Chapitre 11
- Vous avez fait quoi ?!
Lydia baissa la tête. Evidemment. Elle ne pouvait pas s'attendre à une réaction particulièrement douce de la part de Stiles, à qui elle venait d'apprendre ce qu'elle et Jackson avaient fait avec son téléphone. Elle lui avait également montré l'échange, lui avait fait lire, mais Stiles semblait ne pas réaliser ce qu'il se passait réellement. Il ne retenait que ce qui lui paraissait essentiel : le fait que les deux membres de sa meute ici présents avaient fouillé dans son téléphone puis parlé à son père et tout cela, pendant qu'il était inconscient.
Mais Jackson, de son côté, continua de le fixer sans détourner le regard. Oui, la réaction de Stiles était parfaitement compréhensible. Toutefois, les enjeux étaient bien plus importants que l'hyperactif ne l'imaginait. Enfin, il pensait généralement peu à sa propre vie et c'était par conséquent peu surprenant de sa part. Donc oui, pas vraiment étonnant, mais dangereux. Parce qu'il avait vu l'échange et n'avait pas réagi à ce sujet. Jackson avait bien capté du mouvement dans son odeur, mais rien de très probant. La colère continuait de dominer.
- Mais vous êtes des malades ! S'exclama Stiles, un peu ragaillardi.
Il restait atrocement pâle et faible, mais trois heures d'un repos mérité lui avaient fait du bien. Le poison l'affaiblissait tout de même encore, et ce n'était bien évidemment pas terminé. Au moins, il ne se surmenait pas, car Jackson se doutait que son épuisement plus que palpable n'était pas uniquement dû à ce qui coulait dans ses veines. Il était même persuadé qu'une fois chez lui, l'hyperactif ne se ménageait pas le moins du monde. L'affaiblissement et la fatigue étaient tout aussi liés que différents.
- Fallait agir, dit-il simplement.
Très sincèrement, se mêler des affaires des autres n'était pas quelque chose qui lui faisait plaisir. Il détestait ça. Mais son camarade de classe n'avait pas l'air de se rendre compte de l'état dans lequel il était, ni dans quel bourbier il s'était inconsciemment fourré.
- Et qui t'a donné ce droit ? Bordel, qu'est-ce que tu me veux, Whittemore ?! Qu'est-ce que je t'ai fait ?!
Stiles avait monté le ton et sa voix s'était brisée sur la fin, mais il ne criait pas. Il n'avait pas l'énergie pour. La douleur et l'incompréhension qui le contrôlaient étaient palpables. A vrai dire, elles touchaient Jackson, peut-être un peu plus que de raison. Mais son visage n'en montra rien, tout simplement parce qu'il devait se montrer ferme et qu'il était convaincu que s'il arrivait à maintenir ce masque, lui-même ne s'effondrerait pas. S'il devait être honnête, ce que Noah comptait faire de son fils le bouleversait. Etant gay lui aussi, il se savait potentiellement en danger, mais était conscient qu'aucun de ses parents ne voudrait ça pour lui. Aussi étonnant que cela puisse paraître, monsieur et madame Whittemore avaient particulièrement bien réagi à ce coming out qu'il avait fini par faire au bout de longues années de réflexion. Alors imaginer que le shérif en personne, shérif qui lui avait toujours paru très gentil mais un peu niais, réserve ce sort horrible à sa propre progéniture... Forcément, ça le remuait. Il se sentait obligatoirement concerné.
- Stiles, Jackson est de ton côté, fit Lydia d'un ton on ne peut plus sérieux. Il n'est pas contre toi.
- Non, non, je croirais pas à une connerie pareille, refusa l'hyperactif en secouant la tête.
Ce n'était pas réellement qu'il ne croyait pas à cette possibilité. Disons qu'il s'agissait surtout d'une façon pour lui de se protéger. Sa vie en ce moment n'était pas des plus simples. Il ne pouvait pas tout gérer. Un mec tel que Jackson ne pouvait pas réellement vouloir l'aider, lui, l'hyperactif qu'il avait toujours méprisé. C'était complètement idiot.
Jackson croisa les bras sur son torse et fit quelques pas dans la pièce, avant de se tourner à nouveau vers Stiles, qui avait baissé le regard. Il était furieux, oui, mais également intimidé. Le sportif qui se trouvait face à lui était un être surnaturel : un kanima. Contrairement à lui, il était en pleine possession de ses moyens et dans un sens, Stiles craignait qu'il ne finisse par lui faire du mal en cas d'abus de sa part. C'était l'impression que Jackson lui avait toujours donnée : il s'agissait d'un allié qui pouvait montrer les crocs, sortir ses griffes. L'hyperactif avait encore l'image stupide d'un Whittemore capable de faire du mal à tout le monde, y compris ceux qui titillaient un peu trop sa patience limitée.
- Tu sais ce qui me fume, Stiles ?
