Chapitre 6 (8) : Apocalypse

Nous sommes quatre, réunis dans la Tuerie, aux quatre points cardinaux d'un tribunal, prêt à se soumettre au jugement de Monokuma.

Au dernier jugement qui démasquera le dernier meurtrier, le premier des Ultimes, celui, ou celle, qui a tout organisé.

La question que j'ai lancée, l'air un peu anodine, est capitale.

Qui Monokuma pourrait-elle protéger ?

Certes, il y a une certaine hiérarchie des suspects, en fonction des alibis de chacun. Mais derrière, la question se pose.

C'est ça, la clé.

Ils se regardent, clignent des yeux, incertains de comprendre. Avant que Yuuki ne se tourne vers moi, une certaine curiosité enfantine dans le regard.

« ... et comment on peut déterminer ça ? Je veux dire, c'est... c'est Monokuma. Elle est indéfinissable... Et incompréhensible. On sait jamais ce qu'elle veut... »

Je grimace. Yuuki marque un point. Mon argument est au mieux nébuleux. Difficile de le déchiffrer.

« Déjà ça peut pas être moi, grommelle Soma. Cette connasse m'a tellement fait chier pendant la Tuerie...

— Les meurtres de personnes aimées ne comptent pas, Soma, annonce Saki, le fixant avec aigreur. Sinon, on serait tous innocents. »

Soma lui jette un regard en coin, mais garde le silence. Visiblement, je me dis, il n'est toujours pas prêt à raconter le choix que Monokuma lui a fait subir. Même si c'est, en effet, un bien meilleur argument que la simple perte de personnes aimées.

« En soit, marmonne Yuuki, on devrait plutôt se concentrer sur nos alibis pour la journée, nan ? c'est déjà plus clair. Et dans ce cas, ça serait plutôt Saki... Elle a l'alibi le plus faible...

— J'ai posé cette question parce que Monokuma est parfaitement capable de vous aider à simuler un alibi, je la coupe. Elle protège son organisateur, je vous rappelle. Quitte à enfreindre ses propres règles. »

Elle grimace. Mais n'ajoute rien.

De mon côté, je me penche sur ma tribune.

« Vous n'avez vraiment pas d'idée ?

— Je l'ai dit, me répond Saki. Si le meurtre de personnes aimées est l'unique argument, personne n'a plus souffert qu'un autre. Et Monokuma ne nous a jamais harcelés au même point que Michi, par exemple, ou toi. Nous en sommes au même niveau de suspicion.

— ça aiderait peut-être si je pouvais comprendre un peu mieux comment elle fonctionne, marmonne Soma. Connais ton ennemi, tout ça.

— Oh joie, grommelle Monokuma de sa tribune. Une analyse psychologique, tout ce que je désirais. »

Oui, sauf qu'on est pas là pour accomplir tes quatre volontés, on est là pour trouver l'instigateur que tu nous caches. Donc si tu veux bien, Monokuma ma chère, tu vas ravaler tes petits commentaires avant que je ne change d'avis sur le sort que je te réserve.

Je soupire, et me penche sur ma tribune de nouveau.

Très bien. Tu veux une analyse psychologique ? Tu vas l'avoir.

« Monokuma est l'Ultime Impératrice. »

L'expression de cette dernière change du tout au tout.

Elle bondit sur ses pieds, au prix d'un hurlement de douleur et d'un craquement de ses étranges prothèses de genou. Je vois ses yeux s'écarquiller alors qu'elle me fixe, avec ce regard de merlan frit, une grimace odieuse sur le visage.

Un peu plus, je sens, et elle va sortir son arme.

Mais elle ne peut pas.

Parce qu'elle a perdu son pouvoir ici.

« Comment est-ce que... Comment est-ce que... »

Et elle répète ça encore, et encore, et encore, les yeux écarquillés, les poings serrés sur sa tribune. J'entends le bruit du sang qui coule de ses genoux, goutte de ses prothèses, sur sa tribune, le long de son bureau, sur le sol.

Elle n'est pas la seule à être surprise. Tous les Ultimes sont choqués. Ils me fixent, tous, avec le même regard.

« ... Une minute, lance Soma. Comment tu as appris ça ?

— Ce n'était pas dans les fichiers de la bibliothèque, fait Saki en grimaçant. Comment as-tu pu obtenir cette information ?

