Chapitre 26
Même si ce n'était pas naturel pour lui, Jackson retint les paroles mal placées qui auraient pu sortir de sa bouche et se mit à sa hauteur avec la ferme intention de lui tirer les vers du nez. Stiles mentait, c'était clair et net... Parce qu'il avait peur – ça l'était aussi. Mais peur de quoi ? Qu'il le juge ? Qu'il se moque de lui ? Peut-être que Jackson aurait effectivement fait une bêtise du genre quelques mois plus tôt, dans un élan de méchanceté gratuite. Pas maintenant. Là, tout ce qu'il voulait, c'était comprendre : comprendre sa terreur, comprendre la raison pour laquelle il avait fui, comprendre ce qui l'avait amené à se retrouver dans une telle situation...
- Pourquoi tu mens ? Lui demanda-t-il en prenant le soin de répéter correctement sa question, au mot près.
C'était demandé sans méchanceté aucune, sans arrière-pensée nauséabonde. Les intentions de Jackson étaient claires et rien dans son visage ne laissait penser qu'il allait se moquer de lui ou le juger. Stiles dut lui-même s'avouer le fait qu'il n'avait jamais vu Jackson se montrer aussi sérieux. Cela aurait pu lui paraître comique s'il ne se sentait pas aussi mal... Aussi vulnérable, nu. Ces aiguilles de tricot, c'était... Le symbole d'une passion secrète, un héritage pour lequel il avait un talent fou mais qu'il n'exploitait malheureusement pas. Et il y tenait, à ces choses-là. Tout ça, ça venait de sa mère et... Même s'il ne supporterait pas de s'en séparer réellement – pourquoi s'était-il, quelques jours plus tôt, persuadé qu'il y arriverait ? –, il n'arrivait pas à les assumer... Parce que le monde dans lequel il vivait était celui qu'il était. Il n'acceptait pas la différence.
- Parce que c'est en partie ce qui a causé ma perte, finit-il par répondre dans un souffle.
Il se sentait mentalement défaillir, à tel point qu'il dut détourner les yeux et fixer autre chose pour ne pas céder aux émotions qui le prenaient soudain. La vie est injuste, se dit-il malgré lui. Mais au moins, il disait la vérité. Pas qu'il le veuille vraiment, simplement... Si Jackson avait été capable de le courser dans son quartier, au su et au su de tous, il pourrait bien se montrer insistant pour obtenir de réelles réponses de lui.
En outre, il n'accepterait pas ses mensonges. La preuve en était qu'il aurait déjà rapidement pu clore la discussion en se contentant de la précédente réponse de Stiles, assez bancale. Or, il ne l'avait pas fait.
- Ton père... Il savait que tu avais ça, comprit Jackson.
Stiles hocha la tête. En y repensant, il trouva étonnant le fait que son géniteur ne se soit pas débarrassé de ces choses-là lui-même. Elles représentaient tout ce qu'un homme ne pouvait pas être, à ses yeux. Et le jeune homme trouvait ça bien dommage parce que pour lui, aucune activité n'avait de genre. C'était comme dire à une jeune fille qu'elle ne pouvait pas faire de football, un sport connoté au masculin – ça n'avait aucun sens. N'importe qui pouvait taper dans un ballon : n'importe qui pouvait se mettre à tricoter, à réaliser ses propres créations. Ce pouvait d'ailleurs être un hobby fort utile. Stiles s'était même dit, quelques jours plus tôt, qu'il pourrait tricoter une écharpe pour Lydia selon le modèle de celle qu'elle avait regardée au centre commercial l'autre jour... Autant dire que ce n'était pas près d'arriver.
- Et tu en faisais ?
Stiles releva la tête vers le kanima d'un air confus. A force de songer à la stupidité de sa situation, il avait oublié qu'il n'était pas seul. N'ayant vraiment pas envie de subir un interrogatoire plus long que nécessaire, Stiles décida qu'il allait coopérer. Si Jackson devait le rabaisser et le faire descendre plus bas que terre, soit. Stiles s'y attendait. Il n'avait actuellement pas les épaules pour supporter la moindre critique, mais ce n'était pas grave.
