Prologue (3) : A ray of light
J'ai l'impression qu'on arrive au bout du tunnel, et ce n'est pas qu'une expression pleine d'espoir. Non, je dis ça parce qu'on a dépassé la huitième salle, et que la lumière se fait de plus en plus vive. J'ai l'impression que je peux voir le bout de cette étrange expérience. Bon, je n'ai toujours pas retrouvé ni mes clés, ni mon portable, mais je suppose que passer au commissariat et décrire les objets et la situation dans laquelle je les ai perdus pourra m'aider au moins à faire jouer l'assurance... Le commissariat japonais réserve souvent un traitement de faveur aux Ultimes, j'ai remarqué. On se demande bien pourquoi.
Michi et Sora me suivent toujours. Ce dernier a maintenant les bras recouverts de notes, et est en train de jouer avec son crayon, l'air un peu stressé. Il n'écrit pas sur son portable ? Etrange quand même... A moins que, comme moi, il l'ait perdu. Ou on lui a pris.
En tout cas, je n'ai pas osé lui poser la question. Je suis trop occupée à regarder autour de moi, cherchant la source de cette lumière si vive pour les profondeurs d'un tunnel. Sur fond de bavardages de Michi, qui est incroyablement volubile pour quelqu'un dans notre situation... C'est bien la seule à parler d'ailleurs, Sora est encore plus muet qu'une carpe. Même quand on lui parle directement, c'est à peine s'il répond par des grognements.
Ce n'est qu'après la énième question fort intrusive de Michi sur nos vies personnelles que je vois un rai de lumière bien plus clair émaner de devant, et que je m'y précipite sans même prendre la peine de prévenir mes compagnons. La sortie, la sortie juste devant, enfin ! Je vais pouvoir retourner au cabinet, et même si l'absence de mon téléphone m'obligera à y rester toute la journée, ce sera toujours mieux que ce souterrain pourri.
Je presse le pas, prête à enfin déboucher du tunnel... Et tombe sur une sorte d'immense plaine recouverte de fleurs qui ne poussent clairement pas à cette période de l'année. On voit rarement des crocus et des jonquilles en avril, et là les lieux en sont recouverts... Un affreux doute me prend, et je lève la tête pour voir que le « ciel » est en fait un faux plafond peint en bleu, à une hauteur vertigineuse certes, mais les lampes qui y sont accrochées ne trompent pas.
Une petite forme noire et blanche s'enfuit, franchissant une porte avant que je n'aie eu le temps de la discerner plus précisément. Mais par contre, la clairière n'est pas vide. Trois personnes s'y trouvent, et à peine je tourne mon regard vers elle que je vois la petite silhouette de Michi bondir devant moi en ricanant, se dirigeant droit vers un des trois personnages.
« —Attention j'arriiiiiiiive ! »
Deux d'entre eux, une fillette aux cheveux roux traversés par trois mèches colorées, et un garçon aux cheveux blancs d'un côté, bleu marine de l'autre, se retournent, l'air surpris par le cri de Michi. Mais le troisième, lui, se contente de soupirer, et ne réagit pas d'un pouce même alors que mon énergique camarade le prend par la taille en riant.
J'échange un regard avec Sora. Qui sont ces gens ? Toujours aussi peu disposé à parler, l'Ecrivain Fantasy hausse les épaules, mais nous sursautons tous deux au cri ma foi fort aigu de la victime de Michi, au moment où cette dernière le soulève par la taille et lui fait un german suplex digne des plus grands. Ouch... Je plains le pauvre garçon. Je ferais mieux de voir s'il n'a pas besoin d'aide, personne ne mérite de se casser le dos de la sorte...
« —Elle n'a pas volé son titre, j'entends Sora marmonner. Une sacrée prise arrière. »
Je prends le temps de hocher là tête à l'adresse de ce dernier avant de me diriger vers Michi et sa victime, qui roulent au sol en riant. Enfin, surtout Michi, vu que j'entends l'autre se plaindre de l'herbe qui va tâcher ses vêtements, et autres trucs du même genre... Il m'est déjà antipathique. Mais je ne peux décemment pas le laisser comme ça s'il s'est fait du mal.
« —Pas de blessures ?
—Enfin Reina ! S'insurge Michi. Je connais mon job ! »
.... Je n'en doute pas. Enfin, ce n'est pas elle qui m'intéresse, pour le moment. L'autre s'est relevé, remettant en place son espèce de crête bleu pastel, et époussette ses vêtements avec une force que je n'aurais pas soupçonné, dans un concert de cliquettements de chaînes. Je lui tends une main secourable, seulement pour qu'il la repousse d'un geste du poignet.
