Chapitre 20
Stiles n'avait aucune idée de son état. Il était réveillé, devant une tasse, tout un tas de boîtes de biscuits, du pain, de la pâte à tartiner... Et son regard fixait ces éléments sans savoir quoi prendre. A vrai dire, il n'avait pas faim – ou du moins, ce n'était pas l'impression que son ventre lui donnait. Pouvait-il seulement faire confiance à ses ressentis physiques ? Si tel était le cas, il dirait alors qu'il avait mal à la tête – un peu. Que son bras lui faisait mal, aussi, que sa pommette, sa joue... Lui paraissaient un peu plus sensibles qu'à l'accoutumée. Disons qu'à l'heure actuelle, Stiles n'était capable de raisonner qu'en termes de douleur. Tout ce qui était de l'ordre de la faim ou de la soif... N'avait pas l'air de fonctionner chez lui. Au niveau des émotions, ce n'était pas top non plus – il était incapable d'identifier ce qu'il ressentait, quelle émotion prédominait en lui tant... Tout, absolument tout dansait. Ses souvenirs, ses croyances, ses certitudes. Rien ne volait en éclat à proprement parler. Ça dansait. Virevoltait. C'était comme si chacun de ces éléments faisaient au mieux pour échapper à son contrôle, en ne le laissant pas les attraper. Comme pour qu'il reste dans cette dimension des plus floues, où l'incertain régnait en maître, à côté de la désillusion. Du choc, qu'il ne digérait pas vraiment – parce qu'il ne se penchait pas dessus.
Stiles se concentra sur la nourriture sur la table. Il savait que l'on attendait de lui qu'il mange, qu'il prenne son petit-déjeuner... Comme le ferait n'importe quel adolescent à sa place. Comme Jackson tentait tant bien que mal de lui donner l'exemple en se faisant des tartines de beurre dans le silence le plus complet. Il lui semblait d'ailleurs si crispé que Stiles avait encore moins envie de se servir, de tenter la chose à son tour. Par peur de faire du bruit, de le déranger, sans doute. Dans d'autres circonstance, ç'aurait été quelque chose dont il ne se serait pas préoccupé, mais les temps avaient changé. Stiles ne comprenait plus rien, il ne savait même pas ce qu'il faisait encore ici, pourquoi Jackson l'y avait ramené précisément.
Et il n'avait pas la force de poser la question. Le simple fait d'ouvrir la bouche pour articuler quelques mots était pour lui un effort considérable – qu'il avait décidé de ne pas faire. Parler... Pour dire quoi, de toute façon ? Mettre en voix cette question stupide ? Et puis après ? Quoiqu'à bien y réfléchir, il y en avait d'autres qui lui venaient mais qui firent naître un stress net en lui. Il se dit alors que parfois, ne pas avoir de réponse était préférable.
Parce qu'il était là, pour l'instant. Que sa maison existait toujours. Son père aussi. Que sa chambre n'avait plus de chambre que le nom : qu'il n'avait plus vraiment d'affaires, de vêtements ou de cours.
Plus que celle concernant le présent, c'était la question de l'après qui lui serrait le ventre... Presque autant que la nourriture qu'il se força à ingérer. Après tout, il fallait qu'il sustente son corps, qu'il fasse fonctionner celui-ci...
- ... Va passer.
Au son de cette voix plutôt proche mais qui lui paraissait étrangement lointaine, Stiles releva les yeux vers Jackson. Ils paraissaient vides. Vides de leur éclat habituel. Ses prunelles paraissaient davantage chocolat au lait que whisky. Aucune nuance, plus foncées que d'ordinaire. Et pourtant, il soutint celui de Jackson, posé sur lui. Toujours aussi bleu, aiguisé, alerte.
- Parrish va passer, répéta le kanima.
Stiles le regarda sans avoir l'air de comprendre, puis la lumière sembla se faire dans son esprit. Elle ralluma une légère étincelle dans ses prunelles. Jackson comprit alors l'interrogation qui y naissait doucement, ou qu'il avait en tout cas l'impression de décrypter.
- Il doit venir nous parler... Par rapport à hier.
- Hier ? Répéta Stiles d'une voix rauque après quelques instants d'un silence lourd.
