Chapitre 54

Marie-Louise marchait sans réellement regarder où elle allait. Elle ne faisait que suivre les deux soldats qui l’accompagnaient. Repensant à ce que venait se dire William, elle avait vite comprit qu’elle n’avait aucune chance de fuir avec eux. Au moindre faut pas le Red Edan, son équipage et elle finirait en poussière. Ce qui voulait dire une chose : elle regardera donc ces voiles rouges partir au loin sans elle. Son beau capitaine pirate qui s’en irait vers l’horizon. Sa chaleur, son odeur, son regard, sa voix… tout allait disparaître. Elle verrait l’Edan pour la dernière fois, restant à quais, tandis que ce navire glissera sur les vagues.

Les yeux vers la ville, elle vit très vite le groupe de William décharger les coffres du Red Edan. D’ailleurs celui-ci avait dû agrandir ses troupes, car ils étaient une bonne dizaine maintenant à fouiller le bâtiment pirate. Elle avait mal au cœur et espérait que l’équipage pirate n’assiste pas à cela.

L’équipage…

Ces hommes avaient été si bienveillants avec elle. Mais comment allaient-ils la voir dorénavant ? Une traitre ? Une horrible noble ? Son corps frissonna à cette pensée. Elle se força à voir le bon côté, même si sur le coup, il était vraiment petit ce bon côté. Ils vogueraient sur les flots, libres, comme ils l’avaient toujours été avec l’Edan. Leur vie d’avant allait revenir. Que demander de plus. Ils seront libres… et elle passera peut-être pour la méchante. Mais n’était-ce pas mieux que de les abandonner au supplice de la corde ? Elle préférait que chacun la déteste, plutôt qu’il n’y ait plus de chacun.

Ses pieds claquèrent contre les pierres. Le moment sonnait comme la fin. Le groupe descendit les marches de pierres froides et s’engouffra dans un long couloir. Ils passèrent plusieurs geôles avant d’arriver à celles d’Alexandre et son équipage. L’homme écarlate était assit au sol. Il releva la tête et fut surpris de la voir elle. Tout les pirates furent étonnés d’ailleurs. Chacun la regardait étrangement, beaucoup la pensait presque comme un ange de la mort. Leur joli pirate femme habillée d’une robe rouge venant leur rendre une dernière visite avant l’heure.

Alexandre se leva doucement, posant son regard sur son joli cœur. Il était vrai qu’il la préférait avec son pantalon et sa chemise blanche, cela mettait ses formes bien plus en valeur. Mais il la trouvait tout de même ravissante dans cette tenue. Durant leur petit séjour dans les geôles, l’équipage ne s’était pas dit grand chose. En sortant du Red Edan, la plupart des hommes avaient déjà accepté leur sort. Alexandre de son côté ne désirait que la revoir avant de partir. Il voulait l’embrasser, la tenir dans ses bras. Un peu comme un dernier réconfort avant qu’il n’y laisse la vie.

- Marie, tu es venu nous dire au revoir ? pleurnicha l’un d’eux en passant sa tête par les barreaux, enfin, presque.

Son cœur lui fit mal. Très mal. Ils étaient tous plus bas que terre. Où était passé les affreux pirates qu’elle connaissait ? Ces hommes qui n’avaient peur de rien. Ces hommes qui étaient forts et puissants ! Elle en oublia presque de respirer en les voyant. Mais elle se reprit vite.

Marie-Louise se tourna vers le garde et lui tendit sa main. Il y déposa les clefs et elle ouvrit donc chaque porte libérant l’équipage, pour terminé avec la geôle d’Alexandre. Celui-ci fut le dernier à sortir. Il s’approcha d’elle, le visage crispé.

- Que fais-tu joli cœur ?

Elle aimait ce surnom et se retint de pleurer à l’entente de celui-ci. Le voir était une libération mais paraissait être aussi un poids énorme qui s’écroula sur ses épaules. Un vide commençait déjà à se former dans son coeur. Il allait terriblement lui manquer. Tous, d’ailleurs. Elle garda pourtant la tête haute.

- Je vous rends votre liberté, avait-elle répondu avec un sourire forcé.

Alexandre ne comprenait pas exactement ce qu’elle faisait. Pourtant, il la suivit lorsque celle-ci prit le chemin de la sortie. Les pirates récupèrent leurs armes stockées à l’entrée et quittèrent pour de bon les prisons, dont Alexandre qui prit ses effets et son grand manteau accompagné de son chapeau qu’il garda en main. Dans un silence pesant, le groupe se dirigeaient vers le port où Marie-Louise fut soulagée de n’y voir personne. William avait fini de vider le Red Edan de ses richesses.

Le groupe de pirate fut prit d’une petite étincelle de joie et l’équipage rejoignit vite le pont de leur bâtiment. Alexandre de son côté se plaça devant Marie-Louise. Il la regardait, surtout son petit visage qui l’avait tant manqué.

- Comment as-tu fait ? demanda-t-il en plaçant une main sur la joue de celle-ci.

