Partie 3
Je ne savais pas combien de temps nous avions passé dans cette chambre à parler. Je lui faisais parler tandis qu'il ne me lâchait les informations que par brides. C'en devenait presque lassant.
Mais au bout de ce qui semblait être plusieurs heures, j'en savais suffisamment. Il avait confirmé chacune des informations dont je disposais et les avait même précisé.
— Tu peux changer ton pansement seul ou tu as besoin de moi ?
Il baissa son regard sur ce pansement qui me semblait plutôt propre et me demanda si c'était vraiment nécessaire de le changer.
Il cicatrisait vite.
C'était bien.
— Fais le pour moi, finit-il par abdiquer.
J'avais besoin qu'il se tienne debout face à moi, ce serait plus simple si j'étais celui qui se plaçait en contre-plongée par rapport à l'autre.
— Bien, j'ai réuni tout ce dont j'ai besoin ici. J'ose espérer que tu aies fait le nécessaire pour que rien ne bouge.
Je défis le premier bandage. J'avais terriblement envie d'enserrer cette taille de mes mains. Mais je restais concentré et exécutais ma tâche sans trop réfléchir.
Quand je frôlais sa peau de ma paume, je sentais que sa respiration s'accélérait.
— Tout va bien ? lui demandai-je quand tout fut enlevé.
J'imbibais un coton de désinfectant et l'appliquais tout autour des fils. Je pouvais bien nettoyer cette fois, la dernière n'étant pas particulièrement fructueuse.
Il se crispa sous mes doigts à cause de la fraîcheur du produit.
Je retenais ma respiration pour ne pas lui montrer à quel point j'avais envie qu'il se serve de mon corps à ma guise.
Taehyung purée, reste concentré.
Mais comment le pouvais-je alors que j'avais face à mes yeux son corps si harmonieux ? Que d'un mouvement habile du poignet je pouvais l'empoigner totalement ? Que d'une simple pression, je pouvais lui soutirer des sons qui n'apparaissaient que dans les moments les plus vulnérables ?
— Tiens ce bout de bandage.
Il s'exécuta après mon ordre. C'était presque jouissif.
J'enroulais sa taille entre ces morceaux de tissu.
Quand il sera rétabli Tae, tu pourras en faire ce que tu veux.
Jungkook n'avait pas prononcé un seul mot jusqu'à ce que je finisse. Il avait peut-être gardé le regard fixé sur le sommet de mon crâne, ou alors avait-il choisi de le perdre au loin.
Quoi qu'il se soit passé, quand je me relevais enfin sur mes deux jambes, Jungkook m'attrapa par les bras.
— Il faut que tu songes à penser moins fort, Kim Taehyung, me sussura-t-il au creux de l'oreille.
Son souffle ricochait sur ma joue et rebondissait à la manière d'un écho dans mon cerveau.
— Parce que je vais finir par ne plus tenir. Et dieu sait à quel point je n'ai pas envie de refaire sauter ces putains de fils de mes deux.
Ils m'énervaient.
— Qui t'a tiré dessus ?
— Minjae.
S'il se présentait à moi, je pense que je n'hésiterais pas à appuyer sur la gâchette pour lui ôter la vie. Moi qui détestais cela plus que quiconque étais prêt à le faire.
Un comble.
— Mais tu sais quoi, Kim, tu sais ce que je peux faire, en attendant ?
Je sentais la tension sexuelle entre nos deux figures qui ne s'amenuisait pas. Elle grandissait encore et encore, éclatant d'un geste agile la frustration de ne pas pouvoir laisser nos envies aller.
— Taehyung, c'est à ton tour de me répondre. Tu sais ce que je peux faire à défaut de ne pas pouvoir te donner ce que tu mérites ?
Il me tenait toujours par les deux bras.
Je secouais la tête, m'étant transformé en poupée de tissu.
J'avais l'impression d'être redevenu soul.
