À FLEUR DE PEAU

Je n'écoutais plus Joshua, ma mère avait décidé de me montrer qu'elle était capable du pire, mais surtout elle m'avait fait réaliser une chose pour laquelle un léger doute persistait toujours au fond de moi : elle ne me considérait plus comme sa fille et elle me l'avait prouvé. J'aurais voulu ressentir de la colère, mais non, j'avais mal, j'avais mal parce que c'était ma mère malgré tout et j'avais passé les meilleurs moments de ma vie avec elle.

— Cassie, écoute-moi, s'il te plait.

Joshua me secouait légèrement pour me faire réagir.

— Cassandra, viens là, dit-il en me prenant dans ses bras.

Je n'avais pas remarqué que je pleurais jusqu'à ce qu'il me caresse les cheveux en me murmurant des mots doux. Je m'étais préparée à tout, j'avais tout prévu, tout était censé se passer comme je l'avais décidé, mais l'arrivée de ma mère était un imprévu, une anomalie. Je pleurais aussi parce que je savais qu'il fallait que je règle cette anomalie, que ça allait être violent et que ça allait me blesser, mais je n'avais pas le choix.

— Écoute Josh, c'est vrai, mais là tout de suite je ne peux pas en parler, c'est impossible.

— Cassie, je te demande juste de m'écouter. Je vois bien que ça t'affecte, je pense que tu n'étais pas au courant de l'appel de ta mère et que vos relations sont plutôt mauvaises, voire très.

— Joshua arrête, je ne veux pas parler de ça, s'il te plait, répétai-je.

Je n'arrivais pas à arrêter de pleurer et ça m'énervait, je n'arrivais pas à y croire. Certes, j'avais été cruelle en l'envoyant sur une fausse piste, mais mon acte n'impliquait personne d'autre que ma mère. Elle, elle avait été beaucoup plus loin, et je ne savais pas ce qu'elle avait fait d'autre, je devais m'occuper d'elle, c'était la priorité.

— Il faut qu'on en parle, je ne partirai pas tant qu'on aura pas discuté. Est-ce que tu te rends compte de ce que tu fais ? Tu n'es pas cette personne Cassie, tu as fait de ta vie ce que tu voulais qu'elle soit, tu as tout pour toi, pourquoi vouloir te venger de quelque chose qui s'est passé il y a quinze ans ? Je ne les défends pas, mais c'était des gamins, vous étiez des gamins !

Je me levai brusquement, comment osait-il dire ça ?

— Sors de chez moi Josh !

— Merde Cassie ! Réfléchis deux minutes et tu verras que c'est complètement fou ! Okay, c'est grave, je ne minimise pas, mais attendre quinze ans, changer de visage et d'identité pour quoi au final ? Détruire la vie de six personnes, comme si ça allait changer le passé !

— Dégage d'ici Josh, je ne veux pas en parler d'accord ? Pas tout de suite !

— Non ! Putain, mais regarde toi, est-ce que tout ce qu'on a vécu ensemble était vrai où ça faisait partie de toute cette merde ? Je comprends, du moins je peux comprendre, même si je ne cautionne pas, mais réponds moi ! hurla-t-il.

Je pleurais toujours comme une pauvre idiote et ses paroles me blessèrent encore plus. J'ouvris la porte et regardai celui qui m'avait fait tant de bien, celui qui m'avait appris à m'aimer de nouveau et qui aujourd'hui doutait de moi, à juste titre, mais ça me blessait quand même. Son regard avait changé, il était déçu et peut-être même dégouté de moi.

— Sors Joshua, sors tout de suite, je ne le répéterai pas, dis-je.

— Je veux que tu me répondes, est-ce que c'était vrai oui ou non ?

Tout était si simple lorsque je le fréquentais, j'avais presque oublié mon envie de vengeance, il était exactement ce dont j'avais besoin pour vivre tout simplement. Comme ma mère, il devenait malheureusement un obstacle, une faiblesse que je n'avais pas pris en compte dans mon calcul, et je devais m'en séparer. Je pris alors le ton le plus froid et méprisant que j'avais.

— Bien sûr que tout était faux ! Qu'est-ce que tu crois ? Que j'aurais tout abandonné pour tes beaux yeux ? Il fallait que je rende mon histoire crédible, vraie, et tu as été parfait dans ton rôle. Alors maintenant que tu as ta réponse tu sors de chez moi et tu oublies ce que tu sais ! Sois sûr d'une chose Joshua, je n'hésiterai pas une seule seconde à rendre publics tous les sales secrets de ta petite famille soi-disant parfaite si jamais tu parles de ça à qui que ce soit. J'ai un but et je compte l'atteindre, peu importe qui se met en travers de mon chemin.

