Partie 2

Je m'éveillais quand mon cerveau jugea que c'était suffisant. Mon corps n'était pas assez reposé mais mon cerveau n'en avait que faire. Il avait besoin de s'activer. Mais quand je voulus m'extirper de mes draps, une pression sur mon bras m'en empêcha.

Jungkook.

La question qui se posait était : devais-je le laisser dormir et ne pas bouger ou m'en aller en risquant de le réveiller ?

Délicatement, je le tournais sur le dos, libérant mon bras au passage. J'allumais la petite lampe à huile qui se trouvait sur mon chevet pour vérifier ses pansements. Dormir lui avait permis de retrouver quelques couleurs. C'était rassurant.

Je ne défis la couverture que du côté de son bandage. Je dénouais le nœud qui maintenait le tout en place et remis tout en ordre.

Rien n'avait bougé, miraculeusement.

Lui, cependant, commençait à remuer dans son sommeil. Il se réveillait.

La première chose qu'il fit lorsqu'il sortit des bras de Morphée fut de rabattre la couverture, privant à mes yeux la beauté éthérée de son corps. Même blessé, rien ne semblait pouvoir amortir la noblesse de ses courbes.

— Que... qu'est-ce que tu fais, bon sang !

— Je vérifiais tes pansements.

— Tu... tu pouvais pas attendre que je me réveille pour le faire ?

— Non, j'allais me lever. J'ai fini.

C'était bien le Jungkook que je croyais connaître. Exactement comme dans mes souvenirs.

Je me rendis dans la salle de bain pour me laver les dents. Je passais aux toilettes. Et quand je retournais dans la salle de bain pour me laver les mains, Jungkook était posté devant le lavabo.

— Pourquoi ne m'as-tu pas attendu pour que je t'aide à te déplacer ?

— Je suis un grand garçon, m'avait-il répondu.

— Tu veux que tes points ressautent ? Ca ne me dérange pas de te recoudre, encore. C'est pas moi qui souffre.

— Et bien ? Tu veux que je reste alité ?

— Juste le temps de ta guérison. Mais bon, tu l'as dit, tu es un grand garçon. Fais ce qui te semble être le mieux pour toi.

Je ne rajouterais rien de plus. A la place, je pris le chemin de ma chambre.

— Attends. Où se trouvent les brosses à dents ?

Je soupirais. Je ne savais pas quelle mouche l'avait piqué. Quand bien même j'essayais de justifier son changement de comportement par une raison qui m'échappait totalement.

— Tiens. Tu veux que je reste derrière la porte au cas où tu rebaignerais dans ton sang ?

Il me lança un regard noir. Si sombre que j'aurais pu y voir le reflet des flammes des enfers. Je crus cependant apercevoir un imperceptible hochement de tête.

Je croisais Yoongi non loin de là alors j'allais le voir.

— Yoon, attends, on a des nouvelles ? lui demandais-je tout en lui faisant signe de ne pas trop en dire.

— Oui, on a rendez-vous avec le chef d'ici deux heures. Il ne pourra pas venir avec nous, tu en es conscient ? dit-il d'un ton plus bas pour que je sois le seul à l'entendre.

— Ne t'en fais pas, je sais. Je serai à l'heure. Ne soyez pas en retard.

J'étais assis au bord du lit, en train d'enfiler mes chaussettes quand Jungkook décida finalement de m'adresser la parole.

— Où pars-tu ?

— Ce n'est pas de ton ressort. Tu n'as pas besoin de le savoir.

— Ok.

— Tu as juste à savoir que je pars pour plusieurs heures. Ne sors de cette chambre sous aucun prétexte.

— Ok ? Tu te soumets si facilement à mon autorité, Jungkook ?

— Si tu te rends chez moi, cherche Park Jimin, s'il te plaît.

— Park Jimin ? Je note. Reste tranquille.

Et je m'en allais.

Park Jimin ?

Ce Park Jimin ?

Ni une ni deux, j'étais sorti sans me retourner. Rapidement, nous nous étions retrouvés, moi, Yoongi et Seokjin dans cet engin à roues en direction de la base militaire.