J'avais l'impression de ne plus être en capacité de parler ni de bouger.
— Réponds-moi Taehyung, me hâta Jungkook.
— Non... non je ne sais pas, finis-je par dire.
— Laisse-moi te montrer alors.
Je le laissais me guider jusqu'au lit sur lequel je m'assis assez naturellement. Jungkook bougea mais j'avais l'impression qu'il souhaitait que je reste assis sans effectuer la moindre rotation.
Je le savais dans mon dos mais je ne pouvais anticiper aucun de ses gestes. Je sursautais presque quand son deux mains se posèrent sur mes épaules.
Pourquoi alors que j'avais toutes les raisons de le détester, mon corps ne pensait qu'au sien sur moi ?
— Depuis quand penses-tu à mon corps ? me demanda Jungkook en interrompant le silence.
Il me força à me tourner face à lui. J'étais assis en tailleur mais lui se tenait sur les genoux.
— Jungkook, embrasse-moi, lui intimai-je sans répondre à son interrogation.
— Alors réponds-moi.
Pris au piège, je ne savais que faire.
Je fixai ces demis lunes qui semblaient m'appeler. Puis, je repensais à mon ego. Valaient-elles le prix que me couterait de mettre ma fierté de côté ?
Comme un prédateur tournait autour de sa proie, Jungkook rapprocha son visage du mien. Son nez frôlait le mien et il aura suffi que ma main exerce une simple pression sur son menton pour que je puisse accéder à l'objet de mes désirs.
Je faillis déconnecter quand il pivota son port de tête sur le côté et que son souffle se répercuta sur ma nuque. Il s'approchait dangereusement de mon épiderme.
— Vas-tu me répondre, me redemanda-t-il en orientant sa voix dans mon oreille.
— Cesse ton jeu putain.
— Taehyung, dois-je te rappeler que nous sommes deux à jouer. Il me semble que tu aimes jouer selon tes propres règles.
Je me rappelais très exactement du jour où j'avais inscrit ces mots dans mon journal.
— Alors vas-y, trouve un moyen de tricher. Mais fais attention, je suis peut-être intransigeant envers les malotrus.
— Je tue des gens, Jeon Jungkook.
— Alors essaie de me tuer. Qui sait, peut-être que c'est la combinaison gagnante.
Quand je me relevais subitement, je lus l'interrogation sur son visage. Il était vrai que nous étions deux à jouer à ce jeu tordu. Mais nous jouions non seulement à deux mais nous étions aussi deux à faire les règles de ce jeu malsain.
Je retournais du côté du mur, finalement déterminé à ne pas me laisser geindre auprès de lui. De nouveau dos à lui, je pouvais cependant entendre le matelas se froisser puis se remettre à sa place. Il bougeait.
Probablement vers moi.
— Tu as décidé de jouer selon mes règles, Jungkook ?
Il était entré tout droit dans le piège que je lui avais concocté. Dans ce monde où la proie devenait le prédateur et dans lequel le prédateur se faisait chasser.
Il replaça ses mains sur mes épaules. Désormais, ses coudes me touchaient tandis que ses doigts s'étaient croisés sous mon menton. S'il décidait de rejoindre ses paumes, il déciderait aussi du flux d'oxygène qui passait dans ma gorge.
— Que fais-tu, Jungkook.
Je m'échappais de son emprise mais il fut plus malin que moi. A peine m'étais-je retrouvé face à Jungkook que celui-ci me força à me reculer jusqu'à ce que mon dos se retrouve totalement contre le mur. Pris au piège dans l'étau que ses bras contre le mur formaient, j'attendais.
— Alors Jungkook, que vas-tu faire ? Ne vois-tu pas que je suis tout à toi. Que tu peux faire ce que tu veux de moi.
Me fixant simplement de ses yeux, ceux-ci sondait mon âme à la recherche du dernier péché. Ce n'était pas bien compliqué. S'il s'affairait correctement à la tâche, il ne verrait que son faciès et son corps dans le moindre recoin de mon cerveau.
