Chapitre 5 (9) : Heaven is near me and I only see hell
Je m'empare d'une échelle de corde et entrouvre la porte du laboratoire d'Haruko. Le soleil descend, il est quelque chose comme vingt-et-une heures quarante-cinq. Dans une heure quinze, c'est l'horaire de nuit. Monokuma ne va pas tarder à aller chercher son sésame.
Personne dans les couloirs.
Je referme la porte.
« Okay. Ce qui sont prêts se mettent devant la porte. Vous allez sortir un à un et rejoindre l'escalier montant en face du couloir où nous allons sortir. Essayez d'atteindre le belvédère. Si quelque chose ne va pas, quelque chose de type Monokuma est là, criez. Si c'est un robot, retenez-le, mais sans violence. Je confierai l'échelle de corde au premier qui se lance, pour que vous puissiez rejoindre le désert sans encombre. Vous êtes prêts ? »
Hochement de tête général. Je serre les poings. C'est la partie compliquée.
« Qui y va en premier ?
— Moi, lance Scott. Je cours vite. Si j'ai un problème, je m'en tirerai mieux que les autres. »
On va tous être dans la même caillasse, mon vieux, tu ne t'attires rien parce que tu es le premier. Mais peu importe. Je lui tends l'échelle de corde, avant d'ouvrir la porte de nouveau et de vérifier que personne ne se trouve dans le coin, ou prêt à tourner l'angle du couloir. Bon sang, j'aurais bien eu besoin de quelqu'un pour faire le guet, là, maintenant, tout de suite...
« Tu peux y aller, Scott. Méfie-toi au tournant.
— Ok~ »
... Ce ton de voix me rappelle quelque chose. Mais pas le temps de creuser ce souvenir. Après un sourire railleur, Scott s'empare de l'échelle et se précipite dehors.
Ses baskets ne font pas le moindre bruit sur le sol. En à peine une seconde, il atteint le tournant du couloir, et jette un léger coup d'œil dans l'angle, une fois, deux fois, avant de se précipiter dans l'escalier. Je ne tarde pas à la voir disparaître.
J'attends quelques secondes.
Pas le moindre bruit.
La tension dans mon organisme se relâche un peu.
« Okay. On va considérer que tout va bien là-haut. Suivant ! »
Leo s'avance, et me tape légèrement sur l'épaule avec sa main mutilée avant, d'à son tour, s'élancer dans le couloir.
Et c'est parti pour une looooongue procession de gens légèrement hors-là-loi dans ces lieux, qui passent, un à un, le réverbère.
De temps en temps, un bruit m'arrache des sueurs froides. Un kumarobot me fait stopper la progression de Kyutaro alors que ce dernier allait, à son tour, s'élancer. Un autre force Mahiru à se cacher dans le laboratoire d'Hina alors qu'elle était en pleine avancée. Je la vois en larmes quand elle en ressort.
Rien d'autre ne vient la freiner.
Finalement, c'est au tour d'Eri et Rinka, les dernières. Eri me jette un œil peu rassuré, avant de resserrer Rinka toujours comateuse sur son épaule. Je lui accorde un sourire rassurant.
« Je vais t'aider à la déplacer. »
De toute façon, il ne reste plus que nous, pas vrai ?
Eri me jette un regard de remerciement, et m'aide à caler Rinka sur mon épaule alors que cette dernière émet un grognement. J'entrouvre la porte avec ma main libre, ignorant mon fardeau, avant de jeter un œil à droite, puis à gauche.
« Personne. »
Eri grogne, avant de recharger son fardeau correctement. Et nous voilà élancées toutes les deux dans un couloir qui me m'a jamais paru aussi long. Surtout avec une folle comateuse sur les épaules.
Rinka se débat un peu. Elle sent sans doute qu'on est en train de la secouer, je me dis. Mais les esprits merci, elle ne se réveille pas.
Je m'essouffle vite. Trop vite.
Ma respiration devient laborieuse, Rinka pèse de plus en plus lourd, et derrière, ma vision se teinte de flou. C'est un tout petit couloir, pourtant, et je devrais être presque au bout. Mais adapter son pas sur celui d'Eri, qui court avec l'énergie du désespoir et n'a plus la fougue de ses vingt ans, tout en portant une autre prisonnière sur mes épaules me semble presque impossible.
