Chapitre 5 (8) : Going in the cave
Vingt heures.
Je suis assise dans ma chambre, les yeux fixés sur le mur recouvert d'ombres.
Dans ma main, un pout de papier jauni, sur lequel est inscrit une suite de lettres sans sens.
Junko est venue me voir il y a quelques heures. Juste avant qu'on commence l'opération commando, si je puis dire, elle m'a confié le mot de passe et tous leurs espoirs.
Je n'ai pas trop compris le choix qu'elle avait fait, à quel moment elle a décidé que me confier la mission serait une bonne idée, mais je n'ai pu qu'accepter, et ce papier dans ma main est la preuve que je ne regarderai pas ça des gradins.
Selon elle, elle ne pourrait pas y aller d'elle-même. Question de confiance envers les autres. Ça m'étonne d'entendre ces mots de la bouche de l'Ultime Espionne, la plus méfiante de tous ici, mais d'un autre côté, je crois que je comprends le raisonnement. On a pas besoin de plus de dissidences.
Sauf que derrière, Saki est en train d'installer un système de surveillance de Monokuma qui permettrait de ne plus avoir à monter la garde, Soma commence à tomber malade et derrière, je suis celle qui connaît avec Junko le mieux les souterrains.
J'étais donc la mieux placée pour mettre au point la tentative d'évasion la plus risquée de toutes les Tueries.
Et ce n'est même pas moi qui m'évade.
Est-ce que je ne me ferais pas un petit peu douiller, là ?
Je pousse un profond soupir. Ce plan va me tenir à l'écart des malades pour au moins trois heures. Le temps de descendre, d'aller les chercher, de remonter, et d'attendre l'hélicoptère qui n'arrive pas avant vingt-trois heures. Cela aussi veut dire que si l'état de Yuuki se dégrade, ou si Soma tombe vraiment malade, ou si Michi passe en phase terminale...
Je ne pourrai pas les aider.
Serais-je considérée comme responsable du meurtre dans ce cas de figure ? Sans doute, Monokuma ne voudrait pas louper cette occasion pour me mettre à mort ; Mais d'un autre côté, elle-même est malade. Et ne pas porter assistance à une personne en danger n'est pas tout à fait la même chose que ne pas être en mesure de la rejoindre à temps.
Si ça arrive, je pourrai exploiter ses propres règles contre elle.
Ou quelqu'un le fera à ma place...
Les ombres diminuent sur le mur, et les chuchotis du ventilateur de ma chambre font place à une tout autre espèce de murmures.
Vingt-heures trente.
Il est temps pour moi d'y aller.
« Passe par les souterrains, m'avait dit Junko. Il faut absolument que tu évites de te faire prendre par un kumarobot. S'ils détectent une activité suspecte, ou même que Monokuma voit la vidéo de toi et des proches en déplacement, c'est foutu. »
C'est bien facile de dire ça, Junko. Mais même en passant par les laboratoires, j'ai une sacrée distance à parcourir depuis ma chambre où j'ai une chance de tomber sur Monokuma.
Surtout qu'elle aussi doit être sur le qui-vive.
J'ai eu le plus grand mal à faire le tour du rez-de-chaussée sans tomber sur une de ces maudites machines télécommandées. Mais sans doute par chance, il n'y en avait presque pas sur mon chemin. Après, ce n'est que la partie facile. Il est vingt heures trente, ma présence dehors est considérée autorisée, je n'ai pas à m'en faire sur la discrétion. Du moins jusqu'ici.
Le couloir des laboratoires. Normalement, j'aurai rejoint le mien directement, ç'aurait sans doute été le moins suspect. Ensuite, il m'aurait suffi de passer par le couloir secret, puis de rejoindre les souterrains pour être tranquille. Sauf que je préfère ne pas m'aventurer là-dedans sans être certaine de pouvoir me défendre.
Et donc, il faut que j'arrive à rejoindre le labo d'Haruko et m'équiper au maximum avant de commencer ma petite épopée.
Il n'y a personne dans le couloir. Normal. Saki met son mécanisme au point, Soma est confiné dans sa chambre, Daisuke est je ne sais trop où, et Junko quant à elle a vraisemblablement préféré se poser en salle informatique pour tenter un hack de la dernière chance. Il n'y a que moi qui en toute logique me balade dans les couloirs.
Essayant de ne pas paraître suspecte, je jette un œil derrière moi, puis dans la direction du belvédère.
Personne.
Par contre, je n'ai que le temps de m'engouffrer dans un labo au hasard quand la porte de celui de l'Ultime Généticien.ne claque sur le mur.
Juste à temps pour éviter ce qui en sort, très probablement pas amical, je referme la porte derrière moi, la laissant un peu entrouverte pour observer ce qui vient m'embêter.