Sa gorge se serra. Tous les souvenirs qu’elle avait d’eux où ils étaient si fières d’avoir leur butin, si fière d’en être sorti vainqueur. Le visage de ce capitaine écarlate qui était déterminé à trouver ce trésor. Elle n’arrivait plus à rester neutre, quelques larmes coulèrent de ses yeux sans qu’elle ne puisse les arrêter. Son corps tremblait.

- Je t’en prie, ne m’en veux pas… avait-elle dit en forçant sur ses cordes vocales.

- Comment ça ? Que se passe-t-il ?

Alexandre avait mal de la voir de la sorte, il essuya de son pouce l’une des petites larmes qui coulait de ses yeux. Il détestait d’autant plus ce noble. Que lui avait-il fait pour qu’elle soit dans un état pareil ? Pour la calmer il plaça son autre main dans le dos de joli cœur et posa son front contre le sien. La respiration de la jeune était saccadée.

- Je n’avais pas le choix, reprit-elle. C’était ça ou vos vies. Je n’allais pas le laisser vous tuer tu comprends ?

- De quoi tu parles joli cœur ? Dis-moi clairement ce que tu as fait.

- Je lui ai donné le trésor des abysses, je suis désolé.

Ses larmes continuèrent de couler tandis qu’elle essayait tant bien que mal de se contenir. Mais comment ?
Alexandre, étrangement, était rassuré. Évidemment qu’il aurait aimé garder ce trésor, le butin le plus recherché des océans ! Mais, lorsqu’il y pensait, elle avait fait cela pour les sauver eux. Alors il n’y voyait rien de mal même si au fond c’était légèrement dérangeant il ne pouvait pas se le cacher.

- Ce n’est rien joli cœur, ce n’est rien…

L’homme approcha son visage plus près de celui de Marie-Louise. Ils s’embrassèrent rapidement avant qu’elle ne place ses mains sur son torse afin de le pousser et de l’écarter d’elle. Il ne comprenait pas ce geste, alors il ne décala son visage que de quelques centimètres afin de la regarder.

- Ne fais pas ça, ils pourraient s’en prendre à vous, continua Marie-Louise qui se calmait peu à peu.

La jeune femme recula, avec toute la force qu’elle avait, pour mettre de la distance entre eux. C’était douloureux mais elle se devait de le faire. Alors sans aucune gêne elle sorti de son corset la carte qu’elle avait cachée plus tôt. Il ne fut pas surpris, mais surtout interrogateur.

- Prends la, je l’ai récupéré dans son bureau, fit-elle en lui tendant le papier froissé.

Il récupéra la feuille perplexe.

- Je peux les réduire en cendre si cela te convient, chuchota-t-il en fixant les deux gardes qui les accompagnaient.

- Non ! Ne fais pas ça.

Il comprenait encore moins ce qu’il se passait. Ne voulait-elle donc pas venir avec eux ? Ce noble avait donc réussi à la convaincre ?

- Tu as choisi de rester avec lui ? demanda-t-il tout de même dégoûté de parler de William.

Elle comptait répondre que non. Qu’elle le détestait autant que lui. Mais que faire ? En disant cela elle allait attirer l’attention des gardes, et tout le monde finirait en inerte. Marie-Louise se garda de dire ce qu’elle pensait, préférant lui mentir plutôt que de risquer la vie de cet homme qu’elle ai aimait tant.

- Tu n’as aucun chance face à eux, expliqua-t-elle. Le port est entouré de canonniers prêts à tirer au moindre faux pas que je ferais. Je ne veux pas voir le Red Edan et son équipage réduit au fond de l’océan.

William avait mis en place cette protection depuis qu’il avait apprit la disparition de Marie-Louise. Ces hommes étaient placés de sorte à ce qu’aucun navire pirate ne puissent arriver au port.

- Je te demande si tu veux vraiment rester avec lui ? Je serais prêt à tout.

Elle avait envie de lui crier qu’elle l’aimait. De lui dire qu’il était hors de question qu’elle reste avec cet homme. Mais, pour la seconde fois, elle décida de lui mentir. De garder au fond d’elle tout ce qu’elle pensait réellement. Son bonheur n’était rien comparé à eux. Elle voulait absolument qu’ils vivent, quitte à se détruire elle-même. Marie-Louise voulait qu’ils continuent de piller en sa mémoire.

Elle adopta donc pour la énième fois son visage neutre, fixant droit dans les yeux Alexandre.

- Dans ce cas oui, je veux vivre avec William, se força-t-elle à dire malgré le visage meurtri d’Alexandre.

Il regardait le vide.

- Tu as donc choisi le noble.

Son cœur se brisa dans sa poitrine. Jamais il n’avait vraiment montré ses émotions. Mais cette fois-ci, elle voyait que tout en lui venait de se détruire en une fraction de seconde. Qu’est-ce qu’elle avait envie de le serrer dans ses bras et de lui dire que rien de tout cela n’était vrai. Qu’elle ne désirait qu’une chose, rester à bord du bâtiment et vivre à ses côtés. Mais elle préférait tuer son bonheur à elle plutôt que de les laisser mourir.

