Chapitre 5 (5) : Avoiding a game over

Je suis encore fulminante quand j'arrive devant la porte de la chambre de Yuuki, en tenue complète de travail et masque sur le visage.

J'ai ramené de l'hôpital un certain nombre de commodités pour m'aider à maintenir la fillette en vie. À commencer par des perfusions, puisque nous ne pourrons plus la nourrir correctement, et un masque à oxygène pour les cas d'urgence.

Quand je rentre dans la chambre de l'Ultime Gamer, l'odeur de la transpiration, de la maladie et de la crasse me prend aux tripes. Au point que je me sens presque obligée de laisser la porte ouverte, histoire de rafraîchir un peu. Nous n'avons pas une très bonne aération, ici.

C'est à contrecœur que je dois la fermer.

Cependant, Yuuki, affalée sur le lit, a une bien meilleure mine que tout à l'heure. Sa respiration est un peu moins laborieuse, et visiblement elle dort plus qu'elle n'est dans cette espèce de transe maladive, mais a ses yeux fermés.

Parfait, ça me laisse le champ libre pour essayer de l'installer un peu mieux.

Je branche le purificateur d'air que par chance, l'hôpital gardait dans ses placards. Avant d'installer la première perfusion de glucose sur son piquet prête à brancher. Et de contrôler l'état de Yuuki avec quelques examens sommaires.

Ses muscles sont toujours aussi tendus. Des bleus se forment là où j'appuie au niveau de mes bras, dénotant de la fragilité de ses vaisseaux sanguins. Pas très gros, cependant, si ça a vraiment une importance. Un moment, je crains devoir faire une transfusion sanguine. Il y a sûrement des poches de sang dans les zones réfrigérées de l'hôpital que je peux utiliser pour elle, même sans savoir son groupe sanguin... Mais elle ne perd pas de sang, et une hémorragie interne me causerait bien plus de tracas si je la transfusais.

Sa température, elle aussi, est toujours aussi haute. Un rapide passage du thermomètre frontal m'indique 39,9°C. ça n'a pas baissé, ni monté significativement, mais sa fièvre pourrait s'avérer très dangereuse pour son organisme si elle grimpe ne serait-ce que d'un degré de plus.

La pauvre petite est en sueur. Ses lèvres sont sèches, et même passer un linge humide sur sa peau ne semble pas lui faire de bien. Par contre, lorsque j'effleure sa nuque enfiévrée, elle bat des paupières, doucement, avant d'entrouvrir un œil chassieux et plein de larmes.

« .... Reina.... C'est toi ? »

Sa voix est toute tremblotante. Je la reconnais à peine. Et je l'entends à peine.

Par contre, la quinte de toux qui lui déchire les poumons, ça, je l'entends.

Une goutte de sang tombe entre les glaires.

...

Par tous les esprits qui parcourent cette terre.

Ses poumons sont plus attaqués que ce que je pensais.

Je l'aide à se réinstaller correctement avec le sourire le plus rassurant qu'il m'est possible de produire. Ne pas montrer que mon inquiétude vient encore de grimper d'un cran.

« Oui. C'est moi. Ne bouge pas trop, Yuuki. Ton corps est trop fatigué pour ça. Tu veux bien me laisser faire encore un peu ? »

Les yeux de la pauvre petite papillonnent de nouveau.

« ... S'il te plaît. Reina... J'ai mal... Qu'est-ce qu'il se passe ?

— Tu as mal où ? Je souris, essayant d'ignorer sa question. Je peux essayer de te faire aller mieux... »

Silence.

Yuuki se remet à tousser.

« ... Partout... »

Elle se met à pleurer. Doucement. Ses sanglots à peine audibles. À peine perceptibles même alors que je passe doucement mes doigts et la lingette sur son front, essayant d'hydrater sa peau, de faire descendre sa fièvre.

Gémissant de douleur alors que je continue mes soins.

Je vois les larmes perler de ses yeux, se mêler à la transpiration sur ses joues.

Tremper son lit déjà humide de sueur.

Je pousse un profond soupir.

« Doucement. Je vais finir de te rafraîchir et puis je te mettrai sous intraveineuse, d'accord Yuuki ? Comme ça, si tu ne veux pas manger, tu pourras quand même avoir de l'énergie.

— ... d'accord... »

... Pauvre petite.