Mes dents se serrent aussitôt sur un juron muet.
Ce n'est pas simplement un kumarobot. C'est Monokuma, qui vient de jaillir du laboratoire de Shizuka, les mains pleines d'ampoules d'injection. De la sueur coule de son front, et ses yeux de bête traquée semblent voir même à travers les murs.
Pourtant, elle ne me jette même pas un regard quand elle se précipite dans la direction opposée au belvédère.
Je ne l'avais pas revue depuis ce moment où elle s'est écroulée devant moi, recrachant ses tripes. Et il ne me faut qu'un instant, un moment où elle passe devant ma cachette pour voir à quel point elle a changé.
Ses joues sont creusées, émaciées. Sa peau, déjà si pâle, est devenue crayeuse, et ses tempes ruissellent de sueur, de sueur qui s'égouttent parfois jusqu'à ses cernes. Elle n'est plus habillée de manière aussi sophistiquée, maintenant, simplement revêtue d'une robe noire quelque fois tâchée de sang qui me permet malgré tout de compter ses côtes. Et ses cheveux, autrefois luisants et bien entretenus, sont filandreux et secs, et tombent derrière elle comme le petit Poucet qui égrène ses cailloux.
Qu'elle soit en état de courir ou non, elle est malade, très malade.
De toute évidence, l'antiviral qu'elle possédait n'était pas suffisant pour freiner la progression du virus dans son organisme.
Est-ce que c'est pour ça qu'elle a cambriolé le laboratoire de Shizuka ? Espérait-elle trouver de quoi fabriquer le remède ?
Ou se redonner un semblant de force.
Pas le temps cependant de se demander davantage. Monokuma tourne les talons, et disparaît vers la zone de rivière. Loin de sa chambre.
Étrange.
Mais je n'ai pas le temps de me demander quoi. L'heure tourne pour moi aussi, et je dois absolument prendre cette réserve d'armes.
Le laboratoire d'Haruko est juste devant celui dans lequel je me suis cachée. Ne perdons plus de temps.
Équipée comme il le faut, je rentre dans le souterrain et me mets à courir dans le couloir, toute discrétion oubliée. De toute façon, les kumarobots ne vont pas dans les souterrains. Je l'ai remarqué au cours du mois dernier. J'ignore si c'est à cause de leur programme ou si simplement les souterrains leur sont inaccessibles.
En tout cas, pas la moindre caméra pour m'observer.
Je traverse le premier sous-sol sans encombre. Il me faut un peu de temps pour déboucher dans le troisième, à cause d'un mur bougé sans mon intervention qui a eu le malheur de verrouiller la voie la plus rapide. Mais c'est sans importance. Je me repère au mieux dans ce labyrinthe, maintenant.
Le troisième sous-sol me pose plus de problèmes.
J'y suis passée trois, quatre fois peut-être au cours de cette phase de la Tuerie. Moins que les mois d'avant, puisque les malades m'obligeaient à être à leur chevet très régulièrement, et je n'avais pas le loisir d'y passer la journée. Par chance, Junko a compris mon code couleur, et l'a repris lors de ses propres explorations ; je n'ai donc pas à me demander si ce mur était là avant ou non.
Il me faut, malgré tout, plusieurs tentatives ratées pour, finalement, arriver au bon cul-de-sac.
La porte des proches, devant moi. Verrouillée, bien évidemment, mais j'ai dans ma main le sésame, celui qui me permettra de passer cet écueil.
Je jette un œil à mon Monopad.
Il n'y a plus d'heure, mais le chrono que j'ai mis en partant m'indique que ça fait trente minutes depuis mon départ.
Il doit être vingt-et-une heures. Je dois me dépêcher.
Sans perdre de temps, je sors de ma poche le bout de papier de Junko, sur lequel est écrit, d'une écriture impeccable, le mot de passe employé par Monokuma. Long de dix-huit caractères, une suite de lettres et de chiffres sans le moindre sens, il faut croire que Monokuma n'utilise pas de mot de passe personnalisé, malgré la sécurité.
Ou bien il a été généré automatiquement, allez savoir.
Pas le temps de se demander quoi que ce soit. Je tape la suite de lettres sur le clavier de la porte, et un chuintement désagréable me remercie alors que le voyant passe au vert.
Et, devant moi, s'ouvre la porte de leur prison.
Un bruissement est la première chose qui m'accueille quand je me précipite à l'intérieur. C'est celui des vêtements de Scott, alors qu'il passe sa veste en quatrième vitesse. Il me salue d'un signe de tête, avant de me désigner tout le groupe. Je prends le temps de les compter rapidement.
« Onze, douze... Parfait, vous êtes tous là.