Durant tout le trajet, j'entendais Jungkook, sa voix fluette de la veille puis plus dure de cette matinée et même celle qui était presque suppliante plus tôt dans l'après-midi.

Park Jimin.

Je me souvenais vaguement de ce nom. Enfin. Ce n'était pas exactement celui-ci.

J'avais cinq ans quand maman mis Jimin au monde. Je m'en souvenais comme si c'était hier. En ma qualité de fils aîné, mes parents voulaient un autre garçon pour assurer l'hérédité et la survie de la lignée dans le cas où je viendrais à disparaître. Chaque année qui avait suivi ma naissance, ma mère mis au monde deux paires de jumelle. Sans exception. Jiwon et Sooyeon, Minji et Hyerin, et Nayeon étaient nées après moi et avaient aujourd'hui respectivement vingt et un et  vingt ans. Nayeon, la plus jeune, avait dix-neuf ans. Elles en avaient toutes quatre de moins à mon départ.

Jimin quant à lui aurait dû avoir dix-huit ans aujourd'hui. Il avait dix-huit ans aujourd'hui.

Je ne savais pas où il se trouvait, ni qui il était, mais j'étais déterminé à retrouvé ce « Park Jimin ». Ce prénom était certes courant, mais je sentais que j'avais une piste pour retrouver mon petit frère.

Dix ans que je ne l'avais plus vu, qu'il nous avait été arraché. Maman, papa et toutes mes sœurs le pensaient mort. Ils avaient abdiqué alors que j'avais choisi de rester accroché à cette idée.

— Jin, l'apostrophai-je, tu aurais entendu des nouvelles sur un certain « Park Jimin » ?

Il ne le connaissait pas, enfin, il n'avait jamais eu l'opportunité de connaître le moindre détail sur mon Jimin. Nous étions d'un naturel assez pudique, nous ne débordions jamais aucun sujet, quel qu'il était.

— Non, pourquoi ? On pourra toujours demander à Namjoon quand on arrivera.

Je haussais des épaules comme simple réponse.

— Bonjour Namjoon, que nous vaut ce plaisir ? le saluais-je d'un ton ironique puisqu'il me savait réticent à tout ce qui touchait de près ou de loin à la guerre.

— Bonjour Taehyung. Assieds-toi, je t'en prie. Je vous sers à boire ?

— Juste un thé, comme d'habitude, finalement.

Namjoon se leva. Dos à nous, je ne pouvais qu'admirer les muscles de son dos qui roulaient sous son fin t-shirt. Il n'y avait qu'à être dans la même pièce que lui pour sentir le poids de sa présence. C'était lourd. C'était dense.

Je me demandais si parfois j'inspirais le même respect aux membres de ma faction.

Pourquoi ?

Eh bien pourquoi pas.

Je me tournais vers Seokjin et Yoongi. Ils étaient tous les deux en train de rire discrètement en se racontant des choses débiles, probablement. Comment pouvaient-ils rire dans ce contexte de guerre ?

Je leur lançais un simple regard avant de me focaliser sur mes pieds.

— Tae, tout va bien ? me demanda Seokjin.

Il avait une âme qui pouvait être aussi douce que tranchante. Aussi bien elle fendait l'air pour trancher une gorge qu'elle pouvait t'envelopper dans une bulle de sérénité. Je l'aimais pour son ambivalence, son efficacité, sa tolérance qui n'empiétait jamais sur aucun de ses jugements.

— Mmmh.

Il n'insista pas. Jamais. Pour lui les mots importaient peu. Même les plus éloquents pouvaient ne rien signifier face à un bruyant silence. Quand on ne leur donnait pas le moindre sens, le moindre pouvoir, les mots devenaient ridiculement petit, vulgaire si ce n'était grotesque.

Seokjin n'était pas un de ces beaux parleurs. Il n'avait pas pour lui une très grande éloquence. Il ne maîtrisait pas la plus belle des proses et n'avait pas la plus grande des cultures, non. Ses mots à lui étaient efficaces. Il avait appris à lire les silences. A lire dans les gestes. C'était un homme d'action.