Victime d'une maladie mortelle, obligée de remettre sa vie entre les mains de quelqu'un qui n'a même pas de spécialisation là-dedans.

Et en combien de temps vais-je tomber malade et briser tous ses espoirs de survie ?

Tous leurs espoirs de survie ?

Dans le silence, je lui installe la perfusion aussi délicatement que possible. Je n'en ai pas fait depuis trop longtemps, et un moment je crains de l'avoir mal mise, mais le glucose se met à s'écouler correctement et je pousse un profond soupir.

J'espère vraiment ne pas faire de bêtise.

Si seulement j'avais l'aide d'une infirmière. Les infirmières savent bien mieux que moi.

Yuuki ne s'est toujours pas rendormie. L'eau semble lui avoir fait du bien, et quand je la relève, délicatement, elle parvient à en avaler quelques gorgées. Dans lesquels j'ai glissé un médicament pour apaiser sa fièvre.

En espérant que ça suffise.

« ... dis, Reina.

— Oui ? »

Le regard enfiévré de Yuuki se pose vers moi. Il n'y a plus la moindre trace de sa joie enfantine.

« ... Je vais mourir ? »

La question me prend au dépourvu. Impossible d'y trouver une réponse. Mais heureusement pour moi, ou malheureusement sans doute, Yuuki continue, inébranlable.

Inexorable.

« Je vais mourir, c'est ça ? Je n'ai presque plus de points de vie ? Il n'y a plus rien à faire ? »

Je grimace. Un tel pessimisme chez la gamine ne va pas arranger ses chances de survie.

Et je ne veux pas qu'elle meure comme ça.

Tuerie ou pas, je ne peux pas la laisser mourir comme ça.

Elle a quatorze ans.

Quatorze ans, c'est bien trop jeune pour perdre sa vie dans la sueur et la crasse, terrassée par un virus censé assassiner les gens n'ayant pas le trait du génie.

C'est une horrible manière de mourir.

Et plus que toute autre, je ne veux pas voir Yuuki subir ça.

Essayant d'oublier le pronostic vital tellement pessimiste de la Gamer Ultime, je me permets un léger sourire derrière mon masque.

« Je vais faire tout mon possible pour que non, ma puce. Et il y a encore tellement de choses à faire. Toi, essaie de garder espoir, d'accord ? C'est le principal. »

C'est le principal...

Yuuki tousse de nouveau. Pas de sang, cette fois. Je lui essuie la bouche en douceur, et dans le même temps, je vois un peu de brume disparaître de ses yeux. Elle pousse un profond soupir.

« L'Espoir... Les gens en parlent tout le temps. Ici encore plus. Mais ils disent jamais ce que c'est. Le Désespoir oui. On finit par savoir. Mais jamais l'Espoir. »

Elle me pointe la gourde du doigt avec un air un peu suppliant, et je lui refais boire encore un peu. La déglutition lui arrache un petit cri de douleur.

Je repose la gourde.

« On ne sait pas ce que c'est, l'Espoir. Mais le Désespoir, je dis d'une voix douce, c'est juste un joli nom pour un ensemble de maladies mentales que les gens ne veulent même pas étudier. Ce n'est pas une maladie mentale qui pousse les gens à tuer, pourtant... C'est ce qu'on en fait. »

Mes paroles sont rassurantes pour aider à calmer Yuuki, mais dans les faits je crois à peine à ce que je dis. Et j'ai peur de ne pouvoir l'en convaincre. Elle comme moi avons vu ce que le Désespoir pousse à faire. Le Désespoir de Kichiro, de Shô, de Taichi.

Mais d'un autre côté, nous avons aussi eu le moins de tueurs Désespérés de toutes les Tueries que j'ai pu voir, pas vrai ?

Qui sait ce qui fait vraiment le Désespoir.

Yuuki a un petit rire. Qui lui fait échapper un léger gémissement de douleur.

« ... j'en sais.... Quelque chose. »

Je hausse un sourcil, surprise, mais Yuuki ne me laisse pas le temps d'enchaîner. Elle tousse, de nouveau, et cette fois une bulle de sang se forme au bord de ses lèvres.

« Comment... Ils vont, en bas ? Malades ?