Le choc. Il ne s'attendait pas à ça, et mon cœur que je pensais mort se brisait encore un peu plus. Je détestais faire ça, je me détestais. Il se leva sans dire un mot et me regarda avec tellement de douceur que ce fut à mon tour d'être surprise.

— Cassie, tu finiras seule et malheureuse si tu continues ce que tu as commencé. Je sais que tu mens, rien était calculé, tu peux mentir, mais ton regard, non. Mais le fait que tu oses me menacer comme ça... waw, je ne pensais pas que tu le ferais. Je vais rester quelques jours ici, on se reverra, et on aura une discussion sérieuse parce que tu es mon amie, je tiens à toi et je ne veux pas que tu te perdes.

Il s'en alla en me lançant un dernier regard plein d'amertume. J'étais fatiguée, et je ne voulais pas penser à tout ça, du moins pas ce soir, alors je retombais dans un travers que j'avais eu beaucoup de mal à arrêter, je pris deux somnifères et m'endormis presque instantanément.

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Le réveil fut difficile, j'avais un moment pensé que j'avais rêvé jusqu'à ce que je vois le mot de ma mère. Je me préparai machinalement et allai au bureau avec un mal de crâne et un teint affreux que j'avais essayé de camoufler en vain. Je savais qu'il y avait une présentation d'Alexander à laquelle nous devions tous participer. Je retrouvais Isabelle et Jamal au bureau et lâchai un léger bonjour.

— Je t'apporte un café noir, serré, et un donut pour te redonner le sourire et la pêche, me lança Isabelle avec un regard compatissant.

Tao m'observait en silence, j'avais l'impression qu'il voulait me dire quelque chose, mais sa timidité l'en empêchait.

— Comment tu vas Tao ? demandai-je

— Ça va, merci, dit-il rapidement en baissant les yeux.

— Tu as quelque chose à me dire ? Où alors tu constates juste ma sale tête en silence ?

— Tu as l'air soucieuse, murmura-t-il presque.

Je ne répondis pas, je n'avais vraiment pas la tête à faire des efforts avec un grand timide, réservé, et limite asociale.

— OK, dis-je brièvement.

— Je peux t'aider peut-être, enfin, je veux dire... Si jamais tu as besoin, tu peux me demander... Enfin, je veux pas être indiscret, mais...

Il s'arrêta de parler, rouge vif, et malgré ma lassitude, il me fit de la peine.

— Merci pour ta gentillesse Tao, si tu veux on peut déjeuner ensemble ce midi, on pourra faire connaissance.

— D'accord, lâcha-t-il avec un petit sourire.

Isabelle revint avec un café et nous allâmes dans la grande salle de conférence.

— Les retardataires étant arrivés nous pouvons commencer la présentation, dit froidement Alexander en me regardant.

Il commença sa présentation que j'écoutais à peine. Plus je retrouvais mes esprits, plus l'idée qui m'était venue me paraissait la meilleure solution pour me débarrasser de ma mère. Je n'étais pas une adepte du dark web, je savais qu'il était facile de dériver, mais je n'avais pas le choix. Ma mère devait être mise à l'écart, mais avant cela, je devais me renseigner sur l'endroit où elle vivait et récupérer les éventuelles copies de l'enregistrement qu'elle avait fait de notre conversation. J'avais besoin de quelqu'un pour s'occuper d'elle et je trouverai ce dont j'aurai besoin en ligne.

— Merci à tous, j'espère que tout sera au point pour le mois prochain.

Je me levai difficilement, mon mal de tête s'étant intensifié.

— Cassie, tu peux venir dans mon bureau s'il te plait ? me demanda Thomas.

Alex me lança un regard et je lui souris naturellement, je devais lui faire peur avec ma tête. J'entrai dans le bureau de Thomas en refermant la porte.

— Cassandra, est-ce que tu vas bien ?

— Oui, je suis un peu malade, désolée de mon retard tout à l'heure.

— Ce n'est rien. Écoute, je voudrais que tu travailles sur un nouveau logiciel avec l'équipe marketing et Alexander notamment. Je sais que vous avez plus ou moins une relation, alors je voulais voir avec toi.

— Ça ne me pose aucun problème Thomas.

— Très bien, tu verras les détails avec lui et Cassie ? Repose-toi vraiment, tu pourras partir après avoir vu Alexander.

— Merci, dis-je en sortant.

Mon téléphone sonna à ce moment, c'était ma mère, elle avait un timing vraiment parfait...

— Sara, comment vas-tu ? me demanda-t-elle enjouée.

— J'ai reçu ton cadeau.

