Chapitre 5 (4) : Time is running out

Michi lavée et couchée, je quitte la chambre en silence, refermant la porte sur mon aimée plongée dans un sommeil de plomb.

Le paracétamol et la douche semblent avoir eu raison de son éveil. Au vu de sa respiration tranquille, cependant, je ne dois pas trop m'inquiéter, et plutôt espérer que son sommeil sera réparateur. Même si je ne me fais pas trop d'illusions. Ce n'est pas une simple grippe.

Même la constitution exceptionnelle de Michi, sans doute encore améliorée par les expériences inhumaines de Shizuka, ne lui permettra pas de lutter bien longtemps contre une arme biologique conçue pour tuer.

En attendant, ni l'une ni l'autre ne sont déplaçables. L'effort déployé par Michi pour rejoindre la salle de bain le prouve, et des deux, c'est la plus en forme. Je vais devoir me débrouiller pour faire liaison entre l'hôpital et leurs chambres pour les maintenir en vie, et préparer de quoi transformer lesdites chambres en chambres de réanimation. Sommaires, certes, mais ce sera toujours mieux que rien.

Je retourne vers l'hôpital à pas lents pour mettre à laver ma tenue de travail et me changer. Il va falloir que je prie pour que le système de lessive de la Tuerie fonctionne toujours, même en ayant Monokuma alitée et en danger de mort. Certes, on a jamais eu de problème jusque-là, et je vois mal cette loli mal embouchée faire elle-même la lessive... Mais bon. On est jamais trop prudent.

Saki, Daisuke, Junko et Soma ne sont pas là. J'imagine qu'en mon absence, ils sont partis explorer le cinquième sous-sol. Je ferais mieux de les y rejoindre. Rester près de Yuuki ou de Michi au stade actuel ne leur apportera rien, et il va falloir que je m'organise au maximum.

De nouveau, je parcours les couloirs dans le silence de ma solitude. Un miroitement dans les ombres étant ma seule compagnie, mais je ne cherche pas à mettre un nom dessus.

Quelque chose me dit que c'est inutile.

Comme je m'y attendais, personne dans le troisième sous-sol, au niveau de la console de commande des souterrains. L'entrée de la bibliothèque est toujours ouverte, ce qui signifie que personne de novice n'y a touché. Tant mieux. Je ne fais plus confiance qu'à Junko pour savoir comment atteindre le bout de ces maudits souterrains. Si nous sommes perdues toutes les deux, nos recherches vont faire trois bonds en arrière.

Je note la configuration de la console de commande (on est jamais trop prudents) avant de descendre au quatrième étage.

Personne non plus. Il faut croire que pas grand-monde n'a vraiment envie d'y aller. Je peux les comprendre. Plus notre nombre se réduit et plus l'amusement censé accueillir une foule devient glauque, à six, ou sept.

Par contre, dans un coin, un escalier que je n'avais jamais remarqué est, finalement, déverrouillé. L'accès au cinquième sous-sol, sans aucun doute.

Le dernier accès.

Je m'engage dans l'escalier en silence. Me laissant happer par un tourbillon de noir.

Il me faut un peu de temps pour m'habituer à la pénombre. De toute évidence, personne n'a pensé à allumer la lumière, dans ce nouveau sous-sol ; et cela me surprend, étant donné qu'ils sont censés y être tous les quatre. Mais quand je tâtonne aux murs, pas de trace d'interrupteur. Et les formes qui bougent dans un coin pourrait tout autant être les vivants que les morts.

Je finis par délaisser le mur pour faire quelques pas en avant, me raclant la gorge.

« Vous êtes là ? »

Je m'attendais presque à n'entendre que le vent et l'écho de la pièce me répondre. Mais au loin, une petite voix me fait écho, tremblante mais bien reconnaissable.

« Plus loin, Reina, me crie Soma à quelques dizaines de mètres. Utilise ton Monopad, y'a pas de lumière, ici ! »

Merci, je ne m'en serais pas doutée moi-même. Levant les yeux au ciel, je sors de mon sac la tablette avant de la mettre en mode lampe de poche et me diriger vers l'avant, suivant l'écho de la voix de Soma plus loin.

Je n'ai pas à m'aventurer trop profond. Ils sont là, tous les quatre, Monopad allumé dans la main de Saki, regroupés autour d'un truc central qui semble beaucoup les fasciner. Soma semble ne pas avoir compris mes consignes vu qu'il est cramponné à Daisuke, mais je ne peux pas vraiment lui en vouloir dans cette situation.

A moi aussi, le noir m'aurait fiché la chair de poule, si je m'y étais aventurée au début de la Tuerie.

Étrange de se dire ça.

