Chapitre 5 (13) : Treason

La première chose que je vois dans la pièce, c'est le pied de Monokuma qui tapote le sol.

Tout le monde est recroquevillé dans un coin. Junko fait une affreuse grimace, Saki a les doigts serrés sur sa tablette. Seule, Yuuki se permet un petit signe de la main dans ma directio, accompagné d'un pâle sourire.

Tous ?

Non. Il manque Daisuke.

Mais visiblement, Monokuma, au centre de la pièce, se fiche pas mal de l'absence de l'Ultime Révolutionnaire. Parce que son œil, prunelle rouge brillant d'une lueur malsaine, est braqué sur moi depuis le moment où j'ai passé la porte.

Notre maîtresse de cérémonie, tortionnaire, juge et quelque part superviseuse est entièrement immobile, à l'exception notable de ce pied qui tapote le sol à intervalles réguliers. Ses bras sont croisés sur sa poitrine, et c'est à peine si sa robe lolita, de retour, flotte dans les courants d'air de la pièce. Même les robots qui l'entourent, transportant des caisses, sont complètement immobiles.

Et surtout, ce regard, ce regard qui ne me quitte pas.

Je le croise un seul instant et voilà déjà que son poids ne me quitte pas.

Rage, colère, haine.

Tant de choses dans ce regard.

Michi et Soma, derrière moi, me serrent chacun un bras. Sans doute se prennent-ils les ricochets de la colère de Monokuma, qui n'a pas bougé même en me voyant entrer. Elle attend sans doute que je me mette davantage à sa merci. Et même si c'est quelque chose de fondamentalement stupide, c'est exactement ce que je fais.

Je m'avance de quelques pas, jusqu'à ce que la distance qui me sépare de la femme qui pourrait très bien me tuer soit réduite à tout juste un jet de pierres.

Le regard de cette dernière ne me quitte toujours pas.

« Tu voulais nous voir. »

Ce n'est pas une question. J'ai volontairement évité de me mettre en avant, inutile de trop tenter le diable, quel que soit le nombre de choses que Monokuma sait sur notre petite expédition. Je n'ai aucune envie de porter l'entière responsabilité du plan de Junko. Mais derrière, il est assez évident que Monokuma ne nous a pas simplement convoqués pour nous parler du vaccin.

Cette dernière continue de me fixer. Toujours les bras croisés.

« Tu te crois bien maligne, sans doute ? »

Un frisson parcourt la pièce. Quelques mots, dits d'une voix presque doucereuse, caressante, mais en même temps qui porte tant de promesses. Une voix qui charrie la mort.

Monokuma ne sourit pas. Et c'est sans doute ça, le plus terrifiant.

« Qu'est-ce que tu penses avoir fait hier soir ? Remporté une grande victoire, sans doute ? Quelles illusions chez toi dois-je encore briser, Reina Satou ? »

Elle décroise les bras. S'avance de quelques pas. Même avec ses bottes plate-forme, elle est plus petite que moi, pourtant, j'ai l'impression de voir arriver un colosse.

Michi et Soma reculent d'un pas.

Saki et Yuuki s'avancent.

Monokuma est plantée face à moi, et même le fait qu'elle doive lever les yeux pour croiser mon regard ne me semble plus si ridicule désormais.

« Plus rien à dire, Satou ? Où est passée ta belle assurance ? »

Il y a tant de choses qui passent dans cette simple phrase. Mais ce que j'y entends, plus que la colère, plus que la rage d'avoir été flouée, c'est une menace, une menace teintée de sang.

Vas-y. Parle. Provoque-moi. Essaie de te montrer brave. J'attends.

On va voir combien de temps ce courage va durer.

Monokuma, la maîtresse de cette Tuerie, a été jetée à bas de son trône et veut payer son retour avec du sang.

Avec une cruauté toute autre que celle de nous voir mourir dans notre propre organisme.

Mais qu'est-ce qu'elle espère faire maintenant ?

« Je ne sais pas Monokuma, je lance avec un calme qui m'étonne moi-même. Que veux-tu que je dise ? »

Ses yeux se teintent d'orage.