— Oui, bon, écoute, je ne voulais pas, mais je préférais te montrer que je n'étais pas une pauvre idiote, enfin bon ! Je t'appelle parce que j'ai rencontré quelqu'un qui a croisé ta tante Sara, tu te rends compte ? C'est génial ! Je sens qu'elle est là, j'en suis persuadée.

— C'est une bonne nouvelle, je te laisse, je suis au boulot.

— D'accord, merci pour l'appartement que tu m'as loué, il est très bien.

Elle avait raccroché, c'était la dernière fois que je lui parlais, même si elle ne le savait pas. La fausse piste avait l'air de très bien se passer, et elle ne verrait pas venir mon prochain coup. Je retrouvai Tao pour aller déjeuner, il était seul dans notre bureau et il était déjà en train de travailler.

— Tu viens déjeuner ?

Il me regarda étrangement et commença à rougir.

— Tu préfères qu'on mange ici ? Je peux aller nous chercher à manger si tu veux ? Ça m'arrange aussi, j'ai une affreuse migraine depuis ce matin.

— Oui je préfère.

— OK j'y vais, mexicain ça te va ?

Il acquiesça en silence, et je sortis. Il était intéressant, et il avait l'air de connaître beaucoup de choses.

— Mlle Morgan, suivez-moi s'il vous plait.

Alex me précéda et il avait l'air très en colère. Je marchais derrière lui et je me répétais mentalement de garder mon calme, j'étais à fleur de peau, fatiguée et j'avais toujours la trahison de ma mère en travers de la gorge. Il referma la porte et s'installa à son bureau.

— Cassie, Thomas t'a informé de notre future collaboration ?

— On s'appelle par nos prénoms alors, Mr Grayson ?

Il me regarda en silence.

— Oui, en privé.

— Ah il y a encore du privé, alors.

J'avais besoin de passer mes nerfs sur quelqu'un, et son attitude ne m'aidait pas.

— Cassie, je ne pense pas que tu sois celle qui devrait être en colère ici !

— Pardon ? Tu es en colère contre moi ?

— Oui je suis en colère contre toi Cassandra !

— Pourquoi ? demandai-je.

— Parce que tu as préféré aller boire un verre avec Eric, et même prendre la défense d'Annie, plutôt que d'insister pour me voir ! Ma mère a eu une crise cardiaque !

J'étais sidérée par ce qu'il disait, j'avais joué mon rôle et il m'avait rejeté.

— J'arrive pas à croire ce que tu dis, je t'ai presque harcelé de messages et d'appels, tu m'as à peine répondu, qu'est-ce que j'étais censée faire ? Je n'ai pas préféré prendre un verre avec Eric, il m'a proposé et j'ai dis oui, il m'a dit que je ne devais pas t'en vouloir et de me montrer patiente ! Et pour Annie, dis-moi à quel moment j'ai pris sa défense ?

— Tu aurais dû venir me voir, à ta place c'est ce que j'aurais fait !

Je le regardai incrédule.

— Très bien, Alex. Écoute, j'ai passé une mauvaise soirée et j'ai mal à la tête alors si tu n'as plus rien à me dire...

— Tu fuis ! me coupa-t-il.

— Je ne fuis pas ! Je..., je suis fatiguée Alexander, craquai-je. Je suis désolée de t'avoir déçu, désolée si je n'ai pas été à la hauteur, désolée de ne pas avoir insisté, désolée d'avoir été boire un verre avec Eric, désolée d'avoir dit qu'Annie n'était pas la seule responsable, désolée de ne pas avoir été celle que tu voulais que je sois, Alex.

Je pleurai encore, sous le regard choqué d'Alexander.

— Cassie...

— Non, n'approche pas s'il te plait.

Il n'écouta pas et me prit dans ses bras pendant que je pleurais. Ce n'était pas Cassandra Morgan qui pleurait, c'était Sara Parker. Je pensais avoir enterré définitivement cette partie de moi, mais je me rendis compte que j'avais encore beaucoup de travail à faire.

— Je suis désolé, Cassie, je ne voulais pas te faire pleurer, arrête s'il te plait, je suis désolé.

Mon état actuel était la conséquence directe de la présence de ma mère. Je savais que je pouvais gérer Joshua, je savais qu'il ne dirait rien et jamais je ne mettrais mes menaces à exécution même s'il parlait, je l'aimais trop pour ça. Je me sentais bien dans les bras d'Alexander, détendue et je retrouvais mes esprits.

Dès ce soir, j'allais m'occuper de ma mère, je devais être très claire dans mes instructions et ne pas flancher par vengeance. Non, je voulais juste que ma mère soit mise à l'écart, et j'allais trouver ce dont j'avais besoin ou plutôt la bonne personne sur le dark web, quelques semaines de captivité allaient lui faire comprendre qu'elle pouvait gagner certaines batailles, mais pas la guerre contre moi.

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