Chapitre 5 (11) : Last chance over
« Je réitère ma question, je dis en espérant ne pas être trop froide. Qu'est-ce que tu veux ? »
Isami, qui me fixe toujours de cet air indéchiffrable, soupire et s'assied en tailleur en face de moi.
« Te parler, comme tu aurais pu t'en rendre compte. »
Je serre les dents.
La dernière fois que nous nous sommes dit ça, ça a fini dans les larmes et les cris. Alors tu me pardonneras, ma très chère cousine, de me montrer un peu méfiante.
Heureusement, ce n'est pas à moi de démarrer la conversation.
« Cette Tuerie, lance t'elle calmement en me regardant. Elle n'a rien d'anodin, n'est-ce pas ?
— Une Tuerie est rarement anodine, je grommelle. Les trois premières. Celles qui l'ont suivi. La nôtre. Elles servaient toutes un objectif autre que le plus évident. Pourquoi la mienne ferait exception ? »
Elle ferme les yeux.
« C'est plus que ça. Le simple fait que tu saches à propos des six Tueries qui t'ont précédée n'est pas rien. Certes, l'Enfer Aquatique a été largement médiatisée avant aujourd'hui, mais tu n'aurais jamais dû entendre parler du Cœur du Désespoir. Ou du Bal des Pantins. Pourtant, ces noms te disent tous quelque chose, n'est-ce pas ? »
Je me crispe. Les yeux fixés sur le visage imperturbable de ma cousine.
« Comment tu sais tout ça, Isami ?
— Je suis comme toi, elle grommelle. Je me renseigne. Kanade a été impliqué dans le Bal, puisqu'il a été le contact de Kagari Goto pour évacuer les survivants. À l'exception de deux, mais ça, je ne t'apprends rien. Et pour ce qui est des deux autres... »
Elle pousse un profond soupir.
« Ça concerne ce dont je voulais te parler. »
Quelque chose de froid me remonte dans le dos.
Une sorte de...
Mauvais pressentiment.
De pressentiment qui prend racine dans les yeux calmes de la cousine qui la dernière fois qu'on s'est parlé, m'a hurlé dessus suite à notre différend.
Qui continue de me fixer, imperturbablement.
« Reina, elle soupire. Ce qu'il se passe, la raison pour laquelle je suis ici à la place de Satoru, pourtant très impliqué dans le Projet Renaissance et un danger pour les Monokuma, elle est simple. C'est parce que j'en ai fait partie. J'ai été au cœur de l'installation japonaise. »
Le froid envahit tout mon corps.
Le Projet Renaissance.
Décembre 2015.
Le jour où j'ai vu Isami revenir en toussant du sang.
Sa maladie qui s'est déclarée...
Elle me regarde, semble attendre quelque chose. Puis, voyant que je ne dis rien, elle soupire.
« Beaucoup à avaler, Reina ?
— .... C'est impossible, je finis par murmurer. Haruko m'a dit qu'ils étaient tous morts. »
Elle soupire.
« Beaucoup sont passés entre les mailles du filet. En dépit, ou à cause, de ta camarade assassine. Dans les faits, nous ne sommes pas nombreux à avoir survécu, et je pense que ce sont pour des raisons différentes. »
Ses doigts se resserrent sur le tissu de son pantalon.
« Dans mon cas, elle grommelle, c'est parce que je n'étais pas une véritable génie. Pas au sens actuel du terme, en tout cas. J'ai été engagée dans le programme à cause de mon potentiel, parce qu'on pensait que j'allais le développer, sans doute, mais je n'étais pas la génie de la famille. J'ai été une simple laborantine dans les grands projets de Kazumi. »
... Une simple laborantine...
... Impliquée dans l'arme la plus destructrice du monde, celle que nous affrontons aujourd'hui, Monokuma comme Ultimes.
Ma cousine, qui me regarde aujourd'hui, a participé à son élaboration.
Un sourire froid se dessine sur ses lèvres.
« La raison pour laquelle je suis là, Reina, c'est parce que j'en sais beaucoup trop. Le jour où les assassins sont venus, j'étais avec le trio concepteur. Il se trouve que les hommes qui venaient les prendre en charge ont été trop bavards, et ont lâché quelques mots de trop sur leurs objectifs. Les Monokuma. Les trois premières Tueries. Il se pourrait même que l'un d'entre eux ait prononcé le nom de Lajunen. »
Elle ricane.
