Chapitre 6 (5) : Five
Cinquième jour.
Il 'n'y a plus un seul kumarobot dans les couloirs.
Aucune de ces foutues caméras sur pattes alors que je m'avance vers le réfectoire, prête à demander à Monokuma notre dernier combat.
L'explosion d'hier semble avoir bien ébranlé les fondations du souterrain. C'est du moins l'impression que j'ai eue devant toutes les fissures qui se formaient pendant le chemin du retour. Je n'ai plus beaucoup de temps. Je dois obtenir ce que je veux aujourd'hui. Pour survivre.
J'ignore combien de temps encore tiendra le bâtiment, notre prison souterraine pourtant immuable pendant les six derniers mois.
Mais ça ne fait jamais qu'un moyen de pression supplémentaire.
Je sais qui est Monokuma. Je sais comment trouver le maître de jeu. Et je sais exactement comment la forcer à révéler sa tricherie.
Tes jours sont comptés, à toi qui te croyais la reine du monde. Je viens mettre à bas ta couronne et briser ton emprise. Et quand j'aurais fini, il ne restera plus rien de toi que des regrets.
J'ai une sacrée surprise, par contre, en ouvrant la porte du réfectoire. Visiblement, quelqu'un m'y attendait. Et ce quelqu'un, c'est Soma, Saki et Yuuki, que je n'avais pas vu depuis le procès. Les trois sont en train de discuter à voix basse, recroquevillés autour d'une table, mais mon arrivée semble les réveiller. Comme s'ils s'étaient pris un électrochoc.
Les trois se lèvent d'un bond et se précipitent vers moi.
« Reina ! S'exclame Soma alors que Saki s'empare de mes mains. On te croyait morte !
— On a entendu.... L'énorme explosion, hier, renchérit Yuuki, les yeux pleins de larmes. On s'est tous réunis dans le réfectoire, mais comme on ne te voyait pas arriver, on a tous cru... Que... »
Un hoquet l'empêche d'achever sa phrase. De toute façon, je crois que j'avais compris.
C'est sûr que c'est pas mal compliqué de réfléchir à une autre hypothèse après une explosion pareille, et avec l'un des membres de l'équipe disparu on ne sait où, et qui adore aller traîner dans les souterrains chercher des infos.
J'aimerais bien leur expliquer ce que j'ai fait. À quoi j'ai mis fin. Mais l'un d'entre eux, et je ne sais pas lequel, ne sera sûrement pas satisfait d'apprendre qu'il n'y aura plus de production de kumarobots, et que les autres sont potentiellement détruits.
À la place, je me contente de hausser les épaules.
« Eh bien, je suis là. L'explosion devait être autre chose, sans doute un sale coup de Monokuma, pour ce que j'en sais. »
Saki fait la moue. Elle a l'air moyennement convaincue. Mais pas le temps pour elle de dire quoi que ce soit. Parce que Soma vient de se placer devant elle, les yeux écarquillés.
« Enfin c'est pas important. T'étais où, Reina ? Je te cherche partout depuis deux jours ! Avec ce qu'il s'est passé, j'ai tellement peur que Monokuma s'en soit pris à toi ou un truc du genre... »
J'ai un léger sourire.
« Monokuma ne peut pas s'en prendre à moi sans contourner ses règles. Elle a dit elle-même ne pouvoir participer à un meurtre directement, cela contournerait ses propres règles. J'ai déjà eu ma punition, et je n'ai rien enfreint d'autre... »
... Et je pense que me laisser le choix entre tuer ma petite amie et la regarder mourir était déjà bien assez cruel pour elle, sans vouloir trop m'avancer.
Soma grimace.
« Enfin rien ne l'empêche d'exploiter un loophole ou un truc du genre... Elle l'a déjà fait pour Ryo, quoi.
