Partie 5
Deux portes.
Il y avait toujours au moins deux portes.
Et chaque porte était en réalité un choix que nous étions susceptibles de prendre. Seule la mauvaise foi nous faisait, quand elle se manifestait, renier l'existence de cette liberté.
C'était à travers elle qu'existait la contrainte.
A cet instant, j'étais face à deux portes.
Elles étaient en tous points similaires. — mêmes les plus petites égratignures trouvaient leur jumelles. — C'était terrible quand nous nous savions dans l'obligation de passer par l'une d'elle.
A cet instant, j'étais face à deux portes.
Mais je n'étais pas moi.
A la place, je voyais cette scène à la troisième personne.
Et... et j'étais face à mon spectre.
Je dormais probablement, mon corps plongé dans un sommeil lourd et profond, ce qui faisait que je n'avais en réalité aucune emprise sur la situation.
Je pouvais même, d'une simple rotation oculaire, voir ce qu'il se passait de l'autre côté, sans jamais pouvoir intervenir.
J'étais impuissant. Je voulais me hurler de choisir celle de droite derrière laquelle se trouvait une vision de la vie dont j'avais toujours rêvée. D'au moins me laisser l'opportunité de goûter à cette vie sans la moindre influence belliqueuse. Mais non, il avait fallu que je pose la main sur celle qui donnait accès à une salle remplie de monde. Ce n'était pas clair pour moi car je me trouvais un peu loin mais cela ne m'empêcha pas de relever l'ambiance festive. Tandis qu'un visage balafré apparut une dixième de seconde face à moi, me causant une frayeur sans pareille.
Ce spectacle prit fin quand je passais un pied dans cette salle.
Ce fut, le trou noir.
Boum boum.
J'entendais un cœur.
Boum boum.
Une manifestation de vitalité.
Boum boum.
Que ce soit la mienne ou celle d'autrui.
Boum boum.
A un rythme en catastrophe.
Boum boum.
Désordonné.
Boum boum.
C'était...
Boum boum.
... désarmant.
Boum boum.
Parce que c'était le mien.
Ou alors, ce n'était pas le mien.
Ca pulsait fort, sans cadence prédéfinie. C'était brouillon, comme si l'artiste qui avait composé cette partition l'avait laissée inachevée.
Qu'il l'avait commencée puis laissée en plan.
Me laissant me débrouiller pour me sortir de cette spirale infernale.
Ce cercle vicieux à l'issu décousue.
J'entendais mon cœur battre de plus en plus vite, frapper de plus en plus fort contre ma cage thoracique.
Si fort que j'avais peur qu'elle ne se brise.
Je sentis une goutte de sueur suinter sur mon front, sur mes tempes.
Froide, même glaciale. Elle arpentait le long de mon visage.
Mais ce fut au tour de mon corps de devoir bouger, je ne pus pas.
Mes membres étaient bloqués. Mes articulations, rouillées. Mon corps s'apparentait à de la pierre.
Seuls mes sens ne m'avaient pas été retirés.
Je pouvais écouter, percevoir et presque anticiper la présence à mes côtés. Je savais mes muscles arqués mais ils étaient inutiles dans cette situation.
Cette présence n'était pas Jungkook.
Dans cet univers alternatif, Jungkook était mort. Je ne saurais dire comment j'avais eu cette information entre les mains, mais elle m'était parvenu.
Je n'avais pas de Jungkook et cette situation, je l'avais déjà connue lors de sa perte.
Je savais qui j'allais perdre cette fois-ci. Jimin me serait retiré.
Encore.
Et alors, ce serait de ma faute. Entièrement de la mienne.
Des larmes perlaient au coin de mes paupières.
Impuissant face aux cris, aux pleurs qui provenaient de la pièce où je me trouvais.
Je savais qu'à l'issu de cette disparition, je serais le seul à blâmer, à haïr.
Et je me sentis de nouveau maître de mon corps. Comme si mon esprit avait replongé de son propre chef dans mon enveloppe charnel.
