10 | 𝐒𝐎 𝐁𝐄 𝐈𝐓

𝐒𝐎 𝐁𝐄 𝐈𝐓
▷ Ainsi soit-il.

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Christina Perri - Human ( cover by Austin & Kurt Schneider )
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- C'est bon, on peut y aller.

La chevelure châtaine de ma jumelle me passe sous les yeux et m'emboîte le pas. On est jeudi, aujourd'hui, et les deux derniers jours de la semaine, Kamie finit une heure après moi. Je me vois donc dans l'obligation de l'attendre, pour que l'on puisse rentrer ensemble. Heureusement que Nam s'est proposé pour me tenir compagnie, même si je doute vraiment qu'il l'ait fait parce qu'il voulait passer du temps avec moi. Ce gars a l'air fou amoureux de ma sœur, le pauvre.

- Alors, on va où ? s'enquiert le philipin.

- Bah, à la maison, bêta. Où d'autres veux-tu aller ? lui répond Kamie, la voix chargée d'exaspération.

- La nuit n'est même pas encore totalement tombée, et si on allait prendre une glace ? Je connais un très bon endroit, super romantique en plus ! Tu viens ?

- Pourquoi je voudrais prendre une glace avec toi ?

Alors que je n'écoute leur discussion que d'une seule oreille, un crissement de pneus attire mon attention dans mon dos. Ma tête se tourne instinctivement vers l'arrière, et je la vois, la demoiselle. Elle descend gracieusement et lentement les marches des escaliers devant le lycée, se dirigeant vers la Berline noire garée juste devant elle, coupable du bruit dérangeant qui m'a fait tourner la tête. Le chauffeur, qui était descendu quelques minutes plut tôt, lui ouvre la portière. Je comprends au sourire chaleureux qu'elle arbore, qu'elle le remercie, puis s'engouffre à l'intérieur. L'homme referme la portière, lisse son costume de ses mains avant de rejoindre sa place en courant. Bientôt, la voiture démarre et je la suis des yeux jusqu'à ce qu'elle disparaisse au loin.

- Kayon, qu'est-ce que tu fais ?

La voix de ma sœur me sort de mes pensées, et je reprends systématiquement mes esprits. Je n'avais même pas remarqué que je m'étais arrêté.

- Rien, rien, bafouillé-je.

Kamie me lance un regard confus, que j'ignore en continuant de marcher. Je n'ai pas envie de répondre à une quelconque question.

Deux semaines se sont écoulées depuis mon entrevue, si je ne puis l'appeler ainsi, avec la demoiselle. Entrevue qu'on ne pourrait pas qualifier de réussie. Ses mots foudroyants et son regard tétanisant battent encore dans ma tête.

« Ne t'avise plus jamais de m'adresser ne serait-ce qu'un regard. »

Pour je ne sais quelle raison, ces mots m'ont touché. Blessé. Je me suis senti moins que rien lorsqu'elle m'a tourné le dos, me laissant tout seul debout, vulnérable aux regards des gens autour. Il m'a même été possible d'entendre des rires de moquerie. Elle m'a humilié.

Mais ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi. Pourquoi a-t-elle fait ça ? Je ne lui ai rien fait de mal à ce que je sache. Tout ce que je voulais, c'était l'aider.

L'aider par rapport à quoi ? me frappe ma conscience.

Bonne question.
Peut-être qu'elle non plus n'a pas compris pourquoi je désirais autant l'aider, aussi bien que moi je l'ignore. D'ailleurs, qu'est-ce qui m'a pris de faire ça ? À aucun moment elle ne m'a fait comprendre qu'elle avait besoin d'aide. De quel droit me suis-je permis de l'approcher ?

Elle m'a bien remis à ma place.

Jamais auparavant je n'ai été humilié de la sorte. Et le plus surprenant, c'est que je n'arrive pas à lui en vouloir pour cela. Habituellement, je me serais vengé, je lui aurais craché toutes ses vérités à la figure, qu'elles soient blessantes ou pas. Mais elle...avec elle, je n'arrive pas à m'imaginer le faire. Peut-être parce que c'est une fille ?

Non, c'est impossible. Bryana Chevalier aussi était une fille, pourtant lorsqu'elle m'a sorti de mes gonds en troisième, je n'ai pas hésité à lui rendre la pareille de manière encore plus cruelle.

Étrange.

