Chapitre 5 (7) : Final preparations
Six jours plus tard, alors que le statu quo s'installe, j'ai la surprise de voir Junko remonter des souterrains bien plus tôt que prévu. Avec un large sourire.
Il est quelque chose comme seize heures. Si on peut vraiment calculer les heures dans ce maudit donjon, puisque désormais je suis obligée de me servir du belvédère pour voir défiler le temps qui passe. Mais une chose est sûre, le soleil est loin d'être couché. Et Junko, qui à cette heure-ci est toujours dans les souterrains, vient de sortir de l'escalier du rez-de-chaussée.
J'espère pour moi qu'elle a d'excellentes nouvelles.
Je me dirige vers elle d'un pas lent, et l'Espionne m'adresse un signe amical avant de s'appuyer sur un mur juste devant moi. Elle est en sueur, mais la transpiration qui lui dégouline des tempes ne l'empêche pas de rayonner de mille feux.
« Salut, Reina.
— Salut. J'imagine que tu as de bonnes nouvelles ?
— Excellentes. »
Elle rigole un peu avant de lever devant elle un bout de papier jauni.
« Le mot de passe. J'ai réussi à le cracker. »
Son sourire brille d'autant plus.
Et moi, je ne peux m'empêcher de tendre la main vers le bout de papier.
Elle l'éloigne de moi d'un geste brusque, et avant que je n'aie pu exprimer mon agacement, de nouveau, elle se met à rire.
« Du calme. J'ai quelques trucs à t'expliquer d'abord.
— Qui nécessitent que je ne puisse pas voir le mot de passe ? Je grommelle, passablement agacée.
— Non, mais une chose à la fois, s'il te plaît. Tu viens avec moi, Reina ? »
Je soupire. Je crois que je n'obtiendrai pas gain de cause avec Junko, donc autant la suivre et voir ce qui peut bien la retenir. En vitesse, j'espère. Je ne supporte pas le temps perdu.
L'Espionne m'entraîne jusqu'à la salle informatique d'un pas rapide, les esprits merci, et en silence. Elle salue à peine Daisuke qui passe avec un casse-croûte et un jeu pour s'occuper les mains, sans doute sur le point de prendre la relève de quelqu'un devant la porte de la chambre de Monokuma. D'ailleurs, il lui rend bien. C'est à peine s'il incline la tête dans notre direction.
Finalement, alors que nous passons la porte de la salle informatique, Junko s'installe dans un fauteuil et me fait signe d'écouter.
« Alors. Par où commencer ?
— le mot de passe, s'il te plaît, je réponds, un peu aigre. Faisons vite. »
Elle hoche la tête avant de me faire signe de m'asseoir.
« Le mot de passe. Bizarrement, pour une sécurité créée par potentiellement la meilleure informaticienne du monde, il n'était pas si protégé que ça. Une seule authentification, pas de données biométriques, ni même d'alarmes au crackage. Aucune clause de changement que j'ai pu voir. C'est assez inquiétant, mais j'ai pu tester ce que j'ai obtenu. Deux fois. C'est bien le bon.
— Tu as rentré le mot de passe deux fois ? Et c'est passé ?
— Ouaip. Une fois pour rentrer et sortir, une autre fois pour vérifier qu'il n'y avait pas eu de changements ou que je n'avais pas obtenu un mot de passe à usage unique, ou un leurre conçu pour verrouiller la porte après une seule utilisation. Ce n'est vraisemblablement pas le cas. »
Je n'y comprends pas grand-chose à son charabia informatique, mais si ce qu'elle dit est vrai, elle a donc entre les mains le vrai mot de passe de la porte des proches, celui qui sert à verrouiller et déverrouiller la porte sans avoir recours au gaz soporifique. Un élément capital de notre plan.
De nouveau, je tends la main. Mais Junko ne me le donne toujours pas.
« Patiente un peu. On a un peu parlé avec les autres, et les proches aussi, et je me suis dit que par mesure de sécurité, je ne donnerai ce mot de passe qu'à la personne qui guiderait les proches dehors. On ne sait jamais.
— À cause de l'instigateur ? Tu penses qu'il pourrait en profiter ?