Mes yeux s'étaient instinctivement ouverts, mes poings étaient si serrés qu'il serait difficile de me faire lâcher prise.
J'avais peur.
Mon organe vital ne s'était pas calmé.
— Que s'est-il passé ? prononçai-je enfin au bout de plusieurs minutes de mutisme.
Je tournais la tête. Lentement. Je contrôlais enfin le rythme de mes mouvements, mes mouvements tout court.
Mon environnement était plongé dans l'obscurité, mais cela me rassurait.
Je n'avais pas reçu de réponse, mais je percevais la présence de Jungkook à mes côtés, de sa main que je serrais fortement dans mon poing.
— Je suis désolé, lançai-je pour m'excuser. Je ne sais pas pourquoi je...
— C'est rien, Taehyung. C'est rien, rendors-toi, me rassura Jungkook alors que je m'apprêtais à me lancer dans une explication mal brodée. On en parlera demain.
Il n'y avait aucune animosité dans sa voix. Seulement une infinie compréhension et une profonde inquiétude qui masquaient son besoin de comprendre.
Il gardait les questions pour plus tard, je le sentais.
Sa présence à mes côtés m'apaisa et me permit de replonger dans un sommeil réparateur.
Je me concentrais alors sur un seul son au milieu de ce brouhaha sourd. Mes pensées dérogèrent à la situation extérieure. Mes neurones s'axant sur une seule note dans ce capharnaüm. Je faisais de mon mieux pour exclure les bruits parasites et me centralisais sur la respiration douce de Jungkook qui se rendormait paisiblement.
Mon souffle devint paisible, mon rythme cardiaque moins effréné, la moiteur quittant mon corps, je rejoignis de nouveau les bras de Morphée.
Ce matin-là, ce fut une discussion qui me réveilla. Elle provenait du salon et ses brides se faufilaient par la petite ouverture que Jungkook avait sûrement laissée en s'en allant.
Je me remémorai cette nuit, puis la veille. De cet étrange rêve et de cette paralysie du sommeil. De Jungkook qui m'avait aidé par sa simple présence et de l'inquiétude que j'avais pu lire dans ses yeux. Etait-ce pour cette raison qu'il ne m'avait pas laissé complètement seul dans la chambre ? Puis le retour de Jimin me revint en mémoire parvenant à prendre le dessus sur tout le reste qui ne comptait pas.
Jimin était là. Ce n'était pas un rêve, n'est-ce pas ?
C'était bien trop réel pour n'être que le fruit de mon imagination.
Je posais un pied sur le sol et me dirigeais discrètement vers la source de la discussion.
Le premier que j'aperçus fut Jungkook, face à moi, le regard dirigé vers le canapé face à lui. Il avait les cheveux ébouriffés et les jambes croisées sur le siège. Il s'était levé il y a peu. Ainsi posé, il ressemblait davantage au petit garçon que j'avais vu le premier jour.
Quand il me vit à son tour, il me sourit légèrement sans pour autant s'écarter de la discussion. Tout en continuant de parler, il se leva pour déplacer son fauteuil pour en placer un autre à côté. Pour moi.
Je m'y installais alors volontiers et jetai un regard reconnaissant sur Jimin. Celui-ci s'était d'une certaine manière emmitouflé dans les bras d'Hoseok.
— Vous parliez de quoi ? demandais-je sans savoir si je voulais réellement couper court à leur précédent échange.
Mon attention était totalement focalisée sur Jimin. Ses lèvres qui se mouvaient au rythme de ses mots, son regard si différent, ses mimiques inchangées.
Il avait changé tout en restant le même.
Cette discussion se passa ainsi. Hoseok qui couvait celui que j'appris être son petit-ami d'un regard amoureux, Jungkook qui redémarrait la conversation par une anecdote ou une plaisanterie, qui s'était peu à peu rapproché de moi physiquement allant jusqu'à coller nos cuisses, comme la veille, mais cette fois, cela ne me dérangea pas le moins du monde, et moi, je ne savais pas réellement où me placer. Comme celui qui avait retrouvé son frère ou celui qui avait vu son cœur s'embraser alors même qu'il croyait son organe vital mort ? Les deux probablement.