« —Je vais très bien, merci ! Ce sont mes vêtements qui ont besoin d'un sérieux réparage ! Regardez-moi ces traces bon sang ! Michi, je te ferai payer la note du teinturier, jusqu'au dernier centime, crénom ! »
Une lueur de panique passe sur le visage de Michi, mais cette dernière se reprend très vite et affiche un large sourire. Moi, je retiens une réplique acerbe qui me brûle les lèvres. Ce type m'est décidément très antipathique. Tss. A quoi je m'attendais d'un homme, aussi... Ils ne peuvent être tous comme Sora et sa manière de laisser de l'espace aux gens. Mais vu l'attitude qu'elle a envers lui, Michi semble beaucoup l'aimer... Je pousse un profond soupir, retenant du mieux possible la torsion dégoutée de mes traits.
« Dans ce cas, je peux savoir qui tu es ?
—Hmpf ! Comme tu voudras. Je suis Ryo Sasaki, le seul et unique Ultime Batteur ! »
Le nom me fait tiquer. Sasaki ? N'a-t-il pas le même nom de famille que Michi ? Donc ces deux-là sont... Frère et sœur ? Non, ce n'est pas possible : ils sont comme le jour et la nuit ! Toutes les teintures et forts bronzages du monde ne pourront faire en sorte pour qu'on puisse prendre une brunette à la peau sombre, de petite taille et avec un œil noir et un gars encore plus pâle que Sora, aux cheveux bleus et visage pointu pour des frères et sœurs !
Michi doit voir ma confusion, puisqu'elle sourit, tout en s'asseyant en tailleur.
« —T'en fais pas ma puce ! Ryo et moi on est pas frères et sœurs ! C'est juste que notre nom de famille est plutôt courant... »
Le Batteur se contente de faire la moue, sans même réagir alors que je me présente. Il n'y a rien à faire, il m'est terriblement antipathique. Inutile de continuer la conversation avec ces deux-là, je me tourne donc vers les deux autres inconnus... pour voir que le garçon à déjà pris Sora à partie, en train de discuter avec de tels yeux que je croirais presque voir un fan. Le malheureux me jette un regard terrifié, du genre « viens m'aider par pitié je sais pas quoi faire », mais alors que je me dirige vers eux, je sens un poids sur mon dos, et ce que je suppose être la troisième larronne enroule ses jambes autour de ma taille avec un rire joyeux.
« —Salut toi ! Qui tu es ? Comment tu vas ? »
Elle a une telle énergie que je peine à la suivre... C'est tout juste si j'arrive à lui demander, du bout des lèvres, de descendre de mon dos. Heureusement pour mes thoraciques qu'elle s'exécute immédiatement.
Maintenant, elle est devant moi, me regardant avec un grand sourire, et je plisse les yeux en l'examinant. Elle est vraiment petite, on dirait une enfant de huit ans... Entre deux réponses évasives sur ma propre vie, je la regarde de la tête aux pieds. Elle ne doit pas faire plus d'un mètre trente, en short, le haut recouvert de pin's référant tous à la pop culture. Ses cheveux roux sont indisciplinés et, anomalie dans son style, elle porte un gant long et une mitaine, tous deux troués, gris et bordés d'une bande assortie à la botte du côté opposé. C'est... Particulier, même si ça lui va bien. D'ailleurs son sourire n'aide pas à l'enlaidir.
Ce n'est qu'en plein milieu de la conversation qu'elle se frappe le front, avec une force suffisante pour envoyer sa tête en arrière.
« —Oh zut, j'en oublie de me présenter ! Je m'appelle Yuuki Maeda, Ultime Gamer, enchantée !
—Yuuki... Tu n'as pas gagné le Pokemon World Tournament d'il y a deux ans ? »
Son sourire s'élargit encore, et elle frappe dans ses main, l'air toute contente qu'on la reconnaisse.
« —Oui oui, c'est moi ! Tu as vu mes matchs ? Ils étaient chouettes mes adversaires hein ? »
Et elle se remet à parler. Je rassemble mes informations, ayant suivi de loin cette compétition. Yuuki Maeda, la concurrente japonaise. Elle avait réussi à écraser tous ses adversaires avec un Pachirisu surpuissant, qui détonnait à côté du reste de son équipe d'ailleurs. Je crois qu'on l'avait présentée comme ayant douze ans...
Douze ans ?!? Mais c'était il y a deux ans ! Cela veut dire que Yuuki a intégré Hope's Peak à quatorze ans ?!?