Que j'aurais réagi différemment avant de voir mes camarades mourir.

Sans doute la mort est-elle un facteur déterminant de cette accoutumance.

Curieuse de voir ce qui pouvait bien attirer leur attention, je me rapproche d'eux à petits pas, laissant mon Monopad allumé. Saki me fait un signe de la main, et Junko me salue d'un signe de tête.

« Salut, Reina. Comment va Michi ?

— Mieux que Yuuki. Elle me donne davantage d'espoir de rétablissement, en tout cas. »

Je vois les lèvres de l'Espionne se pincer. Mais elle se contente de soupirer.

« C'est une bonne nouvelle. Et si tu as du temps, viens regarder ça. »

Elle me montre le centre de la pièce, ce qu'ils regardaient tous avec insistance depuis le début. Je m'avance encore un peu, dépassant Daisuke, et me tourne vers l'objet de leur attention.

Aussitôt, mes yeux se plissent.

« ... Une autre console de commande ?

— Similaire à celle de la bibliothèque, oui, soupire Junko. Mais elle ne semble pas commander les mêmes endroits du labyrinthe. Je trouve ça étrange.

— Tu l'as testée ? »

Junko grimace.

« Avec parcimonie. Et j'ai entendu des trucs bouger un peu plus loin, donc y'a des chances pour qu'elle contrôle simplement ce sous-sol. Qui est très bizarre, d'ailleurs. Il est vide, pas la moindre activité à thème comme les trois autres. Et j'ai l'impression qu'il est un peu labyrinthique. »

C'est vrai que ça tranche un peu avec ce que Monokuma nous a proposé jusque alors. Certes, cet endroit s'appelle le Donjon du Désespoir, mais jusqu'ici, nous avions eu très peu d'énigmes à résoudre à l'intérieur même de la structure principale. Elles étaient cantonnées aux souterrains, à l'exception près de la première entrée, à la bibliothèque. Ceux qui ne voulaient pas s'en mêler pouvaient rester dans tout le donjon sans souci. Là...

« J'ai l'impression qu'on arrive au bout, marmonne Daisuke. De ce que Monokuma a en réserve pour nous. »

J'échange un regard avec Junko. On dirait que le Révolutionnaire Ultime partage notre avis sur la question.

Je ne sais pas si c'est vraiment rassurant.

Je balaie la salle du regard, Monopad en main. Rien d'autre au milieu que la console de commande, et sur cette dernière, pas la moindre indication sur ce qu'elle fait. Le reste n'est qu'un assemblement de murs de béton uni, en apparence neufs mais recouverts de poussière.

Sans toucher à la console de commande, je m'éloigne un peu dans la direction opposée à celle dont je viens. Il fait de plus en plus noir, mais si jamais ça n'a pas été exploré, ça ne m'étonne pas plus que ça. Mais j'ai joué à beaucoup trop de jeux d'aventure pour ne pas me dire que c'est justement dans ce genre de zones que se cachent les récompenses les plus alléchantes.

« Reina ? M'appelle Junko. Tu vas où ?

— Voir plus loin, de toute évidence, je soupire. Ne touchez pas à la console de commande tant que je ne suis pas revenue, ce serait bien.

— Je viens avec toi. »

Hm. Je préfèrerais être seule, mais je crois que je ne pourrai pas l'empêcher. De toute façon, ce n'était pas une question. Elle m'emboîte le pas, et Saki fait de même après un instant d'hésitation, obligeant Soma à rallumer son propre Monopad. Les deux garçons choisissent, visiblement, de rester derrière.

Ça nous laisse à trois à visiter les couloirs.

Silencieuse, Saki tend l'oreille. Son Monopad balaie les murs, à la recherche d'indices quelconques. Sans grand succès, je dois dire. D'ailleurs, Junko ne s'en embarrasse même pas. Elle se contente de guetter à chaque tournant, sa main droite toujours appuyée sur le mur.

« C'est immense, je soupire au bout de quelques centaines de pas. J'ai l'impression que ça s'étend bien plus loin que les autres sous-sols.

— Ouaip. C'est un peu perturbant, d'ailleurs, puisque jusque là chaque zone avait relativement la même superficie. Il y a quelque chose de particulier à propos de ce cinquième sous-sol. »

Nan, sans blague. La question, c'est de trouver quoi. Quel est l'intérêt d'un labyrinthe digne de DnD dans un endroit pareil ? Certes, on a le donjon depuis longtemps, mais j'espère bien ne pas trouver de dragon à la fin. On a vu mieux comme boss final de Tueries.