L'endroit génial dont parlait Nam, tout à l'heure, est en fait un pont. Oui, un pont sur lequel ce monsieur, Richard, a installé son stand de glace. Et contrairement à ce que j'avais imaginé, l'atmosphère est très accueillante. Chaleureuse serait le mot idéal.

Les guirlandes parsemant son stand éclairent les passants de toute sorte de couleur : rouge, bleu, rose, vert... C'est très joli. Richard arbore une expression joyeuse, content de recevoir autant de personnes. C'est un monsieur assez âgé, mais il n'a pas perdu la fleur de la jeunesse. Son visage a gardé les traits d'un enfant, aucune trace de rides. Il n'y a que le blanc de sa barbe et de ses cheveux qui trahit son âge.

Nam nous indique de l'attendre là où nous sommes, le temps qu'il aille nous prendre des cornets de glaces. J'acquiesce.
Une fois qu'il nous tourne le dos, ma sœur me tombe rapidement dessus.

- Devant le lycée, tu l'as vue, n'est-ce pas ? me demande-t-elle.

La ton de sa question me fait comprendre que ça n'en est pas vraiment une. Elle sait déjà la réponse, mais elle veut l'entendre de ma bouche.

Je lève les yeux, puis soupire.

- Oui.

- Tu ne lui as pas reparlé depuis l'autre fois ?

- Tu sais bien que non, pourquoi est-ce que tu me demandes ça ?

Oui, Kamie est au courant. Ce jour-là, mon humeur maussade avait envahi tous les ports de mon corps, s'attaquant même à mon aura. Mes traits sont restés déformés par la tristesse tout au long de la journée, jusqu'à ce que nous rentrions à la maison. Là-bas, elle s'est empressée de me demander ce qu'il y avait, et je lui ai tout déballé sans réfléchir. J'avais vraiment besoin d'avoir son avis dessus.

- Tu comptes vraiment écouter ce qu'elle te dit et ne plus jamais lui adresser la parole ?

- Pourquoi est-ce que je ne le ferais pas ? C'est bien ce qu'elle veut, non ?

- Je sais bien, mais...

La voix aiguë de Nam nous interrompt en un « je suis là ». Kamie ravale ses mots en me jetant un regard frustré, et je l'ignore. Je prends ma glace des mains de Nam, lui murmure un « merci » à peine audible et les devance tous les deux sans attendre qu'ils me rejoignent.

J'entends le philipin demander :

- Bah, qu'est-ce qu'il a ?

- Rien, il est juste un peu fatigué. Rentrons.

La pénombre a envahi la totalité de ma chambre, et cela me ravit. Grossièrement étalé sur mon lit, je ferme les yeux en me remémorant les souvenirs de cette entrevue avec la demoiselle.

Tout est bien plus intense que ce que j'aurais pensé. Ce n'est pas la fille que j'imaginais. Ce côté d'elle qu'elle m'a dévoilé me terrifie. La manière dont elle m'a craché ces mots à la figure était effrayante. Elle est absolument le contraire de ce que son air innocent veut faire croire.

C'est ce que penserait n'importe qui. Sauf que moi, malgré tout ça, quelque chose m'intrigue. J'ai plutôt l'impression qu'elle s'efforçait de me blesser, même si elle le faisait d'une manière qui pourrait ressembler à du naturel. Mais non. Je crois qu'elle s'est empressée de glisser cette barrière de froideur entre nous. Pourquoi ? Sûrement pour m'empêcher de passer la ligne de son semblant de colère. Elle ne voulait pas que j'en découvre trop sur elle. Plus que ce qu'elle laisse paraître. Mais moi je n'y crois pas.

Je ne crois pas à cet air cruel qu'elle affichait, ni à ces yeux remplis de haine. Non. Elle n'est pas comme ça.

Mais bordel, qu'est-ce que j'en sais ? Elle ne veut même pas que je la regarde. Qu'est-ce qui me prend ? Elle a peut-être raison lorsqu'elle me dit que je suis anormal. Je commence aussi à le croire.

Je sursaute lorsque j'entends frapper à ma porte.

- Fiston, on va passer à table.

Je ne réponds rien. Les pas de mon père résonnent ensuite dans le couloir et je me lève. Je n'avais pas prévu de manger ce soir mais j'ai beaucoup trop faim pour résister.

Je quitte ma chambre, marche nonchalamment jusqu'à la salle à manger et m'installe à ma place habituelle. C'est-à-dire en face de mon géniteur.