— Oui. Pour le changer, ou prévenir Monokuma, ou causer la zizanie en bas dans un moment où on va avoir besoin de guider dehors un troupeau de moutons. Je m'occuperai moi-même de choisir la personne la plus à même d'agir. Comme ça, si le plan échoue pour une raison qu'elle est bien en peine de m'expliquer, ou que quelque chose d'imprévu arrive sans l'intervention de Monokuma... »
Elle a un sourire carnassier.
« Je saurai pourquoi. »
... ça se tient. Mais ça continue néanmoins de m'énerver doucement. J'ai l'impression de perdre du temps. Alors même que je ne sais pas si je vais descendre dans ce maudit souterrain.
Néanmoins, si je continue de l'interrompre, je vais perdre encore plus de temps ; Donc autant laisser ce sujet tranquille pour le moment, et essayer de capter d'autres infos utiles. Surtout si ce qu'elle me dit est vrai, et qu'elle est bel et bien descendue dans leur couloir.
Peut-être que je pourrai savoir comment est-ce qu'ils prennent tout ça.
L'Espionne pousse un profond soupir.
« Enfin, on reparlera de ça plus tard. J'ai réussi à cracker le mot de passe et je l'ai noté juste ici. En même temps, je suis allée les voir pour leur expliquer le plan, et les mettre à jour. Et vérifier, en même temps, qu'aucun n'était malade.
— Et donc ? »
Junko me jette un regard en biais.
« Étrangement, si je puis dire, ils sont tous en pleine forme. Côtoyer Kazumi Mizutani pendant cinq mois ne semble pas leur avoir porté le moindre préjudice. La seule personne qui semble s'être considérablement affaiblie est ta cousine. »
Ça ne m'étonne pas tant que ça. Je me rappelle encore de Kiëran me confiant qu'Isami creusait dans ses réserves d'antidouleurs pour sédater Rinka. Si c'est vraiment le cas, son organisme a dû énormément s'épuiser à cause de la douleur. Elle ne tiendra sans doute pas beaucoup plus longtemps.
A cet égard, les faire sortir devient une urgence.
« La maladie d'Isami est orpheline, je dis à Junko alors que cette dernière semble attendre une explication. On ne sait même pas ce que c'est, ni même combien de personnes sont atteints. Juste que ses antidouleurs permettent aussi de freiner la détérioration de son organisme. Et apparemment, elle s'en sert pour sédater Rinka, qui devient violente. Pas étonnant que ça aille mal.
— Rinka... Maeda ? Je vois qui c'est, oui, marmonne Junko, peu amène. La grande sœur de Yuuki. Elle m'a déjà menacée de beaucoup de choses si je m'approchais de sa petite sœur adorée. J'imagine qu'elle doit inquiéter les autres.
— Tu leur as dit ce qu'il se passait ?
— Je n'ai pas abordé l'état de Yuuki si telle était ta question, soupire Junko. Mais j'ai été obligée de tout leur expliquer depuis le meurtre. Ça n'a pas été un moment facile. Viktor... M'a fait beaucoup de peine. »
Viktor. Le père d'Akihito, si je me souviens bien. Je n'ai pas trop eu l'occasion de lui parler, mais j'ai vu quelle affection son fils lui portait. Ils devaient être très proches. Suffisamment proches pour que le père doive pleurer d'enterrer son enfant.
C'est trop cruel de perdre un fils ainsi, tout près de toi, sans même pouvoir lui dire au revoir.
Monsieur Kanda, et madame Yamasaki, les deux parents de cette Tuerie, ont dû énormément souffrir, et pas seulement de leur prison.
Je ne sais même pas si les mener jusqu'à la morgue, où repose ce qu'il reste de leurs enfants, pourrait être une bonne idée.
Je revois assez leurs corps dans mes cauchemars, et leurs sourires dans la brume permanente qui m'entoure.
Je pousse un profond soupir, et Junko lève un sourcil surpris.
« Un truc qui ne va pas, Reina ?
— Non, non. Juste moi qui réfléchissais. Tu leur as parlé du plan ?