Et derrière, mes veillées et mes heures de travail près de me patients semblent avoir choisi le meilleur moment pour me rattraper.
Je suis épuisée.
Au point que je loupe presque le petit bruit de roue dans le couloir en face.
Je ne dois le salut de l'opération qu'à Eri. Qui me pousse dans le laboratoire le plus proche avec Rinka avant de claquer la porte derrière elle, le visage tordu par la fatigue.
Rinka s'effondre au sol, sans personne pour la tenir.
Et moi, je me rapproche de la mère de l'Écrivain Ultime qui me fait signe de me taire d'un geste très évocateur.
Pas besoin de me le dire deux fois. Par contre, je me permets d'entrouvrir très légèrement la porte, pour voir un petit kumarobot tourner en rond, devant l'une des portes. Il semble un peu perdu, mais cela ne me rassure pas. D'une manière où d'une autre, cette machine a dû nous détecter.
« Bon sang, jure Eri entre ses dents, tellement bas que je lis plus les mots que je ne les entends. Combien de temps cette bestiole va tourner ? »
Je ne me permets pas une réponse, mais je suis assez pessimiste. À moins qu'elles ne soient verrouillées, les kumarobots peuvent ouvrir les portes. Ils ont, disons, le magnétisme nécessaire. Et si à la limite je pouvais fermer ce laboratoire derrière moi, si j'en possédais la clé... Mais un rapide coup d'œil autour m'apprend qu'il s'agit de celui de Kichiro.
Impossible de fermer à clé le laboratoire d'un mort.
Le kumarobot continue de tourner, et vient se coller au labo d'en face, qui me semble être celui de Saki. Douce ironie. La porte ne bouge pas d'un pouce, sans doute parce que l'Ultime Stratège est à l'intérieur.
Eri me jette un regard paniqué.
« Tu n'aurais pas une solution ? »
Si seulement j'en avais une... pour fermer un laboratoire, il faut une clé. Et la clé du labo de Kichiro...
.... Une minute.
Monokuma ne me l'a jamais reprise.
En tout cas, je n'en ai aucun souvenir.
Si ça se trouve...
Si ça se trouve...
Je fais passer mon sac par-dessus mon épaule avant de chercher frénétiquement dedans. Après le premier procès, je l'avais enterrée au fond en espérant ne plus jamais y toucher, l'oublier à jamais, elle et ce qu'elle m'avait permis d'apprendre. Mais Monokuma n'aurait jamais pu me la reprendre. Elle ne me l'a jamais demandée.
Si je la trouve, on pourra s'enfermer.
Le kumarobot trouvera peut-être ça louche, peut-être qu'il ira chercher Monokuma. Mais d'ici là, on sera loin dans le belvédère.
Je fais signe à Eri de ne pas bouger en retournant mon sac.
Elle est forcément quelque part.
Le robot a fini de s'en prendre à la porte de Saki. Je l'entends pivoter sur lui-même, sans doute pour aller consulter le labo d'en face. Et le labo en question, c'est nous.
S'il voit Eri ou Rinka, je suis fichue.
Je fouille frénétiquement dans mon sac. Mon arme est simplement décalée sur le côté, mais tout le reste finit par terre. Mon Monopad. Ma propre clé de laboratoire. Le plan des souterrains.
Le kumarobot continue de s'avancer.
J'atteins les replis de mon sac. Eri est tremblante, et vient de pousser la porte pour tenter de la maintenir. Mais je sais que c'est inutile. Le magnétisme des kumarobots est plus fort qu'elle. Impossible de lutter contre le pouvoir de l'aimant.
Rinka frémit par terre.
J'entends un choc contre la porte. Qui se met à grincer. Eri pousse de toutes ses forces, mais je la vois se décaler sur le côté.
Enfin, je touche quelque chose de métallique, au fond de mon sac.
Elle est là.
Je tiens entre mes mains le dernier vestige de la première victime de ce jeu d'horreur.
Je me précipite vers Eri et l'aide à repousser la porte, guettant le moment où enfin les serrures s'aligneront. Un moment, je sens la porte céder sous mon second poids.
Et puis, de nouveau, reprend sa course inexorable.