Les semaines passèrent très très vite par la suite. Cependant elles étaient passées suffisamment lentement pour qu'une routine puisse s'installer.
Il y avait eu maintes et maintes discussions comme celle que nous avions eu à quatre. Parfois nous étions trois et il arrivait même que Seokjin ou Yoongi s'incrustent.
Une ambiance amicale avait vu le jour. Amicale voire familiale.
Cependant, il ne fallait pas oublier ce cadre belliqueux qui nous avait emmené à ce stade. Je ne pouvais pas dire que j'étais reconnaissant envers cet environnement qui m'avait été imposé, parce que c'était ce qui m'avait arraché Jimin. Les retrouvailles, quant-à-elles, je ne les devais qu'à mon propre entêtement.
Il ne fallait pas oublier qu'aussi onéreux ce cadre semblait être, il n'était en réalité qu'une bulle que mon inconscient, que nos inconscients, avait créé.
Et ce fut Jungkook qui l'éclata.
Minjae ne peut pas me voir avec toi, m'avait-il rappelé.
Nous ne pouvons pas être vus ensemble. Surtout pas par Minjae, avait-il poursuivi.
Taehyung... tu sais que tu ne pourras pas tout avoir, avait-il conclu, comme pour m'achever.
Mal.
Comme s'il avait enfoncé une dague dans mon cœur.
Ces mots, il les avait prononcés la veille. Ou l'avant veille. Peut-être encore avant. Je ne savais plus. Je ne voulais pas savoir depuis combien de jours je n'avais pas été en mesure de regarder Jungkook. Lui parler me semblait abstrait à ce moment-là, rien qu'avoir le privilège de lire dans son regard sans avoir à me confronter à son indifférence me paraissait irréalisable.
A la place, j'avais presque déménager chez Namjoon, certain que cette méthode serait la plus efficace pour ne pas avoir à confronter ses expressions vides d'affection à mon égard.
A la place, j'occupais mon esprit, réduisais mes neurones en esclavages afin qu'ils organisent tout sans me laisser l'opportunité ne serait-ce que d'aligner les lettres de son prénom.
A la place, j'avais renoncé à la compagnie de Jimin. Il... il me manquait horriblement. Je n'étais pas parvenu à rattraper le temps perdu avec. Mais je ne pouvais me résoudre à esseuler Jungkook.
La solitude était le pire des châtiments.
J'étais capable de surmonter cette épreuve seul. Toute ma vie, je n'avais jamais pu que compter sur ma propre paire d'épaules.
Toute ma vie, j'avais appris à me débrouiller seul.
Et alors qu'enfin j'acceptais de céder une part de ce poids à celui qui partagerait une partie de ma vie, on me faisait comprendre que ce n'était pas possible.
Voué à la damnation éternelle, je semblais faire partie de ce cercle plus ou moins restreints d'amants maudits. Aimant et aimé en retour, je n'avais cependant pas le droit d'entretenir ce sentiment réciproque. Fidèle à la pièce de Shakespeare, il ne m'était pourtant pas permis de choisir. L'amour ou le pouvoir. La paix accompagnait le pouvoir tandis que l'amour venait avec l'égoïsme.
C'était injuste mais c'était ainsi.
C'était comme l'amour et l'argent.
L'un et l'autre n'était pas compatible. Un homme ne pouvait de son vivant se voir acquérir ces deux attributs à lui seul.
Tout comme Achille dut renoncer à Hélène pour accéder à la mémoire immortelle.
Voué à la damnation éternelle face à ce dilemme à l'issue équivoque, je n'avais jamais plus détesté qu'en cet instant ce qui m'avait permis de me hausser au rang auquel j'appartenais. Ce dilemme duquel l'issue ne semblait jamais être la bonne quel que soit le chemin que je choisissais d'emprunter.