— Oui. Ils ont pas fait trop de difficultés, même quand je leur ai expliqué qu'ils devraient retourner à leur prison si quelque chose n'allait pas. Je pense qu'à ce stade, ils étaient prêts à tout essayer, ce serait quand même mieux que ne rien faire. Après, Rinka dormait, et Isami était inconsciente. Donc bon. »
Junko fait la moue, son poing se serrant sur son bout de papier. Je vois encore le doute planer dans son regard. Il est vrai que Rinka comme Isami sont probablement les deux qui nous feraient le plus de difficultés. L'une est violente, imprévisible et sans doute pas très bien mentalement, si j'en crois les autres et surtout, les paroles de Yuuki. L'autre est malade, affaiblie et pas forcément amicale. En tout cas avec moi, même si je n'ai pas trop eu l'impression qu'elle se soit rapprochée des autres...
Après, je crois que l'heure n'est plus au rapprochement. L'heure était au rapprochement trois mois plus tôt. Et maintenant, c'est trop tard.
Pour eux comme pour nous.
Je prends mon menton entre mes doigts.
« Comment ça s'organise, selon toi ? »
Elle soupire.
« Déjà, je vais aller voir Saki et Soma, ou Daisuke, je sais plus qui fait le guet, voir s'ils ont pas du nouveau. Ensuite, et si y'a pas de trucs pouvant mettre la mission en péril, je désignerai celui ou celle qui est le mieux à même de réussir ladite mission. Et cette personne suivra le plan prévu, d'ici deux jours. C'est tout. »
Ses traits se referment.
La perspective de la « mission » ne semble pas du tout l'emballer. Il est vrai qu'on l'a seulement finalisée en quelques jours, alors que d'autres plans ont pris des mois. Ce n'est pas franchement un facteur de sûreté.
Mais en fin de compte, dans une Tuerie, tout peut capoter. Et je regarde Senri et Kagari.
De là où ils sont, les deux, aucun ne pourra nier que leur plan a, d'une certaine manière, échoué.
Je ferme les yeux.
« C'est proche. J'espère vraiment que ça va marcher.
— Moi aussi. Mais on est sept face à une organisation maléfique de dizaines de milliers de membres, dont on ignore même où se trouve le tronc. C'est probablement le pari le plus hasardeux jamais vu que ce soit en espionnage, en guerre ou en contre-attaque, même en étant une équipe de génies comprenant l'Ultime Espionne, l'Ultime Stratège et l'Ultime Révolutionnaire. Je ne m'attends pas à ce qu'on réussisse.
— Pourquoi tant de pessimisme ? »
Ma question semble prendre Junko au dépourvu. Avec un petit froncement de sourcils, j'embraye, un peu curieuse.
« C'est toi qui as proposé ce plan, à la base. Il se tient. Pourquoi le mettre en application si tu penses que rien ne peut fonctionner ? »
Visiblement, j'ai tiré dans le mille. Junko vient de déglutir, pâlissante, et ses mains se mettent à trembler. Elle se saisit, distraitement, de son collier de perles alors que ces dernières glissent entre ses doigts. Mais rien ne semble la calmer.
« Junko, je demande, un peu plus froide. Tu ne nous envoies quand même pas dans une opération vouée à l'échec ? »
Et si c'est le cas, je préfèrerais le savoir maintenant.
Maintenant, tant qu'il est encore possible de sauver les meubles.
Maintenant, avant d'ajouter d'autres ombres à la procession.
Maintenant, avant que ma faiblesse m'oblige à verser le sang.
L'Espionne serre les dents, yeux clos. Avant de les rouvrir et de les tourner vers moi.
« Je veux que ça marche, Reina. Je veux que ça marche sans doute bien plus que toi. Je veux croire que c'est possible et, dans la situation présente, ça l'est. Mais j'ai une certaine expérience avec les affrontements contre des titans. On ne s'en tire jamais sans laisser de plumes. Et on y laissera des plumes, nous aussi.
— Une certaine expérience, hein. Donc, tu as déjà affronté lesdits titans, pas vrai ? Dans ton Ultime.
— Pas vraiment, elle grimace. Disons que j'étais dans les rangs des titans. »
Silence.
Rien ne bouge, pas même les ombres.
Il n'y a plus dans la salle informatique que ce regard que je vrille sur l'Espionne.