« Normalement, j'aurais dû me faire tirer dessus. C'est Freïr Andersen qui m'a sauvé la vie. Il m'a fait avaler de force le contenu d'un flacon. Ça m'a envoyée en état de mort simulée pendant le temps qu'ils ont pris à arrêter le trio concepteur. Mais quand je suis rentrée chez moi, j'étais malade. »
Je la voix porter ses mains devant elle. Malgré le calme impeccable dont elle fait preuve depuis tout à l'heure, je vois ses doigts trembler.
Et je me doute bien que ce n'est pas la faute de la nuit qui tombe, petit à petit, sur le désert.
« Je savais bien que je ne pouvais pas rester comme ça bien longtemps. J'ai demandé mes traitements en toute discrétion, mais comme ce que m'a fait avaler Freïr était une de ses expériences, aucun médecin n'a pu quoi que ce soit pour mon cas. Sachant qu'il ne me restait pas longtemps à vivre, j'ai décidé de me réfugier dans un lieu qui me paraissait sûr. À savoir, elle soupire, l'Accession. Le Japon n'aime pas beaucoup toucher à ses cultes. Tu vois ce qu'est Ushinawareta-shin ?
— Non.
— Demande à Leo, il en connaît un rayon. Bref. J'ai fini par demander à me marier là-bas, et Liha a accepté, malgré ses fortes croyances taoïstes, parce qu'elle croyait que ça allait me mettre à l'abri. Et par la même occasion, j'ai essayé de te proposer d'être ma témoin dans l'espoir d'ensuite te mettre à l'abri à l'Accession...
— Sauf que ça ne s'est pas très bien fini, n'est-ce pas ? »
Elle pousse un profond soupir.
« Précisément. »
Je la vois relever ses yeux vers moi. Il n'y a pas la moindre trace de l'animosité qu'elle m'avait démontrée, à toutes nos précédentes confrontations. Juste une profonde lassitude.
Je me rends compte, bien malgré moi, que malgré le rappel, je n'ai pas la moindre envie de lui hurler dessus.
« Je savais dans les grandes lignes ce qui était arrivé à Hanamiya, elle finit par dire, les traits tirés. J'ai été furieuse contre toi en grande partie à cause de ce que tu m'as dit, surtout que les termes « danger » et « inconsciente » tapaient en plein dans le mille, en plus de l'homophobie de ce genre de paroles. Mais aussi parce que cela voulait dire que tu ne me suivrais pas. Et en tant que génie, des gens que je savais reconnaître, je savais ce qui allait nous arriver. À savoir, ce qu'il s'est passé maintenant.
— ... Et tu n'as pas pris la peine de me dire tout ça avant ?!? »
... Je ne devrais pas être si furieuse. Pourtant, une grosse partie de moi est en train de me révolter face à cette injustice.
Tout ça pour ça.
Tout ça à cause des combines des Monokuma, du Projet Renaissance, et, quelque part, de l'égoïsme de ma cousine, même pas en mesure de m'expliquer ce qu'il se passait alors que sa pire crainte s'était produite, que nous étions toutes les deux dans la même Tuerie.
Je me redresse sur mes genoux, alors que la colère menace de déborder.
« Même pas quand on s'est revues dans ce foutu souterrain, tu n'as trouvé de mieux à m'adresser que mon intolérance ?!? Alors que tu t'étais assise sur ce secret si longtemps ?!? »
Elle pince les lèvres.
« Franchement, Reina, j'aimerais que tu t'imagines ce que j'ai ressenti le lendemain de la mort d'un camarade de galère, alors que tu venais nous voir pour la première fois en deux mois, tout ça pour m'éviter, alors que secret ou non tes paroles restaient très lourdes de sens. Tu savais toi-même le poids qu'avaient eu tes mots ce jour-là. Tu crois que j'avais vraiment envie de sacrifier mes dernières chances de survie en t'expliquant ça ? à quoi ça t'aurait servi que je crève ici juste pour ça ?
— Je m'en fiche, de ça, Isami, je crache. Je ne parle pas seulement d'excuses. Je voulais juste que tu m'expliques quand je l'ai demandé. Si j'avais su tout ça avant... si j'avais pu...
— Tu n'aurais pu sauver personne. »
Sa voix claque sèchement dans les airs.
« Tu sais ce qui est arrivé à Liha, Reina ? Pendant ma capture, elle a essayé de se faire passer pour moi. Elle ne savait presque rien des magouilles familiales des Satou, pourtant, elle a voulu me protéger à la seconde où elle avait appris qu'ils venaient pour moi. Ils lui ont tiré une balle sans même la regarder tout ça parce qu'elle avait appris quelque chose. Le savoir ne t'aurait pas fait gagner du temps. Au contraire, tu aurais surtout été une cible au pire moment possible, et moi avec. Tu comprends ça ? »
...
Je me rassieds.
Elle a raison.
