Chapitre 39
Le triangle des Bermudes. Cet endroit dit « maudit » par chaque marin. Une partie de l’océan dont personne n’était jamais revenu. Il était même raconté que des âmes piégées entre la vie et la mort vagabondaient sur ces eaux inconnues. Quiconque perdant la vie en ces lieux finira prisonnier à jamais ne pouvant faire partie ni des vivants ni des morts.
Le Red Edan venait tout juste d’y pénétrer. Le temps avait changé comme on change de vêtements, passant d’un beau ciel bleu et dégagé à un voile noirâtre empêchant tous rayons de soleil. La mer était agitée. Le vent s’était levé. La pluie venait se fracasser sur le pont du navire.
Alexandre rangea à la seconde son sabre pour se concentrer sur les alentours. Il fixait chaque parcelle d’eau qu’il y avait. Brown avait raison. Ils y étaient.
Plus le bâtiment entrait en ces lieux inconnus, plus la pluie s’abattait sur eux. La jeune avait aussi mis son arme dans son fourreau. Tout l’équipage était perplexe mais réagit vite aux paroles du capitaine.
- Au travail mathurins ! Ce ne sont que les prémices du triangle.
Chacun se remit à son poste exécutant les ordres sans faire d’histoire. De son côté Marie sentait la peur la gagner, mais elle y passa outre. Ses cheveux maintenant trempés et ses vêtements collants sa peau, elle rejoignit le capitaine qui venait de monter à la barre.
- Il va être difficile de naviguer sur ces eaux, fit Brown en agrippant le gouvernail qui commençait à faire des siennes.
C’était vrai. Le Red Edan n’avait pas encore vu le pire. Le timonier de celui-ci était fort, mais face au triangle, personne ne pouvait réellement résister. Les tempêtes étaient différentes. Les vagues aussi et tout ce qui se trouvait à l’intérieur. C’était presque un autre monde qui s’écrivait devant leurs yeux.
- Sais-tu au moins quel cap prendre ? demanda Alexandre posant sa main sur la rambarde en face du gouvernail afin de se tenir.
- J’ai mémorisé où était le Nord avant que nous pénétrions le triangle. Mais il me sera difficile de garder le cap ! haussa-t-il la voix pour se faire entendre.
La pluie venait couvrir tout bruit. Il était même difficile de percevoir le son de ses propres pas. Ils avaient presque l’impression que l’océan leur tombait dessus. Ce n’était plus des gouttes qui s’échappaient des nuages mais des cordes.
- Capitaine ! commença Marie vite interrompue par une vague qui l’avait fait perdre l’équilibre.
Elle s’était accrochée au bastingage afin de ne pas tomber par-dessus bord. Le visage face aux vagues plus loin vers le bas, elle vit l’océan agitée comme elle ne l’avait jamais imaginé. Marie se tourna et continua, approchant une seconde fois l’homme mais elle prit soin de s’accrocher avant.
- Que se passe-t-il ? Pourquoi le temps a-t-il si soudainement changé ? cria-t-elle pour que sa voix parvienne aux oreilles de l’homme.
- Le temps est différent dans le triangle ! répondit-il en se tournant vers elle. C’est peut-être d’ailleurs pour cette raison qu’aucun marin n'en soit revenu vivant !
Une seconde vague vint tous les déséquilibrés. Alexandre resta près de son timonier pour l’aider à tenir le gouvernail qui était lui aussi emporté par la tempête. Il tournait dans tous les sens, il était même difficile de le garder droit une seconde ! Les deux hommes ne savaient pas du tout quelle route ils prenaient. Même s’ils avaient l’impression d’aller dans la bonne direction, il était fort probable qu’ils aient déjà dévié de leur trajectoire. Ils ne pouvaient même pas s’aider d’un compas, celui-ci aussi perdait la tête. L’aiguille rouge tournait dans tous les sens, impossible de savoir vraiment où se trouvait le Nord.
Marie ne resta pas plus longtemps à la barre, elle rejoignit le pont pour aider l’équipage. Descendant difficilement les marches de bois, elle s’approcha d’un cordage et tira de toutes ses forces, comme le faisaient déjà certains d’entre eux. Il était important de réduire l’allure.
Ils ne voyaient pas où ils allaient, ne connaissaient pas l’endroit et pire, ne pouvaient distinguer ce qu’il y avait à l’horizon ! Un seul faux pas pouvait les mener à la mort, un seul rocher réussirait lors de cette tempête à détruire entièrement le Red Edan.
Le visage trempé et les yeux aveuglés par les gouttes qui tombaient, Marie faisait tout de même de son mieux pour aider l’équipage et le navire à s’en sortir indemne de ce voyage. Mais elle savait qu’ils n’étaient pas au bout de leur surprise. Il y avait quelque chose d’encore pire que cette horrible tempête. Quelque chose que tous les marins sur ce bâtiment redoutaient. Un cauchemar éveillé.
