Chapitre 6 (2) : Two
Deuxième jour.
Personne dans les couloirs, mais ça, je m'y attendais.
Je ne vois pas qui pourrait sortir de sa chambre par un moment pareil. Quelque part, cela m'agace. Ne ressentent-ils pas la tristesse ? Ne ressentent-ils pas le poids de ce qui se joue ?
Ne ressentent-ils pas la fin qui approche ?
Mais je ne peux pas trop leur en vouloir. J'en veux déjà bien assez à l'instigateur, et je doute fort que les autres en soient arrivés aux mêmes conclusions que moi. De toute façon, ça me convient très bien. L'indice de Daisuke est pour moi, et pour moi seule.
C'est sans doute la première chose que je fais aujourd'hui. Hier, après avoir passé tout mon temps à monter mon plan, j'ai décidé de m'organiser, pour tirer par moi-même tout ce que je peux de cette Tuerie. Le plus urgent est d'accéder à l'indice de Daisuke. Demain, je m'occuperai de finir le décryptage de ce que m'a laissé Haruko. Ensuite, je fouillerai, une dernière fois, les souterrains.
S'il le faut, je consacrerai quelques jours supplémentaires à trouver comment faire pression sur Monokuma.
Et quand j'aurai toutes les chances de mon côté, je demanderai... Non, j'exigerai de refaire le dernier procès.
Je dois absolument démêler son mensonge.
Et je dois d'abord comprendre pourquoi elle l'a fait.
Il y a de plus en plus de kumarobots dans les couloirs. La plupart d'entre eux semblent converger vers le même point. À savoir, comme par coïncidence, là où je vais. Les laboratoires.
Évidemment. Monokuma m'a empêchée de rentrer dans le laboratoire de Daisuke au procès, elle ne va certainement pas me le permettre maintenant. Sans aucun doute, elle veut ce qu'il y a à l'intérieur. Ou m'empêcher de prendre avant elle ce qu'il y a à l'intérieur.
Le souci ? c'est que le labo est fermé, et j'en ai la clé. Et il n'y a, selon elle, aucun autre moyen d'ouvrir un laboratoire qu'avec la clé du propriétaire.
Puisque c'est moi qui l'ai en ma possession, j'ai l'avantage.
Et suivant cette logique, elle veut m'en priver, par tous les moyens.
Il y a au moins une vingtaine de kumarobots dans le couloir lorsque j'arrive enfin au laboratoire. Et à peine je me poste devant le laboratoire de Daisuke qu'ils se précipitent tous vers moi. M'empêchant de progresser plus loin, où même de sortir la clé. La simple vision de ma propre clé de laboratoire, pendue à mon sac, semble les rendre fous.
Histoire de les agiter un peu, je secoue ladite clé. Un kumarobot monte sur un autre et tente de rouler jusqu'à ma clé en passant par les têtes de toutes les autres machines.
Je relève précipitamment mon sac, et éloigne le kumarobot de mon trésor. Juste à temps. Une de ses pinces s'étend, et déchire un coin de mon sac. Je vois le canon de mon arme se glisser dans le trou.
Saletés de robots.
Alors comme ça, vous voulez ma clé, hein ?
Eh bien, je vais vous donner exactement ce que vous voulez.
Toujours maintenant mon sac hors de portée, je fouille dedans, avant d'en ressortir le précieux sésame. Qui semble agiter les kumarobots comme jamais. Ils la veulent, ça se voit à la manière dont leur œil caméra se braque sur le petit objet de métal. À croire qu'ils ont été programmés pour ramener toutes les clés possibles.
Ce qui est peut-être bien le cas.
J'arme mon bras. Tous les kumarobots se préparent à rouler.
Et puis, je le lance en avant.
U bruit de métal qui chute retentit au loin alors que tous les robots, sans exception, se mettent à rouler dans la direction où j'ai lancé la clé que je leur ai tant fait convoiter. Bientôt, il n'y en a plus un seul dans le couloir.
Je me permets un léger sourire.
« Les machines sont vraiment des idiotes... »
Difficile de faire une autre constatation devant cet énorme tas de ferraille qui cliquette avec entrain autour d'un bout de ferraille inutile.
Amusez vous bien avez la clé de Kichiro, bande d'imbéciles.
Quelques secondes plus tard, j'ai la vraie clé dans ma main. Estampillée du nom de Daisuke, elle rentre dans la serrure sans le moindre problème, et cette fois, aucun robot ne tente de me l'arracher.
Il ne me faut que quelques secondes de plus pour rentrer dans le laboratoire et le refermer avant que les kumarobots ne s'aperçoivent que je les ai roulés.