— Dans tout jeu, grommelle Yuuki, il y a moyen de contourner les règles... Mais Soma a raison, moi aussi je me demandais où t'étais ! Je pensais que t'étais morte dans un coin ou même que Monokuma t'avait capturée, ou que t'avais trouvé un moyen de t'enfuir sans nous... »
Elle me jette un regard vaguement accusateur, sa petite main se resserrant sur la mienne. Je fais la moue. Ça fait beaucoup de paranoïa pour quelques jours d'absence des radars, mais il faut bien avouer que, un, le contexte s'y prête, deux, le dernier qui a disparu de la sorte est mort poignardé en laissant comme unique trace de son existence un témoignage vidéo sur kumarobot.
Je pousse un profond soupir, avant de lui tapoter doucement la tête.
« Eh bien je suis là... De toute façon, j'avais quelque chose à faire avant de partir. »
Saki me jette un regard interrogateur. Mais je ne lui réponds pas. À la place, je leur lâche les mains, et m'approche du milieu de la pièce, là où j'ai vu tant de fois cette trappe honnie s'ouvrir.
Avant de me planter devant, main dans mon sac, resserrée sur le canon de mon arme.
Et de prendre une profonde inspiration.
« Monokuma ! Montre-toi tout de suite, je lance, d'une voix sonore qui se répercute dans tout le réfectoire. Je veux te parler. »
Silence. Visiblement, pas de réponse.
Satanée Monokuma.
Derrière moi, Saki et Soma font une fort vilaine grimace, et Yuuki vient de se réfugier entre leurs jambes. Les trois ont l'air paniqués. Mais bon. Tant pis pour eux. Ce n'est pas leurs états d'âme qui vont m'arrêter.
« Monokuma, je sais que tu m'entends, je m'exclame une nouvelle fois. Sors de ta cachette au lieu de me regarder de ton coin comme la lâche que tu es ! Je n'ai pas toute la journée et toi non plus ! »
Mes mots claquent dans l'air de plus en plus lourd, au moment même où la fameuse trappe s'ouvre devant moi, et en sort Monokuma, assise sur son trône, altière. À une expression près que l'expression de son visage est crispée.
Dans le silence, elle bondit à bas de son trône, qui retourne dans les profondeurs du sol. Le sceptre qu'elle tient dans ses mains semble prêt à finir sur mon crâne à la première occasion que je lui donnerai. Pourtant, elle semble parfaitement calme, une attitude détendue soigneusement composée, alors qu'elle s'avance vers moi.
Je ne peux m'empêcher de me dire que l'Alter Ego avait bien plus de noblesse dans la manière d'être que ce qu'elle est devenue.
« Je t'ai déjà dit, elle articule calmement, alors que je vois la rage briller dans ses yeux, que je n'aimais pas beaucoup ta manière de me donner des ordres. »
Derrière moi, Soma a un petit cri de panique. Il serre Yuuki dans ses bras, alors que Saki se colle à eux. Les trois semblent trembler de la même terreur. Il faut dire que le ton de Monokuma est inhabituellement froid, inhabituellement détaché. Loin du rire qui habite continuellement sa voix.
Cette Monokuma est bien différente, elle aussi, de celle qui nous a accueillie, il y a six mois de ça.
Et c'est moi qu'elle veut intimider.
Je croise les bras sur ma poitrine.
« Tu en as mis le temps.
— Étrange, d'habitude votre espèce ne veut rien avoir à faire avec moi, continue Monokuma de ce ton glacial. Il y a quelque chose que tu désires pour venir me provoquer de la sorte ? »
Je vois une étincelle se rallumer dans son œil. Qui semble dire « vas-y. j'attends. Donne-moi une seule raison de te tuer dans d'atroces souffrances. »
Je prends une profonde inspiration.
« Je veux refaire le dernier procès. »
Un cri de surprise unanime retentit derrière moi. Trois voix unies en une seule et même expression de stupéfaction alors que Saki, Soma et Yuuki se précipitent vers moi, éberlués.
D'ailleurs, je crois que même Monokuma a été prise de court. Un court instant, je vois la surprise tordre son visage. Et puis, elle reprend son expression glaciale.
« Refaire le dernier procès. Et pourquoi donc ? Tu n'étais pas satisfaite du verdict, peut-être ?
— Bien sûr que non. Comment le pourrais-je alors qu'il y a eu tricherie ? »
Cette fois, j'ai tiré dans le mille, sans mauvais jeux de mots. L'expression de Monokuma s'est crispée.