— Salut, Reina, me lance Evdokia d'une petite voix. Alors, c'est toi qui viens nous sortir de là ? »
Je grimace.
« Essayer. C'est un coup de poker qu'on tente, là, il faut s'attendre à ce qu'il échoue. Mais si ça marche, oui, je vous sortirai de là. »
La gamine prend une expression déterminée.
« Tant pis si ça rate. Je veux au moins essayer. »
C'est le bon esprit. Et visiblement, même mon avertissement ne semble pas avoir démoralisé les autres. Ils semblent tous, plus ou moins, partager l'avis d'Evdokia.
Je m'attendais à ce que Rinka, ou Isami, fassent plus de difficultés. Mais la première est debout, les yeux dans le vague, soutenue par Eri Yamasaki, tandis que la deuxième me fixe d'un air indéchiffrable, appuyée sur une béquille.
Je pince les lèvres.
« A quelle vitesse vous pensez pouvoir vous déplacer ?
— Pas très vite, grimace Eri d'une voix plus inquiète qu'autre chose. On a dû sédater Rinka qui n'était pas trop d'accord avec le plan. Elle va être plus ou moins tranquille mais ne pourra pas avancer très vite, sur mon épaule. On espérait que Nakano vienne aussi, mais... »
Mais Daisuke n'est pas là, et je ne suis pas en mesure de soutenir plus efficacement Rinka, surtout avec ce qui est dissimulé sous mon pantalon, dans mon sac et autour de ma taille.
Je pousse un profond soupir.
« Dans ce cas, on bouge. Surtout, ne vous perdez pas, et ne me lâchez pas du regard. Ces souterrains sont labyrinthiques et je ne peux pas me permettre de perdre du temps à rattraper les retardataires. Je vous expliquerai le plan sur le chemin.
— ça me semble raisonnable, annonce Viktor. Je m'occupe de porter Mary, peut-être ? Elle est moins lourde que Rinka...
— Pas besoin, réplique la vieille dame d'un ton un peu aigre. L'idée de sortir de cet infâme trou à rats m'a redonné les jambes de mes vingt ans. Je vous en prie, mademoiselle Satou. »
J'adresse un signe de tête respectueux à l'ancienne gouvernante de Kichiro avant d'obtempérer, et de tourner les talons vers l'entrée en faisant signe aux autres de me suivre.
Presque tout naturellement, ils se répartissent en formation. Le groupe des jeunes, constitué d'Akumu, Leo, Mahiru, Scott, Kyutaro et Kiëran me suit de très près, avec Evdokia juste derrière eux ; derrière, au milieu d'un triangle constitué par Viktor, Mary et Isami, Eri soutient Rinka sur son épaule, la faisant progresser par petits pas rapides. C'est Viktor qui ferme la marche, et je le vois de temps à autres jeter des coups d'œil derrière lui, comme pour s'assurer que personne ne le suit. Ou que personne ne s'est perdu.
J'apprécie.
Je n'ai pas eu l'occasion de parler avec la plupart de ces gens durant ma captivité. Certains me sont antipathiques, comme ma très chère cousine pour ne pas la citer, qui me fixe toujours avec cette étrange lueur dans le regard ; Même Kyutaro, à qui je n'ai pas eu beaucoup l'occasion de parler, ne m'inspire pas la moindre émotion positive, sans doute parce que je me souviens dans quelles circonstances sa relation avec Saki s'est terminée. Je n'ai pas les meilleurs souvenirs de Mary, qui éloignait sans cesse Kichiro des autres enfants ; sans doute pas de son plein gré, mais quand on voit comment il a fini, je lui accorde volontiers la responsabilité qu'elle mérite dans son décès.
Pourtant, ce soir, je me sens proche de chacun d'entre eux.
Nous formons le groupe uni que je n'ai jamais pu atteindre au fil des meurtres.
C'est quand même la marque d'une sacrée ironie.
La remontée des souterrains se passe sans problème. Selon mon chrono, on arrive au premier sous-sol un quart d'heure après le début de notre remontée. C'est inespéré. Du coup, dans le premier sous-sol, je me permets de ralentir un peu, et de me tourner vers le groupe.
« Du coup, je vous rappelle le plan. Quand on sera sortis du belvédère, vous essaierez de vous dissimuler dans le désert. Ça ne devrait pas être trop compliqué, avec les buissons et le sable, mais nous sommes douze, donc il faudra faire le moins de bruit possible. Dès que l'hélico atterrit, vous vous mettez en position, et tout le monde attend mon signal pour attaquer. Monokuma ne doit surtout pas vous voir dehors, okay ?
— Il se passe quoi si elle nous voit ? » Demande, d'une toute petite voix, Leo.
Je serre les dents.