Jackson s'efforça de garder un air impassible, mais jamais il n'aurait pensé que ce serait aussi difficile tant l'attitude de Stiles le décontenançait. Elle n'était pas simplement différente de ce qu'il avait l'habitude de voir chez lui... Elle ne cachait rien. Rien de son état, de ses ressentis. Elle était le reflet de son esprit, de ses pensées. Stiles était en morceau et se retrouvait incapable de le cacher car si tel était le cas, il aurait déjà essayé. Jackson n'était peut-être pas proche de lui, mais il le connaissait... Depuis longtemps. Il avait l'habitude de sa tendance à sauver les apparences... Et la reconnaissait. N'avait-il pas fait la même chose, durant un temps ? Ne continuait-il pas parfois, dans une moindre mesure ? Et pourtant, ils n'étaient pas si différents : Stiles utilisait les mensonges pour se cacher, se montrer plus assuré, plus joyeux qu'il pouvait l'être quant Jackson faisait simplement en sorte de se donner un genre, l'air... Intouchable. Lui, il allait jusqu'à s'inventer tout un pan de personnalité qu'il réservait au plus grand nombre, de sorte à garder son vrai moi pour l'intimité. La famille, les proches. Lydia savait précisément ce qui se cachait derrière ses yeux d'aigles – dans la meute, elle était sans doute la seule.
- Hier, articula Jackson en hochant la tête.
Parce qu'il n'avait pas envie de lui demander s'il se rappelait bien de ce qui était arrivé – le souvenir était marqué jusque dans sa chair. Puis s'entendre lui poser cette question lui paraîtrait trop stupide... Et Stiles ne l'était pas.
- Pourquoi ?
Un souffle à peine audible qui traduisait toute la confusion de l'hyperactif qui, au fond, savait très bien la raison pour laquelle Jordan Parrish pourrait passer pour leur parler à tous les deux. Après tout, n'avait-il pas entendu Jackson lui parler au téléphone, la veille ? Alors le kanima fit un geste vague de la main tout en lui répondant ceci :
- Pour avoir notre témoignage... Notre version des faits, je suppose.
Ses mots étaient vagues, parce qu'il n'avait pas véritablement envie de parler. Se retrouver face à un Stiles aussi transparent malgré lui quant à son état était suffisamment déstabilisant comme cela... Mais il savait qu'il valait mieux le prévenir. Peut-être que le fait de se retrouver face au chien de l'enfer et, par extension, à un collègue de son paternel, débloquerait rapidement quelque chose en lui... Le ferait réagir. Car Jackson peinait à réprimer cette espèce d'angoisse qui le prenait quand il le regardait tant le voir ainsi lui était inhabituel. C'était comme s'il se retrouvait face à un inconnu, ce qui n'était pas tout à fait faux. De Stiles, il ne connaissait que certaines facettes. Et jamais il n'avait eu à le voir dans un tel état que depuis qu'il l'avait tiré des mains hideuses du shérif. Alors oui, le kanima ressentait le besoin de le voir reprendre du poil de la bête rapidement, faire preuve de cette ténacité qu'il lui connaissait... Pour savoir à nouveau comment agir avec lui. C'était si simple, de parler à un Stiles hyperactif, bavard, têtu... Si difficile de faire face à un adolescent brisé, encore sous le choc de ce qu'il avait vécu.
- Ça... Ça ne suffit pas ? Finit par demander Stiles en montrant son visage d'un geste.
Parce que s'il ne savait pas véritablement ce qu'il ressentait, l'humain gardait en lui une part de lucidité qui lui permettait, dans une moindre mesure, de faire la part des choses. De se rendre compte de ce qu'il avait vécu – sans le digérer toutefois. Il n'en était pas encore capable.
Mais il savait que la violence de Noah était encore visible sur sa peau. Et même s'il n'avait pas eu le temps de lui faire grand-chose, le peu qu'il l'avait touché était net. Du rouge, un peu de bleu tirant partiellement sur le violet. Des couleurs qui ne lui allaient pas.
Jackson peina à avaler sa salive.
- Non, ça ne suffit pas, articula-t-il.
Il aimerait dire davantage, lui faire comprendre les choses de façon plus claire, mais les mots lui manquaient et il se savait peu loquace, pas très doué non plus pour converser. En l'état actuel des choses, il ne pourrait pas faire mieux.
- Il est... Obligé de passer ?
Depuis le début de cette « discussion », Stiles ne cessait de laisser s'écouler une longue pause avant de la relancer, comme s'il hésitait à mettre en voix sa pensée... Ou qu'elle peinait à se former dans son esprit complètement brouillé par le choc.
Et ce fait mettait en valeur une vulnérabilité dingue que Jackson ne lui connaissait pas. Ce dernier ne put s'empêcher de se demander un instant ce qui aurait pu se passer s'il n'était pas monté chez les Stilinski. Outre le fait qu'il se serait inévitablement passé ce qu'il avait permis d'éviter... Comment aurait réagi Stiles le lendemain ? Qu'aurait-il fait ? Jackson ne se sentait pas capable de l'imaginer, ce n'était pas quelque chose qu'il voulait concevoir. L'image d'un Stiles brisé suffisait déjà à lui faire perdre tout repère.
Jackson se racla la gorge, mais ravala le peu de mots qui lui venait encore. A la place, il hocha simplement la tête.
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