- Oui, reprit-elle.

Ce qu’elle allait dire ensuite était encore plus blessant. Mais elle voulait qu’il y croit. Elle voulait qu’il quitte ce port sans se retourner. Qu’il reprenne son rôle de capitaine et qu’il continu de voguer vers l’horizon. Que ce capitaine sanguinaire continu de maltraiter les petits nobles du genre de William.

- Tout comme moi, argua Marie-Louise avec la gorge qui se serrait. Je n’ai jamais été un pirate. Et je ne le serais jamais.

Alexandre resta debout, il avait l’impression de s’écrouler sur lui même. Il n’arrivait pas à croire que ce joli cœur qui aimait tant l’océan lui dise cela un jour. Mais elle l’avait fait. Et étrangement, il ne savait détecter si cela était un pur mensonge ou une triste réalité. Alors leur histoire ? Leur baiser ? Il ne savait plus du tout quoi penser de tout cela. Il était perdu, brisé, détruit. Il l’aimait tant. Il aurait aimé qu’elle succombe. Qu’elle le laisse s’occuper des canonniers et des gardes. Qu’elle parte avec eux pour de bon. Mais n’avait-elle pas fait son choix ?

Il ne répondait rien, ne faisait rien. Elle avait presque l’impression d’être face à une statue de pierre. C’était horrible que de le voir comme cela. Mais c’était aussi pour le mieux.

- Alexandre, je t’en prie, offres leur cet océan, cette liberté. Ma place…

Elle respira avant de continuer doucement, blessée elle-même par ce qu’elle allait dire.

- N’est pas là-bas. Elle est ici. Mais le Red Edan se doit de garder ses voiles gonflées par le vent ! S’il te plaît, continue de voguer sur les flots interminables et indomptables. Comme tu l’as toujours si bien fait.

Il restait là, à fixer le vide, encore sous le choc. Il avait mal. Non, son coeur saignait. Il était à vif même. Mais rien sauf elle ne pouvait le guérir de cette tristesse qui le rongeait peu à peu. Alors, il adopta la douleur. Son visage crispé disparu, laissant place à celui qu’il avait toujours porté. Ce masque aux yeux froids et durs.

- Très bien, fit-il en plaçant ses yeux sur ceux de la jeune femme. Si c’est ce que tu souhaites. Félicitation pour votre mariage. Nous te laisserons donc ici, Marie-Louise White.

L’homme reposa son grand chapeau sur sa tête et parti vers son bâtiment la laissant seule.

Qu’est-ce qu’elle aurait aimé le retenir. Mais elle ne pouvait pas. Car le suivre sur le Red Edan l’aurait conduit a mettre en alerte les canonniers. La mort s’en serait suivit. Elle ne fit que les regarder se mettre au travail. Les fanaux allumés sur le pont, elle vit tout le monde à la tâche. Certains se retournaient pour la regarder. Puis très vite, l’Edan prit son envol.

Ce baiser qu’ils avaient eu était donc le dernier ? Elle l’avait apprécié. Mais elle en manquait déjà. Pourtant, plus jamais elle ne pourrait étancher sa soif. Car cet homme venait de partir et ce pour de bon.

Elle l’aimait. Elle l’aimait plus que tout. Lui, son équipage, ce bâtiment, cet océan, la piraterie… tout cela faisait partie d'elle. Tout cela était tellement important à ses yeux, qu’elle avait décidé de les laisser partir pour les sauver. Car elle venait de se sacrifier pour qu’eux puisse continuer ce qu’elle voulait faire. Enfin de compte, elle n’était pas encore une pirate accomplie. Un forban digne de ce nom se serrait battue pour son bonheur ! Un forban digne de ce nom n’aurait pas hésité une seconde avant de rejoindre ce bâtiment pirate !

Elle ne l’avait pas fait.

Ses larmes étaient silencieuses, ses cris étouffaient au fond de sa gorge… qu’est-ce qu’elle aurait aimé les voir faire demi tour. Les voir revenir pour elle. Mais ce ne fut pas ce qu’ils firent, car elle vit le Red Edan s’éloigner de plus en plus. Bien trop vite à son goût, ces belles voiles rouges disparaissaient dans la pénombre de la nuit. Les fanaux ne furent plus visibles, il n’y avait plus qu’un horizon bleu foncé noir qui lui faisait face. Sans même s’en rendre compte, elle commença à courir jusqu’au bord où elle avait malgré elle espéré les voir une dernière fois, sans grand succès.

Ce fut toujours le noir complet. Ses jambes perdirent toute leur force, elle se laissa tomber à genoux sur le bois du quais, près de l’eau. Marie-Louise ne faisait que regarder l’océan. Ses larmes coulèrent pour la troisième fois. Pourtant, elle ne les retint pas cette fois-ci. La douleur était affreuse. L’absence encore plus. Et dire qu’elle allait devoir vivre avec, le restant de ses jours, marquait le début du supplice que devenait sa vie.

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