« Je préfèrerais encore ne pas le découvrir. Une fois l'hélico en notre possession, je vous laisse gérer. Je vous conseillerais bien de tenter de contacter Kagari Goto une fois échappés, mais... »
... Mais je n'ai absolument aucune idée de s'il répondrait à l'appel de gens ordinaires, victimes de Tuerie ou pas, surtout si lesdits gens cachent encore bien des secrets que je n'ai pas pu percer.
« On se débrouillera, fait, d'une voix rassurante, Viktor. On peut toujours tenter de rallier la Fédération du Nord. Je suis citoyen norvégien, le gouvernement de madame Kasjasdottir répondra sans aucun doute à mon appel. »
C'est effectivement une autre solution. Même si je n'ai absolument aucune idée de la sécurité d'un pays fondé il y a à peine un an.
Ou peut-être est-ce un an et demi maintenant.
Je ne sais plus.
Devant mon silence, Viktor incline la tête. Il semble attendre la suite ; Suite qui n'arrive toujours pas, puisque je suis plongée dans mes réflexions. Je me pince discrètement la cuisse pour me réveiller un peu avant de me tourner vers lui.
« Désolée. En tout cas, il faut absolument que vous preniez possession de l'hélicoptère. S'il y a des sbires humains, laissez-les dans le désert ou larguez-les ailleurs, mais ne prenez aucun risque.
— ... Tu ne viens pas avec nous, Reina ? Me demande Leo d'une toute petite voix. C'est l'occasion... »
Je soupire.
« Trop risqué. Il y a des chances pour que ma présence incite Monokuma a vous pourchasser. Et puis... »
... Et puis de toute façon, partir seule ?
Laisser les autres derrière ?
Laisser les malades derrière ?
Je ne peux pas faire ça.
Quelle sorte de monstre je serais si je faisais ça ?
Un monstre qui se préoccupe de sa survie, me murmure quelque chose dans ma tête. Quelqu'un qui a bien mérité un peu de repos.
Je secoue la tête.
Pas de pensées comme ça.
Je n'ai aucune raison de les écouter.
Même si elles sont dites sur la voix d'Hina.
« On est presque arrivés au rez-de-chaussée, j'annonce. On va déboucher dans le laboratoire de l'Ultime Assassin, donc ceux qui veulent, prenez des armes, mais faites très attention à qui en prend. Certes, vous en aurez peut-être besoin pour vous défendre, mais je n'ai pas spécialement envie qu'on en arrive là. »
Un océan de grimaces accueille mes paroles, mais personne ne proteste. Tant mieux. Même si je n'ai aucune envie d'avoir à leur faire porter des armes, il vaut mieux qu'on soit préparés à toute éventualité.
« Je vais sortir en premier. Vous attendez mon signal, s'il vous plaît. On va commencer à rentrer dans la zone où il y a des caméras. »
Tout le monde hoche la tête. Je jette un œil à mon chrono. Une heure depuis le début de l'opération.
Parfait.
Le laboratoire d'Haruko est vide. Je ne peux pas le fermer à clé, puisque Monokuma a pris la clé nécessaire sur le cadavre de sa propriétaire ; mais apparemment, personne n'est passé pendant que j'explorais les souterrains. Les armes sont à leur place. Pas de kumarobot posté dans un coin sombre. Tout va pour le mieux.
Je leur fais signe de remonter d'un coup de pied dans l'escalier, et une procession de douze se dégage, un à un, du couloir qui vient des souterrains. Les plus jeunes déglutissent en voyant les armes, et même les adultes ne peuvent retenir une grimace devant l'impressionnante collection de l'Ultime Assassin.
« Dommage que Kanade ne soit plus parmi nous, soupire Eri, les yeux fixés sur l'impressionnante collection. Il aurait sûrement eu l'usage de tout ça. »
Je n'ai pas souvenir de leur avoir révélé la véritable identité dudit Kanade. Mais j'imagine que quelqu'un l'a fait pour moi. Monokuma, un autre Ultime, voire Kanade lui-même à l'approche de sa fin. Qui peut savoir.
« Peu importe, marmonne Viktor en décrochant un fusil à fléchettes du mur. Autant faire ce qu'on peut avec nos propres talents. »
Quelques autres choisissent de prendre une arme non létale, eux aussi. Scott s'empare d'une batte de base-ball et d'un couteau, Kyutaro d'un taser. Et Isami hésite de longues secondes avant de, finalement, soupirer et récupérer un pistolet.
Elle ne réagit pas à mon regard en biais.
De toute façon, je n'aipas le temps de faire une remarque. Le temps file, et on entre dans la phase laplus compliquée du plan, à savoir, réussir à atteindre l'extérieur sans sefaire griller par Monokuma ou un kumarobot.
Ce qui serait assez dramatique.
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