Une voie sans issue.
Un labyrinthe de cul-de-sac.
Un espoir mort-né.
Mon travail acharné paya.
Il ne m'avait pas fallu plus de deux semaines pour parvenir à organiser cette soirée.
Ce bal.
Deux semaines durant lesquelles je n'avais pas pu poser mes yeux sur Jungkook.
Deux semaines qu'il m'appelait sans cesse dans mes songes. Alors, pour lui échapper, je ne dormais plus et mangeais à peine.
Mais une fois encore, je m'en étais sorti seul.
Tout combat, victorieux ou non, s'accompagnait inexorablement d'égratignures. On ne pouvait pas se déclarer apte à mener si on n'était pas prêt à faire quelques sacrifices.
Alors, c'était ce que je devais faire.
Pour briser la routine belliqueuse qui s'était installée entre les Kim et les Park, je me devais de sacrifier ma personne au profit de la paix qui règnerait.
Voilà.
Savoir que plus aucun enfant ne serait jamais plus impliqué dans ces conflits, qu'aucun enfant ne serait jamais plus kidnappé, arraché à sa famille pour satisfaire un quelconque égo m'aidait à me rappeler du but de ma décision.
— Tu bosses encore ? me questionna Namjoon alors qu'il rentrait de je ne savais où.
— Oui, j'ai bientôt fini, lui répondis-je mécaniquement.
Depuis que je tentais de taire mon cœur, je n'étais rien de plus que ce qu'était une machine.
Sans émotion de quelle manière pouvions-nous nous différencier des machines ?
Une main referma le carnet dans lequel j'étais actuellement en train de griffonner.
— Putain mais Nam, j'ai pas fini.
— Taehyung. Ca fait des soirs que je vois que tu veilles. Des jours que tu refuses de mentir. Regarde-toi. Je te demande pas d'être chaque jour sur ton 31 mais tu pues et deviens irritable. Alors fais-moi plaisir et va prendre soin de toi avant que je décide de te mettre à la porte.
Je décollais mon postérieur de la chaise contre mon gré.
Je me regardais dans la glace, Namjoon n'avait pas tort, je m'étais négligé. J'avais souvent passé l'esthétisme au second plan mais jamais à ce point.
Je m'observais.
Des cernes. Des joues creusées. Un teint cadavérique.
Comment voudrais-tu que Jungkook veuille de toi, t'as vu à quoi tu ressembles, même ?
Tu es pathétique.
Pathétique.
Pathétique.
Même tes propres parents n'ont pas voulu de toi.
Foutue conscience.
Tu sais que j'ai raison.
Seul au moins tu risques de blesser personne.
Je sentais mon souffle s'emballer. Mon cœur s'emballer comme s'il allait s'échapper de ma poitrine. Des larmes perler au coin de mes yeux.
Mes mains vinrent instinctivement attraper des mèches de cheveux entre leurs doigts.
Je tirai.
Tirai.
Tirai.
Mais je n'avais même plus la force de m'auto-saboter.
J'abandonnais alors et pris le temps de me doucher. Et j'allais enfin me coucher.
— Namjoon, il faut que j'aille avec toi. Préviens Seokjin, Yoongi et Jimin que j'ai à leur parler.
— Pourquoi ?
— Dis leur juste que c'est une bonne nouvelle.
— D'accord.
Quelques heures plus tard, j'attendais aux côtés de Namjoon l'arrivée de ceux dont j'ai quémandé la présence.
Comme l'exigeait le protocole, Seokjin entra en premier suivit par Yoongi. Puis ce fut au tour de Jimin et Hoseok. Pour ce point-ci, le règlement ne prévoyait rien pour le statut des frères disparus puis retrouvés. Enfin, la file s'acheva sur les pas de Jungkook.
Jungkook.
Jungkook est là.