Ecoute les silences. Entends leur détresse. Mets le doigts sur chaque singularité pour en déceler la précision alarmante de chaque syllabe tue, m'avait-il un jour dit.

Et depuis, j'y repensais de temps à autre.

— Namjoon, dis-moi. Aurais-tu entendu parler d'un certain Park Jimin ?

J'observais sa réaction. Elle était très importante. Et je n'avais pas eu tort de vouloir le faire puisque ses traits du visage s'étaient durcis, son teint avait légèrement blanchi. Tellement peu que c'en était à peine perceptible.

— Park Jimin ?

Il me regardait désormais dans les yeux. Namjoon savait. Bien sûr qu'il savait. Comment aurait-il pu en être autrement ?

— Park Jimin, confirmai-je d'un hochement de tête.

S'il se décomposait, il n'en montrait absolument rien.

— Park Jimin... pourquoi me parler d'un soldat ennemi maintenant ?

D'accord, je voyais ce qu'il faisait. Il tentait de noyer le poisson.

Je le regardais dans les yeux. Mes pupilles parleraient pour moi et elles disaient que nous en reparlerions juste après. Lui et moi.

Après avoir fini de discuter des modalités et d'autres choses insignifiantes, il fut temps pour nous de partir.

— Namjoon, je te préviens, tu ne te déroberas pas, dis-je en suivant ses pas.

— Namjoon, l'apostrophai-je de nouveau.

Il semblait déterminé à ne pas me répondre. Mais s'il était buté, je l'étais bien plus.

— Namjoon, pourquoi tu fuis ?

Il s'était arrêté devant la bouilloire.

— Namjoon, explique-moi bon sang. Je saurais encaisser quoi que tu veuilles me dire.

— C'est bien ça le problème Taehyung, je ne sais pas si tu le peux. Il y a une différence entre croire et comprendre que tu ne saisis pas.

— Dis-moi, je t'en prie.

Au delà de la demande de Jungkook, j'avais besoin de savoir s'il était en vie.

— Je ne bougerai pas tant que tu ne me l'auras pas dit, affirmais en m'asseyant sur le sofa.

Je repartirais avec la réponse, que ce soit ce soir ou non. Parce que dans aucun monde il ne l'avait pas.

Je l'avais dit, j'étais bien au minimum aussi buté que lui.

Je sentais que le fauteuil allait avoir l'empreinte de mes fesses. Peut-être aussi celle de mes cuisses. Mon dos, si cette attente se faisait suffisamment longue.

— Namjoon.

Il ne se préoccupait pas de moi, comme si je n'existais pas, il continuait à faire sa vie. Piocher un carré de sucre dans son bocal. Le mettre dans sa tasse. Se saisir de la théière pour une transvaser le contenu de la bouilloire.

— Tu en veux, me demanda-t-il enfin, cela pourrait t'aider à te détendre.

Je ne savais pas ce que mon regard lui disait mais il y avait interprété un refus.

— Bien, que veux-tu savoir ?

— Park Jimin est-il vivant ? Ou devrais-je dire Kim Jimin. Mon petit frère est-il en vie ?

— Tu veux réellement le savoir ?

— Oui. Juste, dis-le moi. Je t'en prie.

— Bien.

— Nous pouvons y aller, annonçais-je en sortant de ma discussion avec Namjoon plus ou moins une heure plus tard.

— Enfin, s'enthousiasma Seokjin, il était temps. De quoi avez-vous parlé ? Il t'a donné de bonnes nouvelles.

— Je n'ai pas envie d'en parler maintenant.

— Jin, laisse-le en paix. Tu ne vois donc pas qu'il est secoué ?

Nous reprîmes le chemin pour la maison.

Si je pensais que mes pensées allaient être occupé par ce que Namjoon m'avait appris sur Jimin, ce ne fut pas le cas. Tout mon espace neuronal était réservé à Jungkook.

Jungkook et sa polyvalence.

La manière dont il m'avait imploré de rester puis celle de laquelle il m'avait repoussé.

J'étais dans ma bulle à un tel point que le trajet me sembla bien plus court qu'à l'aller.