Ni l'un ni l'autre ne prononça la moindre syllabe.
Jungkook abaissa simplement un de ses bras à proximité de l'une de mes hanches et d'un geste habile souleva le pan de mon t-shirt.
Quand il saisit l'autre côté de mon habit, il gardait ses yeux ancrés dans les miens comme pour me prévenir qu'au moindre faux-pas, il me sauterait dessus.
— Lève les bras.
Il me défit totalement de mon t-shirt.
Je reproduisis les exacts même mouvements que lui. Offrant de nouveau à mes pupilles cette vision qui ne leur déplaisaient pas.
— Allonge-toi sur le lit, m'ordonna-t-il plus précipitamment cette fois. Laisse tes jambes pendre dans le vide.
Il n'y avait pas plus excitant qu'un homme qui savait ce qu'il voulait. Je savais ce que je voulais mais toujours était-il que lui aussi savait ce qu'il voulait.
— Fais attention avec ton pansement, lui rappelai quand mon cerveau me rappela la douleur que j'avais vue dans son regard.
Il ne me répondit pas. A la place, il s'agenouilla entre mes jambes et d'un seul et même mouvement me débarrassa des derniers morceaux de tissu qui protégeaient ma nudité.
Je le regardais faire. J'étais conscient de chaque muscle qu'il faisait rouler quand il se releva. Mon corps entier était en alerte.
J'étais nu et vulnérable sous son corps, sous ses yeux.
Finalement, ce fut en se soutenant sur un bras, que de l'autre, il attrapa fermement mon menton. De cette manière et d'aucune autre, il décida de m'accorder ce baiser que je lui avais si piteusement quémandé.
Précipité.
Brutal.
Animal.
Autant que je le faisais, Jungkook maltraitait mes lèvres, ma langue de ses dents.
Quand il me sentit à bout de souffle, il se retira, haletant.
Sa main descendit de mon menton, son doigt traça la ligne de ma carotide, exprimant de cette manière que la moindre force exercée pouvait me blesser, par la suite, la pulpe de son index dessina la forme de ma clavicule avant d'atterrir dans la ligne de mes abdominaux. Finalement, il saisit l'entièreté de mon membre dans son poing.
Mon corps répondit à ce geste. Il se cambra, me rapprochant de son corps.
— Putain, jurai-je.
Seul son regard assassin me répondit tandis que sa main ne taisait pas ses allers-retours. J'enfonçais ma tête dans le matelas tandis que j'essayais de rompre la fente de mes lèvres en les pinçant entre elles.
— Jungkook, pitié, l'implorai-je.
Je ne saurais dire, au vu de l'état actuel de mon corps, si j'en demandais plus ou moins.
En réponse à ma supplication, Jungkook éloigna sa main de mon corps, de sorte à ce qu'il n'y ait plus aucun contact entre lui et moi.
Son absence se faisait bien plus remarquable que sa présence.
— Jungkook, soupirai-je.
Et je perdis à nouveau la tête quand de ses dents, il maltraita sévèrement le bout de ma verge avant de la faire disparaître en entier dans sa cavité buccale.
Cette fois, pincer mes lèvres ne suffisait plus à taire ce que son expertise me procurait.
— Jungkook, répétais-je en boucle.
Imprévisible.
C'était imprévisible.
Je le sentais accélérer puis décélérer. Je le sentais bouger puis s'arrêter.
Je m'y réfléchis pas à deux fois quand son doigt se présenta à la commissure de mes lèvres.
Non, je l'engloutis simplement. Pour lui donner un avant-goût de ce qui l'attendait par la suite.
Goulument.
Quand enfin il l'extirpa, je le sentis quelques secondes plus tard dans le sillon que mes deux globes fessiers avaient creusé.
Il n'en fallut pas plus pour quoi je jouisse.
