3. ALAN
ALAN
Surpris, je hausse les sourcils en l'apercevant entrer dans mon bureau. Mais qu'est-t-il venu faire ici ? Lorsque enfin il croise mon regard ébahi, je comprend vite à sa posture qu'il est venu pour en découdre.
- Allons immédiatement dans le vif du sujet, gronde-t-il d'un élan vindicatif.
- Bonjour père, dis-je en contournant mon bureau pour m'installer sur mon fauteuil face à lui. Je t'écoute!
Le vieux singe comprend immédiatement mon intention claire de lui rappeler que le maître de ce lieu, c'est moi. Ici j'établis mes propres règles. Il regarde les deux chaises qui se présentent à lui et met quelques secondes à se décider. Finalement, il s'assied avec un soupir théâtral.
- C'est comme ça que tu accueilles ton cher papa ? Vais-je aussi avoir droit à un badge pour pouvoir entrer dans ce bâtiment? Ou mieux encore, as-tu déjà songé à nous implanter à tous une puce électronique, en guise de passe ?
- C'est pour me dire ça que tu es venu ? J'ai cru comprendre que tu voulais entrer dans le vif du sujet, lui rappelé-je en ignorant totalement ses piques.
- Personne ici ne sait qui je suis, insiste-t-il. La secrétaire n'a pas voulu me laisser entrer. Dois-je également prendre rendez-vous ? Je suis ton père ! C'est quand même un comble d'être réduit à ça !
- C'est mon lieu de travail, les employés n'ont pas à savoir qui tu es. C'est tout. Si tu voulais impérativement me voir, tu aurais dû me téléphoner et me laisser un message sur le répondeur.
- J'ai essayé de te joindre à plusieurs reprises, cingle-t-il à bout de souffle.
- Calme-toi papa. Tu vas te faire du mal.
- Non ! Ta secrétaire m'a expliqué que tu avais demandé à n'être dérangé sous aucun prétexte. Me dire ça à moi, ajoute-il l'air outré.
- Elle ne fait que son travail.
- Je suis offusqué par tout ceci Alan, dit-il d'un ton las.
- Bon, qu'est ce qui t'amène réellement ici ? Maman va bien j'espère ?
- Oui elle va bien. Il reprend son souffle comme pour se calmer et me demande : seras-tu présent à l'anniversaire de ta mère samedi? Nous allons préparer un repas de famille à la maison.
- C'est donc ça qui t'amène ici ?
Je le regarde agacé et finit par capituler devant l'indifférence manifeste qu'il démontre face à ma question.
- J'y serai! Mais à l'avenir, je te serai reconnaissant de ne plus venir ici pour ce genre de requête. Il ne s'agit pas d'une urgence.
Nous leur rendons visite ma sœur Mila et moi pour chacun de leurs anniversaires. Ceci est devenu un rituel pour nous soutenir mutuellement. En effet ensemble, l'entrevue chez nos parents est plus supportable. Je sais pertinemment pourquoi cette fois-ci, mon père tenait à s'assurer de ma présence.
- Non, l'anniversaire de ta mère n'est pas une urgence, marmonne-t-il. Quoi qu'il en soit, ta présence lui fera grandement plaisir. Dis-moi mon fils, as-tu pensé à notre dernière discussion?
La dernière fois que je les ai vus, il y a une semaine de cela, nous nous sommes quittés dans de mauvais termes. Le voilà venu ici, certainement envoyé par ma mère, tâter le terrain. En réponse à sa dernière question, je ris d'un ton moqueur. Comment oublier cette discussion? Ces derniers temps, j'y ai droit à chaque fois que je les vois. C'est pour cette raison d'ailleurs, qu'une distance s'est installée entre nous. Je les évite de plus en plus.
- Le mariage ? Je t'ai déjà expliqué ce que j'en pensais. Maintenant, je ne veux plus vous entendre me parler de ce sujet. Ce projet ne figure pas du tout dans mes priorités. Si un tel miracle se produit, vous seriez les premiers informés de mon mariage, dis-je en ricanant.
