Chapitre 11 - Rotten Tomatoes -
[Chapitre Elodie]
— Je vois qu'on s'amuse bien à l'infirmerie.
— Ethan, qu'est-ce que tu fais là ?
— Le cours de monsieur Prescott est terminé. Je viens te donner le cours que tu as raté, et t'annoncer qu'il te donne un délai supplémentaire pour rendre ton devoir, tu as jusqu'à la semaine prochaine. Maintenant que c'est dit, je vais vous laisser à vos occupations.
Le visage sombre, il s'approche du lit et me tend un cahier, en prenant soin de lancer un regard noir à Jo. Je me redresse, et croise les bras en refusant de prendre ce qu'il a dans la main.
— Qu'est-ce qui te prend ? On n'est pas ensemble, on s'est quittés en mauvais termes, et maintenant tu me fais une scène ?
— Ecoute Jane, j'ai tout essayé avec toi. Tu me fais passer pour le sale type qui court après tout le monde, alors que tu ne me connais pas, et je te retrouve là à deux doigts d'embrasser cette fille. S'il y a quelqu'un ici qui joue avec l'autre, ce n'est pas moi.
Sur ces belles paroles, il lance le cahier au pied du lit et tourne les talons en claquant la porte. Je sens alors un nouveau frisson parcourir mon corps et je m'allonge en soupirant, la couverture remontée sur le nez.
— Cette semaine n'a vraiment aucun sens. Je me retrouve dans un restaurant qui s'appelle Sodome Eat, j'organise des funérailles pour un crapaud, et je me retrouve à l'infirmerie avec 40 de fièvre. Tu y crois, toi ?
Jo qui n'avait encore rien dit se met à rire soudainement, d'un rire franc, sonore, et contagieux. Je me mets donc à rire nerveusement à mon tour, des gouttes de sueur coulant encore de mon front brûlant. Elle s'agenouille finalement à mes côtés, sort un mouchoir de son sac et tamponne délicatement mon visage, à peu près aussi humide que les marécages de feu Achille.
— Tu es épuisée, je vais te laisser te reposer, et on essaie de se revoir bientôt, d'accord ?
Sans me laisser le temps de répondre, Jo m'attrape la main et dépose un doux baiser au creux de ma paume. Son visage est tout près, j'essaie d'en caresser les contours, mais elle repose déjà mon bras sous la couverture et me laisse seule.
Je sais que je ne devrais pas ressentir ça, que l'on ne se connaît presque pas, mais entendre la porte se refermer derrière Jo m'a fait un pincement au cœur. Peut-être un effet secondaire de la fièvre ? Je me décide à essayer de dormir, c'est encore la meilleure chose à faire. Je me tourne, m'enroule tel un wrap dans la couverture, et ferme les yeux en me laissant emporter par mon épuisement.
***
Je suis au supermarché, les rayons sont larges et semblent sans fin. Je pousse un énorme caddie, il semble faire deux fois ma taille. Mais qu'est-ce que je peux bien faire là ? Soudain, je me souviens, je dois acheter des conserves de sauce tomate. Je traverse les allées avec une lenteur impressionnante, les quelques clients présents semblent se demander ce qu'il m'arrive. Néanmoins, personne ne me vient en aide pour pousser ce satané chariot qui part dans tous les sens quand j'amorce un virage.
Tout à coup, elles sont là devant moi. Elles montent sur une hauteur infinie et je me sens perdue devant cette montagne rougeâtre à 50 dollars l'unité. Je sais que c'est la crise économique, mais depuis quand une conserve coûte si cher ? Est-ce que je suis vraiment condamnée à manger des pâtes nature toute ma vie estudiantine ? En cherchant la réponse à ce mystère, je me rends compte que toutes les boîtes sont retournées et que je n'en vois pas la marque. Je ne sais pas qui a rangé ce rayon mais il faudrait qu'il songe à changer de lunettes, ou de métier. Perturbée par ce défaut dans le sacro-saint ordre du supermarché, je me mets à retourner les conserves une par une. Soudain, je me fige avec horreur. La moitié d'entre elles est recouverte d'une photographie d'Ethan... quant à l'autre, elle affiche le visage enjoué de Jo. Je me frotte les yeux, mais les visages sont bien toujours là. Je m'approche tout de même, et prends une conserve de chaque avant de les ranger dans le caddie surdimensionné.
— Tu sais que tu ne peux pas nous choisir tous les deux, n'est-ce pas ?
Je sursaute à l'entente de cette voix familière. Ethan ? Je me retrouve vraiment à faire mes courses en même temps qu'Ethan ? Je me retourne, mais je suis toujours seule dans le rayon. Si je me mets à entendre des voix, cela devient franchement inquiétant... Je retourne quand même à mon caddie et le pousse vers la sortie.