Avec toute l'énergie du désespoir, je continue de pousser, les larmes aux yeux. Sans réussir à refermer cette porte, je ne pourrai pas nous enfermer, nom d'un chien ! Est-ce que tout ça va s'arrêter de manière aussi stupide, vais-je être punie par Monokuma parce que je n'ai pas pu refermer une fichue porte à temps ?!?
Tout ça pour ça.
Non.
Non, ce n'est pas possible.
Il ne reste qu'Eri et Rinka à faire passer. Juste elles pour atteindre l'hélicoptère. Et si ça rate, ils auront besoin de moi pour redescendre. Je ne peux pas échouer comme ça. Je ne peux pas...
Un grognement derrière attire mon attention, et du coin de l'œil, je vois Rinka se relever. Elle semble encore dans les vapes, mais le sédatif ne fera pas effet longtemps.
Et vu son expression, elle n'est pas très contente d'avoir été médicamentée.
Je pousse encore plus fort.
Et encore.
Et encore.
Jusqu'à ce que la porte claque.
Enfin, les serrures sont alignées.
Ni une ni deux, je passe la clé de Kichiro dans la serrure et donne un tour de clé. La pression qi agissait sur la porte a disparu, et je n'entends même plus le kumarobot rouler. Je ne sais pas ce qu'il se passe, mais je vais en profiter...
Eri pousse un soupir de soulagement silencieux, avant de s'effondrer au sol. Elle semble épuisée. Pas que je l'en blâme. J'ai bien pu passer près de la mort.
« Les laboratoires sont insonorisés, normalement, je chuchote à la mère de Sora qui me fixe avec exactement le même regard candide que son fils, mais au cas où, ne parlons pas trop fort.
— On est en sécurité ? » Me demande-t-elle d'une toute petite voix.
Je pousse un profond soupir.
« Ça reste à voir. »
Maintenant que nous sommes enfermés, pas moyen d savoir si le kumarobot est toujours dehors. Évidemment, je pourrai simplement attendre quelques minutes, temps au bout du quel ces maudites machines finiront par abandonner la partie ; ou simplement cacher Eri et Rinka dans le laboratoire et maîtriser le robot sans lui donner le temps de les voir. Mais il faut que je me décide vite. Le temps nous est compté, et les autres vont finir par se demander pourquoi on ne les rejoint pas.
Sans compter un autre problème de taille. De type qui vient de refermer ses doigts sur ma cheville.
Juste à temps, je retiens le cri de surprise qui allait s'échapper de mes lèvres. Malheureusement, l'énergie que j'ai mise dans la restriction de ce réflexe ne me permet pas d'empêcher ma jambe de partir, et ma botte rencontre l'épaule de Rinka qui a rampé jusqu'à moi, les dents serrées et les yeux fous. Et le sifflement de douleur qui lui échappe, ça, il n'était aucunement retenu.
Elle a lâché ma cheville. Visiblement, les sédatifs d'Isami font encore effet, ce qui ne m'étonne pas vu la puissance des molécules ; mais il est probable qu'elle ait fini par s'y accoutumer. Son œil est encore plein de brume, et ses gestes sont lents ; mais vu comment elle se redresse, ça ne va pas durer très longtemps avant qu'elle ne reprenne pleinement conscience.
Je la voix cligner des yeux alors que je suis assise au sol, incapable de faire le moindre mouvement.
« ... Où... Où suis-je ? Qu'est-ce que... Où sont les autres ? »
Sa voix est faible, molle, encore endormie. Vu sa manière de regarder les alentours, elle est confuse.
Je ne peux pas vraiment lui dire la vérité vu la situation, mais je peux au moins essayer de la calmer.
Si seulement je savais ce qui la calme.
« Rinka, je commence d'une voix douce, calme-toi. Tu es toujours dans le donjon du Désespoir, et les autres ne sont pas loin. Si tu restes silencieuse, je pourrai t'amener à eux, et te faire respirer de l'air frais...
— ... Le Donjon du Désespoir ? Non, non, ce n'est pas possible, elle bredouille, encore enfumée visiblement. Je ne reconnais pas cet endroit. Ce n'est pas ma prison... et les autres... Les autres... »
Elle se fige net.
« .... Je connais ta voix. »
Je grimace. Vu comment elle a prononcé cette phrase, ce n'est pas une bonne nouvelle.
Rinka se redresse sur ses pieds, une lueur dans le regard. Une lueur clairement pas amicale.