— Bien, je vais laisser la parole à Taehyung, il a à vous parler, m'introduisit Namjoon.
Tous dardaient leurs regards curieux sur moi mais seul celui de Jungkook savait accaparer mon attention.
— La paix règnera à partir de la semaine prochaine, dis-je simplement.
Et lui aura tout le loisir de te tourner le dos.
— J'ai passé ces dernières semaines à planifier un bal durant lequel Minjae devra signer un armistice, précisai-je face à leurs airs dubitatifs.
Jungkook, regarde-moi et dis-moi que tu m'aimes encore.
Mais je n'eus le droit qu'à son indifférence, exactement comme je l'avais prédit.
Le jour J arriva.
C'était à moi d'accueillir Minjae au bras de ma compagne de la soirée. Je crois qu'elle s'appelait Lee Jieun. Mais je n'en avais que faire.
Je tentais de garder un sourire sur mes lèvres. Ou du moins une expression pas trop psychorigide.
Je ne savais pas quelle mouche m'avait piqué mais cette dernière semaine, j'avais décidé de ne pas me laisser aller. J'avais décidé de prendre soin de moi, de faire disparaître le moi qui avait pris le dessus lors de cette guerre. De faire dormir cette personnalité négligée pour réveiller le petit garçon rêveur et propre sur lui que j'avais été.
Ce petit garçon était peut-être mort mais il existait toujours une manière de le faire renaître.
Parce que j'avais toujours voulu être un phénix. Mourir pour renaître de ses cendres plus beau que jamais.
Et mes efforts avaient payé.
Manger et me doucher sans oublier d'avoir un sommeil suffisant m'avaient permis de virer ce teint pâle pour mon teint halé que j'avais presque oublié tant il avait été enseveli sous ces couches de poussière. Dépoussiérer m'avait permis de retrouver ma vitalité perdue, celle que j'avais effleurée aux côté de Jungkook.
— Taehyung, nous y allons, m'apostropha Namjoon depuis l'entrée de son appartement.
Nous étions tous les deux vêtus de nos costumes. J'avais pris soin de les défroisser au mieux.
Namjoon avait eu la larme à l'œil lorsque je lui avais formulé l'envie de partir à la fin du bal. Je ne voulais plus jamais remettre ne serait-ce que le petit orteil sur un champ de bataille.
J'étais un rêveur, j'avais besoin de voir du monde, d'autres paysages que ceux qui avaient abrité la mort sous leurs ailes.
— J'arrive, installe toi.
Je n'arrivais cependant pas à me dire que c'était fini. Que j'allais quitter cet endroit. Même quand je rassemblais petit à petit mes affaires. Même quand j'avais donné mes bagages à un bagagiste qui ne me les rendrait qu'à la fin de la soirée.
Je n'étais même pas un homme quand j'avais rencontré Namjoon, je n'avais que 22 ans et lui 25. Si ces trois ans pouvaient paraître insignifiants, au stade auquel nous étions rendus, ils étaient beaucoup. Aujourd'hui à 26 ans je ne saurais dire si j'étais adulte. Parce que je me sentais à la fois vieillard et nourrisson. Un entre-deux dangereux.
Sans aucune précipitation.
Je pouvais marcher avec délicatesse, je n'avais aucune raison de me presser.
Je n'avais pas besoin de veiller à ne rien oublier.
Je pris simplement ma veste et mon parapluie et je quittais l'habitacle une bonne fois pour toutes.
C'était la fin d'un chapitre et le début d'un autre.
Mieux.
C'était la fin du volume un et le commencement du suivant.
Ce changement apportait avec lui tant d'appréhension que j'en avais peur.
Peur du renouveau, peur que rien ne change.
Peur que ça ne me plaise pas, que tout soit vain et que ma vie ne soit destinée à n'être qu'un cercle vicieux.
Il faut oser ou se résigner à tout, me répétai-je.
Allez, il était temps, Namjoon m'attendait.