A peine avais-je posé les pieds sur la terre que je m'empressais de rentrer. J'ouvris la porte à la volée et me rendis dans ma chambre, sans avoir enlevé mes chaussures.

— Taehyung. Tu... tu es rentré ?

— Je suis là, oui, confirmais-je, toujours planté sur le pas de la porte.

— Où...

Hésitation.

— Où est Jimin ?

— Je l'ignore.

Ses yeux brillaient d'une lueur nouvelle. Ils étaient un peu rouges.

Avait-il pleuré ?

— Tu es parti si longtemps, je pensais que tu me l'avais ramené.

— Non. Tu as eu tort de penser. Penser en temps de guerre ne sert à rien. Cesse de penser ou tu seras sans cesse déçu.

Je passais mon temps à être déçu.

— Bien, fit-il simplement en se couchant dans le lit.

— Tu auras besoin de moi cette nuit ?

— Non.

— Très bien, ne sors pas de cette chambre avant que je ne te le dise.

J'avais besoin d'une longue douche.

Jimin est vivant.

Je ne pensais pas que cela allait avoir tant d'impact sur moi. Mais j'avais l'impression d'avoir été délivré d'un poids. Comme si j'étais responsable de sa disparition. Je n'étais même pas adulte quand il m'avait été arraché.

Jimin est vivant.

Et c'était le plus important.

Cette nouvelle suffit à taire toutes les pensées parasites qui obstruaient mes réflexions.

Cette nuit, je ne dormis pas dans ma chambre. Il était préférable que ce soit ainsi. J'avais besoin d'être seul, pour être en tête-à-tête avec moi moi-même.

Je me dirigeais alors vers la chambre de Jin.

Difficile d'être seul quand on était accompagné, c'était ce que nous disions en permanence, non ?

C'est vrai.

Mais il existait une nuance entre la vraie solitude du corps et la solitude de l'esprit, tout comme il en existait une entre la solitude et la désolation. Je voulais être seul mais pas désolé. C'était pour cette raison que je ne souhaitais pas repasser la nuit dans les bras de Jungkook. C'était pour cela que je ne voulais pas prendre le risque qu'il réinvestisse mes pensées comme il l'avait fait la veille.

Je voulais être seul, mais accompagné.

Valait mieux être seul que mal accompagné, mais ce qui était encore mieux était d'être seul mais bien accompagné.

Et c'était avec Jin que je le pouvais.

Il savait exactement quand j'avais besoin de sa présence comme lorsque je souhaitais m'en éloigné.

Ecoute les silences. Entends leur détresse. Mets le doigts sur chaque singularité pour en déceler la précision alarmante de chaque syllabe tue.

C'était exactement ce qu'il faisait.

Il répondait à mes appels à l'aide.

— Jin, je peux dormir ici ?

— Bien sûr.

Je sentais qu'il avait mille et une questions concernant Jungkook. Même s'il ne le disait pas expressément, je le sentais dans ses gestes, dans son regard, dans son silence.

— Accouche. Mais ne me dis pas « je te l'avais dit » parce qu'il ne s'est strictement rien passé.

— Bah alors ? Pourquoi as-tu une tête d'enterrement ? Enfin, je sais pas. T'es bizarre aujourd'hui Tae.

— Regarde juste ce que j'ai apporté, le coupais-je en sortant la bouteille que je cachais jusqu'alors dans mon dos.

— Alors toi, tu as merdé avec le ptit nouveau, Tae. Je t'avais-

— Oui je sais que tu me l'avais dit. Mais c'était plus fort que moi.

— J'allais dire que je t'avais dit de faire attention à toi, je m'inquiète juste.

— Entre, me dit-il pressé. Entre avant qu'on se fasse chopper par Yoongi.

Yoongi détestait quand nous nous laissions aller à la beuverie. Il disait que l'alcool tuait les neurones et rendait les terminaisons nerveuses fragiles.

C'était un peu le papa du groupe, certes, mais il n'y avait pas à redire. Il s'inquiétait, lui aussi.

Ce trio ne datait pas d'hier et n'était pas prêt à se rompre demain.

Je me souvenais de mon premier jour ici.