Jackson l'avait délibérément appelé par son prénom contrairement à ses habitudes, ce qui le fit frissonner. Si l'hyperactif ne répondit pas, il décida de garder les yeux baissés. Il ne voulait pas savoir, non. Correction : il ne voulait plus rien savoir. En lui, la conversation qu'il avait lue faisait doucement son chemin, mais n'était pas arrivée assez loin dans son esprit pour qu'il en comprenne l'ampleur, les tenants et les aboutissants.
- C'est que tu accordes plus d'importance à ce qu'on a fait, nous, plutôt qu'à ce que ton père compte te faire.
Stiles se crispa tandis que Lydia hocha la tête. C'était un fait. Un fait qui s'expliquait. L'hyperactif savait que son père le haïssait tout autant qu'il lui menait la vie dure. Néanmoins, il acceptait sa pénitence et savait qu'il devrait tout faire pour se racheter. Mais jamais ô grand jamais Stiles n'irait imaginer que Noah pouvait s'en prendre à lui. L'empoisonner sciemment. L'envoyer en thérapie de conversion. Le guérir de ce qu'il considérait comme une maladie.
- Mon père ne me ferait jamais de mal, articula Stiles.
Parce qu'il y croyait, bordel. Il y croyait même si une petite voix en lui s'évertuait à lui souffler que Noah Stilinski n'était pas blanc comme neige. Mais il s'agissait de son père. Sa seule famille.
Jackson ricana et Lydia posa sa main sur l'épaule de l'hyperactif. Elle comprenait son déni, mais elle laissait son ex parler, parce qu'il avait malheureusement raison. Aussi dur que cela puisse être, Stiles devait ouvrir les yeux, pour son bien.
- Il ne te ferait jamais de mal, c'est ça que t'as dit ? Stilinski, il t'a empoisonné. Au cyanure, putain. Tu penses que c'est quoi, ça ? Une preuve d'amour ? Et le fait qu'il veuille t'envoyer en camp de conversion, tu trouves ça normal ? Dans ta tête, ça fait pas sens ? Tu vois pas ce qui cloche ?
Si, bien sûr qu'il voyait, mais... Ce n'était pas... Pas vraiment... On parlait de son père, son géniteur, merde !
De son côté, Lydia eut l'impression que son esprit tirait une sonnette d'alarme. Elle essaya alors de tempérer :
- Jackson, c'est bon, je pense qu'il a compris...
Lui ouvrir les yeux était important, certes, mais il fallait également lui laisser le temps de digérer. Il n'était pas réveillé depuis très longtemps et restait faible. Il était certain que l'hyperactif, s'il décidait impulsivement de se lever, serait incapable de marcher seul. Une pauvre sieste n'irait pas compenser tout son sommeil en retard, ni les dégâts causés par le poison. Si l'on ajoutait à cela le simple fait que l'on parlait de son paternel en qui il accordait toute sa confiance... C'était encore pire.
Mais Jackson martela, encore et encore :
- Il te veut du mal ! Ton père te veut du mal, Stiles !
- C'est faux, objecta fébrilement l'hyperactif. Tu ne le connais pas, il... Il a toujours été là pour moi ! C'est juste que ça lui a fait un choc, et... Et...
- Arrête d'être dans le déni, merde !
Stiles se figea, tant la manière dont Jackson avait haussé le ton était inhabituelle. Et brusque. A vrai dire, il ne l'avait jamais entendu s'emporter de la sorte, presque crier. Cela lui fit l'effet d'une douche froide. Son cœur rata un battement, puis un deuxième. Lentement, les mots s'insinuèrent en lui. Son esprit bien trop rapide pour son bien avait déjà compris, mais le peu de stabilité mentale qu'il avait encore se refusait à accepter la réalité. Il avait besoin que tout ceci ne soit pas réel. Que son père ne soit pas le monstre qu'il commençait doucement à imaginer. Noah Stilinski était... Il était shérif, merde ! Il faisait respecter et incarnait la justice... Mais pas chez lui, semblait-il.
- Jackson, ça suffit ! S'exclama Lydia en se levant.
Le kanima darda un regard empli de colère dans sa direction. Une colère qui n'était pas contre elle. Une ire contre ce qu'il considérait comme aussi horrible qu'injuste. Il n'irait pas serrer Stiles dans ses bras, mais... Qu'importe à quel point il l'agaçait, il ne méritait pas un tel traitement pour quelque chose d'aussi... D'aussi... Normal. Il n'y avait pas d'autre mot. Aimer les hommes n'avait rien de contre-nature, n'en déplaisent aux conservateurs qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Jackson se sentait d'autant plus concerné qu'il partageait la même orientation que lui. Et puis il y avait ce truc, cette inquiétude qui le prenait aux tripes. Son alarme intérieure s'était déclenchée dès le jour où il avait dû se mettre en binôme avec Stiles pour un devoir et que celui-ci lui avait envoyé un message pour demander à leur professeur de changer de binôme. La manière dont il s'était dénigré était tout sauf du Stiles Stilinski. Désormais, il ne pouvait plus rien ignorer.
Ne désirant pas que l'on fasse plus amplement connaissance avec sa colère, Jackson sortit de la chambre d'un pas lourd. La porte claqua derrière lui.
