Chapitre 14
Stiles avait la sensation d'être dans un monde tout à fait étranger à celui qu'il avait l'habitude de côtoyer. Un monde vide. Sans âme. Comme lui. Le pire, c'est qu'il agissait, mais sans rien ressentir. Il mangeait avec lenteur une part de pizza sans vraiment se rendre compte du goût. En fait, elle lui semblait s'apparenter à de la gomme en termes de texture. Aucune saveur. L'eau qu'il avait bue quelques secondes plus tôt ? Il ne saurait dire si elle était fraîche ou simplement tiède et à vrai dire... Il s'en fichait. Il se fichait de tout. Pour preuve, il n'essayait même pas d'écouter la conversation qu'entretenaient Jackson et Lydia, dans la même pièce que lui. Et pourtant, elle commençait à être animée et on ne se préoccupait pas trop de sa présence. Tant mieux : lui-même ne faisait pas attention à eux.
Quoiqu'au bout d'un moment, il se mit à ressentir une sorte de lourdeur pesant sur son cœur. Le châtain savait fort bien à quoi elle correspondait.
A cette angoisse grandissante de ne pas savoir quoi faire ensuite.
Alors oui, peu à peu, son indifférence se fana jusqu'à laisser la froide harmonie de son visage se briser avec une lenteur exécrable. Quelque chose que l'on ne vit pas directement.
Mais que Jackson sentit.
Stiles ne remarqua pas le silence qui s'était soudainement fait dans la cuisine. Cependant, il déposa sa part de pizza dans son assiette. Il n'avait touché qu'à la moitié et s'il avait réussi à agir de manière automatique jusqu'à maintenant, c'était terminé. Sa sensibilité gagnait dangereusement à mesure que ses questions prenaient une place de plus en plus importante dans son esprit. A l'intérieur de sa tête dansait le visage de son père. Tantôt souriant, tantôt méprisant. Lequel prédominait ? Le second car le premier, doucement, s'éteignait. Et pourtant, Stiles peinait à y croire. Pas que son père puisse avoir viré ainsi à proprement parler. Il avait surtout du mal à se faire à l'idée que son orientation sexuelle seule était l'origine dudit revirement. Le shérif était pourtant connu à Beacon Hills pour sa droiture et son ouverture d'esprit ! Et là, Stiles crut se rapprocher de quelque chose. Un semblant d'explication.
Noah avait-il peur pour son image ? C'était bien d'être – de paraître – ouvert d'esprit... Mais c'était mieux quand ça ne nous touchait pas. Or, Stiles était son fils. Le fils d'un shérif. D'un homme de loi qui devait être parfait sous tous les angles.
Alors avoir un fils gay devait lui déplaire, parce que ça faisait tache. Peut-être. Mais à ce moment-là, Stiles pouvait peut-être tenter quelque chose qui pourrait les réconcilier l'un et l'autre ou du moins... Apaiser un tant soit peu leur relation. Et si lui parler pouvait tout arranger ? Il était gay, certes, mais... Il lui suffisait de ne pas le montrer, de rester discret et ne pas étaler sa vie sexuelle – ce qui était déjà le cas. Stiles avait toujours été discret sur ses plans culs, ses hypothétiques coups de cœur et même ses sorties en boîte. Il aimait garder sa vie privée pour lui. Alors s'il lui expliquait, peut-être que ça pourrait marcher. Peut-être qu'il pourrait l'accepter. Mais pour cela, il fallait que son image soit sa véritable préoccupation et ça, malheureusement... Stiles n'en était pas extrêmement certain. Cependant, il l'espérait. Parce qu'ainsi, arranger les choses lui paraissait un peu plus... Faisable.
S'il ne s'agissait que d'une histoire d'image publique, Stiles pouvait faire en sorte de la polir. Mais si Noah ressentait une réelle haine envers lui... Là, les choses s'avèreraient plus compliquées. A cette simple pensée, il sentit une nouvelle vague d'impuissance et de lassitude l'envahir. La distance que son père mettait entre eux le faisait déjà bien assez souffrir comme cela alors s'il apprenait qu'il n'était pas possible pour lui de lui faire entendre raison... Stiles n'était pas sûr de pouvoir le supporter. Noah, c'était le dernier parent qu'il avait encore.
Il ne pouvait pas le perdre, quelle qu'en soit la manière.
- Hé.
Stiles n'eut pas la force de sursauter ni même de s'étonner qu'on lui parle et encore moins de remarquer ce fait. Il releva mollement la tête. Croisa les orbes nuageuses de Jackson. S'attendit à un mot de plus de sa part, une remarque acerbe, quelque chose de brutal pour le faire réagir. Mais ce fut Lydia qui parla à sa place :
- Stiles... Tu sais que tu es en sécurité ici, n'est-ce pas ?
Elle semblait peinée, réellement peinée. Pour ne pas laisser sa question sans réponse, il hocha la tête. Mais ce n'était pas ça qui le travaillait. L'inconnu. C'était ça qui le préoccupait. Outre ce qu'il pourrait hypothétiquement faire pour renouer les liens avec son père, c'était ne pas savoir quoi faire qui lui faisait peur.