Dans tous les cas, les possibilités sont nombreuses. Une simple extension de la zone, la découverte d'un lieu secret qui même avec la continuité de la Tuerie, va nous prendre des mois et plusieurs meurtres à explorer, ou même, les dernières récompenses, les plus dures à trouver. Tout est possible, et surtout avec cette retorse de Monokuma.

J'aimerais bien pouvoir exposer ces théories, mais un éclat de lumière attire mon attention au sol.

Je me penche, et soulève entre mes doigts, accrochée à une carte magnétique sans le moindre motif, une clé familière.

Sans le moindre nom écrit dessus.

Junko, qui a sans doute remarqué ma trouvaille, se penche sur la clé avec un froncement de sourcils.

« Bizarre. On dirait la clé des laboratoires. Sauf que d'habitude, elles sont dans des coffres, et marquées à nos noms. Quelqu'un l'aurait trouvé, retiré de son porte-clefs et balancé ici ?

— M'étonnerait, je marmonne. Pour ça, il faudrait qu'on ait pu venir ici avant le procès. Hier, tout le monde était malade, et Monokuma n'est venue nous annoncer l'ouverture de la cinquième zone qu'aujourd'hui. Ce n'est pas à exclure qu'elle l'ait ouverte aujourd'hui.

— Très spéculatoire. Mais dans tous les cas, je ne vois absolument pas l'intérêt de faire subir un tel sort à sa clé de laboratoire. Elle sert sûrement à ouvrir autre chose. »

Je la glisse dans ma poche avant que Junko n'ait le temps d'ajouter quoi que ce soit. Inutile de s'éterniser. Je prends trop de risques si je la lui cède, ou si je lui laisse l'occasion de le proposer. Et j'aurai tout le temps d'analyser cette clé quand nous aurons mis un terme à la crise virus.

Si Junko est surprise ou même désapprobatrice de mon geste, en tout cas, elle ne le montre pas. Elle se contente de hausser les épaules avant de repartir vers l'avant, trouver Saki qui nous a semés.

Ce n'est pas difficile. La Stratège Ultime n'est pas partie bien loin. La lumière de son Monopad se voit très loin dans le couloir, et quand nous la trouvons enfin, elle est plantée devant une immense porte de bois, qu'elle fixe avec attention.

Une porte de bois atrocement familière.

Junko écarquille les yeux, avant de se précipiter pour la palper, fouiller les alentours. Mais elle n'a pas le temps de trouver quoi que ce soit. Le doigt de Saki se lève timidement, avant d'effleurer la porte avec une douceur sans nom.

Un amour sans nom.

« ... Ils sont là... »

Sa tablette pend dans sa main. Elle n'a pas écrit quoi que ce soit dessus. Pourtant, il me faut un peu de temps avant de reconnaître sa voix.

Et d'autant plus pour me rendre compte que je ne l'avais pas entendue depuis plus de quatre mois.

Même Junko est choquée. Ses yeux sont fixés sur Saki avec un étonnement sans limites, et un moment, je crains de la voir questionner l'Ultime Stratège sur son mutisme de toute évidence brisé.

Mais elle abandonne la partie plus vite que je ne l'aurais cru.

Elle se contente de se redresser, et de confirmer mes derniers doutes en ouvrant le poing.

« Regardez ça. C'est une mèche des cheveux de Reina. On est clairement déjà passés par là.

— Et je ne me souviens d'avoir visité des souterrains avec une immense porte de bois qu'à une seule occasion, je grimace. Les yeux bandés. »

Junko hoche la tête.

« Saki a raison. Ils sont là. »

Oui. Ils sont là.

Nos proches, notre famille, nos parents, nos amis, nos amours, nos frères et sœurs, nos camarades de galère. Ceux qui nous ont été enlevés et agités devant le nez maintes et maintes fois, tués pour nos crimes, torturés pour notre Désespoir.

On les a enfin trouvés.

Saki semble avoir mis la main sur la poignée. Elle l'agite dans tous les sens avec frénésie, les larmes aux yeux, mais rien à faire, la porte est verrouillée. Évidemment. Pourquoi ce serait si facile ?

« Reina, fait Junko d'une voix blanche. Teste la carte magnétique ici, tu veux bien ? Il y a un lecteur. »

Jamais je n'ai parcouru deux mètres en un temps aussi court. Avant même que Junko n'ait fini sa phrase, j'ai sorti la carte de mon sac, avant de la passer sur le lecteur de carte qu'elle m'indique. Un bip s'échappe de la machine. Avant qu'une lumière ne s'allume.

Rouge.

Je jure.

« Bon sang. Si proches du but.

— Attends, intervient Junko. Il y a un écran, juste là. Regarde. »

Je me tourne vers la direction qu'elle indique. Effectivement, à droite de Saki, un écran vient de s'allumer près de la serrure, avec deux boutons illuminés en orange.