- Rigole, rigole ! Les responsabilités familiales te font rire. Te crois-tu au-dessus de tout cela. Combien de temps penses-tu encore jouer les tombeurs ? Voyons, tu as trente-cinq ans, quand vas-tu te réveiller ? A ton âge j'avais trois enfants enfin !
- C'était une autre époque, un autre mode de vie et surtout, un autre pays, finis-je par rétorquer.
- Qu'importe. Nous attendons de toi des petits enfants. Tu es notre seul fils!
- Vous avez déjà des petits enfants et je ne veux plus avoir ce genre de discussion avec vous. Suis-je assez clair ?
- Les enfants de ma fille ne vont pas perpétuer notre nom de famille. Ni nos traditions. C'est à toi qu'incombe ce devoir, poursuit-il tenace.
- Ce genre de rôle ne m'intéresse pas. Et même marié, je n'attacherai aucune valeur à vos traditions.
- Tu es croate. C'est dans ton sang. Tu ne peux pas renier cela. D'ailleurs, ta mère se charge de ton destin, puisque tu t'y dérobes. Elle tient à te présenter une jolie demoiselle qui sera présente lors du souper. Elle s'appelle Marijana, c'est la fille d'une amie à ta mère.
- Dosta* ! Dis-je en tapant du poing sur la table. Le silence se fit entre nous. Puis me scrutant de son regard réprobateur, mon père me dit d'un ton posé et calme, comme s'il avait à faire à un loup indomptable, prêt à bondir :
- Cela fait bien longtemps que je ne t'ai plus entendu me parler en serbo-croate. A croire que tu as complétement oublié ta langue maternelle. Je constate maintenant, que ce n'est pas le cas.
Je ne relève pas cette remarque, en me contentant simplement de lui rétorquer :
- Le destin comme tu dis, n'a pas besoin de coup de pouce de ma mère pour ce genre de chose.
- Qu'en sais-tu ? Le coup de foudre peut se présenter dans toutes les situations.
- Bah ça alors, si un jour quelqu'un m'avait dit que j'entendrais mon père me parler du coup de foudre. Je ris. Papa, si le coup de foudre se produit, crois-tu vraiment qu'elle serait croate ? Hein ? Je doute fort que le hasard provoque ce genre de coïncidences. De toute façon, je ne compte pas me marier. La monogamie, ce n'est pas pour les hommes comme moi. M'as-tu bien compris cette fois-ci ?
- Heureusement que ta pauvre mère n'est pas là pour t'entendre le dire. Se plaint-il en pensant pouvoir ainsi jouer avec ma culpabilité et m'atteindre.
- Maintenant, je te prie de bien vouloir m'excuser, mais j'ai du travail important qui m'attend. Tu me fais perdre mon temps avec ces stupidités. Pour clore ce débat, j'appuie sur le bouton afin d'appeler John.
- De toute façon, j'en ai assez entendu. Me dit mon père tout en se levant.
- A samedi papa, j'ai hâte!
Lorsque m'en père s'en va dehors, je pousse un soupir de soulagement. Depuis ce drame du passé, le mariage de leur unique fils prend des airs d'obsession. Pour mes parents, il est question de transmission.
A croire que si je ne le fais pas, cette partie marquante de ma vie partira dans l'oubli. Entraînant par la même occasion mes parents avec. Cette discussion devient dangereusement récurrente. Enfant, je subissais déjà ce genre de pression. Je pensais bêtement qu'une réussite financière les calmerait.
Je suis parti de rien, nous n'avions rien. Il semble que la villa, le chalet en Suisse ainsi que la maison en Croatie ne suffisent pas. Mes parents ont longtemps exercé une forte culpabilité affective à mon encontre.
J'en ai à présent conscience et j'y travaille. Puisque je ne réponds plus favorablement à ce qu'ils attendent de moi, je me tache à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour les satisfaire autrement. Vaine erreur.