Espionne qui finit par pousser un profond soupir.
« Tu te souviens ce que je t'ai dit sur l'obtention de mon titre ? »
... Oui, je me rappelle.
Hina nous avait fait poser la question, à Saki, Haruko, Junko et moi. À cette occasion, je m'étais tue, je les avais écoutées, sans pouvoir vraiment faire quoi que ce soit de mieux. J'avais entendu l'histoire d'Hina, la couverture d'Haruko, et, aussi, la raison de l'obtention de l'Ultime de Junko.
Cette conversation remonte à si loin déjà.
Une époque où nous étions seize, innocents, pleins d'Espoir, sans savoir que deux des personnes autour de cette table allaient tuer. Personne ne savait que j'étais responsable de la mort de mon aimée. Haruko prétendait encore être l'Ultime Journaliste. Saki et moi n'étions pas en froid. On pensait pouvoir exploiter la règle de Monokuma pour tuer l'instigateur et sortir en un mois.
Combien de sang versé depuis cette innocente question ?
« Oui, je réponds. Tu m'avais dit que tu l'avais obtenu en destituant Trump.
— Contente de voir que tu t'en souviens. Mais c'est plus compliqué que ça. »
Ses mains se serrent sur son collier. Un moment, je vois les perles se resserrer autour de son cou.
« Je ne travaille pas pour un pays en particulier. Je ne suis ni dans le camp des démocrates, ni celui des japonais cherchant à mettre au pas un élu stupide. Je fais partie... Ou plutôt, mes parents, qui m'ont poussée à faire ça, font partie d'une immense organisation apatride qui trempe dans à peu près toutes les affaires étrangères. Un rêve mouillé pour les complotistes. »
Elle a un léger rire, cynique, avant de se pencher vers moi, les yeux scintillant d'une étrange lueur.
« Tu te doutes déjà avec les Monokuma que ce genre d'organisation ne fait pas de destitution pour le plaisir de faire les choses bien. J'ai dû ruiner la réputation de ce bon vieux Donald non pas parce qu'il était dangereux pour le monde, mais parce qu'il se mettait en travers de leur plan. A connaître le bonhomme, je me suis sûrement retrouvée dans une guerre d'information entre eux et les Monokuma, puisque j'ai été récompensée quelques semaines plus tard par un beau titre tout neuf signant, sans le moindre doute, ma condamnation à mort. Dans tous les cas, mon statut d'Ultime Espionne est une condamnation pour tout l'autre côté, y compris mes patrons. »
... Je me doute. Un titre Ultime annonçant le domaine dans lequel tu travailles ? Pour quelqu'un obligé d'être discret, c'est une fin de carrière. Et les gens de ce milieu n'aiment pas beaucoup les fins de carrière paisibles.
Si Junko sort de là, elle ne pourra plus exercer sans complètement refaire sa personne même. Et même là, il y a fort à parier pour que ses anciens employeurs ne la traquent pour la tuer.
Même en travaillant pour Kagari Goto, l'homme pour qui rien n'est impossible, sa vie sera constamment en danger.
Mais à l'entendre, on dirait qu'elle va affronter ça seule.
« J'en déduis que... tes parents ne peuvent pas t'aider. Changer ton identité, te cacher, tout ça. »
De nouveau, un petit rire cynique.
« Ha ! Satou, tu ne veux vraiment pas croiser mes parents. Ce ne sont pas des gens aimants comme les tiens peuvent l'être, prêts à couvrir des informations avec tout l'argent dont ils disposent. Mes parents sont des employeurs. Des missions, des formations, et absolument aucune pitié. Si je suis d'un moindre danger pour la Reine... Kouik. »
Je hausse un sourcil.
« La Reine ?
— La patronne, si tu préfères. Et non, je ne sais pas qui c'est, non, je ne sais pas comment elle a obtenu ce titre et non, je ne t'en dirais pas plus. Je crois d'ailleurs que j'en ai bien assez dit. Je vais voir Saki, Daisuke et Soma pour leur expliquer le plan. »
Elle se lève,brusquement, projetant le pouf en arrière. Et j'ai à peine le temps de tendrela main vers elle avant que la porte de la salle informatique ne claque dansson dos.
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