J'étais seul et un peu perdu. Enfin, j'étais plus que seul et un peu perdu. J'étais jeune et innocent.

Cher journal, nous sommes le 26 janvier 1949.
C'est en ce jour que je t'inaugure.
C'est le premier jour d'une grande aventure comme papa l'a qualifiée.
J'avoue que je ne sais pas où me placer, ou même si je trouverai ma place.
Tout est si... strict. Ce nouveau monde me fait peur.
Je suis arrivé ce matin. Papa m'a accompagné aux portes de la gare puis est parti en m'adressant un dernier sourire. Le dernier que je verrais sur son visage avant quelques années. Cela ne faisait même pas un mois que j'avais fêté mes 18 ans. C'était ainsi que je célébrais ce cap de ma vie ?
Je ne sais pas si tu connais ce sentiment, cette impression d'inadéquation. Comme si tu n'étais vraiment pas là où tu devais être. Comme si le moule rond qui a été confectionné pour toi ne savait accueillir tes angles imparfaits.
Maman dit que toute chose a besoin de son temps d'adaptation, elle a peut-être raison, peut-être que cette sensation étrange qui étreint mon cœur s'évaporera au fil des jours. Peut-être que mon cerveau cessera de me traiter d'imposteur.
Je te promets que je me surpasserai chaque jour pour devenir celui que chacun rêve d'être. Ce sera mon fil rouge dans cette aventure. Je ne te décevrai pas petit journal.
Ton fidèle compagnon qui te remercie déjà de ta présence, Kim Taehyung.

Je me souvenais de la délicate signature qui avait été apposée sans savoir à quel point le temps passant allait la rendre rude.

Les premiers jours n'avaient pas été simples dans ce monde de requins. Sans ces deux amis que je m'étais fait, sans Seokjin et Yoongi, je ne serais pas parvenu à là où j'en étais actuellement.

Pour moi, sans l'aide précieuse qu'il m'avait apportée, je me serais noyé dans cette eau trouble sans trouver la moindre ancre.

Cher journal, je te retrouve quotidiennement depuis plus d'une semaine mais je ne t'ai jamais parlé de Seokjin et Yoongi. Ils ont respectivement 19 et 20 ans. Je n'avais pas su me résoudre à te les présenter parce que je pensais cette amitié fébrile et fragile en ces temps durs.
Il y a aussi Junho, il est arrivé en même temps que moi. Il est gentil. Gentil et terriblement amoureux. Je ne savais pas comment l'amour peut être préservé de la guerre mais elle avait l'air d'être celle qui le protégeait.
Tout compte fait, ils parviennent à m'aider à créer une bulle dans laquelle je me sens bien lorsque je suis avec eux.
Jin est si drôle purée, il m'arrache un sourire rien qu'avec son expression faciale. Hyerin l'aurait adoré. Yoongi est quant à lui davantage sur la réserve, mais je le trouve si cool. Il a, dans sa façon d'être, une capacité à prendre du recul sur tout. Je l'admire tellement.
Papa et maman auraient souhaité que je sois comme lui, je crois.
Fort, sans aucune faiblesse apparente. Yoongi est ainsi aussi naturellement que l'est la respiration pour l'homme. S'il semble rude aux premiers abords, il suffit de creuser un peu pour voir qu'il a lui aussi un cœur.
Moi, je ne suis qu'un garçon fleur-bleue à la recherche de calme et de paix. Je n'ai rien à faire ici.
Je voulais soigner des gens. Pas en tuer.
Qui est responsable de ce destin qui me joue des mauvais tours ? Qui s'amuse à pourrir mon existence sans la moindre pitié ?

J'étais devenu autre. Je m'étais transformé, enfouissant profondément ce Taehyung au fin fond de mon être, pour le protéger des atrocités que je me faisais moi-même subir. Mais ce qui m'embêtait désormais était la question de savoir où il était et comment le faire sortir des abysses pour qu'il remonte à la surface pour observer le soleil frappant les vagues plus ou moins agressives.

Était-il mort ?