— Haruko avait obtenu une liste partielle de leurs titres, je réponds, avec un léger rictus. Elle me l'a transmise. Certes, il y en a plusieurs qui n'ont jamais été cités dans aucune Tuerie existante, mais quand on regarde qui est notre Monokuma, ce n'est pas compliqué de dire quel titre lui appartient. »

Ce disant, je jette un œil à ladite Monokuma, toujours en train de s'étrangler sur sa chaise. Autant passer sous silence le fait que Junko avait trouvé un fichier à son nom en hackant son système. Fichier qui a aussitôt disparu, qui était peut-être là pour nous attirer, comme la majorité des informations de cette Tuerie, d'ailleurs. Sauf que Monokuma, en accueillant deux... Non, trois immenses sources d'informations sur les trois points d'histoire qu'elle nous agite au nez, a commis une erreur capitale.

« ... Tu ne peux pas en avoir simplement déduit ça des fichiers de la bibliothèque, marmonne Yuuki. Junko les a tous consultés, sans exception, surtout après la mort d'Haruko. Ils étaient tous incomplets. Les listes qu'elle m'a donné à traduire, les informations sur le projet Renaissance, ou l'Omnisciente... Tout était épars, presque impossible à relier entre eux...

— En effet, impossible, je confirme doucement en hochant la tête. En tout cas, sans les stupéfiantes ressources humaines que sont Haruko, Shizuka et Junko. Haruko avait déjà largement recollé les morceaux lorsqu'elle est morte, et Shizuka a colmaté les dernières brèches. »

Soma déglutit aux deux noms prononcés. De son côté, Saki baisse les yeux sur sa tablette.

« L'Ultime Impératrice... Je me souviens, maintenant. Au gouvernement, pendant mon année à Hope's Peak, on m'a énormément parlé d'elle. Avant que le livre de Wen Xiang ne sorte au grand public, citant son nom, elle était même traitée comme l'ennemi public numéro un, une usurpatrice d'Ultime.

— Cette bande de rats n'a rien de mieux à faire que de cacher leur implication dans nos affaires, bougonne la concernée de sa tribune. Toujours à se donner le beau rôle... »

Saki ne semble pas se préoccuper de l'interruption. Et sa tablette continue de parler.

« Elle était aussi décrite comme la meilleure informaticienne du monde, spécialisée dans les intelligences artificielles, et un génie de la mécanique. Son titre, j'ai longtemps cru qu'il était une source de sa mégalomanie. Mais les officiers semblaient vraiment la craindre. Ils la décrivaient même comme le grain de sable dans leur plan.

— On peut dire ça comme ça. L'Ultime Impératrice était, sans aucun doute, une des génies recueillies dans le temps du Projet Renaissance, voire même une des premières génies de ce programme. Ça se prouve dans le fait qu'elle connaissait très bien Kazumi. Si tous les Monokuma en ont fait partie à un certain point, comme je l'ai découvert à un moment, ça ne m'étonnerait même pas qu'elle soit la première génie japonaise. »

Je lève mes yeux vers ladite génie, qui s'est rassise sur son fauteuil non sans un certain mépris, nous balayant de ses yeux plus froids que la glace. Elle garde cependant le silence. Ni pour confirmer, ni pour infirmer ce que je viens de dire.

Elle se contente d'écouter.

« D'après ce que tu m'as dit, elle connaissait bien Kazumi, grimace Soma. Et ses sentiments envers elle, quels qu'ils soient, l'ont visiblement poussée à la tuer le plus vite possible. Visiblement, il grimace, elle aime bien hiérarchiser. »

Et ce n'est pas seulement ça.

« On peut aussi compter sur son ego. Visiblement, ses talents en informatique l'ont conduite à penser qu'elle pouvait s'immortaliser à travers une IA humanisée. Pas de chance, je souris, les machines, c'est très facile à démolir... »

Sans doute très imprudent de ma part, mais cette fois, on dirait bien que je l'ai faite réagir. L'Ultime Impératrice me fixe comme si je l'avais jetée à bas de son trône, et que je m'apprêtais à lui foutre la tête dans une guillotine. Prête à me maudire sur cent générations.

C'est satisfaisant de se dire qu'elle n'en aura pas le temps.

« ... tu as... Détruit... Alter Ego ? »

Je hausse les épaules.

« Et plutôt facilement si tu veux mon avis. Les machines aiment aussi peu que les humains les fusils-mitraillettes. »

Elle s'effondre sur sa tribune. Les yeux dans le vague.

« .... Non...

— On peut reprendre ? Je lance, agacée. Il y a mieux en réserve que tes états d'âme. »

De nouveau, elle lève la tête. Et si les yeux pouvaient tuer, je me serais désintégrée sur place.

Dommage pour elle que j'ai de bien meilleures menaces en réserve qu'un simple regard qui tue, pas vrai ?