Fortement.
En criant son nom sans la moindre forme de tabou.
— Jungkook, achevais-je, essoufflé.
Ce traître me regardait en souriant. Il était fier de ce qu'il avait fait.
Ce jeu de regard dura. Lui dans mes yeux. Moi dans les siens.
Une autre règle venait de voir le jour.
Nous jouions à celui qui abaisserait les paupières en premier.
Son regard traduisait toute la malice dont il pouvait faire preuve. Aucune once de peur ou d'appréhension.
Il semblait prêt à tout avec moi. Alors il s'autorisait à demeurer de marbre.
Le mien, quant à lui, n'était plus que vulnérabilité.
Jungkook me surplombait toujours de son corps. Ma nudité contrastait avec tout ce tissu qu'il portait sur son dos.
— Jungkook.
Le son de ma voix le fit sursauter et il ne me fallut pas plus que cet instant de stupeur pour l'attraper par les hanches et échanger nos positions.
C'était mon tour de t'apprivoiser, Jungkook.
Je n'étais pas comme lui. S'il était nuancé et patient. Je le voulais docile. Je l'avais été avec lui. Maintenant, je pouvais lui montrer à quel point j'étais impatient.
Bestial.
A quel point mon instinct primaire me contrôlait.
Je le regardais d'un regard si intense qu'un œil extérieur aurait pu me penser en train de dénuder cet être.
En réalité, il ne serait pas si loin de la vérité. Je songeais au nombre de couches que je lui avais fait enfiler, et au temps que ça prendra de les retirer malicieusement contre celui que je gagnerais en les arrachant violemment.
— Fais quelque chose, Kim, grogna-t-il, prisonnier de mes bras.
— Maintenant, c'est toi qui supplies, Jeon ?
En vérité, je n'avais qu'une seule envie. Je voulais mettre un coup de pied dans chacune des barrières qui existaient entre lui et moi. Les faire disparaître. Nous redescendre au rang animal.
Comme un nourrisson avait besoin d'être peau contre peau avec sa mère. J'avais l'intime conviction que me retrouver nu contre Jungkook était la seule chose qui me permettrait d'éteindre cet incendie qui menaçait mon épiderme.
Putain.
— Que devrais-je faire de toi, Jungkook, déclarai-je en détachant chaque syllabe pour les faire rouler jusqu'au bout de ma langue et les lui offrir.
Quelle situation.
J'étais celui que Jungkook adulait. En position de force et maître de son plaisir imminent. Cependant j'étais celui qui m'offrait et lui faisait une offrande.
J'étais celui qui se serait offert s'il avait eu la possibilité d'aller au bout de l'acte.
— Dis-moi, Jungkook, répétai-je alors que j'étais déjà en train de le débarrasser de ce pantalon bien trop encombrant.
— Ce que tu veux, Kim. Je te laisse faire ce que tu veux de moi, pour cette fois.
Je ne relevai pas ce « pour cette fois » qui continua de flotter dans l'air quand bien même le silence avait repris possession de la pièce.
Quand j'eus fini de dénuder ses jambes, ses cuisses s'offrirent à moi.
Je voulais embrasser chaque centimètre carré de ces cuisses. J'en palpais la moindre étendue. Sa peau si claire semblait si fragile pourtant ses muscles paraissaient capables de tout rompre sur leur passage.
Du bout du doigt, je traçais une ligne imagine qui partait de son orteil, je continuai sur la cheville et pris soin de choyer son mollet puis le creux de son genou. Je fis le tour de cet os et empoignais ses cuisses de mes deux mains.
Comme pour me hisser sur lui.
D'une certaine manière, je tentais d'asseoir ma domination, mon autorité qui était si ridicule en comparaison à la sienne.
Dans ma prise, mes mains le suppliaient presque d'arrêter de se soumettre de cette manière à moi et de reprendre nos précédentes places.
Presque.