Je n'ose pas lui poser la question, effarée de me trouver devant une lycéenne si jeune. D'habitude, Hope's Peak attend la fin des années de collège ou l'âge officiel de l'entrée en lycée pour offrir des bourses... Je crois que quelques rares cas ont eu leurs Ultimes à dix-neuf ou vingt ans, mais ils étaient déscolarisés et venaient d'accomplir l'acte qui le leur donnerait... Yuuki est un cas particulier sans aucun doute, et elle cache surement un énorme cerveau derrière ses airs de petite fille. Je ne devrais pas la sous-estimer à cause de sa petite taille...
En attendant, elle ne me lâche plus, et je dois toujours tirer Sora des griffes de son probable fan. J'ai beau m'excuser, elle refuse de s'éloigner de moi et me suit jusqu'aux deux garçons en traînant un peu des pieds, et ne cesse de parler même alors que je me racle la gorge, attirant l'attention de l'autre.
« —Excuse-moi, mais est-ce que tu sais où on est ? »
Il se retourne, me dévoilant un visage fin sans le moindre poil de barbe. Ses yeux verts sont cachés derrière ses lunettes, et posent sur moi un regard très doux... Peut-être que je me suis inquiétée pour rien quant au danger que courait Sora. Mais vu le soupir de soulagement le plus discret possible qu'il vient de pousser, lui, ça le pesait beaucoup.
En attendant, l'autre vient de secouer la tête, l'air désolé.
« —Non, pas plus que toi... Vu tous les gens qu'on a rencontré, j'imagine que tu viens aussi de Hope's Peak ?
—Oui, je suis Reina, l'Ultime Gynécologue, enchantée.
—De même. Je suis Akihito Kanda, l'Ultime Chroniqueur. »
Il incline la tête en guise de salutation. Maintenant que j'y pense, il a une voix plutôt claire pour un garçon... Non, Reina, on assume pas le genre des autres, espèce de vilaine. Il se désigne au masculin, c'est un garçon jusqu'à ce qu'il change de désignation, point. Je fais un petit sourire, avant de désigner la plaine des bras.
« —C'est quoi cet endroit ?
—Aucune idée, bougonne Yuuki. On dirait une sorte de prison. Junko et Shô, qui sont arrivés avec nous, ont décidé d'aller en faire un peu le tour, mais ils sont toujours pas revenus. »
Je note les deux noms. Avec Yuuki, Ryo et Akihito, j'ai croisé au total neuf personnes. Nous sommes donc au moins douze dans cet endroit lugubre, qui visiblement est bien plus tortueux que prévu. Des aménagements pareils ne peuvent pas avoir été faits au hasard... Je commence à sérieusement douter de revoir la lumière du jour aujourd'hui, si ce n'est durant les prochains jours.
« —De mon côté, renchérit Akihito, j'ai pris la peine de faire le tour des salles adjacents avant d'arriver ici et de voir Yuuki et Ryo. Je viens de ce couloir, là-bas, indique-t-il en montrant du doigt la direction dont Reina venait. Et je suis tombé sur une liste d'Ultimes contenant seize noms. »
Seize... Mon terrible pressentiment est en train de se confirmer. Par tous les esprits de la sainte Accession, ce n'est vraiment pas bon... Je secoue la tête, tentant de cacher mon trouble, et me tourne vers Yuuki.
« —Et vous, vous venez d'où ?
—De là, m'indique t'elle en désignant un autre couloir à quelques mètres du nôtre. Ryo dit qu'il a été dans la première salle, et il m'a croisé dans la quatrième. On a retrouvé Junko et Shô après. Je dirais que y'en a encore quatre autres qui se baladent. »
C'est bon à savoir. Donc, ce couloir n'est pas utile à fouiller. Je prends mon menton entre mes mains, et m'apprête à proposer au petit groupe de venir avec moi chercher les autres Ultimes ; sauf qu'au même moment, des éclats de voix que je ne peux que reconnaître retentissent dans notre couloir, et Sora sursaute avant de se cacher derrière moi. Avant même que je ne puisse réagir, il me chuchote (bien inutilement) à l'oreille :
« —C'est Haruko et Okumura qui arrivent... Je dois filer, si ils se disputent encore je n'ai pas envie de me retrouver pris au milieu ! S'il te plaît Reina, tu peux me trouver un prétexte pour me barrer ? »
Je suis toujours ravie d'aider, surtout dans une situation pareille. C'est donc sur un ton de voix bien plus fort que ce que j'aurais pensé que j'annonce mon idée d'aller chercher les quatre Ultimes restants, et éventuellement les fameux Junko et Shô. Akihito, qui a sans doute aussi entendu les éclats de voix, se propose de nous accompagner avec la liste, tandis que Yuuki fait la moue.