Je regardais cette œuvre devant mes yeux. Ce château dans lequel nous allions passer la fin de la soirée. Ce monument qui avait survécu aux assauts. Il s'en était mieux sorti que certains d'entre nous.
J'avais fait installer les portraits de mes confrères morts au combat. Ils sillonnaient l'allée principale et indiquaient le chemin aux invités.
Je regardais Namjoon tandis que lui me couvait d'un regard fier, lourd de sens.
— Taehyung, tu as tellement grandi.
Je ne savais que répondre à ces mots.
— Tu sais, la guerre mais surtout le pouvoir monte à la tête de certain. Change les gens. Mais toi, je vois toujours en toi le jeune homme qui m'a été confié il y a quelques années.
Il me prit dans ses bras, son étreinte était presque paternelle. Il n'avait jamais agi de cette manière avec moi.
— Entre, ta cavalière t'y attend déjà.
Lee Jieun était en réalité celle qui m'avait été promise il y a de cela des années.
Veuve, elle avait déjà lié sa vie à un autre. Cet autre homme dont le portrait habillait l'entrée.
Elle avait connu l'amour véritable, bref mais intense.
Elle avait été libre de faire le choix du cœur avant que le destin ne la rattrape.
— Madame, la saluai-je en lui offrant un baise-main.
Celle-ci tint les pans de sa robe avait de se baisser légèrement.
Je lui offris ma main et nous nous dirigeâmes enfin vers la salle de réception.
Tout était splendide.
Tout respirait la richesse et le confort.
Les lustres en cristaux, les mets onéreux, les musiciens.
Cela m'énervait au plus haut point que ce budget ne soit pas accordé au matériel de guerre.
Nous visitâmes simplement le bâtiment pour nous rendre compte de sa magnificence. Je repérai chaque détail. Des moulures au plafond au nombre de chambres que chacun pourrait occuper.
Amis et ennemis allaient cohabiter et j'osais simplement espérer que cela se passerait bien. L'alcool devant aider à délier les langues, à effacer les horreurs qu'avait engendré la guerre.
Nous continuâmes d'avancer Jieun et moi. Je contemplais chaque détail pour les graver dans ma mémoire. J'avais peur que ce ne soit que la création d'une autre bulle comme celle dans laquelle j'avais été plongé avec Jungkook le temps de quelques semaines à peine. J'avais peur qu'un barbare ne vienne l'éclater d'une simple pichenette. Alors pour être sûr que tout ne soit pas que mirage, j'inscrivis l'intégralité des imperfections dans ma mémoire pour être paré à chaque éventualité. Pour prédire n'importe quoi, que cet incident soit de l'ordre de la joie ou de la tristesse, de la justice ou de l'injustice, qu'il ne débarque pas comme un chat sauvage dans un appartement.
— Allons prendre l'air, ils ne vont pas tarder, dis-je à l'intention de ma compagne.
Je ne savais pas de quelle manière je devais réagir étant donné que je n'étais pas de ce bord. Par chance j'avais affaire à une femme de caractère qui n'attendait pas que je lui énonce chaque ordre mais qui me tira plutôt d'elle-même vers le balcon le plus proche.
Nous nous accoudâmes sur le bord en pierre, le regard en direction du firmament. Les étoiles brillaient dans une harmonie. Elles scintillaient comme si elles n'auraient plus l'occasion de le faire le lendemain. Elles savaient mieux que quiconque prendre en main l'éphémérité de leur existence afin d'en savourer chaque seconde pour la rendre unique.
Il n'y avait aucun parasite qui obstruait cette vision du ciel, me laissant le loisir de décortiquer selon mon envie les différentes constellations. Elles s'étaient toutes réunies autour de ce croissant de lune.
Je n'y décryptais aucune animosité. Aucune de ces entités ne se sentaient contrainte de briller plus fort que d'autres. Elles ne se faisaient nullement de l'ombre. Elles se savaient exister et connaissaient leur propre valeur.