Je capturais simplement ses yeux dans les miens. J'observais ses lèvres qui formaient une ligne si fine qu'aucun bruit ne pouvait passer par leur commissure.
Presque.
Je remontais sur son nez. Là, ce n'était plus mes yeux qui se déplaçaient mais bel et bien mon corps tout entier grâce au contact de mes mains contre son épiderme.
Il me fallait l'embrasser. Comme si le faire une première fois avait posé une couche de poison à la surface de mes lèvres que seul le contact des siennes pouvait guérir.
Putain. Ressaisis-toi Taehyung.
— Je crois que tu ne vas rien avoir, mon cœur, chuchotais-je dans le creux de son oreille.
Je repérai rapidement mes vêtements échoués au sol pour m'en revêtir. J'ignorai le Jungkook haletant sur les draps et sortis de la chambre.
Je sentais encore cette lourde couche de ce désir inassouvi qui me collait à la peau. Elle s'était férocement accrochée à mon épiderme.
Ce sentiment que j'avais ressenti sur ce lit m'était si familier.
Si étranger.
Contrôle.
Le contrôle m'avait échappé. Le désir m'avait asservi. Esclave de mes pulsions, j'en avais perdu ma raison.
Je.
Ne.
Pouvais.
Pas.
Perdre.
Le.
Contrôle.
Perdre le contrôle était synonyme de devenir esclave d'un autre.
Perdre le contrôle ne pouvait se faire à moitié. C'était tout ou rien.
Mais quand la loi du plus fort, la loi de la jungle régnait. Il n'était pas question de se soumettre. A n'importe qui.
Je m'étais longtemps dit qu'en temps de guerre, tout pouvait arriver. J'avais beau adorer Yoongi et presque vénérer Seokjin, je me disais qu'au moindre faux pas, ils pourraient changer de camp.
A la guerre comme a la guerre. Il n'y avait qu'ennemis.
Parce que la vie était le principe premier auquel on obéissait en tant qu'homme, en tant que créature assoiffée de pouvoir.
Parce que sans cette essence vitale qui nous composait, le pouvoir ne rimait à rien.
A rien du tout.
Je fixais ce reflet dans la glace. Ce visage aux traits tirés et aux yeux exténués.
Je revoyais mon visage poupin. Celui qui respirait l'innocence.
Celui auquel le visage de Jungkook m'avait fait penser aux premiers abords.
Innocent.
L'innocence que j'avais souhaité garder pour toujours.
L'innocence que je cherchais chaque nuit à rattraper dans chacune de mes songes.
L'innocence d'un enfant qui ne savait pas ce qu'était la guerre, qui n'en voyait pas l'utilité.
Celui qui aimait tout le monde et que tout le monde aimait.
Cet enfant que je voudrais de nouveau être.
On se demandait souvent ce que nous lui dirions si nous le recroisions. Moi, je pense que j'aurais honte. Terriblement honte. Honte de le regarder dans les yeux pour lui dire. Pour lui dire quoi après tout ? Lui dire que j'avais lentement et précisément éclaté son rêve de héros pour faire de lui un bourreau ?
Il m'était encore difficile de faire face à cette réalité qui était la mienne alors comment pouvais-je l'imposer à un enfant qui ne connaissait aucunement les atrocités qui jalonnaient le monde ?
Difficile.
Impossible.
Je ne pouvais rester impassible.
Je croisais durement mes bras pour y échouer ma tête. Je la frappais. Une fois. Deux fois. Je voulais l'éclater contre le matériau dur du lavabo mais mes bras refusaient de se mouvoir, ils amortissaient chaque fois le choc.
Putain.
Je sentais les larmes couler, sillonner sur mes joues, arriver dans ma bouche.
Ce goût salé portait une amertume propre à la tristesse. Des années de tristesse silencieuse. J'y décelais aussi de la peur, de l'angoisse et de la haine envers moi-même.