Le texte à côté du premier dit « entrez le mot de passe ».

Et celui à côté du second indique « entrée libre (uniquement disponible de nuit) ».

« Monokuma a pensé à tout, marmonne Junko. Même avec cette clé, il nous est impossible de rentrer par temps de jour. Et je suis presque sûre que l'entrée libre déclenche le mécanisme de gaz soporifique dont on a besoin pour sortir à peine la porte refermée, ou quelque chose comme ça.

— Il suffirait de bloquer la porte avant qu'elle ne se referme, non ?

— Pas sûr, me répond Junko après une légère grimace. Monokuma est un génie de la mécanique. Il est fort probable que le mécanisme de la porte ne puisse pas être bloqué aussi facilement. Le moyen le plus sûr de ne pas s'enfermer serait de laisser quelqu'un à l'extérieur, et même là, j'ai peur qu'on ne puisse déclencher l'entrée libre qu'une seule fois.

— Il nous faut le mot de passe.

— Bingo. Et je doute fort que Monokuma nous l'ait laissé quelque part. Libérer les proches, même dans les limites du donjon, est bien trop dangereux. Il en reste douze, et avec des adultes. Qui sait ce que ces douze sont capables de faire. »

Bon sang. On a trouvé la récompense suprême, mais impossible de s'en servir. Et ce n'est pas Saki qui s'échine sur la poignée, les dents serrées, qui y changera quoi que ce soit.

Maudite Monokuma. Même alors qu'elle n'est pas là, elle nous nargue, encore et toujours, avec des carottes qu'il ne nous est même pas possible d'effleurer.

Je ferme les yeux.

Le mot de passe.

Si seulement on pouvait lui extorquer le mot de passe.

« Tu as des idées ?

— Je peux tenter d'hacker le système même, marmonne Junko plongée dans sa réflexion. Mais sans Yuuki, ça va être compliqué. Monokuma utilise un système de protection familier, mais extrêmement complexe. Seule, je ne vais pas m'en tirer comme ça. »

Yuuki. Je ferais mieux de voir comment elle va... L'exploration s'est faite longue, je ne peux pas me permettre de la laisser trop longtemps sans surveillance.

Je tapote l'épaule de Saki pour la détacher de la porte, et cette dernière finit par s'exécuter, mais quelque chose semble attirer son attention dans un coin, qu'elle se met à fixer avec de grands yeux.

Junko, qui ne l'a pas remarqué, se dirige dans la direction qu'on a empruntée, visiblement ne souhaitant pas continuer l'exploration plus loin, mais un bruit de gorge de Saki l'immobilise.

« Tu as trouvé un truc ? »

La Stratège tend son doigt dans une direction perpendiculaire au couloir d'où nous sommes arrivées. Une porte, à moitié entrouverte, ou plus précisément un mur pivotant. Qui selon sa position et les rails que je vois au sol est en position de nous boucher cette route.

Mais ce n'est pas le plus important.

Non, le plus important, c'est l'énorme trace de craie sur le béton.

« ... Bon sang ! »

Saki sursaute en m'entendant jurer. Et l'écho fait porter les mains de Junko à ses oreilles. Mais ça n'a pas d'importance. Je viens de comprendre exactement ce qu'il se passe.

« Monokuma doit bien rigoler de son lit, je jure en pointant du doigt la marque. Parce qu'elle nous a encore plus compliqué la tâche.

— Comment ça ? Tu peux m'expliquer ? Grommelle Junko que le bruit n'a pas rendue plus amicale. Et tu en profiteras pour rajouter pourquoi est-ce qu'il y a une de tes marques sur le mur ? »

Je lève les yeux au ciel.

« On s'est fait rouler. Le cinquième sous-sol n'est pas un simple sous-sol. C'est un prolongement du troisième souterrain. Qu'on aurait pu atteindre bien plus tôt. »

...

Comment expliquer autrement la présence de cette marque faisant partie de mon code servant à reconnaître les murs ?

Le premier et deuxième souterrain ne nous servaient qu'à atteindre cet endroit sans pouvoir y accéder avant la deuxième console de commande, j'en suis persuadée. Monokuma ne peut pas nous avoir laissé une chance d'accéder à nos proches avec seulement deux meurtres, voire même moins.

Ce qui fait que quoi qu'il arrive nous aurions dû arriver ici sans même avoir à fouiller le souterrain.

Toutes ces recherches.

Toutes ces heures d'exploration.

Pour rien.

Du temps perdu.

Et s'il y a quelque chose que je ne peux que haïr, plus que tout en cet instant, c'est le temps perdu.


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