- Tu pourrais m'aider à mettre la table, s'il te plaît ? me demande Kamie.

- Non.

- Sale égoïste. Je suis la seule à me taper tout le boulot pendant que toi tu te prélasses dans ta chambre. Tu pourrais au moins faire un effort, espèce de...

- C'est bon, je vais faire la vaisselle, l'interrompé-je.

Un grand sourire prend place sur son visage alors qu'elle me remercie d'un air gagnant. Quelle casse-tête.

Deux minutes plus tard, elle et mon père me rejoignent et nous commençons à manger.

- Ah, je ne vous l'ai pas dit, mais mon patron a une fille. Tu sais, Kayon, ce monsieur que tu as rencontré la dernière fois.

Je manque de m'étouffer lorsqu'il prononce ces mots. Ma sœur me tapote légèrement le dos tandis que je mène rapidement le verre d'eau à mes lèvres.

Pourquoi est-ce qu'il parle de ça, si soudainement ?

- Oui, me rattrapé-je, je m'en rappelle.

- Eh bien, comme je disais, il a une fille, et elle est dans le même lycée que vous, figure-toi.

- Oui, je sais...

- Comment ça ? Vous vous êtes déjà rencontrés ?

- Oui, répond Kamie. C'est elle qui nous a permis de t'attendre dans le hall lorsque nous sommes arrivés à Paris.

- Oh, oui, je vois. Sacrée Gemini, toujours aussi gentille. Je connais cette gamine depuis des années, c'est fou ce qu'elle a vite grandi. C'est le portrait craché de sa mère. Je n'ai jamais vu une enfant aussi joyeuse ! Je suis sûre qu'elle est très admirée, au lycée.

Je manque m'étouffer.

Une enfant joyeuse ? Admirée au lycée ?
Il ne sait vraiment pas ce qu'il dit.

Je déglutis.

- Tu sais, papa...

Je m'arrête subitement. Est-ce que je devrais lui dire que Gemini se fait harceler ?

Kamie ne le sait pas, mais durant ces dernières semaines, j'ai assisté à d'autres scènes semblables à celle du jour de la rentrée. J'ai vu des choses que Gemini n'aurait sûrement pas voulu que je voie. Oui, j'ai assisté à bien pire que ce que je croyais qu'elle vivait. Et de penser que des gens puissent être aussi inhumains me glace le sang.

Mais la vraie question ici, c'est est-ce que Gemini voudrait que mon père en soit mis au courant ? Du peu que je sais, ils ont une relation visiblement très amicale, elle et Michèle. Mon géniteur étant ami avec son père, ne lui répèterait-il pas ce que je m'apprête à lui dire ? Gemini serait-elle ravie de savoir que son père sait désormais tout, d'autant plus à cause de quelqu'un qu'elle ne connaît pratiquement pas ? Je ne crois pas.

Et là, je comprends. Au vu de la manière dont elle s'est comportée lorsqu'elle m'a reconnue, je ne suis pas dupe. Je sais qu'elle a peur, qu'elle veut s'enterrer sous terre, s'effacer de tout ce qui a un rapport avec moi. Je comprends que je représente une menace pour le mur qu'elle s'est entêtée à construire tout ce temps, pour le masque qu'elle affiche à tout le monde en dehors du lycée. Elle est effrayée, terrifiée à l'idée que je puisse dévoiler à ses proches qu'elle n'est pas ce qu'elle laisse paraître.

C'est pour ça que je me tairai. Je ne dirai rien, ni au sujet de son harcèlement, ni de la peine que cachent ses yeux émeraudes.

- Hum? s'impatiente mon père.

Je déglutis, encore une fois. Excuse-moi, papa, mais je ne peux rien te dire. Elle veut que je reste en dehors de ses histoires ? Très bien.

- Non, rien, ne t'inquiètes pas.

Ainsi soit-il.

▷ 𝑵𝑫𝑨 ◁

Hey tout le monde, vous allez bien?
Le chapitre dix est donc en ligne, un cap de passé haha :)

Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?
Quelles sont vos impressions sur le raisonnement de Kayon à propos de dévoiler le harcèlement de Gemini à son père ? Pensez-vous qu'il fait bien ?

N'oubliez pas de voter et de commenter, ça fait toujours plaisir <3

Allez, kisses. Mira❤️

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