Chapitre 45

La jeune femme avait ses mains posées sur le bastingage où elle ne faisait que fixer cette île. Elle n’y revenait pas, durant tout ce temps, tout ce qu’ils avaient dû faire pour la trouver. Ils étaient enfin arrivés devant la forteresse. Elle avait l’impression que ce n’était qu’une illusion. Pourtant il n’y avait rien de faux dans tout ce qui l’entourait. Que ce soit ces vagues qui étaient montées à plusieurs mètres de hauteur pour venir s’écraser contre eux, que ce soit ce bâtiment fantôme avec son équipage squelettique. Et dire qu’il y avait encore de cela plusieurs mois, elle n’aurait guère cru que tout était vrai, que tout n’était pas qu’histoire pour enfant afin de leur faire peur.

Tandis que les gouttes continuaient de tomber du ciel, elle recula de quelques pas afin d’aider l’équipage pour ralentir le navire et l’arrêter. Il leur fallait éviter de détruire le bâtiment en s’aventurant trop près de la forteresse. De plus, s’ils avaient un quelconque problème, il leur faudrait repartir au plus vite et donc avoir assez de place pour faire un demi tour sans encombre.

Après qu’elle eut fini son nœud pour accrocher le cordage, elle regarda les matelots sur les mâts qui rentraient les voiles afin d’arrêter le bâtiment. La pluie continuait de taper doucement sur les planches, leur doux son caché par les pas nonchalants des marins qui finissaient leur travail. Marie attendait sur le pont, ses yeux toujours rivés sur la forteresse de corail. Le capitaine avait rejoint son équipage - mais elle ne saurait dire quand - tant cette tour aquatique était étrange et belle à la fois, hypnotisante.

Pourtant, elle se détourna pour écouter ce que l’homme écarlate allait dire. Marie se surprit à le contempler de toute sa grandeur. Cet homme qu’elle détestait il y a de cela plusieurs semaines, plusieurs mois. Le destin avait fait que son cœur batte pour lui. Elle l’aimait. Sa voix, son odeur, la texture de sa peau, ses yeux sombres, ses cheveux en pagaille…

- Seulement un groupe d'hommes partira sur l’île, commença Alexandre en croisant les bras.

Tandis qu’elle regardait les détails qui composaient le visage du pirate, il énumérait les prénoms de ceux qui allaient l’accompagner. Elle ne savait qui viendrait avec eux. Mais elle avait hâte de découvrir et de voir ce trésors Introuvable. Cet or que personne n’avait réussi à trouver auparavant, ou alors n’en était pas revenu. Maintenant qu’elle y pensait, en regardant autour de cette île, il y a eu quelques traces de passages avant eux. Des carcasses de navires espagnol, français, pirates, marchands… beaucoup étaient venus ici. Mais visiblement personne n’avait réussi à s’en sortir vivant. S’étaient-ils échoués après la bataille contre le Princess Augusta ? Ou plutôt à cause de la tempête ? Ou peut-être même qu’ils n’étaient jamais revenus de la forteresse ?

À cette pensée un frison parcouru son dos, mais ce n’était pas cela qui allait l’arrêter. Après tout ce qu’elle avait déjà traversé, il était seulement hors de question qu’elle abandonne à ce niveau-là de l’aventure. Une étincelle se mit à naître en elle. Marie était prête à partir, elle n’attendait plus que le feu vert du capitaine.

La jeune femme reprit conscience pour ensuite s’avancer en suivant le groupe qui partait vers les chaloupes. Alexandre se dirigea vers elle comme pour lui barrer la route. Son regard avait changé, il était attendrissant, doux, beau.

- Joli cœur, je pense qu’il serait préférable que tu ne viennes pas… commença-t-il vite coupé par Marie.

- Comment ça que je ne vienne pas ? Je n’ai pas vécu tous ses malheurs pour finir en te regardant partir ! Je vais entrer dans cette forteresse que tu le veuilles ou non, argua-t-elle en le quittant sans un regard.

Il se tourna pour fixer cette femme qui aidait ses mathurins et montait aussi vite dans la chaloupe qui fut lâchée sur l’eau.

- Eh bien, intervient Rick en s’approchant de son ami d’enfance. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé mais elle a l’air d’être prête à tout.

Le capitaine ne disait rien, le regard dans le vide, là où était Marie il y avait encore quelques secondes. En réalité il avait peur, non de ce qu’il pourrait se trouver une fois sur l’île mais plutôt de ce qui leur arriverait lorsqu’ils seront près du but. Il avait remarqué tous ces navires. Il savait aussi qu’à un moment ou à un autre, leur groupe croiserait des présences dont l’âme avait quitté le corps laissant leur chair pourrir sur le sol.