Et puis... Il n'allait pas rester non plus éternellement chez Lydia. Il y avait déjà passé un moment et sans doute s'attendait-on à ce qu'il s'en aille avant la nuit.
Là était le dilemme.
Tenter de rentrer chez lui malgré la menace que représentait son père ou essayer de trouver une autre solution ? Et s'il alliait les deux ? Après tout, que risquait-il ? En admettant que Noah l'avait effectivement empoisonné... Cela passait sans doute par la nourriture qu'il préparait – ce qui coïnciderait parfaitement étant donné qu'il avait récemment interdit à Stiles de s'occuper des repas, décidant de s'en charger lui-même. S'il ne mangeait rien, tout devrait bien se passer. Ensuite, s'il voyait que rien n'était possible, il déciderait de chercher un nouvel endroit où dormir. Un hôtel, une chambre d'hôte, quelque chose comme ça. Quelque chose de peu coûteux. Le temps qu'il trouve un moyen de convaincre son père que... Son orientation sexuelle ne changerait rien, qu'il restait le même. Qu'il pouvait se faire discret. Invisible. Presque inexistant... Non ? Était-il un peu trop optimiste ? Irréaliste ?
- Arrête de trop penser, tu vas te faire mal à la tête, soupira Jackson.
Comme si ça t'intéressait réellement, songea Stiles sans toutefois le dire. Il pouvait presque... Accepter que Jackson se soucie de lui, mais pas à ce point-là. Sans doute sa réflexion – intense – se lisait-elle sur son visage désormais dénué de toute froideur.
- Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Articula Stiles d'une voix rauque, cassée.
- Que tu arrêtes de te torturer l'esprit, ça sert à rien, répondit presque froidement le kanima.
L'hyperactif ne prit pas la peine de rétorquer quoi que ce soit tant il trouvait cela inutile. Réfléchir, c'était tout ce qu'il pouvait faire à l'heure actuelle pour essayer de se dépêtrer de cette situation compliquée. Stiles se sentit tout d'un coup épuisé mentalement, au point de ressentir le besoin de dormir. De s'allonger pour oublier. Tout oublier. Ne plus se sentir aussi mal, l'espace de quelques heures. Vivre dans le néant sans prêter attention à rien. Il soupira et posa son coude appuyé sur la table et son front sur sa main. Il finit par relever les yeux vers Lydia avec qui, il le savait, engager une conversation civilisée était simple :
- Tu pourrais me ramener ?
Parce qu'il se doutait bien qu'on n'avait pas ramené sa Jeep ici et qu'on ne le laisserait pas conduire la voiture d'autrui dans son état. Il était d'ailleurs plutôt d'accord avec ce fait et se savait capable de foncer dans un arbre sciemment... Juste pour voir si son père réagirait ou non. Et personne ne se doutait à quel point il pouvait être dangereux de laisser Stiles s'enfermer dans ses réflexions. Parce qu'il pensait toujours trop et finissait souvent par dériver... En particulier lorsqu'il se retrouvait face à une situation qui le dépassait complètement. Alors forcément, il imagina tout un tas de versions possibles de cet impossible trajet en solo tout en se demandant si Lydia l'aurait laissé prendre sa Jeep, si elle avait été là.
Stiles vit avec étonnement le visage de Lydia blêmir et c'est à peine s'il entrevit Jackson se crisper. Quoi ? Qu'avait-il dit de stupide ? Au fond, il le savait déjà mais... Merde, que voulaient-ils qu'il fasse d'autre ? Rentrer chez lui était pour l'instant la seule option qu'il avait, ne serait-ce que pour récupérer quelques affaires. Si son père décidait de le mettre à la rue sur un coup de tête, il aurait au moins de quoi tenir un peu vestimentairement parlant.
- Stilinski, tu ne penses pas sérieusement remettre les pieds chez toi ? Fit Jackson, effaré.
- Non, je ne te ramènerai pas, intervint Lydia en le regardant des plus sérieusement. Tu serais en danger là-bas.
- Non mais sérieusement, comment on peut être aussi con pour penser à un truc pareil ? Soupira à nouveau le kanima.
Il semblait agacé, mais pas complètement. Il y avait dans ses yeux une réelle lueur inquiète, quelque chose de profond qui ressortait sous une forme un peu brutale, primitive. Si ça ne tenait qu'à lui, il l'aurait enfermé dans cette maison juste pour l'empêcher clairement de retourner chez le shérif. Si ce dernier était capable de l'empoisonner et de mettre à exécution sa menace quant au camp de conversion. Déjà, simplement penser à une idée pareille révélait une part monstrueuse que Jackson ne lui aurait jamais imaginée.
- Jackson, l'appela doucement Stiles d'une voix morne.
Pause.
- Je ne sais ni quoi faire ni où aller et il est hors de question que je m'impose chez qui que ce soit alors tes réflexions, tu peux te les garder pour toi.
Sa voix était étrange. Froide et en même temps pleine d'émotions, d'un désespoir sans fond. Quelque chose de bien plus profond que ça n'en avait l'air. Et puis il y avait la confusion. Celle d'un jeune homme dont tous les repères avaient sauté.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top