Mais aucun ne s’en préoccupa plus, cherchant plutôt à contrôler le navire. Chacun tirait les cordages, d’autres étaient dans la cale vérifiant qu’il n’y ait pas trop de dommage dans la coque et de fuite qui pourrait les faire sombrer dans les abysses.
Alors qu’elle allait accrocher le cordage près du bastingage, une autre vague les fit perdre l’équilibre. Le dos de la jeune se cogna contre la rambarde douloureusement la faisant basculer de l’autre côté. Par chance elle tenait encore fermement son seul lien avec le navire. La vitesse de la chute la fit virevolter, tapant la coque du navire à quelques mètres de l’endroit où elle avait chuté. Un gémissement s’échappa de ses lèvres tandis qu’elle tenait le cordage essayant de ne pas glisser.
Pourtant, le temps n’était pas avec elle, ses doigts trempés glissaient. Malgré toute la force qu’elle mettait, elle n’arriverait pas à tenir plus longtemps. Il fallait qu’elle remonte. Elle ouvrit les yeux ayant pour but de se balancer pour rejoindre le pont. Mais une énième vague vint lui frapper violemment le visage.
Surprise, elle avait fermé les paupières et respira un grand coup. Ses bras tremblaient, ses mains lui faisaient mal mais elle ne voulait en aucun cas lâcher prise. Si par malheur elle cédait, elle aurait vite un tête à tête avec la mort elle-même.
Elle força le plus qu’elle pouvait sur ses bras afin de remonter le long du cordage. Entre les balancements que lui faisait prendre le navire, le vent, les vagues, le sel qui lui piquait les yeux, sa respiration gênée par l’eau… rien n’était simple. Marie arriva tout de même au niveau du bastingage où elle s’accrocha de toutes ses forces, gardant dans une main le cordage elle essaya de remonter sur le pont.
À ce moment, elle ne savait plus ce qu’elle pensait. Son cœur tambourinait dans sa poitrine de telle sorte qu’elle ne sentait plus que ça en elle. Le temps était lourd et l’eau de même sur ses vêtements. Elle avait peur… non, elle était effrayée. Si elle avait pu pleurer, elle l’aurait fait, peut-être même qu’elle le faisait déjà inconsciemment. Mais ses larmes s’étaient sûrement mélangées aux gouttes de pluies qui frappaient violemment son visage.
Au moment où sa tête dépassa le bastingage deux marins vinrent vite l’aider à rejoindre le bord. Ils la tirèrent vers eux, l’aidant alors qu’elle était à bout de force. Marie atterrit sur le pont du Red Edan où elle se sentit revivre. Ses bras étaient faibles, ses jambes de même. L’un des deux marins dont elle n’avait même pas regardé le visage accrocha le cordage qu’elle tenait, le second reparti vite à son poste.
Les yeux face aux planches du navire, elle respirait difficilement. Elle s’était vue partir. Elle s’était vue lâcher prise et plonger dans les profondeurs abyssales. Elle s’était sentie perdre son souffle, sa force, sa vie.
Peut-être qu’à ce moment même elle pleurait à flot. Mais encore une fois, rien ne se vit. Son visage déjà trempé, elle s’essuya tout de même les yeux d’un revers de main, ce qui en réalité fut inutile. Puis Marie força sur ses jambes pour se relever et continuer de se débattre contre cette tempête.
Alexandre tenait encore la barre aux côtés de Brown. Les deux pirates ne savaient guère où ils allaient mais il fallait continuer. De toute façon, il leur serait difficile de rejoindre l’extrémité du triangle. Celui-ci devait sûrement les garder prisonniers en son sein par cette tempête.
Alors que le capitaine forçait sur sa main droite pour se tenir à la rambarde, la gauche soutenant le gouvernail, une voix vint leur annoncer un sort encore plus terrible.
- Des lumières ! entendit l’homme ce qui le fit se redresser. Lumières en vue !
Moore de la vigie tentait tant bien que mal de descendre du grand mât où il rejoignit par la suite son capitaine.
- Capitaine, il y a des lumières étranges à l’horizon ! argua l’homme en essayant de regarder l’écarlate une main devant son visage.
Mais même si l’équipage pensait à une possibilité de libération, Alexandre lui ne fut pas du même avis. Il en était de même pour tous ceux qui connaissaient l’existence de celles-ci. Brown tint la barre encore plus fermement ses sourcils froncés fixant les fameuses lumières qui s’approchaient d’eux.
- Les Palatines Light, grogna le capitaine.
Moore ne comprenait guère ce qu’il se passait mais il vit dans le regard des deux pirates que tout cela n’était que mauvais augure. Il les quitta pour fixer ses points rougeâtres s’avancer vers eux. Tout l’équipage désormais les avait remarqués. Certains se demandant surtout ce que c'était, d'autres s’inquiétaient plutôt pour leur sort.
Marie se redressa face à cette présence qu’elle redoutait plus que tout.