Le laboratoire de Daisuke est... assez différent de ce que j'imaginais. C'est un immense camp basé en une recréation de forêt tropicale, entouré de tentes de bois léger et avec un feu de camp, au milieu, éteint. Je vois des caches d'armes un peu partout, et un plan vierge est planté sur un des troncs de la pièce. Une odeur de feu de bois et de terre remuée me parvient aux narines. Il y a même des courants d'air, qui m'amènent tous les petits bruits de la forêt.
Si je ne voyais pas des bouts du plafond, dissimulé derrière le feuillage des arbres qui longent les murs, je pourrais presque me croire dans la vraie forêt, le vrai camp du Tigre.
Mais je ne m'y trompe pas.
Je suis enfermée.
Et il y a quelque chose qui brise l'illusion. À savoir, les innombrables cadavres de robots, réunis en une montagne de débris, au sommet de laquelle trône un boîtier vidéo encore en parfait état.
On ne trouve pas de meilleur moyen de dire « eh, par ici, c'est moi, l'indice, c'est moi », hein.
Après, je parle de Daisuke, et le gaillard n'est vraiment pas connu pour sa subtilité.
Ne perdons plus une minute. Je m'avance vers le boîtier vidéo, et le prend entre mes mains délicatement. Je m'attendrais presque à le voir s'allumer à peine je l'eusse touché, mais visiblement, on ne peut pas trop en espérer d'un indice providentiel.
Il me faut un peu de temps pour allumer le boîtier. Mais enfin, j'y arrive, en le connectant à un des cadavres de robot traînant non loin. L'image de Daisuke s'affiche immédiatement sur le petit écran.
« Première chose. Si t'es Monokuma, va te faire foutre. Ce truc est pas pour toi. »
Je pouffe. Pas de doute, c'est bien Daisuke. Je reconnais sa voix, et son ton grognon qu'il a quand il s'adresse à la maitresse de cérémonie. Même si je pense bien qu'il se doutait, autant que moi aujourd'hui, que ce n'est pas cette dernière image de lui qui allait empêcher Monokuma de l'écouter, eut-elle mis la main sur cet objet.
Le petit Daisuke sur l'écran fixe la caméra avec encore un peu de hargne. Et puis, finalement, je vois son visage se détendre. Et il pousse un profond soupir avant de se pencher devant lui.
« Salut, princesse. Inutile de te faire un dessin. Si tu vois ça, c'est que je suis mort. »
Je ferme les yeux à demi. L'entendre le dire... Est presque plus douloureux que de voir son cadavre, ou de lire le petit mot qu'il m'a laissé. C'est étrange, presque, d'entendre sa voix alors que son corps gît dans la morgue, après être passé par l'inévitable autopsie. J'ai l'impression... Qu'il est en face de moi, prêt à me tapoter la tête et me traiter d'idiote, ou discuter un peu de ce qui fait cette Tuerie.
Mais je ne lui parlerai plus jamais.
Et cette vidéo n'en est que le terrible rappel.
« Je vais faire court, reprend le Daisuke de la vidéo. Je sais que je vais mourir. Je vais forcément y passer à un moment, parce que j'ai surpris un truc, un truc qui m'indique très clairement l'identité de l'organisateur. Vu comment je m'enregistre, il fait en grimaçant, je doute fort que je puisse te faire passer l'info, mais au cas où : L'instigateur, c'est– »
Un bruit de grésillements interrompt sa tirade. Je serre les dents. Les kumarobots semblent avoir prévu le truc. Et vu que ce sont les seules caméras disponibles, ça rend d'autant plus dur l'idée de laisser un message de ce genre.
Daisuke ne s'était pas trompé en devinant qu'il ne pourrait pas me révéler l'identité de l'instigateur. Bien sûr, je peux lire sur ses lèvres. Mais tous ceux qui restent ont un nom à deux syllabes. Il aurait aussi bien pu dire le nom de Soma que de Saki, ou de Yuuki.
Mais il l'a trouvé.
Il sait qui c'est.
Et aujourd'hui, il me livre le moyen de le démasquer.
« J'aimerais bien te donner le nom de manière plus sûre, il continue, les grésillements interrompus, mais comme tu le sais sans doute, je sais pas écrire. Donc bon. C'est un petit peu mort. Je dois m'en remettre à ces saletés de bestioles. Et t'expliquer ce qu'il s'est passé, au cours des deux dernières semaines. »
Il prend une profonde inspiration.
« Si par chance t'as pu entendre le nom, t'auras pas besoin de ce que je vais te dire. Sinon, sache que lorsque tu as libéré les proches, j'ai surpris Monokuma lui remettant les éprouvettes. À l'instigateur, je veux dire. Et histoire que je sois bien sûr que j'avais tiré le bon numéro, je l'ai entendue lui demander ce qu'il fallait en faire. »
... Je vois. Il a donc réussi à surprendre une scène aussi capitale, en se servant de la distraction de Monokuma et de notre propre plan de libération des proches. C'est culotté. Et pas mal chanceux de sa part. Il aurait pu se passer pire.