Je ne veux pas l'admettre, mais elle a raison. La seule fois où on s'est parlé, j'étais faible psychologiquement. J'ai enchaîné les crises d'angoisses, après ça. Il m'a fallu rassembler tout mon courage pour parler d'Hanamiya. Et même alors, je n'ai su prononcer son prénom, même face à Michi, la seule personne en qui j'ai presque toute ma confiance, qui avait toute ma confiance à ce moment-là.
Qu'est-ce que j'aurais fait avec ce savoir sur le Projet Renaissance ?
Sans doute pas ce que j'aurais pu en faire aujourd'hui.
Isami me regarde, toujours, les larmes aux yeux. Elle a toujours les poings serrés sur son jean. Et comme toujours, elle se contente de soupirer.
« Peu importe. Je préfère te le dire maintenant. Dans tous les cas, nous ne nous reverrons probablement plus, que je m'échappe ou pas. Il ne me reste que très peu de temps à vivre.
— ... Comment ça–
— Silence, les filles, nous lance Viktor. Il y a du mouvement. »
Il n'en faut pas plus pour me faire taire. Je me relève d'un bond, abandonnant là ma cousine, pour me diriger vers Viktor en silence.
Il a raison. Un bruit de pales et de moteur parvient à mes oreilles juste au moment où je vois l'immense silhouette de l'hélicoptère se dessiner dans la nuit, phares à moitié éteints. Et, devant le belvédère, une autre silhouette, plus petite, qui semble venir d'en bondir. Cheveux attachés dans le dos, s'appuyant avec une canne.
Monokuma.
Ils sont là. Le ticket de sortie de nos douze proches survivants, en train d'atterrir face à moi.
« On y va ? Me chuchote Viktor alors que l'hélico se pose. »
Je secoue doucement la tête.
Non, pas maintenant.
Si Monokuma nous voit sortir, on risque bien plus gros qu'un simple échec de l'opération. Il faut guetter le bon moment.
Je lui fais signe de se taire et m'avance doucement vers le belvédère, alors que le bruit du rotor couvre mes pas.
Monokuma, à quelques mètres devant moi, est seule, sans le moindre robot pour l'accompagner. Elle semble avoir prévu quelque chose pour remonter un certain nombre de caisses, visiblement. Cela risque de nous faire perdre du temps.
L'hélicoptère se pose, et un homme en descend. Il est seul. Non. Trois robots humanoïdes le suivent.
« Madame. Les antidotes.
— Il serait temps, retentit la voix acérée de Monokuma, encore bien enfiévrée visiblement. Les deux filles sont aux portes de la mort et le garçon est bientôt condamné aussi. Et c'est dire, sachant que ce foutu virus n'est pas censé trop toucher les génies ! »
La forme hoche la tête, visiblement pas en mesure de protester. Il fait signe aux robots, et ces derniers commencent à décharger les caisses, alors qu'il fixe les alentours. Je ne vois pas son visage, mais ses poings serrés en disent long sur son état d'alerte.
Je vais avoir du mal à neutraliser cet homme avec une simple clé de bras.
« Personne ne vous a suivi ?
— Aucune idée, elle crache, visiblement comme le dernier de ses soucis. De toute façon, aucune de ces têtes de pioche ne sait piloter ce modèle d'hélico. Ils auront besoin de toi, et tu n'auras aucun mal à me transmettre leur position, pas vrai ? »
Viktor, visiblement sur le qui-vive, me tape sur l'épaule. Il a armé son fusil à fléchettes, et un signe de tête vers l'homme me permet de comprendre ses intentions. Je secoue discrètement la tête.
Pas encore.
Attends.
L'homme semble toujours tendu, mais visiblement n'ose pas aller vérifier les alentours. Tant mieux. Le plan serait en miettes s'il nous trouvait, ou qu'on était obligé de le neutraliser. Personne ne pourra prendre sa place. Et si Monokuma nous voit, moi, ou n'importe lequel d'entre nous, c'est game over.
C'est maintenant que tout se joue.
« Peu importe, grommelle l'homme. Nous allons devoir rester un petit peu, de toute façon. Histoire de ne pas se faire remarquer dans les cieux avec deux passages d'hélicoptère. Je suis persuadé que Goto pourrait vouloir du mal à notre hélico, même ici, en Chine.
— Doucement les mots, siffle Monokuma. N'importe qui pourrait nous entendre, idiot. Et fais ce que tu veux. Je veux juste ces caisses dans ma chambre dans les dix prochaines minutes.
— Tout est là, madame. Vous pouvez y aller. »
Effectivement. Les robots ont fini de décharger. Viktor se tend, prêt à l'attaque, mais je suis trop préoccupée par ce que vient de dire l'homme pour essayer de l'arrêter.