« Il y a autre chose, intervient Saki. Yuuki l'a dit tout à l'heure... »

Elle désigne la petite d'un geste de la main au son des paroles de sa tablette.

« Les renseignements que nous a donnés Monokuma sont épars. Dispersés, même. On a eu des trucs vagues sur le projet Renaissance, quelques fiches de génies, tout ça. Des éléments sur deux Tueries en particulier, deux Tueries dirigées par des robots qui n'ont à n'en pas douter de lien avec elle. Et des informations sur cette fameuse organisation, l'Omnisciente, pour qui Junko travaillait supposément et dont les Monokuma regroupaient les informations. Ça indique quoi, selon vous ?

— Je sais pas, bougonne Yuuki. Des collectibles, peut-être ?

— Je suis pas spécialiste, la coupe Soma, mais dans la plupart des jeux, les collectibles sont très souvent en lien avec le jeu lui-même. Et encore, le Projet Renaissance, je veux bien. Les Monokuma en sont issus, Shizuka et Kazumi aussi, il y en a eu plein de traces. Les deux fameuses Tueries dirigées par des robots, bah, on peut deviner...

— Ce sont les siens, je renchéris. Les deux premières expériences de Monokuma, Ultime Impératrice, en matière d'IA. »

J'ignore jusqu'à quels points ils sont allés. S'ils sont aussi poussés que l'Alter Ego, qui avait une apparence, une mémoire, et un contrôle immense sur ses appendices, même de simples robots accessoires. Ou même s'ils avaient plus de conscience qu'elles.

Mais si ce sont des Monokuma, il y a tout à parier que ce ne sont pas de simples marionnettes.

Avec lequel des deux Monokuma communiquait, ce jour-là dans sa chambre, comme si elle parlait à un être humain ?

... Est-ce que la conscience de l'Ultime Juge a pu être recréée, avant même sa mort, de manière bien plus élaborée que le simple programme qui a mis fin à la vie de Senri ?

Tout ça, je ne le sais pas.

Et cela fait beaucoup trop de questions à se poser.

« Mais l'Omnisciente, répond Soma. C'est probablement le truc avec le moins de lien. D'après Junko, c'était dirigé par une Reine, et c'était une organisation apatride de supervision du monde... »

Je vois l'Impératrice, du haut de sa tribune, se raidir.

Tiens, tiens.

Est-ce que la clé se trouve dans l'Omnisciente ?

« J'ai fait mes petites recherches aussi, annonce Saki. Des choses que même Haruko ne sait pas, vu qu'elle n'a pas bossé pour l'Omnisciente. Et Junko, simple exécutante, ne doit pas en savoir beaucoup non plus. »

Je la voix cliquer sur un des fichiers de sa tablette. Avant d'appuyer sur un bouton. S'égrène alors un texte bien trop long pour qu'il n'ait pas pu être préparé à l'avance.

« L'Omnisciente, annonce la voix enregistrée, est tout comme l'a dit Junko. A une exception. En 2015, ils ont commencé à commettre une série de crimes. Et j'entends par là des crimes contre l'humanité. Il y a eu de nombreux actes terroristes officiellement reliés à l'un ou l'autre des groupes qu'on accuse habituellement, ou parfois simplement des indépendants. Des présidents se sont retrouvés capturés des mois avant d'être soit relâchés, soit exécutés. Mais cette vague de crimes a été très courte. Parce qu'apparemment, la Reine s'était rendue au gouvernement japonais. »

Pause. Saki nous regarde tous, les uns après les autres, attendant qu'on parle. Mais comme personne ne dit rien, elle l'interprète comme signal pour redémarrer l'enregistrement.

« Elle a été jugée à huis clos, et selon mes chefs, tuée. Et après sa capture, l'Omnisciente s'est délitée. Junko et ses parents font partie des vestiges, des vestiges qui selon mes supérieurs sont indépendants et faibles, de quoi ne pas s'inquiéter... Et après la montée en puissance des Monokuma, je ne pensais pas entendre parler d'eux de nouveau.

— Rien d'étonnant, bougonne Yuuki. L'Impératrice était la cheffe de l'Omnisciente. Donc c'est logique, elle est juste repassée sous le contrôle des Monokuma. C'est pour ça qu'elle est active sans qu'on le sache, ou que personne sait ce qu'il s'est passé... »

Silence.

Tout le monde se tourne vers Yuuki.

Sans rien dire.

Cette dernière hausse un sourcil.

« Bah qu'est-ce qu'il y a ?

— Yuuki, finit par dire Soma d'une voix blanche. On a jamais dit que l'Impératrice était la cheffe de l'Omnisciente. »


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