— Hého, tu n'as pas entendu ce que le monsieur t'a dit ?
Il s'agit d'une femme cette fois. Jo ? Il me semble que le son vient d'en bas. En baissant les yeux, je vois alors les deux photographies s'agiter gaiement, jouant avec les tomates parfaitement calibrées utilisées pour illustrer mes conserves de luxe. Je me retourne vers le rayon et vois que les 150 autres autres sosies d'Ethan et Jo font de même.
— Comment est-ce possible ? Qu'est-ce que vous faites là ? Sortez de mes tomates !
— Tu l'auras voulu ! s'exclame le rayon en chœur.
D'un coup, les centaines d'Ethan et Jo s'extirpent de leurs boîtes pour se retrouver, en chair et en os, dans le rayon. Les bras croisés, ils me font face, les Ethan à gauche et les Jo à droite.
— Alors, qui choisis-tu ? On a passé de bons moments toi et moi, comment peux-tu laisser cette pimbêche t'influencer ? demandent tous les Ethan, braquant tous leurs yeux sur moi.
Les Jo serrent la mâchoire et lancent des yeux pleins d'éclairs aux Ethan. Elles se radoucissent finalement, et s'approchent de moi :
— Jane, je sais que cela fait peu de temps, mais tu te sens bien avec moi, pas vrai ? Notre relation est simple, et saine, alors qu'Ethan est complètement toxique.
Les Ethan font quelques pas en direction de Jo, visiblement prêts à en découdre. Pour cela, ils sortent chacun une tomate de leur poche pour en menacer les Jo. Celles-ci en font de même, le bras tenant la tomate en arrière, prêtes à lancer les missiles sur leurs ennemis. Soudain, une première tomate part du camp d'Ethan, déclenchant une guerre sans fin. Des tomates volent dans le rayon, allant parfois s'écraser sur des clients mécontents. Je deviens moi-même un dommage collatéral et me roule en boule dans un coin, me protégeant des violents assauts de part et d'autre. Quand tout à coup, une conserve s'illumine en haut des étagères. Elle semble normale et ne coûte qu'un dollar. La paix semble se dessiner. Je me lève d'un bond et grimpe telle une acrobate pour atteindre le dernier étage. La boîte métallique enfin en main, je la retourne : mon nom est inscrit dessus. Je me sens alors aspirée et me retrouve bloquée comme mascotte pour marque de sauce tomate. Le rayon est vide, l'armée rouge a disparu. Je cogne, et hurle, mais personne ne m'entend. Soudain, Ethan et Jo passe devant moi, main dans la main. Jo attrape ma boîte et la tend à Ethan :
— Chéri, on choisit quoi pour les lasagnes de ce soir ? La Jane n'est vraiment pas chère.
— Oh non, elle n'a aucun goût, prends plutôt celle-là à la place.
Ethan lui donne une autre conserve, me récupère et me jette avec désinvolture dans un coin du rayon. Toute cabossée, je ne peux plus être mise sur l'étagère. Un employé passe alors, et me jette avec les invendus.
***
Je sursaute dans le lit, je suis en nage et ai beaucoup trop chaud sous cette couverture. Mon cœur bat à cent à l'heure tandis que je m'extirpe de mon wrap géant.
— Tout va bien ici ? Tu as réussi à te reposer ? me demande l'infirmière qui vient d'entrer dans la pièce.
— Euh, oui, ça va, merci, arrivé-je à bredouiller.
Elle pose un thermomètre sur mon front et attend quelques secondes.
— Ta fièvre a bien baissé. Tu es toujours malade, mais tu peux rentrer te guérir chez toi maintenant, je vais te donner quelques médicaments à prendre pendant plusieurs jours.
L'infirmière griffonne une ordonnance que je fourre rapidement dans mon sac avant de partir le plus rapidement possible de cet endroit.
J'arrive dans ma minuscule chambre, et m'allonge à nouveau, toujours aussi vaseuse. J'ai à peine le temps de fermer les yeux qu'on cogne à ma porte. Je me lève difficilement, le corps courbaturé, et je me retrouve face à Marbelle, un tupperware entre les mains.
— Je sais que tu n'as pas vraiment mangé aujourd'hui, et comme j'ai encore trop cuisiné... Voilà pour toi ! Mes fameux spaghettis à la sauce tomate ! dit-elle tout sourire, en me fourrant la boîte entre les mains.
— Merci beaucoup, c'est vraiment gentil. Dis-moi, c'est quelle marque de sauce tomate ?
— Hein ? Quoi ?
— Non, rien, oublie. Merci encore, dis-je dans un demi-sourire avant de refermer la porte.
Je m'assois alors sur mon lit, le tupperware face à moi, et ne peux m'empêcher de regarder son contenu d'un air suspicieux.
[Prochain chapitre Lilly Sebastian]
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