— Personne n'est aussi malade que toi, je réponds, essayant de ne pas faire de remarque sur son changement de sujet. En tout cas parmi les Ultimes. Pour les proches, je n'en ai aucune idée, on ne peut plus les voir, mais je pense qu'ils n'ont pas été exposés. »

A moins que Monokuma soit allée les voir, mais ça, je n'ai aucun moyen de m'en assurer. Puisqu'on ne peut effectivement plus aller les voir, pas sans mot de passe. Mais à cette seule exception, aucun moyen pour eux d'être tombés malades. Kazumi n'aurait pas voulu prendre le risque de mourir de sa propre maladie.

C'est l'assurance de son trépas qui l'a poussée à relâcher l'épidémie.

Yuuki sourit.

« C'est... Une bonne chose... Je crois. Rinka... Isolée... Pas de danger...

— Non, il n'y a plus de danger pour eux, je souris alors qu'une nouvelle quinte de toux interrompt Yuuki. Monokuma ne nous laisse plus y aller. Et maintenant qu'elle est malade, elle ne peut plus les menacer, de toute façon. »

La fillette secoue la tête.

« Non. Non. Rinka... Est le danger. Pas en danger. »

Elle soupire.

« Rinka... Est dangereuse. Elle fait baisser ma barre de vie. Je ne veux pas la voir. Je ne veux pas que vous la voyiez. Elle ferait baisser votre barre de vie aussi. »

Je grimace. Qu'est-ce que la maladie pousse Yuuki à me révéler, là ?

« Ta sœur te frappe ? »

Yuuki renifle. Un nouveau gémissement de douleur s'échappe d'entre ses lèvres, et je l'aide doucement à se replacer sur le lit, avant de lui faire boire de nouveau le contenu de la gourde.

Désormais vide.

« Non. Pas moi. Les autres. Moi, elle m'étouffe. Trop. Trop de câlins. Trop de bisous. Trop de cris... »

... Bon ben je crois que je ne voulais pas avoir la réponse.

C'est pire encore que ce que je pensais. Il ne s'agit pas d'une simple affaire d'abus domestiques. Ou plutôt, les abus vont bien plus loin que de simples coups.

Je regarde Yuuki avec une horreur dissimulée, comme si je m'attendais à voir surgir sur sa peau les traces de ses sévices.

La petite est lancée. Elle regarde dans le vide, une expression sans la moindre émotion sur son visage plissé par la douleur.

« Papa et maman, ils l'empêchent. D'aller trop loin. Ils disent que c'est contre nature. Ils disent qu'elle me déconcentre. Que c'est une mauvaise fille, qu'elle ferait mieux de retourner travailler. Alors elle s'en va. Et la nuit, elle revient. Elle se serre contre moi. Elle pleure. Elle me dit qu'elle m'aime. Avant, elle allait voir Kaoru. Kaoru est partie. Chez son copain. Elle a pleuré. Elle dit qu'il ne lui reste plus que moi. »

Presque chacune de ses phrases est ponctuée par une quinte de toux. De plus en plus forte.

J'hésite à lui demander de se taire. Pour préserver sa gorge et ses poumons. Mais j'ai le sentiment qu'elle ne m'écouterait pas. Qu'elle est seule avec ce discours qui doit absolument sortir.

« J'ai essayé, elle continue, toujours sans la moindre émotion dans son ton. De faire comme Kaoru. De m'enfuir. Il y avait... Il y avait Miwa. Elle était belle. Elle avait proposé de m'héberger. Je l'aimais bien. Une fois, je l'ai embrassée. »

Elle renifle. Je vois une unique larme couler de sa joue, se mêler à la sueur. Un petit cri de douleur se glisse entre ses dents alors qu'elle tente de lever sa main pour l'essuyer.

Je m'en occupe pour elle.

« Sauf que... Miwa a disparu. Ses parents, ils pleuraient. Ils n'ont pas voulu m'héberger. Et Rinka... Elle est rentrée, elle souriait. Elle disait que maintenant, je ne pouvais plus partir. Que je pouvais rester avec elle pour toujours. »

Une seconde larme rejoint la première.

Je suis muette.

Spectatrice de la douleur de cette enfant qui en a déjà trop vécu.

« J'ai cherché, elle renifle. Comment ramener Miwa. Comment redémarrer la partie. Mais j'ai pas trouvé de soluces. Y'a pas de soluces. Ni de moyens de relancer le jeu. Miwa n'est pas revenue. »

Elle se tourne. Son œil enfiévré se plante dans le mien.

« Dis, Reina... Il n'y a pas de seconde chance, pas vrai ? Pas de new game + ? »

Je ferme les yeux.