« .... Tu es Reina, c'est ça ? La médecin. Celle qui est venue à la place de ma Yuuki. Oui, c'est ça. C'est ça. Je sens ton parfum sur elle. Le parfum de ma Yuuki... »
Ses traits se figent en une expression pleine de haine.
« Où est-elle ? Où est ma Yuuki ?!? Rends la moi ! »
Elle bondit sur ses pieds.
Moi aussi.
Mais je ne suis pas assez rapide pour éviter l'attaque de Rinka. Qui m'atterrit en plein dans les hanches, me fait basculer au sol et entoure ma gorge de ses doigts graciles.
Et le moins qu'on puisse dire, c'est que pour une fichue sédatée, cette maudite grande sœur folle a une sacrée poigne.
Elle a les doigts en plein sur mes voies respiratoires, ce qui fait que je n'arrive plus à respirer que laborieusement. Et apparemment, des mois et des mois de rage endormie se réveillent en cet instant entre les mains de la rousse qui, en cet instant, n'a jamais aussi peu ressemblé à sa petite sœur. Rinka me fait l'effet d'un animal enragé plus qu'autre chose, qui montre les dents, bave, et me regarde étouffer avec une haine sans nom.
« Rends-la moi ! Rends-moi ma Yuuki ! Elle a besoin de moi, de moi seulement, je dois être avec elle, je dois la protéger ! »
J'aimerais dire que Yuuki n'appartient à personne et surtout pas à une folle dans son genre, mais toute réplique cinglante est étouffée dans ma gorge par le petit problème que représente l'écrasement de ma trachée par sa poigne.
J'ai beau la bombarder de coups de poings, Rinka ne bouge pas d'un pouce. Ses mains continuent à se resserrer autour de ma gorge, et petit à petit, le manque d'air me monte au cerveau, me fait paniquer. Impossible de la déloger comme ça. C'est comme si elle ne sentait pas les coups.
En désespoir de cause, je porte les mains à ma ceinture.
Je n'ai plus le choix, pas vrai ?
Si je n'agis pas, elle va me tuer.
Mes doigts se referment sur le manche du couteau de chasse.
Je l'entends presque sortir de son fourreau.
Et puis, silence.
Tu vas vraiment la tuer comme ça ?
Est-ce que je peux vraiment mettre fin à la vie de Rinka Maeda, même si elle est bien décidée à m'arracher la mienne ? outre le fait que ça me ferait briser mon serment en tant que médecin, celui de ne jamais prendre la vie, la seule chose qui vaut encore dans ce maudit donjon, laisser un corps derrière moi pourrait très bien me condamner. Même si Rinka ne fait pas partie du jeu, moi, si.
Monokuma pourrait très bien m'exécuter.
Et alors ? Résonne un grognement dans ma tête. Yuuki la déteste. Elle ne lui manquera pas. Et c'est un pari. Si tu traînes son corps dehors à l'abri de toute découverte, et que les autres se cassent, Monokuma ne pourra jamais le relier à toi.
Elle va te tuer, renchérit une autre voix bien plus froide. Tiens-tu vraiment à sacrifier ta vie pour elle, au risque de rendre Yuuki responsable par l'intermédiaire de Rinka ?
Souviens toi de ton serment, Reina.
Tu avais promis.
Ne fais pas ça.
Reste en vie. Peu importe ce qu'il faut faire, tu ne peux pas mourir.
Sauve-toi...
...
Suis-je déjà en train de mourir, pour que leurs voix me paraissent de plus en plus nettes ?
Suis-je déjà en train de mourir, pour que derrière Rinka enragée ne se dessine une silhouette qui m'avait tant manqué, pour que ces yeux verts que je désespérais de contempler se replongent à nouveau dans les miens avec une telle tristesse ?
Sora, Sora qui n'a pas changé d'un pouce, toujours aussi doux, aussi calme dans son attitude, pousse un profond soupir avant de me lancer un coup d'œil rempli d'une douleur abyssale.
Quelques mots, d'une voix qui est indubitablement la sienne, retentissent au plus profond de mon esprit embrumé.
J'aurais vraiment préféré attendre davantage.
Sa main se tend. Paume ouverte, offerte.
Je lâche le manche du couteau.
Et puis, plus rien.
Plus que le noir.
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