Chapitre 9 - Éclaircie Inattendue -

[Chapitre Camille]


Comme par hasard, il ne décroche pas.

À chaque fois que j'ai un instant de libre depuis 7 heures ce matin, je m'évertue à composer son numéro et me retrouve à attendre comme une débile les sept sonneries jusqu'à tomber sur son répondeur qui me tord de rire : « Hey salut ! .... Cool ! .... Trop bien ! .... Non allez je déconne, je suis pas là et là tu causes à mon répondeur ! Fais pas la gueule et laisse-moi un message. »

— C'est le cent cinquantième message que je te laisse, espèce d'abruti mental ! Je sais pas à quoi tu joues, mais si tu cherches à m'énerver t'es super bien parti ! T'es plus difficile à joindre que l'administration en période de pandémie ! RA-PELLE-MOI-BOR-DEL !

Et voilà que je raccroche exaspérée, pour la cent cinquantième fois.

Merde ! Merde ! Merde ! Il fait chier !

Mais je pense que cette fois-ci marque la tentative de trop. Des larmes absurdes et très mal venues dans le couloir bondé qui mène à l'amphi, me montent aux yeux et mon corps glisse, sans que je le demande, contre le mur jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'un tas de vêtements informe.

Troisième jour de cours et te voilà déjà en larmes dans un couloir ! Super ! Heureusement que personne ne fait attention à rien dans cette université parce que là t'es au top de ta forme !

Les larmes continuent de couler et voilà que mes épaules les accompagnent en rythme.

Manque plus que mon nez et...

Je sens alors le léger filet familier me dégouliner des narines.

Gé-ni-al...

Cette journée est une pure catastrophe, à l'image de la veille. Une fois qu'Ethan est parti en trombe de l'enterrement d'Achille, tout n'a été qu'une succession de calamités intergalactiques. D'abord Marbelle, avec son regard larmoyant, à qui j'ai dû pondre la plus pitoyable des excuses pour expliquer la disparition d'Ethan. En y repensant, je me dis qu'il y a peut-être un truc qui tourne pas rond chez moi. Qu'est-ce qu'il m'a pris de lui dire : « Il a été appelé d'urgence pour secourir un écureuil coincé dans un arbre. Tu savais pas qu'il était pompier volontaire ? ». Je secoue encore la tête de dépit. Un écureuil ? Coincé dans un arbre ? Passons...

Et que dire de mon fameux discours à la mémoire de ma grenouille favorite ! J'arrive à peine à m'en souvenir et je ne sais même pas comment les mots sont sortis de ma bouche. Seuls persistent « une vie grandiose », « un être respecté par tous » et « je t'ai toujours aimé » qui, soit dit en passant, n'avait strictement rien à faire au milieu, mais qui a terriblement ému Marbelle. À tel point qu'elle s'est jetée dans mes bras pour n'en sortir que dix minutes plus tard, après avoir diligemment transformé mon tee-shirt en flaque . À la suite de ça, j'ai tracé, et ce malgré mon mal de crâne terriblement persistant, une ligne droite jusqu'à mon placard privé. En quinze minutes, à l'air libre, pieds nus et ma poitrine plongée en milieu humide, j'ai réussi à me choper la crève. Crève qui, à bien y réfléchir, explique certainement, plus que ma frustration actuelle, mon piteux état de loque au milieu du couloir.