La dernière fois que j'ai vu cet orage, du sang maculait ses bottes et le canon de son arme.

La dernière qui a osé la défier de la sorte est morte dans sa chambre d'exécution.

Mais aujourd'hui, je n'ai pas les mêmes risques qui pèsent sur ma tête.

« Je n'ai enfreint à ma connaissance aucune règle. Aucune de tes règles, j'insiste particulièrement sur ce dernier point. Rien ne te permet de m'infliger une punition. Même en détournant ton propre règlement, comme tu l'as fait un certain nombre de fois. Et pourtant, tu sembles y tenir, à tes règles, n'est-ce pas, Monokuma ? »

L'expression figée de Monokuma se craquelle. Le tonnerre gronde. Et la foudre se tend en même temps que sa main pour m'attraper par le cou.

« Ne me tente pas, Satou. Règles ou pas, je peux te garantir que tu vas payer très cher ce que tu viens de faire. »

Et je sais, au fond de moi-même, qu'elle dit la vérité.

Peu importe le moyen, elle va le trouver.

Elle va le trouver, et j'ignore à quel point je regretterai, mais je vais le regretter.

Longtemps, Monokuma reste à me fixer dans le blanc de l'œil. Avant de finalement, qu'un tic ne brise sa façade et qu'elle ne se détourne de moi, l'orage toujours dans son œil.

« Enfin, nous verrons plus tard. Ce n'est pas le seul objectif de ma visite. Premièrement, vous avez dans ces caisses– »

Ce disant, elle donne un coup de pied à un des kumarobots, qui vacille sur ses roues. Mais, et heureusement pour son précieux contenu, il ne se renverse pas.

« –des vaccins, qui me permettront d'endiguer une bonne fois pour toutes ce petit cadeau empoisonné qui comme vous l'aurez remarqué nuit énormément à mon organisation. Je vous les laisse, faites-en ce que vous voulez, pour ce que je m'en tape. »

... Étrange. Qu'elle n'ait pas négocié les soins des malades, c'est une chose ; Après tout, des gens déjà contaminés sont autant un danger pour elle que pour nous. Mais que nous, personnes encore saines, puissions avoir le vaccin si facilement... ça ne lui ressemble pas. Qu'est-ce qu'elle cherche ? Pourquoi cède-t-telle aussi facilement ?

Le kumarobot roule vers moi, et dépose sa caisse à mes pieds, alors que Monokuma s'en désintéresse complètement. Elle se contente de s'asseoir sur une table, au centre de la pièce, jambes croisées.

Si elle n'avait pas l'air si sérieuse, on aurait presque dit la bouffonne du roi. Ou l'Ultime Juge.

« Deuxièmement. Puisqu'un regrettable incident de portage m'a forcée à revoir tous mes plans, j'ai changé absolument toute la sécurité du bâtiment. Comme ça, elle crache, plus de mauvais hackers dans mon système... »

Junko serre les dents, et Yuuki fait la grimace avant de se recroqueviller contre Saki. Le sourire habituel de l'Ultime Gamer a disparu, troqué contre une expression indéchiffrable, dont je ne saurais dire si elle est hantée par la peur, la colère, ou la déception.

« Troisièmement, elle continue en s'installant royalement sur sa table, cous direz bien à ce satané Nakano si vous le revoyez que je n'aime pas beaucoup qu'on détruise mes robots. Évidemment, je ne peux pas le punir moi-même sans le trouver mais... »

Une ombre de sourire se dessine sur son visage.

« Si vous l'attrapez, pensez bien à l'immobiliser, ce serait gentil. Je pourrai même être suffisamment magnanime pour vous rajouter un peu de temps dans votre précieux mois de probation... Plus je le trouve vite, plus je vous accorde de répit... ça me semble équitable, n'est-ce pas ? »

Soma déglutit, et j'entends Michi marmonner dans mon dos. Et moi, je me raidis. Les deux ont de très bonnes raisons de vouloir rallonger le mois de probation. Surtout maintenant. Surtout maintenant que nous ne sommes plus que sept. Alors, nous donner une opportunité pareille... Sur ce qui s'avèrera très probablement être le sacrifice de Daisuke...