Cher journal.
Actuellement, je pleure.
Je crois que j'en ai terriblement besoin.
On m'a forcé à tirer, je te jure que je ne le voulais pas. Je ne voulais pas le tuer, voir cette lueur dans son regard s'éteindre.
Qu'est-ce que j'ai fait, je suis un monstre.
Je déteste la guerre et tout ce qui s'en rapproche.
Comment en étions-nous arrivés là purée.
Si j'avais pu, ce serait ma vie que j'aurais arraché. Mais je crois que je suis égoïste. Je ne peux pas m'éteindre avant de serrer Jimin dans mes bras une dernière fois.
Tu ne sais pas qui est Jimin, mais je suis incapable de te le dire. La douleur dans ma poitrine est bien trop vive.

Je me souvenais de cette page, les empreintes de mes larmes étaient toujours perceptibles par endroit.

Cher journal,
Nous sommes le 20 avril 1949, presque trois mois que je suis ici.
Je ne saurais dire que je m'y sentais bien, seulement que je n'étais plus si mal.
J'ai envoyé ma première lettre à papa et maman il y a de cela un mois déjà, mais je n'ai toujours pas de réponse.
Je ne comprends pas pourquoi.
M'enfin, je te fais des bisous. En espérant que je n'aurais plus à tuer.
A demain !

Je n'avais ramené qu'une bouteille à partager, cependant son contenu aurait suffi à rendre soûl deux voire trois hommes de bon gabarit.

Il était donc inévitable que mon esprit s'échappe.

— Jin, tu as tout bu putain, j'en voulais encooooore.

— Arrête, c'est toi qui a descendu toute la bouteille. Si je ne l'avais pas prise, tu m'aurais pas laissé une goutte. Là j'ai de la chance, j'en ai eu au moins euhhh trois.

— C'est pas vrai ! J'ai presque pas bu. Tu dis que-

Je fus interrompu par la porte qui grinçait. En pensant que c'était Yoongi, je cachais la bouteille dans mon dos, alors même que j'étais dos à l'entrée de la chambre.

— Purée Tae mais tu es con ou quoi, dit Jin en riant avec les larmes aux yeux. Yoongi voit la bouteille, elle est littéralement en face de ses trous de yeux.

— Oh merde, c'est vrai, répliquai-je en replaçant la bouteille sur mes genoux.

— Attends, Tae, je crois que c'est pas Yoongi. C'est-

— Jungkookieeee, tu es làààà, m'exclamais-je en me retournant.

Il se tenait dans l'entrebaillement de la porte, ses deux pieds enfoncés dans le sol.

Il était beau, tout de même. Il ressemblait à un prince.

— Tu es venu me chercher c'est ça ? lui sussurai-je au coin de l'oreille.

Nous faisions la même taille alors il m'était aisé de sentir l'odeur que dégageaient ses cheveux ébènes.

Oh merde, je sentais que l'alcool cherchait à faire marche arrière. Pour cela que je dus courir aux toilettes pour ne pas salir tout sur mon sillage.

Une main se posa maladroitement dans mon dos, opérant des mouvements doux, probablement pour que je me calme.

D'un coup, j'eus terriblement envie de dormir. Mal de ventre et mal de tête me prirent d'assaut.

Je me relevais d'un coup pour rejeter une autre partie de mon estomac dans les canalisations.

Putain.

Mon esprit ne parvenait pas à redevenir lucide. Tout était si... mélangé dans ma tête.

— Allez, ça va allez. Taehyung, il va falloir que tu te lèves, je suis pas en capacité de t'aider pour ça.

Je tentais de hisser mon corps en m'appuyant sur toutes les surfaces à portée de main. C'était laborieux mais j'y allais doucement et réussis.

— J'espère que tu n'as plus envie de vomir parce que je nettoierai pas après toi, je te préviens.

Mon corps à moitié affalé sur le sien, nous nous rendîmes dans la chambre.

Je m'étais assoupi. Mes chaussures et mon pantalon m'avaient été retirés. J'avais très mal à la tête et tout n'était pas très clair à l'intérieur. La faible fente que me permit l'ouverture de mes yeux m'aida à me situer.

J'étais dans mon lit, mais n'avais-je pas migré vers la chambre de Jin ?