Daisuke grimace.
« Cette personne, puisque je suppose que la moindre mention de son genre sera effacée de l'enregistrement, a décidé de vous le donner sans contrepartie. En récompense de je ne sais quoi. Ça n'a pas plu à Monokuma, mais elle n'a pas beaucoup protesté. Le salopard a un énorme pouvoir sur elle, mais ce n'est pas exactement la même chose qu'entre l'Ultime Juge et son propre organisateur. J'ai plus l'impression qu'ils sont liés par le même set de règles, mais que c'est luel qui les crée. Enfin bref. C'est pas le plus important. »
Je vois l'écran trembler. Daisuke, depuis l'intérieur du boîtier, semble le remarquer aussi, puisque je le vois écarquiller les yeux, avant de secouer la tête.
« Ce truc tiendra pas beaucoup plus longtemps, du coup je vais faire court. Enfin, essayer. Vu que je savais qui c'est, j'ai vite compris quoi faire. Personne ne me croirait avec mon simple témoignage. Du coup, il grogne, j'ai rassemblé des preuves. Un max de preuves. Je suis rentré dans son labo, où j'ai trouvé un truc giga intéressant, d'ailleurs. J'ai fouillé tous les souterrains sans exception, si j'ai de la chance tu pourras notamment trouver dans mon labo un plan qui mène à une partie que tu n'as pas explorée, qui contient le cœur de ce donjon. »
... Le cœur de ce donjon ?
Ça promet. Mais dans tous les cas, je savais déjà que j'allais retourner dans les souterrains à un moment où un autre. Je n'ai plus qu'à trouver le plan de Daisuke, pour me faciliter grandement la tâche.
J'ai toujours la carte magnétique qui m'a ouvert la prison de nos proches. Elle pourra peut-être servir.
Le Daisuke de la vidéo continue de parler. Je me concentre dessus, essayant de ne pas en louper une miette.
« Mon objectif était assez simple. Avec assez de preuves, j'aurais déclenché un procès contre l'instigateur, histoire de lae forcer à se révéler devant tout le monde. Ça nous aurait évité de lae buter, et de risquer une dernière exécution pour le plaisir de Monokuma. Le souci, c'est que pour ça, il fallait que je trouve un bon moyen de pression sur Monokuma pour qu'elle accepte de déclencher le procès. Et j'ai pas eu le temps de le trouver. »
Je le vois fermer les yeux. Il croise les bras sur son torse, avant de se recaler un peu en arrière.
« J'ai été trop pressé. Iel m'a repéré. Maintenant, et vu le nombre de robots qui me courent après, iel veut me tuer. J'espère que tu tomberas sur cette vidéo avant le procès, auquel cas je t'en conjure, ne laisse pas Monokuma t'embrouiller sur la vraie cause de ma mort. Mais si jamais c'est trop tard... Je suis désolé. De pas avoir été assez rapide. »
... Même sa mort, même le fait que Monokuma tente de dissimuler son meurtre en le collant sur le dos de quelqu'un d'autre, il l'avait prévu.
Si j'avais trouvé sa vidéo, j'aurais compris bien avant son véritable objectif.
J'aurais peut-être eu de quoi lutter. De quoi confondre le véritable meurtrier.
Au lieu de ça, je me suis laissée guider, et Michi est morte.
Ce n'est pas la faute de Daisuke.
C'est la mienne.
La mienne, et celle de son meurtrier.
Le Daisuke de la vidéo pousse un profond soupir.
« Quoi qu'il arrive, tout est entre tes mains, maintenant. J'ai pas pu retirer l'indice du laboratoire de ce fumier, et si t'en es arrivée là, c'est que je peux pas te dire son nom. Mais avec le plan des souterrains, et ce que je sais que tu possèdes, tu peux trouver un moyen de le confondre. Il faut juste que tu puisses achever mon plan avant que le dernier meurtre ne se produise. »
Je vois son visage se détendre. Un tout petit peu.
« Je t'en demande beaucoup, je sais. Mais s'il y a quelqu'un qui en est capable, c'est bien toi, Reina. »
Il a un léger rire. Et puis, je vois se dessiner sur ses lèvres le premier vrai sourire que je lui ai jamais vu.
« Bonne chance, princesse. T'en auras besoin. »
L'écran s'éteint.
Je suis seule avec un boîtier inutile.
Et les larmes que j'attends depuis des semaines de voir couler sont en train de dévaler mes joues.
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