... Qui le ferait ?

...

Ce qui me surprend surtout, c'est d'apprendre que même Monokuma ne le trouve pas. C'est assez perturbant de se dire qu'elle n'a pas des yeux ou des oreilles partout... Mais d'un autre côté, s'il détruit ses robots, et je pense qu'il en est bien capable, ça doit sévèrement lui compliquer la tâche. Il n'y a plus la moindre caméra.

D'un autre côté, je me dis, elle ne mettra pas longtemps à reprogrammer ses machines pour l'empêcher de se cacher trop longtemps.

Et si elle le trouve elle-même, adieu, répit.

La situation, pour quelqu'un qui voudrait profiter du mobile, est plutôt étrange.

« Le trouver ? Intervient Junko. Est-ce que c'est un euphémisme pour nous demander de le tuer ? Est-ce que tu lui colles une cible dans le dos ? »

Monokuma a une espèce de ricanement. Elle se tourne à peine vers l'Ultime Espionne. Comme si elle était insignifiante. Un insecte, qu'elle n'aurait aucun mal à écraser.

« Bah ! Comme si tu te préoccupais de la mort de ce gorille sans cervelle. Mais je ne vous en demande pas tant... Je veux pouvoir le punir par moi-même, elle sourit, et je n'ai pas besoin de vous pour ça. Après, si vous voulez lui épargner un petit cocktail de mon cru... Qu'est-ce qui vous en empêche, tuez-le, prenez le blâme à sa place... »

Un frisson me parcourt. Elle présente remarquablement bien son argument. Et pourtant, je vois toute la soif de sang qui s'écoule d'entre ses lèvres.

Elle ne veut pas seulement la mort, elle veut la souffrance.

Et maintenant qu'elle a perdu le contrôle, rien ne l'empêche de laisser échapper celui sur notre sauvegarde.

« Il y a autre chose, Monokuma ? Gronde Michi de derrière moi. Où on en a fini avec tes menaces ? »

L'interpelée se tourne vers nous. Je vois ses lèvres s'étirer en une ébauche de sourire.

« Tant de belle assurance... Vous saviez, vous auriez été tellement mieux à vous écraser comme des insectes...

— N'essaie pas de nous intimider ! Tu as perdu, Monokuma, hurle Michi, parce que plus personne ne va tuer, maintenant, on sait tous ce que ça fait ! Et on vient de prouver qu'on pouvait s'échapper sans problème ! D'ici peu, on pourra peut-être même sortir selon tes conditions, en trouvant le salopard qui nous a mis là-dedans, et tu n'auras plus rien à nous dire ! »

Le sourire de Monokuma s'élargit.

Elle bondit de sa table, fluidement, les bras croisés sur sa poitrine, avant de se diriger vers nous, les yeux brillant de convoitise.

« Oh, si seulement l'instigateur était votre seul problème, tout aurait été tellement simple...

— Qu'est-ce que tu veux dire ? Je lance, un peu interloquée. Il y a d'autres gens responsables de notre situation, à part luel, et toi ? »

Monokuma ricane.

« Dis-moi, princesse, à ton avis, pourquoi est-ce que vos personnes les plus chères ont fini dans ce caveau ? »

Je frémis. Michi, de son côté, me serre encore plus fort le bras. Et la poigne de Soma me coupe la circulation.

La satisfaction exsude de Monokuma toute entière. Comme si elle savourait les mots qu'elle allait lancer.

« Pourquoi est-ce qu'à votre arrivée, vous vous êtes retrouvés dans des environnements familiers ? Pourquoi est-ce que vos laboratoires contenaient autant de secrets, de coupures de journaux sur vous ? comment est-ce que j'ai seulement pu me rendre compte qu'Isami Satou était encore vivante ? »

Il y a un rire dans sa voix. Un rire qui me provoque un frisson alors qu'elle se plante devant moi, me fixe avec un large sourire carnassier avant de se tourner vers Michi.