En Chine ?
Nous sommes donc bien en Chine ?
Je repense à ce que nous a dit Monokuma sur la réelle heure du crime, lorsqu'Akihito est mort. À ce moment-là, je ne m'en préoccupais pas trop. Impossible de savoir comment la relier à l'enquête. Mais quand j'y pense, cette heure... Était très proche de notre propre perception du temps.
C'est la confirmation que nous ne sommes pas si loin du Japon. La Fédération du Nord, en revanche, sera bien plus compliquée à atteindre en traversant l'Asie de l'Est, rongée par les Monokuma, que si nous étions, par exemple, dans le Sahara.
Les caisses sont chargées sur l'espèce d'appareil à remontoir. Monokuma s'installe dessus à son tour, et je vois l'antidote à notre mal s'élever dans les airs, notre tortionnaire assise dessus, avant que finalement tout ne disparaisse dans le balcon du belvédère.
Ma dernière chance de m'emparer d'un moyen de pression, je ne peux m'empêcher de me dire. Disparue.
Je secoue la tête. Même si je perds cette chance, celle de pouvoir me débarrasser d'un de mes propres soucis de chantage est tout autant importante.
Je compte jusqu'à cinq. Regarde le belvédère. Fixe les robots qui rentrent dans le corps de l'hélico. Avant de, finalement, donner le signal à Viktor.
Ce dernier se relève d'un bond.
Pas assez vite, cependant, pour que l'homme ne le remarque pas : Ce dernier bondit, main à sa ceinture, prêt à hurler.
Il n'en a pas le temps. Une fléchette fuse de l'arme de mon acolyte du moment et vient se planter dans son cou. Il s'effondre aussitôt.
« Efficaces, les sédatifs de Kita, marmonne Viktor, un peu froid. Allez, dépêchons-nous avant que Monokuma ne vienne voir ce qu'il se passe. »
Je suis plutôt d'accord avec lui. D'un geste, je fais signe au reste de la troupe de se ramener, gens armés en premier, avant de suivre Viktor dans l'hélicoptère.
Trois fléchettes nous débarrassent du pilote, du copilote et d'un autre gars qui a eu la malchance d'être envoyé en mission ici. Scott et Kiëran s'occupent, eux, de démolir les robots comme ils peuvent, assistés, parfois, par les balles de pistolet d'Isami. Mais tout se passe sans le moindre accroc. Quelques minutes plus tard, tout le monde est dans l'hélico.
« Ne vous attardez pas, je leur lance. Et larguez les types et les robots dès que possible. On ne sait jamais.
— Ne t'inquiète pas, Reina, me fait Viktor depuis le siège du pilote. Tu es sûre ne pas vouloir venir avec nous ? »
Un moment, je caresse l'idée. La liberté, si facile à obtenir. Plus besoin de veiller sur les autres. Plus besoin de craindre qu'on vienne me tuer, que je doive résoudre le meurtre d'une personne qui m'est chère. Plus besoin de guérir les malades, d'examiner les corps.
Plus besoin de voir Monokuma.
Je secoue la tête.
« Non. Je ne peux vraiment pas. »
Je ne peux pas me perdre dans pareille chimère. Surtout que ma présence les mettra exponentiellement en danger. Je ne peux pas prendre ce risque.
Je saute de l'hélicoptère sous le regard perçant d'Isami. Et puis, au moment où je remonte, un bruit de pales se fait entendre, et devant moi décolle la dernière planche de salut que j'aurai pu avoir.
Retourner dans ma chambre ne s'est pas fait sans heurts. Il était sans aucun doute plus de minuit, et les risques de voir Monokuma rôder aux alentours étaient bien plus grands. Mais je n'ai pas vu le moindre kumarobot. Et grâce à mon déverrouilleur, je n'ai pas eu de problèmes pour atteindre la sécurité.
Le plus étonnant, ça a été de trouver un kumarobot au pied de mon lit le lendemain.
Le petit robot, immobile, me fixait de son œil rouge, en forme de symbole de Monokuma. Même en me voyant me lever, il n'a pas bougé d'un pouce. C'est lorsque je l'ai effleuré que le boîtier vidéo s'est allumé derrière sa tête.
Des images éparses défilent devant mes yeux. Le passage d'un hélicoptère dans le ciel, quatre hommes et une pile de métal abandonnés dans les rues d'une ville déserte. Douze personnes qui descendent d'un hélicoptère pour faire le plein. Un appel passé dans une cabine téléphonique.
Puis, un unique message.
Mission complete.
Et un écran noir.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top