Le silence s'installe. Silence qui s'alourdit alors que notre tortionnaire qui bientôt ne le sera plus croise les bras devant elle, avant de darder sur moi un regard composé de la haine la plus pure.
« Tricherie. Tu insinues que moi, Monokuma, j'ai dérogé à mes propres règles pour accuser une innocente. Alors que tu as vu toi-même la vidéo, que je n'aurais pu truquer en si peu de temps. Pour quelle espèce d'idiote tu me prends ? »
Elle s'avance vers moi, avant de glisser sa main sous mon menton. Pour le serrer entre ses doigts, et m'attirer près de son visage, trop près de son visage.
« J'ai été trop conciliante avec toi, Satou. Et c'est ce qui fait qu'aujourd'hui tu arrives en m'accusant de tricherie. Je devrais t'exécuter sur le champ pour insubordination, mais tu n'as pas commis une faute suffisante pour que je le fasse... Ou peut-être que si ? »
Ses doigts se resserrent sur son menton. Et je vois l'ombre d'un sourire sur ses lèvres.
Je le sais. Si elle apprend l'exécution d'Alter Ego, elle va me la coller sur le dos. Et je mourrai sans avoir eu le temps de me faire entendre.
Même dans une situation pareille, elle tente de reprendre l'ascendant.
...
...
Je ne lui permettrai pas.
Un mouvement me permet de me dégager de la poigne de Monokuma. Et un autre geste fait sortir de mon sac la main qui y était enfoncée. Révélant aux yeux de mon adversaire mon pistolet, chargé, cran levé, prêt à tirer.
Monokuma écarquille les yeux.
Je lève mon arme.
Le canon est entre ses deux yeux.
« Tu protèges ton organisateur. »
De nouveau, un cri de surprise. Je crois que même Saki ne s'y attendait pas, puisque je l'entends formuler derrière moi des mot inintelligibles. Soma, de son côté, est en train de se ronger les ongles, faisant un tel bruit que je l'entends même en ayant le dos tourné. Et les tremblements de Yuuki font vibrer ses quelques accessoires dans un cliquettement presque hypnotisant.
Dans les yeux de Monokuma, il n'y a plus que de la peur.
Une ombre de sourire se forme sur mes lèvres.
« Tu sais ce que ça signifie, n'est-ce pas ? Que quelqu'un s'en rende compte. Tu ne peux pas protéger ton organisateur, son objectif est de mourir. C'est contraire aux règles même des Monokuma. Et c'est une violation du même niveau que celle qui a coûté la vie à l'Ultime Fabricante de Poupées. »
Monokuma écarquille les yeux. Elle est immobile, concentrée sur le canon de mon arme, braqué fermement vers son front.
Mon doigt se contracte sur la détente.
« Rien ne m'empêche de t'exécuter pour avoir dérogé à cette règle, et d'organiser ce procès moi-même. Dans tous les cas, c'est terminé. »
Elle est figée. Figée sur elle-même, les poings serrés, les yeux fixés sur le canon de mon arme.
Derrière moi, Saki, Soma et Yuuki ne font plus le moindre bruit.
Je sens leurs regards fixés sur moi, sur elle, sur la confrontation qui se déroule alors que Monokuma continue de fixer mon pistolet, les dents de plus en plus serrées.
Et puis, sans avertissement, j'entends un petit bruit s'échapper de sa gorge.
Un rire.
Un rire nerveux, angoissé, presque, un rire rendu tremblant par la menace de la mort en face, mais un rire quand même, qui devient de plus en plus assuré au fur et à mesure que le sourire de Monokuma s'élargit.
Ses poings se desserrent.
« Tu ne tireras pas. »
Ma poigne se resserre sur la crosse.
Monokuma continue de rire.
« Tu ne tireras pas. Quoi que tu dises, quels que soient les grands airs que tu te donnes, tu n'as pas la foi de presser la détente. Et pourtant, je t'ai donné plein d'occasions, pas vrai, Satou ? Plein d'occasions de tourner ton arme contre moi. Mais tu ne l'as pas fait. »
Son rire devient franchement hystérique.