« Comment ai-je pu seulement savoir où vivait ta famille, n'est-ce pas ma jolie ? Et pour le petit Illustrateur, ricane-t-elle, une idée de comment j'ai appris que ton précieux Réserviste avait enfreint les règles, que tu serais bien plus affecté par sa capture que par, au hasard, Shigeru Nishijima, ton précieux grand adelphe incapable de se souvenir de toi, qui a eu la malchance d'échapper à la Faucheuse ? Oh, je sais que vous vous posez la question, elle ricane devant l'air abasourdi de Soma. Et je sais aussi que vous pouvez deviner la réponse... »

Elle se recule de nous avec un large sourire, toute contenance retrouvée. Et nous, comme avant, on s'écrase sous le poids de son regard.

Nous n'avons aucunement renversé les dynamiques de pouvoir.

Et cet essai va nous coûter cher.

...

Si je veux taper, je vais devoir taper bien plus fort que ça.

« Tu es à la tête d'une organisation internationale, j'énonce, calmement. Difficile d'être surpris quand tu concentres de telles informations. Même sur le Projet Renaissance, censé être top secret, tu sais tout, toi, Monokuma, membre d'une organisation créée à sa chute. À partir de là, nous ne devrions pas être surpris que tu concentres autant d'informations sur nous, Ultimes qui pour la plupart sont banaux. »

Même si je me demande... Je me demande toujours comment elle a eu ces articles de journaux sur nous. Je n'avais aucune idée qu'Isami se cachait, j'imagine qu'elle a été couverte par notre famille ; mais pour ce qui est de mon propre passé, ça, je sais très bien que papa a dépensé des millions à entièrement le couvrir. Même Junko n'était pas au courant. Même l'Ultime Espionne...

Monokuma rigole.

« Oh, ça, c'est l'explication la plus simple... L'explication de celui qui se voile la face. Mais la vérité, ma jolie, c'est que toute organisation ne fonctionne pas sans exécutants. Et il se trouve que j'ai sous la main en ce moment même une des exécutantes en question, qui a contribué à me révéler absolument tout, à quelques détails près, sur vous... »

Elle incline la tête. Et plus que jamais son sourire me fait l'effet d'une poupée brisée.

« C'est elle qu'on a envoyé vous suivre des mois durant, au moment où vous avez été choisis pour la Tuerie que voici, pour tout comprendre de vous. C'est elle qui a dressé le portrait de votre identité, de vos goûts, de vos amis, de vos familles, de vos craintes. C'est d'elle dont je tiens les informations qui m'ont permis de vous enfermer ici. C'est elle qui a glissé la drogue dans vos verres, ce jour où vous vous êtes fait enlevés dans mon donjon. »

Elle fait quelques pas. Mais pas vers moi. Monokuma se dirige vers le deuxième groupe d'Ultimes.

Avant de passer un bras caressant autour du cou de Junko.

« C'est elle que vous pouvez remercier pour ces mobiles si précis, pour les coupures de journaux dans vos laboratoires... pour le peu de mal que j'ai eu à vous briser. Pour le travail qu'elle a fourni, pour moi, pour l'instigateur, pour la traîtrise qu'elle n'a même pas eu grand mal à dissimuler, n'est-ce pas ? Il suffisait de vous faire croire que vous étiez les personnes dont il fallait se méfier... »

Le rire de Monokuma résonne, tel un écho, dans le réfectoire.

Tel un écho, dans ma tête.

En même temps que ce rire couvre tout juste les exclamations horrifiées des autres Ultimes, les grondements de colère, les promesses de meurtre, qu'en sais-je ?

Je ne peux que fixer les yeux écarquillés, remplis de larmes de l'Ultime Espionne qui n'a jamais aussi bien porté son titre.

Dont la culpabilité s'inscrit sur le visage.

Monokuma lui caresse la joue avec un intérêt tout malsain, l'air au sommet de sa gloire. De retour sur son piédestal, au meilleur endroit pour nous briser.

Elle ne réagit même pas alors que Junko s'échappe de sa prise.

Et se précipite hors de la salle.

La porte claque derrière son dernier secret.

Sa dernière traîtrise.


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