Je voyais que Jungkook était installé à mon bureau. Il faisait Dieu seul savait quoi.

— Jungkook ?

Il se retourna face à moi.

— Je suis désolé.

Son air interrogateur se voyait à des bornes.

— Pour tout.

J'avais du mal à discerner ses traits et plus je forçais sur mes yeux, plus mon mal de tête se renforçait.

— S'il te plaît, viens, lui implorai-je d'une voix que je n'avais pas commandée.

Il hésita et je ne parvenais pas à comprendre pourquoi.

— Viens dans le lit avec moi, répétai-je un peu plus confiant. Bourré comme je suis, j'aurai tout oublié demain.

Il se résigna et vint, sans prononcer un seul mot.

Quand il s'assit sur le côté du lit qui portait encore son empreinte, je m'empressai d'aller poser ma joue sur son cœur.

J'avais besoin de m'assurer qu'il battait encore. Que je lui avais bel et bien sauvé la vie.

— Tu es vivant, chuchotai-je plus pour moi-même que pour lui.

Je levais les yeux vers son visage et m'aperçus que ses pupilles étaient déjà orientées vers moi.

— Dors, Taehyung, je suis là.

Jungkook me tint compagnon de la même manière que moi la veille.

Nous étions des enfants taillés dans la même pierre. Des enfants qui avaient probablement été obligés de grandir trop vite.

Je m'éloignais de son torse pour installer ma tête sur mon oreiller. Toujours face à Jungkook, je me mis dans une position fœtale. Avant de clore mes paupières, je le regardais une dernière fois pour lui demander de s'approcher.

Chose qu'il fit. Il enlaça mon corps dans ses bras protecteurs, je relevais légèrement ma tête pour la poser sur son biceps. En dernière action, il releva la couverture sur nos deux corps.

Et nous dormîmes ainsi.

Comme je l'avais espéré.

Je sortis de mon sommeil quand les rayons du soleil vinrent me chatouiller les narines.

Je ne me souvins pas de grand chose de la veille.

Je ne me souvenais que d'être allé dans la chambre de Jin, une bouteille à la main. Mais même ce souvenir semblait falsifié puisque je couchais actuellement dans mon lit, aux côtés de Jungkook.

Purée qu'avais-je fais la veille ?

Si j'avais eu envie de coucher avec toi, m'aurais-tu laissé faire, Jungkook ?

Je me levais du lit, à la recherche d'un médicament qui puisse soulager et atténuer le boucan qui perdurait entre deux trois neurones me causant d'atroces douleurs.

En passant devant mon bureau, je m'aperçus que mon journal était posé à sa surface.

Or, s'il y avait bien quelque chose que je n'oubliais jamais, c'était de le remettre à sa place dans la doublure du meuble.

Il n'y avait qu'une seule option.

Je m'assis rapidement sur mon siège, oubliant totalement ce qui m'avait obligé à me lever dans un premier temps.

Je feuilletais les pages que j'avais gribouillé en noir.

C'était mon tout premier carnet.

Merde.

C'était celui dans lequel j'étais le plus vulnérable.

— Quelle fouine, rouspétais-je.

Je le sentais en train de s'agiter dans le lit. Son sommeil allait arriver à son terme.

Je me levais simplement et me postais dos au mur en attendant qu'il immerge totalement.

— Tu es réveillé, Jungkook.

Il me regardait, le regard perdu.

— Travailles-tu encore pour Park Minjae ? lui demandai-je sans passer par quatre chemins.

— Que se passe-t-il, Taehyung ?

— Réponds simplement à ma question.

— Non.

— Non, quoi ?

— Non, je ne travaille plus pour le clan des Park. Je ne travaille plus pour personne, je suis comme qui dirait, un électron libre.

— Bien, alors que faisais-tu à fouiner dans mon journal, Jeon Jungkook.

Je savais bien qu'il ne travaillait plus pour eux. Je le savais puisque Jin avait pris soin de me faire un rapport complet quant à son parcours. Il me fallait simplement savoir s'il me disait la vérité.

— Dis-moi qui tu es, Jungkook.

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