t'aurais pas dit tout ça. C'est un évènement grave et c'est ce qui provoque ces changements de comportements. Comme je te l'ai dit, je t'apprécie beaucoup, alors fais attention à toi, d'accord ?

Je hochai la tête sans parler, il avait l'air tellement sincère, n'importe qui l'aurait cru. Il avait carrément intégré son histoire, même quinze ans après, il disait que j'avais menti, que j'avais exagéré, que je les avais accusés de choses horribles alors que c'était lui le porc. Il ne savait pas que Sara Parker se tenait juste devant lui et que même si j'avais prévu qu'il subirait la pire de mes vengeances, tout ce que j'avais imaginé était décuplé après ce qu'il venait de me raconter.

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21 mai 2001

Un mois, ça faisait un mois que la soirée était passée, un mois que je n'avais pas été à l'école et un mois que j'avais déposé ma plainte. Rien, il ne s'était rien passé du tout, mes journées se ressemblaient et mes parents commençaient à se disputer.

La dispute de ce soir était sur mon retour à l'école. Mon père voulait absolument que j'y retourne, mais moi non, et maman non plus. Le dîner s'était arrêté et mon père prit la parole :

— Sara, dès demain tu retournes à l'école ! On ne va pas les laisser gagner, tu ne vas pas t'arrêter de vivre, ce sont eux qui doivent avoir honte, pas toi ! Pas ces sales gosses de riches ! Alors demain tu vas à l'école, et tu ne discutes pas !

J'avais donc été à l'école le lendemain, malgré la boule que j'avais au ventre. J'avais mis un bandeau sur mes cheveux pour cacher le désastre que je n'avais pas voulu réparer. Tout le monde me regardait, et certaines personnes vinrent me voir pour me montrer leur soutien. J'étais surprise, je pensais que tout le monde serait de leur côté, mais non, ce n'était pas le cas.

Mon premier cours était celui de maths et j'étais en classe avec Annie, Clara et Alex. Personne ne parlait quand j'étais entrée et le prof n'était pas encore là.

— Tiens, regardez qui voilà, celle qui fait de fausses accusations ! lança Annie.

— Sara, comment ça va ? J'espère que tu te sens mieux et que l'enquête avance. La police a trouvé quelque chose sur la personne qui t'a agressé ? demanda Clara avec un sourire.

Je ne répondis pas et baissai les yeux. Un surveillant entra dans la classe et annonça l'absence du prof de maths, nous devions tous aller en permanence, la bibliothèque étant fermée pour la matinée. Je m'installai au fond près de la fenêtre et sortis un livre pour ne pas avoir besoin de regarder quoi que ce soit.

— Alors Sara, je ne pensais pas que tu reviendrais au lycée ?

Annie et Clara étaient devant moi.

— Tu as perdu ta langue ? demanda Clara.

— Je n'ai rien à vous dire, répondis-je d'une voix beaucoup plus fébrile que je le voulais.

— Tu ferais mieux de retirer ta plainte ! chuchota Annie. Sinon ce qu'il s'est passé ne sera rien comparé à ce qu'on te fera !

Clara tira mon bandeau et se mit à rire.

— Qu'est-ce que c'est que ça ? Tu as coupé tes cheveux ? hurla-t-elle en riant.

Plusieurs élèves me regardèrent et se mirent à rire. Je n'avais pas vu Alex arriver, il poussa violemment Annie et Clara.

— Vous la laissez tranquille d'accord ? Plus jamais, compris ? !

Il me lança un regard avant de s'en aller à son tour. Je ramassai mes affaires et sortis en courant du lycée, plus jamais je ne viendrai ici, plus jamais.

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Eric me faisait visiter sa maison et je repérai un double dans un tiroir de la cuisine qui était ouvert. Je fis le tour de sa propriété et j'en profitai pour enregistrer la configuration de chaque pièce pour gagner du temps lorsque je reviendrai. Il me laissa quelques minutes et je pris le double que j'avais aperçu. J'avais l'intention d'installer des caméras et des micros chez lui, l'humiliation que je prévoyais devait avoir un énorme impact sur lui et sa famille.

S'il pensait que Sara Parker avait gâché la vie d'Alex, il ne s'attendait pas à l'ouragan qu'allait être la sienne quand j'en finirai avec lui...