Mais surtout envers l'humanité.
Cette confusion. Jungkook. Amour. Haine. Désarroi.
Je ne savais plus.
Je voudrais tout oublier.
J'avais tout oublié.
Chaque nuance, chaque élément qui rendait ce monde moins manichéen.
Tout semblait blanc, j'apportais la seule touche de noir.
Et j'étais alors devenu ce défaut si facilement perceptible.
Je n'avais besoin de personne pour me pointer du doigt.
Enveloppé dans cette solitude. Ce voile sombre qui m'isolait du monde entier, je réfléchissais.
J'étais dans le canapé dur. Et je tentais de ne pas me noyer dans mes pensées.
C'était dur.
Parce que j'étais seul.
Quand Seokjin m'avait demandé ce qui m'arrivait, je m'étais contenté de lui lancer un regard noir, puis je lui avais tourné le dos.
Je le savais assis sur l'un des fauteuils inconfortables, prêt à agir au moindre mouvement de ma part.
Même entouré, je me sentais terriblement seul.
Je poussais des cris mais personne ne les entendait. Jusqu'à ce que je sente sa présence à lui dans mon dos.
Je ne l'avais ni vu ni senti depuis des heures.
— Pars.
Ma voix sonnait rauque puisque je n'avais daigné prononcer le moindre mot depuis que je l'avais quitté.
— Pars, répétai-je quand je remarquais qu'il n'avait pas bougé.
Personne ne bougeait.
— Jungkook, pars, redis-je, cette fois réellement agacé.
Je sentis du mouvement, mais ce n'était pas Jungkook.
— Jin, va-t-en, ordonnai-je durement.
— Que...
— Je ne sais pas, avouai-je dans un murmure qui s'éclipsa dans l'air.
Je ne sais pas.
Puis, je restais silencieux. Incapable de faire mouvoir davantage mes cordes vocales.
Il n'insista pas. Il partit simplement.
A ce moment, mon corps était toujours enfoncé dans le canapé. Je n'avais nulle doute quant au fait que le corps de Jungkook était encore coincé dans l'encadrement de la porte.
Ni lui, ni moi, ne bougions.
— Arrête ça, l'implorai-je dans un souffle.
Arrêter quoi au juste ?
— S'il te plaît.
Silence.
— Arrête de me torturer.
Il n'avait toujours rien dit. En fait, il n'avait rien fait. Rien du tout.
Je me redressais péniblement du canapé, les membres las. Mes jambes tanguaient imperceptiblement. Mais j'étais droit.
Je me mis face à lui et cela suffit. Il me porta ce coup fatal.
Je le voyais fièrement redressé sur ses jambes. Il avait fière allure. J'observais ses vêtements qu'il avait remis. Ceux là que j'avais arrachés.
Pourquoi avais-je l'impression de faire face à un homme complètement différent ?
Comme si le temps de quelques heures à peine lui avait suffi pour maturer ?
Je zieutais son port de tête, son port de ceinture et ses cuisses.
Sa main veineuse qu'il avait portée à sa tête. Son coude posé contre l'encadrement de la porte. Ses cheveux emmêlés autour de ses doigts.
Ses yeux perçants, son nez aquilin et ses lèvres pleines.
— Jungkook, soufflai-je.
Je ne savais pas pourquoi j'avais besoin que son nom s'échappe de mes lèvres. Comme si le garder en moi me demandait bien trop d'efforts.
— Jungkook, répétai-je en faisant un pas dans sa direction.
J'avais tant de choses à dire mais les mots ne sortaient pas. Ils ne se formaient même pas, restaient à l'état embryonnaire entre mes cordes vocales qui faisaient office de placenta.
— Jungkook.
Parle Tae.
Le prénommé Jungkook me regardait droit dans les yeux. Je le savais puisque je ne savais décoller mes pupilles des siennes. Je les fixais à un tel point que je saurais les reconnaître au milieu d'un millier de pairs semblables.