Il éloigna ces pensées noires pour se concentrer sur leur but principal : le trésor des abysses. Tant de pirate avait rêvé de l’obtenir. La richesse était au bout de leur voyage. La renommée, le prix allait monter sur le capitaine du Red Edan et sur son équipage. Bientôt, il deviendra le pirate le plus connu des sept mers.

- Powell, appela-t-il dont l’homme s’approcha à l’entente de son prénom. Si dans trois heures nous ne sommes pas revenus, quittez le triangle.

- Comment ça ? Je ne vous abandonnerais pas ici capitaine Henderson…

- C’est un ordre, continua l’écarlate d’une voix plus grave. Nous ne savons pas ce qui se trouve là-bas et il est hors de question que mon équipage périsse ici. Si tu ne nous vois pas revenir d’ici trois heures, tu prends le contrôle du navire et tu quittes cet endroit maudit. L’Augusta ne vous importunera pas, vous pourrez repartir sans problème.

Il était évidemment difficile pour le maître d’équipage d’accepter cela, lui qui avait promis sa vie à cet homme. Mais un ordre était un ordre. Alors, malgré lui et sa promesse, il acquiesça à contre-cœur. Alexandre voyait bien le mal qui venait ronger l’homme à la peau foncée.

- Ce navire est la liberté de l’équipage, la mienne comme la tienne. J’ai passé la moitié de ma vie à bord, je te demande de prendre soin de l’Edan si nous ne revenons pas.

Alexandre retira son grand chapeau noir et sa veste rouge, puis les donna à l’homme. Powell lui offrit un regard des plus étonné en récupérant les affaires de son capitaine. Ces deux vêtements étaient devenus le symbole même de Black le Sanguinaire capitaine du Red Edan.

- Trois heures. Prends soin de mes effets tu veux ? fit-il avec un sourire que son maître d’équipage ne lui rendit pas encore sous le choc de cela.

Powell ne faisait que fixer les affaires d’Henderson, un poids sur le cœur qu’il ne connaissait guère. Il avait peur de le perdre. Non parce qu’il était son capitaine, mais parce qu’il avait connu cet enfant depuis presque seize ans. Il l’avait vu grandir, s’épanouir, évoluer… Le maître d’équipage recula de quelques pas, s’arrêtant devant la cabine du capitaine où il se redressa, reprenant cet air sérieux sur son visage, reprenant le contrôle de ses émotions.

- Allons-y, reprit Alexandre en se dirigeant à son tour vers la chaloupe qui n’attendait plus qu’eux.

Le capitaine et son second, accompagné de cinq autres marins, arrivèrent sur l’île. Il n’y avait que deux chaloupes, le reste de l’équipage était à bord de l’Edan qui était loin. Alexandre descendit du bateau aidant ses marins à le tirer vers la plage. Là encore, les traces de passage étaient visibles, mais dans de tristes états. Des petites barques échouées sur le sol de corail, leur coque trouée où les vagues venaient s’entrechoquer.

Marie regardait ce qu’il y avait autour d’eux : des coraux colorés, des algues séchées, des coquillages. Il ne suffisait plus qu’un soleil traversant les nuages pour que l’endroit en devienne irréel. Pourtant, la lumière du jour ne parvenait guère à franchir ce bouclier grisâtre où les gouttes d’eau venaient s’échapper pour s’écraser au sol.

Les pirates s’étaient tous rejoints à un même endroit, attendant ce que leur capitaine allait dire. La jeune femme avait fait de même après son observation. Chacun avait l’air d’avoir peur mais était aussi pris d’un grand sentiment de hâte. Ces pirates allaient devenir riche, puissants sur ces eaux et aussi les seuls et les premiers à revenir du triangle avec ce trésor tant voulu.

- Nous y sommes enfin, commença Alexandre presque comme s’il se parlait à lui-même. L’or est à portée de main. Mais, nous ne savons guère ce qu’il y a à l’intérieur. Soyez sur vos gardes, je tiens à reprendre la route avec tous mes pirates ! rigola-t-il pour détendre l’atmosphère.

Puis le silence régna en maître sur les lieux, seules les vagues venant s’échouer sur le corail étaient audibles, suivi par le clapotis des gouttes.

- Eh bien qu’attendons-nous ?

À cette phrase, chaque marin avait levé la main en l’air et tous commencèrent le périple en suivant leur capitaine de près. Ils empruntèrent un passage, le seul d’ailleurs, présent dans la roche. Une porte de pierre le gardait, elle ne fut en revanche pas difficile à ouvrir. En la traversant, celle-ci se referma brusquement dans un fracas assourdissant. Plusieurs pirates tentèrent de l’ouvrir mais sans résultat.

- Nous sommes coincés, avait dit l’un d’eux le regard dans le vide, réalisant cette information.