Une silhouette fit vite son apparition. De grandes voiles noires trouées vinrent percer le ciel gris. Une coque abîmée coupait les vagues sur son passage. Mais pire encore, les deux navires se rapprochaient dangereusement l’un de l’autre. Et en seulement quelques secondes ils se retrouveront l’un à côté de l’autre. Ils se devaient de se préparer à une éventuelle attaque de la part de leur cher ami : le Princess Augusta.
Alexandre quitta la barre au plus vite pour rejoindre le pont.
- Mathurins tous aux canons ! Brassez les voiles ! Chargez vos pistolets ! Préparez-vous à l’offensive ! ordonna le capitaine.
Des ordres qui fut de ce pas répété par Rick et Powell. Chaque homme se mit donc à son poste, certains chargèrent leurs armes à feu, les artilleurs prêts à tirer et le maître canonnier paré à donner les ordres au moment venu.
Le calme reprit le pont, seulement la pluie et les vagues vinrent fracasser ce silence en s’écrasant contre les planches des deux navires. Ils étaient d’ailleurs de plus en plus proche, l’équipage adverse devenait visible, Marie cru perdre l’équilibre en les voyant.
Après tout, il n'était pas courant tous les jours de voir des hommes squelettiques arpenter un navire fantôme et prêts à se battre. Aucun n’avait de chair, seulement des corps fait d’os. Leurs vêtements même flottaient presque sur eux. Ceux-ci étaient troués et tachés. Ils arpentaient tous des yeux rouges lumineux et effrayants.
Marie eut un frisson dans tout son corps en les voyant. Aucune émotion n’était déchiffrable sur leur visage, leur dents toutes visibles, ils n’avaient aucun sourire, rien, aucune lèvres ! Aucune peau, aucune chair.
Ils étaient morts mais condamnés à vivre tout de même. Ils n’avaient pas besoin de manger ni de boire voire même de respirer. Tout cela leur était devenu inconnu au fil des années qu’ils avaient passés à voguer sur ces flots mouvementés. Leur capitaine était à la barre.
L’homme, ou plutôt ce qu’il en restait, avait un œil visible l’autre étant recouvert et caché par un bandeau noir. Il arborait un tricorne foncé décoré d’une plume rouge orangé, assorti aux Palatines Light. Un crâne qui s’allongeait par une barbe grisâtre, le capitaine adverse tenait la barre d’une seule main. L’autre était condamnée par un vieux crochet en métal. Sa veste noire était brillante par l’eau qui coulait dessus et ses armes à sa ceinture brillaient. L’or qui les composait étincelait au feu des lumières qui les entouraient.
Le non vivant, accompagné de son perroquet aussi squelettique que lui, fixait le Red Edan de ses orbites rouges. Il n’avait visiblement pas l’intention de les laisser passer indemne.
Tout l’équipage du navire aux voiles rouges s’était tue. Chacun sur ses gardes prêt à dégainer leur arme à feu au premier ordre de leur capitaine. Pourtant on pouvait aussi sentir la tension monter sur le pont. La pluie devint vite invisible à leurs yeux et oreilles. Ils étaient tous concentrés sur ce navire fantôme et son équipage maudit.
Marie était restée près d’un des mâts regardant aussi le Princess Augusta. Elle ne l’imaginait guère comme cela. Cette lueur verte qu’elle avait vue à l’horizon. Elle pensait qu’ils allaient se retrouver face à un équipage fantôme où leur corps seraient translucides et verdâtres aussi. Mais après tout, ils ne vivaient pas dans un compte.
Tout était malheureusement réel. Et les canons sortis du navire fantôme aussi. Dans peu de temps, chacun grondera dans des bruits assourdissants. Vint ce moment d’attente qui dura une éternité pour elle. Marie avait peur, elle avait peur du moment où leur capitaine ordonnera l’assaut. Du moment où les hommes squelettiques feront de même.
Elle les regardait s’approcher d’eux. Son cœur battait dans sa poitrine jusqu’à son cerveau. Ses mains tremblaient et elle perdait peu à peu le courage qui l’avait animé avant d’entrer dans le triangle. Était-elle réellement prête à faire face aux morts ? Allait-elle survivre à cette bataille ? Elle n’en savait rien mais son côté pirate prit vite le dessus.
Elle voulait le trésor des milles richesses. Elle voulait la renommée du Red Edan. Elle voulait devenir un de ces pirates dont la tête était mise à prix et qui ne sera jamais capturée.
Ces simples pensées firent vivre une nouvelle étincelle en elle. Elle n’était pas prête. Certes. Mais elle allait se défendre et défendre le bâtiment au péril de sa vie.
Chacun était paré à fusiller l’autre. Et sans crier gare, la bataille commença.
- Feu ! hurla Andrew Brook capitaine du Princess Augusta.
- Pas de quartier ! répondit Alexandre en pointant son pistolet vers l’équipage du navire adversaire.
Commença donc un combat contre l’équipage maudit tant redouté.
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