- La couture, répéta Jackson en voyant qu'il tardait à lui répondre, tu en faisais ?
- C'est du tricot, le corrigea Stiles en détournant le regard.
Cette réponse suffisait à elle seule et l'hyperactif en avait conscience. Néanmoins, il n'avait pas pu s'empêcher de mettre le bon terme sur cette activité trop souvent confondue avec la couture. De toute façon, c'était toujours comme ça : tout ce qui nécessitait du fil et des aiguilles, pour la plupart des gens, c'était de la couture. Et la couture, c'était pour les filles. Pour lui, il s'agissait là d'une énorme connerie... Mais qui était-il pour leur prouver le contraire ? Pour déconstruire ce genre de stéréotypes stupides ? Personne.
Il n'était même pas digne d'être traité comme tout le monde, selon son père. A partir de là... Il était difficile pour lui de s'imaginer que quelqu'un d'autre puisse le respecter.
Autant dire qu'il n'avait pas beaucoup d'espoirs concernant Jackson Whittemore... Qui gardait le silence. Sauf que Stiles n'apprécia pas sa retenue. Qu'elle soit volontaire ou non, il s'en fichait. C'était déjà suffisant difficile pour lui de savoir qu'il le jugeait, alors... Il n'avait pas besoin de se confronter à son hypocrisie habituelle. Il en venait à préférer son honnêteté tranchante, son comportement binaire.
- Qu'est-ce que t'attends pour me descendre ? Lui demanda-t-il en relevant finalement les yeux vers lui.
Dans ses prunelles couleur noisette, de la colère – le genre de choses qui se cachait en général bien au chaud derrière sa tristesse. Parce que oui, il était en colère... Que Jackson soit celui qui l'avait sauvé de son père, qu'il ait vu l'étendue de sa haine à son égard, qu'il ait assisté à son agression, qu'il ait couru pour le rattraper dans la rue et calmer sa crise, qu'il... Qu'il sache désormais tant de choses à son propos.
Qu'il aille jusqu'à connaître l'existence de ces aiguilles de tricot.
Jackson avait tout pour lui et tout... Pour le descendre plus bas que terre, piétiner sa dignité, écraser le peu d'égo qu'il lui restait. Il l'avait toujours fait parce que c'était comme un jeu pour lui, quelque chose de simple qui le valorisait. Il avait besoin de ça Jackson, de toute façon : rabaisser les autres pour se mettre en valeur. Peut-être même qu'il adorait ça et Stiles serait bien capable de mettre sa main à couper – il était sûr de lui.
Sauf qu'il l'aurait perdue en un instant tant il était loin de la vérité.
- Je ne vois pas pourquoi je le ferais, rétorqua Jackson en arborant un air légèrement dédaigneux.
Stiles lui aurait bien cité la multitude de raisons qui expliquaient son idée, mais il ne le fit pas. En réalité, il ne trouverait pas très correct le fait d'insulter Jackson comme il comptait le faire parce que... Eh bien, il l'accueillait. Il n'oubliait pas non plus qu'il l'avait sauvé, que grâce à lui... Il avait évité le pire.
Et par pire, il n'entendait pas la mort.
Jackson le surprit de plusieurs façons, et la première fut la suivante : au lieu de le laisser seul alors qu'il aurait eu toutes les raisons du monde de s'en aller, il s'assit à côté de lui. Ensuite, il fixa le carton, les aiguilles. Stiles ne sachant que dire, il garda le silence.
- Au contraire, reprit le kanima, l'air cette fois songeur. Je trouve ça noble. Que ce soit de la couture, du tricot ou que sais-je... C'est noble, de savoir faire naître quelque chose de rien du tout. De savoir créer.
En temps normal, cet aveu lui aurait coûté. Mais parce que la situation était particulière et que Jackson avait conscience que Stiles se retrouvait vulnérable avec ce secret découvert, autant s'ouvrir un peu de son côté et lui montrer... Celui qu'il était réellement derrière ses airs de monsieur parfait.
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