- Continuons, ordonna Alexandre ne voulant pas qu’ils cèdent tous à la panique. Il y aura sûrement un autre chemin pour remonter.

En réalité il n’en savait rien, mais ils n’avaient pas le choix. Il leur fallait maintenant avancer. Attendre ici ne leur serait d’aucune aide. Alors, malgré eux, ils continuèrent leur route abandonnant l’entrée pour s’enfoncer. Rick avait pensé à prendre une lampe à huile au cas où ils en auraient besoin, ce qui fut le cas. Même si en réalité, une belle lumière bleutée régnait sur les lieux. Personne ne savait vraiment d’où elle émanait et celle-ci offrait un plus dans l’inconnu dont ils venaient de plonger.

Marie ne faisait que scruter ce qu’il y avait autour d’eux. Au départ fait seulement de roches dont les coraux y étaient incrustés, le tunnel avait vite mené à un chemin longeant les parois du grand pic. À sa gauche s’étendait le vide où certaines cascades d’eau venaient s’y lancer. Il leur arrivait même parfois de marcher dans leur sein, dont le contenu allait bientôt y tomber à son tour. Cela offrait d’ailleurs au lieu l’odeur de l’océan même, ce qui ne dérangeait aucun d’entre eux. Le sol lui n’était composé que de gros rochers colorés, certains plus fragiles que d’autres. Le mur et le plafond étaient les mêmes. Il n’y avait que du corail, que ce soit au-dessus, en dessous ou sur les côtés. Cet endroit n’était fait que de cela.
Ils marchèrent pendant plusieurs minutes comme, presque aucun d’entre eux ne parlait, sauf Nunez et Gill.

- Tu crois qu’il y a quoi en bas ? demanda Gill en se décalant très légèrement vers le vide.

- J’en ai les frissons rien que d’y penser, continua son ami à la peau foncée.

- On ne s’en sortira pas vivant, moi je vous le dis, argua l’homme à la queue de cheval basse en se positionnant pour suivre le groupe.

- Comment ça ? demanda Marie qui s’était approchée d’eux.

- Les navires échoués, intervient Nunez presque en tremblant.

- Cela ne veut rien dire, rétorqua-t-elle.

- Libre à toi de penser qu’on survivra. Mais si personne n’en est jamais revenu, c’est qu’il y a une raison, expliqua Gill en évitant l’eau d’une énième cascade qu’ils croisaient.

Un tremblement vint caresser ses bras alors qu’elle le suivait toujours. Son pas était légèrement plus lent, les deux pirates prirent vite de l’avance. Marie s’était redressée pour fixer le dos de l’homme qu’elle aimait. Seul lui arrivait à la calmer. Rien que de l’avoir dans sa vision avait réussi à mettre fin à ces petits mouvements infernaux.

Le pirate s’était légèrement tourné, il vérifiait que le groupe suivait bien, et en profita pour croiser le regard de son joli cœur. Pourtant, cela ne prit que quelques secondes avant qu’il se reporte ses yeux sur ce qui se trouvait face à lui. Toujours devant accompagné de Rick, ils avançaient dans l’inconnu sans savoir trop où aller. Ils ne faisaient que suivre le chemin déjà formé par les coraux. Continuant de descendre sur ce terrain qui ressemblait presque à de grands escaliers en colimaçon, sans les marches, sans la sécurité. Et encore moins la sûreté de revenir en vie.

Les minutes passèrent lentement, mais le bout du chemin devint visible. Ils n’avaient fait que descendre et devaient être, à l’heure qu’il était, bien profond dans l’océan protégés par les parois de corail de la forteresse. Alexandre marchait encore, sans réfléchir, il avait pour but de voir ce trésor. Il voulait le toucher. Mais le froid vint parcourir ses pieds de façon étrange. Un bruit qu’il connaissait bien résonna dans la pièce.

Baissant les yeux vers ses pieds, il remarqua qu’ils avaient atteint la partie la plus profonde de la forteresse. Le sol de corail était en partie submergé, l’eau montant déjà aux chevilles de l’homme. Il continua pourtant sa route pour se retrouver face à un cul de sac.

Une salle ronde, dont la lumière bleue imprégnait les murs. Les coraux encore bien présents, accompagnés de coquillages et d’algues au sol et sur les parois. Le groupe suivait. Chacun fut surpris en découvrant cet endroit qui en réalité n’avait rien de réellement différent comparé à ce qu’ils avaient déjà franchi. En revanche, il n’y avait pas d’or, rien de tout cela. Seulement de l’eau, des coraux, des rochers… mais pas de butin. Pourtant, l’homme était persuadé qu’ils y étaient. Que le trésor des abysses était tout proche, mais où ?

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