C'était peut-être pour cette précise raison que nous envoyions nos défunts êtres aimés au ciel avec la croyance selon laquelle ils rejoindraient les étoiles.
Parce que ce qu'il se passait là-haut s'apparentait à une utopie dont le firmament seul avait le secret.
— J'aime observer le ciel de nuit, me confia Jieun, j'ai l'impression que le manteau de Nyx me protégera de tout parce que Junho me surveille de là où il est.
Junho, son défunt mari. Cet homme venait, sans le vouloir, de confirmer mon hypothèse.
— Moi aussi, lui répondis-je. Moi aussi j'aime le ciel de nuit. Le soleil n'est pas là pour masquer tout ce que l'homme humain ne veut pas voir. De fou, tout est plus translucide, comme si le ciel était dans un état d'ivresse.
— C'est vrai.
Jieun était elle aussi appuyée contre la rambarde. Je n'avais jamais pris la peine de l'observer de près. C'était vraiment une belle femme que j'étais fier d'arborer à mon bras.
— Tu sais... même si on ne se connaît pas, je connais Junho. Enfin, j'ai connu Junho... Et j'ai toujours voulu te remercier d'être la source de ce sourire collé à son visage.
Je fixais désormais le ciel, comme s'il pouvait m'entendre.
— Il parlait toujours de toi avec un immense sourire aux lèvres. Quelque part, je crois que je l'ai toujours envié d'avoir quelqu'un qui tenait réellement à lui.
Je sentais son regard à elle sur moi.
— C'était mon premier ami avec Seokjin et Yoongi. Il était toujours super tendre avec nous.
Je la regardais de nouveau. A la clarté de la lune, je voyais des larmes perler aux coins de ses yeux.
— Ne pleure pas, Jieun, il n'aurait pas aimé nous voir pleurer pour lui. Rions maintenant qu'il ne le peut plus, d'accord ? lui dis-je en déposant un baiser sur son front. Allons-y, la fête va bientôt commencer.
De son avant-bras, elle enleva la moindre trace de larme.
Je faisais des tours de la salle principale avec Jieun après avoir accueilli chacun des invités afin de les remercier de leurs présences ici. Je m'en voulais de la traîner au centre de l'attention avec moi.
Jungkook était discret. Il avait une femme à son bras et restait aux côtés de Jimin et Hoseok.
Je ne savais pas détacher mon regard de sa figure. C'était physiquement pas possible. Mes yeux devaient se poser sur lui. Je n'avais pas le choix.
Je veillais sur lui. Je veillais sur lui sans pouvoir m'en empêcher. Je veillais sur lui comme si nous avions passé un accord, un accord tacite.
Aimer amenait quelqu'un à donner sa loyauté, à ne vouloir que son bien, à ne cesser de garder un œil sur l'autre quand bien même tout autour s'était écroulé.
Aimer c'était un début sans la fin.
Aimer c'était oser. Oser et se perdre, parfois. Oser et gagner, d'autres fois. Oser et recommencer.
Aimer c'était accepter.
Aimer c'était agir.
— Rejoins-le, me souffla Jieun.
— Comment ?
— Rejoins-le, répéta-t-elle. Je te vois le dévorer des yeux depuis tout à l'heure. Va.
— Et toi ? Je ne peux pas te laisser seule.
— Va, je m'en sortirai très bien. Et puis, il te faut bien quelqu'un pour s'occuper de Yuna, me dit-elle avec un clin d'œil.
Je compris rapidement qu'elle parlait de la compagne de Jungkook.
Je me détachais alors de Jieun et partis dans une direction totalement aléatoire. J'avais perdu Jungkook du regard. C'était difficile de trouver un costume noir au milieu de costumes noirs.
Pourquoi n'y avait-il que les femmes qui savaient s'apprêter de sorte à être reconnaissable ?
Je tentais de me creuser les méninges pour retrouver la couleur de la robe de sa cavalière. Impossible. Je n'avais d'yeux que pour ce visage poupin.