« Non. Quand les gens meurent, ils meurent. C'est pour ça qu'il faut éviter de mourir. Après, il n'y a plus de jeu. »

Un léger sourire se dessine sur ses lèvres.

Au bord duquel perle une goutte de sang.

« ... Je vois. »



Lorsque je rentre dans la salle multimédia, de nouveau changée et certaine de ne pas ramener la maladie avec moi, je n'y trouve que des regards graves. Ils sont tous affalés dans les poufs, à distance raisonnable les uns des autres, et de loin, on pourrait presque croire qu'ils se reposent.

Mais un simple coup d'œil sur leurs visages me persuade du contraire.

Il n'y a pas le moindre repos dans ces yeux-là.

Junko me fait signe de me rapprocher, et je prends le dernier pouf dans le silence général.

C'est une fois que je me suis installée qu'elle se racle la gorge.

« Bon. Faut décider de ce qu'on fait, maintenant.

— Déjà, marmonne Daisuke, faut rappeler un peu tout ce qu'il se passe.

— Il n'y a pas tant de choses que ça qui demandent notre urgence absolue, je soupire. La priorité, c'est de trouver un moyen de soigner nos malades. Et pour ça, il faut pouvoir se servir de Monokuma.

— Sans oublier la porte des proches, intervient Junko. Désolé, Reina, mais vu le temps que je vais mettre à craquer le code, je pense que c'est une urgence absolue. »

On peut voir les choses sous cet angle. De toute façon, à un moment où un autre, il faudra qu'on le craque, ce code, alors autant ne pas perdre de temps. Je déteste le temps perdu.

Je hoche la tête, et Junko reprend.

« On pourra rien faire sans le remède. Et le remède, c'est ce que veut Monokuma aussi. Donc autant que possible, il va falloir la surveiller, pour le lui arracher.

— Sauf qu'on sait pas où elle est, marmonne Soma. On l'a perdue de vue après qu'elle ait craché ses tripes sur le sol. »

Saki lève une main. Avant d'appuyer sur sa tablette.

« Je sais où se trouve sa chambre.

— Tiens donc, grommelle Daisuke. Et comment tu as réussi ce miracle ? »

Elle pousse un profond soupir, avant d'écrire de nouveau quelque chose sur sa tablette. Je vois ses traits se teinter d'une profonde tristesse.

« Je cherche depuis avant la mort de Ryo. Avec Akihito, on a suivi plein de robots. J'ai dû chercher encore un peu, mais je sais où la trouver. Je peux vous indiquer. Et indiquer quels robots en filment l'intérieur. »

Grimace générale. Le nom d'Akihito prononcé par sa tablette semble faire trembler encore davantage Saki, et Junko lui pose une main hésitante sur l'épaule. Ça ne semble pas beaucoup consoler la Stratège Ultime, mais elle jette un regard de remerciement à l'Espionne.

De mon côté, je prends mon menton entre mes doigts. J'avais oublié la présence des kumarobots. Les esprits merci, cependant, il semblerait bien que Daisuke les ait tous mis dehors, cette fois encore.

« On peut l'espionner comme ça, intervient Junko. Si on sait où elle est, ce sera beaucoup plus facile d'intercepter des informations. On devrait s'y mettre tous ensemble !

— Je ne peux pas abandonner les malades, je grimace. Et toi, tu as ton code. »

Junko pousse un profond soupir.

« Ouais. J'avais oublié. Putain.

— ça laisse trois personnes pour espionner, intervient Soma. C'est... Largement suffisant, je crois... »

Daisuke hoche la tête, et Saki émet un léger grognement d'approbation, essuyant ses yeux sur sa robe.

Je me renfonce dans mon pouf.

« En tout cas, maintenant, on sait comment accéder aux proches. C'est pas négligeable. Si Junko arrive à craquer ce code rapidement, on aura plus de marge de manœuvre avec eux. Voir plus de force de frappe pour lutter contre Monokuma. Et qui sait ce qui se cache d'autres dans ces souterrains...

— Ouais, ricane Daisuke. J'veux pas donner de faux espoirs mais j'crois bien que là, on commence à en voir le bout, les gars. »

Et même si je ne partage pas son optimisme, voir le même sourire sur le visage des trois autres me donneraient presque envie de croire qu'on va s'en sortir à sept.

Presque.


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