« Tu ne l'as pas fait, parce que tu n'as pas le cran d'appuyer sur cette détente. Tu n'as même pas le cran de mettre fin aux souffrances de ceux que tu aimes, et tu crois pouvoir me menacer avec un pistolet, comme si tu avais vraiment ce qu'il fallait pour me tuer ? »
Je pousse un profond soupir.
Abaisse le canon.
...
Détonation.
Le rire de Monokuma s'est arrêté net.
Elle est au sol, les mains contractées sur son genou levé, son genou où dégouline une quantité de sang phénoménale. Son genou qui a lâché sous son propre poids, la précipitant au sol sous l'impact d'une balle.
Elle ne rit plus du tout.
Et moi, je continue de la regarder.
« Je te laisse le choix, Monokuma. Contrairement à toi, je crois en son existence. »
Ma voix claque dans l'air sur le bruit du sang qui coule. Aucun autre son ne cherche à lui faire concurrence.
« Tu peux continuer à refuser, et mourir maintenant sans retour possible. Ou tu peux avoir une chance de survie, même si tu ne la mérites pas. Et organiser ce procès comme je l'entends. »
Monokuma serre les poings sur son genou. La douleur ne transparaît même pas sur son visage comparé à l'intensité du choc qui l'anime.
« ... Tu ne peux pas... Si tu me tues, elle bafouille, tu mourras avec moi, et avec toi les deux autres idiots, et... Ce sera game over pour tout le monde... »
Deuxième détonation.
Le second genou de Monokuma explose en une mare de sang.
« Ton Alter Ego ne produira plus jamais de kumarobots. Il ne t'en reste pas assez pour réussir à nous submerger. Tu es sans défense, Monokuma, ou quel que soit ton titre. Rien ne m'empêche de te tuer maintenant, et certainement pas la conscience que tu crois que je possède encore. Mais je te laisse encore une chance d'épargner ta misérable vie. Et je veux que tu refasses ce cinquième procès. »
La flaque de sang s'élargit au sol.
Elle atteint mes bottes.
Monokuma, au centre, ne bouge plus d'un poil. Elle continue de me fixer, moi, et le canon fumant du pistolet, avec de grands yeux.
Mon doigt se contracte de nouveau sur la détente.
« Alors ? Qu'est-ce que tu décides ? »
Un petit spasme ajoute le pitoyable tas de chair qui m'avait tant terrifiée, jadis. Et puis, ses traits se tordent en une indicible colère.
« Très bien, Satou ! Puisque visiblement tu ne me laisses pas beaucoup d'autres options, on va le refaire, ton procès, si ça t'amuse ! Mais je te préviens ! Si tu n'arrives pas à tes fins, si tu ne me donnes pas le nom de votre organisateur, je vous exécute tous les trois sans sommation, et ce sera game over ! Est-ce que j'ai été bien claire ?!? »
Je plisse les yeux.
« Tu n'auras pas l'occasion de nous condamner.
— C'est ce qu'on va voir. Et crois-moi, tu vas regretter de m'avoir laissé cette occasion ! »
Je devrais avoir peur. Je devrais m'en vouloir de lui avoir laissé une chance de reprendre le dessus. Mais tout ce que je ressens, tout ce qui pointe dans ma tête, c'est un début d'excitation.
C'est bientôt fini.
Monokuma, bien loin de sa superbe d'auparavant, se traîne jusqu'à sa trappe favorite, d'où sort son trône. Elle s'appuie dessus avec difficulté, avant de se tourner vers moi, et de pointer mon doigt dans ma direction.
« Deux jours, Satou. Tu as deux jours, en comptant celui-ci, pour rassembler toutes les preuves que tu veux avant ton procès. Je veux vous voir devant ma salle de procès à l'aube du troisième jour. »
Et, sur ces mots, elle disparaît, avec son trône, dans les profondeurs du donjon.
Saki, Soma et Yuuki sont sûrement en train de marmonner derrière moi, mais je ne les entends pas.
Je me contente de sortir, laissant derrière moi une empreinte de sang.
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