Evidemment, mon statut et ma réussite professionnelle flattent leurs égos parentaux. Mais, tous mes efforts n'effacent en rien les exigences qu'ils ont à mon encontre. Je resterai toujours le mauvais fils... Quoi que j'entreprenne.
- Est-ce que j'ai des hallucinations ou c'est bien ton père que je viens d'apercevoir quittant le bureau? me lance John mon meilleur ami, vice-président de mon entreprise et associé dans plusieurs affaires.
- Oui mon vieux, lui-même en personne ! Répondais-je avec un sourire las.
- Putain ! Je n'y crois pas ! Qu'est-ce qu'il est venu faire ici ? Attend, ne répond pas, laisse-moi deviner : il veut que son fils chéri rentre dans les rangs, demande-t-il avec un sourire moqueur.
- Exactement, dis-je pince-sans-rire!
Mon père a raison sur un point me concernant: j'aime les femmes, les admiratrices éperdues. Celles qui passent d'agréables moments en ma compagnie sont toujours identiques.
Elles sont toutes superficielles et frivoles. Qu'elles soient noiraudes, brunes, blondes ou rousses cela m'est égal, du moment qu'elles appartiennent à la catégorie « sans engagement ».
Il n'est aucunement question de couleur de peau, de nationalité, d'origine ou de religion. Bien évidemment, ce sont de belles femmes, assumant pleinement leur féminité, leurs atouts.
La majorité d'entre elles sont matérialistes ou alors simplement débridées de toute conformité. Ainsi, elles me plaisent. Lorsqu'il n'est pas question d'amour, de promesses, la vie me semble plus simple.
Par ailleurs, aucune femme intelligente en quête de relation stable ne s'encombrerait de ma famille et de notre passé. J'ai tenté des exceptions avec ce genre de relation « dite sérieuse » mais, je n'ai fait que les rendre malheureuses.
Il m'est également arrivé de fréquenter des Demoiselles croates. Sans succès. Elles étaient certes physiquement très avantagées, mais pas à mon goût. Elles me donnaient l'impression de se rendre disponibles envers moi, pour des motivations qui vont à l'encontre de la représentation que je me fais de l'idylle.
C'est pour toutes ces raisons que je n'aspire qu'à être un homme indifférent à l'amour. Je me plais à jouer le séducteur. Les femmes sérieuses, « ce n'est pas pour moi ».
- Il n'y a que tes parents qui arrivent à t'ébranler un tant soit peu. Rien que pour cet exploit, ils ont tous mes respects, me dit John d'un air narquois.
Faux, car il y a trois mois de cela, j'ai failli me dérober à mes propres règles, pour une déesse blonde aux yeux d'or. Je n'ai jamais ressenti une telle tentation, peut-être étais-je simplement en train de faiblir ?
Non, impossible, car ce ne sont pas les femmes qui me manquent. J'ai essayé de fuir mais bon dieu, ce qu'elle était désirable. L'attrait était indubitable. J'avais d'ailleurs fait mettre à son attention un mot par le barman, devenu mon complice.
Il ne l'a pas revue, elle n'est pas revenue et ce, malgré mon billet. Par contre son amie qui d'après le serveur se prénomme Vanessa, se rend régulièrement dans mon bar. Je pourrais par l'intermédiaire de son amie essayer d'obtenir des informations sur elle, si je le souhaite.
Mais je m'en abstiens. Pourquoi ? Parce que tout mon être me crie que cette beauté fait partie de cette catégorie de femmes sérieuses dont je ne souhaite pas m'encombrer. C'est mieux ainsi, mieux pour elle.
- Allez viens, sortons d'ici ! Puis, me lançant une tape amicale dans le dos, il ajoute : je t'invite, je meurs de faim et ce soir, nous irons décompresser dans mon club l'associé. Comme d'habitude, tu sais que nos admiratrices n'attendent que nous, pour un peu de réconfort. On va leur montrer ce que valent les vrais hommes !
- Allons-y ! M'exclamais-je hilare.
* Dosta ! => Assez !
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