Des éclats de voix parvinrent à mes oreilles.
Une engueulade.
Je suivis ce brouhaha. J'arrivais dans un couloir sans issue.
Jungkook.
Je l'avais trouvé.
Il était acculé contre le mur, son regard intense était empreint de peur. Il m'avait vu et me suppliait de partir, je reconnaissais ce regard, c'était le même que Junho m'avait adressé.
Un autre homme le tenait par la gorge. Je voyais son biceps contracté et les pieds de Jungkook ne touchaient plus le sol.
Minjae, me souffla ma conscience.
— Lâche le, ordonnais-je aussitôt arrivé.
Minjae se retourna au son de ma voix et me dévisagea.
— Que veux-tu ? m'agressa-t-il.
— Que tu le lâches, Minjae, rétorquais-je calmement.
Il n'y avait pas de raison à ce que je m'emporte.
Il le lâcha. Il savait qui j'étais.
— Tu sais qui il est au moins, Taehyung ?
— Parfaitement. Maintenant, hors de ma vue, veux-tu ?
Je sentais ma patience me quitter peu à peu.
Je n'avais qu'une envie, savoir comment Jungkook allait.
Par chance, il s'en était allé. Sûrement par peur que je suspende ma proposition m'armistice.
— Tu es venu... soufflais-je. Je pensais pas que tu prendrais le risque de croiser Minjae.
— Je voulais te voir... avoua-t-il.
Je pris son visage en coupe et fixais ses lèvres. Je pensais m'être totalement décroché de cette obsession mais ce ne fut pas le cas. Jungkook capta mon regard et de lui-même réduisit les derniers centimètres qui nous séparait m'offrant enfin cette bouffée d'air frais en me volant mon oxygène.
— Putain, tu m'as manqué Jungkook, dis-je entre deux baisers fiévreux.
Ce manège continua encore plusieurs minutes et j'aurais aimé que ces minutes-ci s'étirent en petites portions d'éternité.
Mais nous dûmes nous arrêter quand la voix de Namjoon résonna dans tout le bâtiment conviant tout le monde à assister à la signature de la fin de la guerre. A l'ouverture d'une nouvelle ère, celle de la paix.
Je menais Jungkook à ma suite. J'étais obligé d'y assister. Sur le chemin je croisais Jieun qui m'adressa un sourire complice en voyant mes doigts liés à ceux de mon amant.
— Merci, lui chuchotais-je du bout des lèvres.
Une table avait été érigée au milieu de la salle de bal. Minjae et Namjoon se tenaient tous les deux l'un à côté de l'autre.
— Bien, maintenant que j'ai votre attention, s'exclama Namjoon, j'aimerais que vous fassiez le silence pour honorer cette paix nouvelle ainsi que tous ceux qui ont perdu la vie en protégeant leur patrie.
Je voyais que Minjae serrait ses poings, son regard fixé sur ma main toujours liée avec celle de Jungkook. Il bouillonnait presque.
Namjoon me tendit une plume et en fit de même avec mon vis-à-vis.
— Il est temps pour Kim Taehyung, ou celui à qui nous devons l'existence de ce traité, d'apposer sa signature sur ce document.
Je voyais Minjae lever les yeux au ciel suite à l'annonce de Namjoon.
— Maintenant, Park Minjae, promettez-vous d'honorer ce traité dès votre signature apposée ?
— Je le promets, dit-il, contre son gré.
Il signa et les applaudissement s'élevèrent.
La paix régnait enfin.
Je passais mon bras derrière le dos de Jungkook pour ouvrir le bal.
Je me sentais à ma place.
— Félicitations mon frère, entendis-je à mon oreille.
C'était Jimin, aux bras d'Hoseok. Ces deux-là tourbillonnaient tout autour de nous. Ils étaient au moins aussi heureux que je l'étais actuellement.
Comme quoi, contre toute attente, il était possible de combiner amour et pouvoir. A condition de s'en servir et de les allier correctement.
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