— Jungkook.
Comme si ça avait été le déclencheur. Comme s'il avait fallu que je le répète trois fois pour qu'enfin il se passe quelque chose, mes jambes me lâchèrent. Mes genoux cognèrent brusquement le sol mais je ne fis rien.
Je ne saurais dire si Jungkook avait bougé, mes yeux ne voyaient plus rien, brouillés par les larmes.
Visage en direction du sol, dos voûté, j'étais à sa merci.
Je me servais de mon corps comme offrande.
Alors qu'il avait jusque là été mon bouclier.
La Roche Foucault, pensais-je.
J'étais vulnérable et pour une raison qui m'échappait, j'aimais cette sensation.
Je restais dans cette position durant un moment encore. Je laissais mon corps se vider de ses larmes.
On disait que c'était cathartique de pleurer.
Mais j'avais l'impression de me débarrasser du vide.
Je pleurais des vraies larmes d'eau salée mais elles ne portaient aucun mal en elles.
Comme si elles n'étaient que factices.
— Jungkook.
Je t'en supplie, fais quelque chose.
Dix secondes.
Quinze.
Peut-être vingt passèrent.
Quand enfin je perçus du mouvement.
Etant donné que j'étais face à Jungkook, je parvenais à déceler relativement bien les gestes qu'il effectuait.
Face à moi. Puis dans mon dos.
Ses mains se posèrent sur moi.
Et la brûlure de son contact fut terrible.
Mais pas un son ne sortit de ma bouche.
Pourquoi ça fait mal.
— Lève-toi, Taehyung, dit-il enfin.
Je ne peux pas.
Un instant passa, un ange passa.
— Lève-toi, m'ordonna-t-il, durement.
Je savais que je devais répondre. Mais mes lèvres ne se décollaient plus. Alors je me servis de mon corps, de ma tête que je secouais de gauche à droite puis de droite à gauche.
Jungkook souffla bruyamment derrière moi. Je n'eus d'autres choix que de suivre le mouvement que m'imposait la force exercée par ses bras sous mes aisselles.
Mon postérieur se retrouva poster sur le canapé.
Je regardais Jungkook mais je savais mon regard las. Je ne le voyais qu'à peine. J'avais du mal à ne serait-ce que l'entrapercevoir.
Ni lui ni moi ne bougions.
Il fallait que l'un de nous prenne la parole.
— Reprends-toi, Taehyung.
Je le fixais avec une mine interrogative.
— Tu... tu n'es pas ainsi normalement. On te lance des fleurs tout le temps de l'autre côté de la frontière.
Silence.
— Tu n'as pas le droit d'humaniser ce personnage héroïque...
Je crois que j'ai compris.
— Tu as quel âge ?
Il fut aussi surpris que moi d'entendre cette question dépasser la commissure de mes lèvres.
Il sembla réfléchir.
Pensait-il que j'étais devenu fou ?
— Vingt ans.
Si jeune.
Pourquoi si jeune ?
Comment étaient-il parvenu à le rendre si imposant ?
Pourquoi semblait-il avoir vingt six ans, comme moi ?
— Comment... à vingt ans je ne connaissais pas la notion de guerre, pensais-je à voix haute.
Tu en es vraiment certain ? avais-je envie de lui dire.
— Je suis entraîné à te traquer depuis plus de dix ans. Enfin, pas toi spécifiquement jusqu'à ce que tu prennes en grade. Il voulait Namjoon.
— Qui ça, il ?
Ma curiosité avait pris le dessus sur ma lassitude.
Ce « vilain défaut » était le carburant qui me permettait de vivre.
— Quel est ton lien avec Jimin ?
J'avais besoin de connaître cette réponse.
Park Minjae.
Park Jimin.
J'étais tombé de dix étages.
— Tu es un sorcier, Jungkook.
Je n'avais aucune idée de comment il m'avait tiré hors de ma morosité. Mais il l'avait fait.