Ne restait plus que Lydia, qui se retourna vers l'hyperactif tout en maudissant son ex. Tout cela partait d'une bonne intention mais Jackson était définitivement extrêmement maladroit en relation humaine. Ouvrir les yeux de l'hyperactif était une idée plus que nécessaire mais il n'avait pas besoin qu'on lui martèle la réalité aussi durement, d'autant plus qu'il était encore dans un état de faiblesse évident.
Et que l'air exsangue qu'il arborait n'était pas des plus rassurants.
Lydia se rassit au bord du lit et retint un soupir d'agacement. Dans le fond, et elle le savait mieux que quiconque, Jackson avait un cœur en or. Malgré ses airs de monsieur parfait, le kanima faisait attention aux autres et s'il piquait, ce n'était jamais réellement désiré. Il avait appris à être comme ça et son entrée dans la meute avait aidé à le faire changer. Il essayait d'être quelqu'un de meilleur, petit à petit. Nul doute que s'emporter contre Stiles partait d'un bon sentiment, mais l'exécution de cette intention laissait franchement à désirer.
- Stiles, écoute-moi, fit-elle doucement.
- A l'heure actuelle, je crois que je ne veux plus écouter personne, souffla-t-il, hagard.
L'air soucieux, Lydia posa sa main sur son épaule et la frictionna doucement, lui apportant physiquement une forme de soutien qu'il avait du mal à percevoir, simplement parce qu'il était à l'ouest. Que les paroles venimeuses de Jackson faisaient leur petit bout de chemin contre son gré, semant les graines d'un doute qui avait la possibilité de naître. Son quotidien, loin d'être le pire qui soit, n'en restait pas moins difficile à vivre. Stiles détestait se plaindre, d'autant plus lorsqu'il ne voyait pas ce qui posait problème. De tout temps, il s'en était sorti seul, parce que c'était ainsi qu'il avait toujours fait. Et, naïvement, Stiles pensait pouvoir agir de cette manière concernant cette affaire avec son père.
Mais les choses le dépassaient complètement.
Dans le fond, il s'en rendait bien compte. Il savait que rien de tout ça n'était normal comme il ignorait sciemment l'alarme qui ne cessait de résonner en lui. Parce que son estime de lui, déjà instable et basse, risquait de s'effondrer et de le laisser à la merci du moindre malheur. De la moindre parole acerbe. Le mental de Stiles était un mur dont les profondes zébrures étaient dissimulées par un enduit fin. Assez suffisant pour le maintenir debout, pas assez pour empêcher l'air de passer. Crac. Une nouvelle fissure apparut et fit lentement son chemin.
Son effondrement complet n'était qu'une question de temps et c'était, semble-t-il, la seule chose dont l'hyperactif était réellement conscient étant donné qu'il maintenait aussi fort que possible son déni face à la vérité qui l'aveuglait. Il continua de se dire, juste pour tenir, que Jackson se trompait. Qu'il disait n'importe quoi. Qu'il ne connaissait pas son père comme lui le connaissait – l'avait toujours connu. Qu'il faisait tout cela pour lui nuire. Juste parce qu'il était Jackson Whittemore et qu'il ne l'aimait pas.
Oui, mais Jackson avait été là pour lui, au centre commercial. Stiles se souvenait fort bien l'état dans lequel il était lorsqu'il se baladait seul au rayon des chemises, la manière dont son cœur menaçait de sortir de sa poitrine et la prévenance dont avait fait preuve le kanima, restant avec lui le temps qu'il aille mieux. Que cela lui plaise ou non, le fait était que Jackson l'avait aidé. Et puis, il y avait eu cet évanouissement. Son réveil, bref. De légers flashes. Et là, cette conversation sans queue ni tête... Stiles porta une main à son crâne et se rallongea péniblement. Lydia l'aida, l'air soucieux ne quittant pas son visage. Elle se mordit la lèvre, eut l'air de réfléchir, de vouloir dire quelque chose, mais ravala ce qu'elle s'apprêtait à dire.
- Repose-toi, finit-elle par lâcher doucement avant de se lever.
Si la douleur soudaine qui lui vrillait la tête n'était pas aussi forte, Stiles aurait sans doute fini par lui demander des comptes, insister pour savoir ce qu'elle était sur le point de lui dire. Mais il était... Ailleurs. Perdu. D'autant plus que ses précédentes réflexions, trop intenses pour la forme actuelle de son cerveau, l'épuisaient. Dans son état, il n'avait pas la force d'accepter la vérité. D'accepter que son père puisse lui vouloir véritablement du mal. Non, il avait besoin de croire, encore un peu. Croire qu'il n'avait pas définitivement perdu ce père qu'il aimait tant. Il ferma les yeux et laissa l'épuisement l'envahir sans toutefois basculer dans l'inconscience. Durant de longues minutes, il flotta dans un état intermédiaire, entre l'éveil et le sommeil. Plus de Jackson. Plus de Lydia. Plus de père. Plus rien.
Juste un vide bienheureux protégeant momentanément sa conscience.
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