Mais si mes péripéties c'étaient arrêtées là et n'avaient reprises qu'avec l'insupportable silence de mon frère, j'aurais pu m'estimer heureuse, mais non. Trop facile ! Ainsi donc, enfermée dans mon terrier, luttant contre les résidus persistants d'Achille et une pressante envie de rendre, voilà que quelqu'un frappe à ma porte. Exténuée, les pieds nus sales et le tee-shirt à moitié sec, sans compter les bouts de corps visqueux ayant élus domicile sous mes ongles, j'ouvre la porte pour découvrir un homme d'environ une trentaine d'années, le sourire blanc à la Colgate, les yeux bleus électrique et la chemise entrouverte sur un torse velu. Je me souviens avoir soupiré, de fatigue, c'était indéniable, mais aussi de honte, car j'avais reconnu Monsieur Prescott, mon prof de lettres. Non pas que je l'avais déjà rencontré auparavant, non. Je l'avais rencontré par l'intermédiaire de mon cher frère qui n'avait pu s'empêcher, lors de ses années ici, de me montrer des photos de lui à tout bout de champ ! « Un canon ce mec » m'avait-il répété à tout va. Et tandis que mes yeux, certainement cernés, s'étaient posés sur le fameux prof, sa phrase imbécile ne cessait de tourner en boucle dans mon crâne déjà mal au point. Là encore, mes souvenirs se brouillent, mais la phrase « devoir à rendre pour demain » ne manqua pas de me réveiller quelque peu. J'avais donc passé ma soirée, que dis-je ma nuit !, sur un devoir à rendre dans une petite poignée d'heures, parce qu'une pauvre secrétaire m'avait « bêtement » oublié dans la liste des étudiants de son cours ! La seule sur les trente étudiants qui remplissent désormais l'amphithéâtre en me passant à côté, insensibles à mes soubresauts et mes reniflements.

Bon ben, t'es au top ma petite Jane ! Une championne sur toute la ligne. Tu as dormi 1h, tu n'as même pas pris la peine de prendre une douche, t'es contentée d'enfiler le premier haut qui te passait sous la main - entre nous, va falloir m'expliquer pourquoi t'as gardé ce tee-shirt de Kim Possible depuis toutes ces années... - et t'es maintenant en larmes dans un couloir, 5 minutes avant que le cours ne commence et que tu rendes ton papier dont tu ne te souviens que d'un mot sur quatre si tu te concentres.... Un vrai succès ! Sans parler de ton frère et d'Eth...

— Ça va ?

La voix qui vient de briser mon flux de pensées positives fait aussi temporairement cesser mes pleurs. Surprise que l'on me remarque, je lève les yeux sur l'intruse. Des tennis abîmées mais entretenues malgré tout, un simple jean sans trou, une chemise de bûcheron rouge à carreaux, dont les manches sont roulées jusqu'aux coudes et qui s'ouvre sur un simple tee-shirt blanc, brune aux yeux bruns et aux cheveux courts, la jeune fille me sourit tendrement avant de poser ses affaires, puis son postérieur, parterre, tout à côté de moi.

— Toi aussi tu pleures ta mère à cause du devoir ! dit-elle en riant. Un massacre ! Ce prof est un sadique notoire ! Ma sœur l'a eu avant moi et il paraît qu'il est de pire en pire tous les ans !

— Mon frère m'a juste dit qu'il était canon, dis-je en essuyant rapidement mes larmes et en souriant, amusée. Je suis persuadée qu'il a délibérément laissé la partie sadisme de côté pour me faire la surprise.

La jeune fille laisse échapper un magnifique rire avant d'enfin se présenter.

— Johanna Nale, mais mes amis m'appellent Jo. Le problème c'est que je n'ai pas d'ami, sourit-elle en me tendant la main.

— Jane Lanster, dis-je en lui serrant la main.

J'hésite un instant.

Après tout, tu n'as rien à perdre !

­­— Ravie de te rencontrer, Jo.

À l'évocation de son surnom, ses yeux pétillent et elle affiche un sourire que je ne peux m'empêcher de qualifier de lutin tandis que deux de ses dents mordillent sa lèvre charnue inférieure. Je reste un instant interdite, sa main toujours dans la mienne, un étrange frisson me parcourant le corps. L'espace de quelques brèves secondes, elle réussit à me faire oublier tout le reste, jusqu'à ce que son pouce vienne caresser le dos de ma main.

— Je t'ai perdu pendant un instant, Jane, sourit-elle. Le cours/massacre va commencer, ça serait bête d'être en retard !

Elle lâche ma main et se lève avant de m'aider à en faire de même. Laborieusement, je ramasse mon sac et enfile son anse sur mon épaule.

— Au fait, j'adore ton tee-shirt ! dit-elle en pointant Kim du doigt et me faisant un clin d'œil.

Un autre frisson me saisit.

Je dois vraiment être malade, c'est pas possible !

— Viens, lance-t-elle devant mon mutisme. On va se mettre à côté. On va passer un moment entre filles.


[Chapitre suivant Anthony]

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