Il connaissait Jimin. Mon Jimin. Il me l'avait confirmé.
Putain, j'avais envie de le haïr du plus profond de mes entrailles mais je n'y parvenais pas.
Je ne savais pas que c'était possible de passer par autant d'émotions en un si court laps de temps.
Je ne savais pas que c'était possible d'autant haïr un homme mais de le désirer si ardemment d'un autre côté.
J'étais en bordel.
Rien n'était à sa place.
Je lâchais un profond soupir. Je m'apprêtais à faire un pas en dehors de la pièce, légèrement hésitant parce qu'intérieurement je priais pour qu'il m'arrête. Fasse un geste pour que je n'arrive pas au bout du mien.
Mais il ne fit rien, alors ce fut moi qui fis tout.
— Bonne nuit, Taehyung.
Je ne lui répondis pas, préférant aller me coucher sans détour.
Et je me morfondis dans un sommeil sans rêve, ni cauchemar. Simplement habité par la figure de Jeon Jungkook qui refusait de me quitter, me suivant jusque dans le monde onirique.
Quand je m'éveillais ce jour-là, le nom de Jimin résonnait en moi. Je ne savais pas pourquoi, enfin si. Mais je me demandais s'il se souvenait encore de moi. Après tout, nous ne nous étions plus vus depuis qu'il nous avait été arraché. A quoi ressemblait-il ? Je pouvais supposer qu'il mangeait bien, enfin, j'osais l'espérer puisqu'il avait supposément été adopté par nul autre que Park Minjae.
— Taehyung, Namjoon demande à s'entretenir avec toi, me prévint Seokjin en passant la tête par l'encadrement de la porte.
Il avait, par précaution, gardé les yeux fermés. Quel idiot.
Mais quand il les ouvrit lentement, il parut surpris de me voir seul dans le lit.
— Où est Jeon ?
— Je ne sais pas.
Alors que je me brossais les dents en me demandant ce que me voulait Namjoon, la porte de la salle d'eau s'ouvrit, brisant par la même occasion la bulle que je m'étais créée.
Je fixais le visage poupin de Jungkook dans la glace.
Vingt ans.
Putain, il a que vingt ans.
En le sachant, j'avais envie de tout casser.
Je continuais d'entretenir mon hygiène buccale, attendant impatiemment qu'il prenne la parole pour me dire quelque chose de pertinent.
— Taehyung ?
Il venait de réaliser que j'occupais la salle de bain ?
Je crachais rapidement à l'aide de mon verre d'eau tout le dentifrice qui m'empêchait de parler convenablement.
— Oui, tu me cherchais ?
— J'aimerais... il avait un air gêné scotché au visage, comme s'il savait d'emblée que sa requête était mauvaise. Hmmm, j'aimerais venir voir Namjoon avec toi.
— Comment ?
Comment tu le sais, pensais-je incapable de développer ma pensée dans son intégralité.
Parce que ce n'est pas la seule question que tu veux lui poser, Taehyung.
— Je... j'ai entendu Jin te le dire ce matin. Il marqua une pause. J'ai dormi sur le canapé, il m'avait pas vu... se justifia-t-il rapidement.
— Continue, dis-je en me reprenant.
— Je... je pense que Namjoon va te parler de Jimin.
Douche froide.
C'était donc cela la pièce manquante du puzzle.
Cette chose sur laquelle je n'étais pas parvenu à mettre le doigt.
Namjoon allait me parler de Jimin, cela ne faisait plus aucun doute maintenant.
— Fais donc, lui répondis-je finalement.
Un sourire naquit sur les lèvres de mon benjamin, comme si cette réponse avait été la seule qu'il aurait acceptée.
Dans tous les cas, mon approbation lui avait permis de me montrer ses dents.
Avec lesquelles j'avais envie qu'il explore davantage ma peau.
— Allons-y.
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