« —Moi, je vais rester là pour les attendre... Et puis il faudra peut-être expliquer aux gens qui arrivent où vous êtes ?
—Euh.... Juste à Haruko, s'il te plaît, marmonne Sora, toujours derrière moi. Pas l'autre. Tu la reconnaîtras vite, c'est la fille sublime aux cheveux violets tout doux et au regard incroyable. »
Pas très objectif le Sora, mais d'un autre côté je le comprends. Haruko est magnifique, il ne faut pas être attiré par les femmes pour s'en rendre compte. Yuuki hoche la tête avec un sérieux incroyable, et nous la remercions avant que Sora ne me prenne le bras et ne me traîne vers une porte à l'opposé de Taichi et Haruko. Juste à temps : Nous rentrons à peine dans le nouveau couloir lorsque j'entends Yuuki se présenter, entre deux phrases de son bavardage incessant.
Sora soupire de soulagement.
« —Fiou. Je préfère ça.
—La rumeur te disant asocial n'est donc pas infondée, Sorasaki, » plaisante Akihito en croisant les bras. Son interlocuteur hausse les épaules.
« —C'était ça ou Okumura me collait pendant des heures. Et puis, on est pas sur un salon de dédicaces... Tu peux m'appeler Sora, s'il te plaît ? »
Le Chroniqueur hoche la tête, et nous nous engageons dans le couloir.
Personne sur notre chemin. Par contre, nous croisons de très, très nombreuses pièces en progressant dans les couloirs, dont certaines sont verrouillées. Je tente d'en ouvrir une avec mon nom et mon Ultime écrits dessus, avant de déchanter en m'apercevant que c'est impossible : dommage, si j'avais pu l'ouvrir, cela m'aurait peut-être donné des indices sur ce qu'était cet endroit. Derrière, Sora tente de faire de même avec une des pièces à son nom ; sans succès. Akihito, à nos côtés, soupire.
« —De très nombreuses pièces sont verrouillées, nous explique t'il en montrant du doigt les portes nommées. Celles-ci, mais aussi une porte avec écrit « Laboratoires » dessus, ce qui semble être la cuisine vu l'odeur, et quelques autres que je ne saurais désigner. Je crois que les seuls endroits où j'ai pu aller, ce sont les faux paysages comme cette plaine. »
Il nous explique qu'il y en a trois, à sa connaissance : Une zone montagneuse, un lac artificiel, et la plaine que nous venons de traverser. A n'en pas douter, celui qui nous a enfermé ici a mis les moyens pour recréer des environnements très différents, et je me doute bien qu'il ne s'est pas arrêté à trois. Nous sommes donc enfermés dans une sorte de prison dorée, concentrant une sacrée quantité d'argent dans ses installations. Akihito marmonne déjà qu'il va écrire une chronique incendiaire sur Hope' Peak quand il sera sorti d'ici, qu'il la publie ou pas, et je me serais bien proposée pour témoigner ; mais un cri de surprise de Sora que je n'ai même pas vu s'éloigner nous interrompt et je tourne la tête, pour voir qu'il a disparu dans des escaliers en colimaçon semblant progresser vers l'extérieur.
« —Reina, Akihito, venez voir, c'est... »
Son ton ne m'annonce rien de bon. Je me précipite dans l'escalier, grimpant les marches quatre à quatre suivie d'Akihito se plaignant qu'il ne voulait pas faire du sport aujourd'hui. Pour débouler dans une sorte de belvédère où nous attend l'Ecrivain Fantasy, et écarquiller les yeux.
Devant moi s'étend un immense désert qui continue jusqu'à l'horizon, emplissant mon champ de vision de sable. Pas une seule oasis en vue, pas une seule plante, pas même un animal ou une caravane : Nous sommes seuls au monde face à la nature. Le silence est le plus total, même les cris d'animaux que je me serais attendue à entendre ne parviennent pas à nos oreilles. Et le fait de trouver un désert aussi grand en sortant d'un souterrain est tellement incongru que je me rends à peine compte que cela ne signifie qu'une seule chose : Nous ne nous trouvons plus au Japon.
Mes yeux s'écarquillent encore davantage, et je dois tousser lorsqu'un vent sableux m'amène une bouffée de poussière et dans les yeux, et dans la bouche. A mes côtés, Sora me met la main sur l'épaule, avant d'annoncer d'une voix sombre :
« —Où qu'on soit, cela va être impossible de s'en échapper. »
Et malgré moi, je suis obligée de reconnaître qu'il a bien raison.
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