Un soupire brise le silence de cette nuit d'hiver. Silence de mes pensées à l'instar de celui aux alentours.

Je suis assise à une table en bois dans un restaurant rustre. L'ambiance est joviale, aux antipodes du calme que j'affectionne. En face de moi se trouve une chose que je n'apprécie pas particulièrement et que je pourrais nommer 'humain' si je n'étais pas sotte.

Le silence se prolonge longtemps.

Peut-être trop, parce qu'à un moment, un mec bourré s'étale de tout son long sur notre table et ses amis nous remboursent les plats. Au moins, on peut continuer à manger. Même si mon estomac était plein, la gourmandise de la cuisine de ce restaurant pas si cher me donne l'eau à la bouche dès que les assiettes se dressent à nouveau devant moi.

Nous n'avions pas vraiment réagi à cette étrange scène. Ça aurait brisé le silence, si nous l'avions fait, et nous en étions apparemment deux adeptes. Mon regard est baissé et je sais que la prochaine fois qu'on me proposera un faux rendez-vous avec un parfait inconnu, je refuserais. Même si on ne m'avait pas laissé le choix cette fois-ci.

La possibilité, infime, que ce soit lui qui soit présent était absurde. Et pourtant. On se croirait dans un livre mal tourné. Le premier d'une jeune autrice en fac de lettres.

Après une énième bouchée forcée pour profiter de la nourriture gratuite, le fil de mes pensées se stoppe, un peu trop brutalement à mon goût. Je relève la tête, seulement sur la table en chêne d'abord. Puis sur l'assiette vide d'Eli. Puis sur ses mains posées de parts et d'autres de l'assiette. Et puis à force de remonter mes deux billes je tombe sur les siennes.

Je soupire de mécontentement sans le cacher pour alimenter ma réputation de gamine. On se fixe un instant seulement et ça me suffit à me dire que je suis exécrable. Je détourne le regard et réfléchit au raison de ma présence ici.

Un action ou vérité
Un choix un peu beaucoup stupide.

L'obligation d'accepter.
L'envie de faire plaisir pour une fois.
Et puis y'avait eu la préparation de ce faux date, de la réservation à la tenue jusqu'à tomber sur un profil du parfait inconnu. Parfait dans le sens où c'était un inconnu. 'Censé' être un inconnu.

Après le repas, j'ai l'impression exécrable d'être bourrée sans une goutte d'alcool. J'ai mal au crâne. Pour me sortir de ma douleur, Eli relève la tête.

Et ma plus grande surprise, il propose l'inattendu.

– Encore un soir ?

Mon regard s'attarde sur ses chaussures de Yoichi, sous la table, avant de remonter jusqu'à ses yeux marrons.

– Si tu paies, je tâte le terrain afin de faire des économies.

– Évidemment que je paie,
t'es pauvre.

Mon cerveau tourne sur lui-même et me fout une migraine intenable. Comme si le fusiller du regard méritait une quelconque punition. En même temps, il avait raison. Je n'avais pas un sou et ça ne risquait pas de changer.

Après l'addition à moitié payée d’Eli et à moitié de l'homme ivre, nous sortons enfin. J'ai l'impression de profiter d'eux. Je n'en fais rien remarquer. Mon corps profite de l'air frais du soir comme si c'était la première fois depuis des années. En arrivant, la même sensation s'était emparée de moi. C'était bête.

Je marche à côté de lui un certain temps, et on se retrouve sur la plage. Je vérifie l'heure et mes notifications. Beaucoup trop pour ne pas faire revenir ma migraine. Il était un peu plus de vingt trois heures.

– Je déteste les vampires.

L'écrivain relève la tête avec un petit sourire, les sourcils haussés, surpris de mon intervention. Je pense tout de suite que c'était inutile et stupide. Il y a à peine quelques minutes je me trouvais bien heureuse qu'il propose de me payer un resto'.

– Baisse d'un ton le gnome ! Et va pas dire ça à Hanaë.

Il l’a mentionnée fluidement, comme si son prénom avait toujours été dans cette conversation. Et j'admire la façon qu'il a de rebondir sur ma décision débile de lui rappeler cette animation.

Nos pieds s'encrent dans le sable.
Je m'allonge.
Ferme les yeux.
Et je m'endors, à côté de celui que je ne pouvais pas blairer y'a encore deux heures, dans le sable fin.

Bisous bisous :<                              720 mots