Chapitre 5 (10) : Finally, the moon

La lumière me brûle la rétine.

J'ignore d'où elle vient, mais elle est désagréable. J'ai envie de me rouler en boule, de plonger dans l'obscurité. De disparaître.

Plus de douleur.

Plus de mort.

Plus rien.

Une forme est penchée devant moi. Une forme bleu turquoise, qui me tend la main. Un souvenir familier. Un souvenir heureux.

Je force mes lèvres à 'entrouvrir.

« ... Sora ?

— Non, ma puce, » me répond la voix d'Eri Yamasaki, plus triste que jamais.

Mes yeux prennent un peu de temps à s'habituer à la lumière. Mais effectivement. C'est bien elle que je vois, plantée devant moi, main offerte. Visiblement, le nom prononcé lui a porté les larmes aux yeux. Je la comprends.

C'est à cet instant que je remarque que le poids sur ma gorge a disparu.

Je me relève légèrement. Un instant, ma tête tourne et le vertige manque de m'envoyer au sol, mais je remarque néanmoins le corps inanimé de Rinka affalé sur moi.

Elle ronfle légèrement, signe qu'elle n'est pas morte. Aucune blessure sur son corps. Mais son sommeil n'est clairement pas naturel. Et c'est au moment où je me fais cette réflexion que je remarque la trace sur son cou.

Une trace de piqûre.

« Fléchette anesthésiante, soupire Eri en levant son pistolet. Je l'ai récupéré dans le laboratoire de ma bru, avec deux anesthésiants. Je ne suis pas une combattante et je ne voulais pas avoir à m'en servir, mais... »

Elle soupire de nouveau et me montre le corps de Rinka affalé. Ainsi que mon cou.

Mes poings se resserrent.

Je vois.

Elle a réussi à toucher Rinka en train de m'étrangler. Et je suppose que je lui dois la vie et ma conscience alors que je n'ai même pas été en mesure de sauver son fils.

Elle aurait très bien pu me laisser mourir en vengeance, ou en expiation, ou simplement ne pas avoir été en mesure de presser la détente.

Et moi, j'aurais pu mourir.

Ou tuer Rinka.

L'aurais-je fait ?

J'essaie de retrouver mon souffle, et croasse un remerciement que j'espère ne pas être trop amer. Ce qui fonctionne, visiblement, vu qu'elle me fait un petit sourire.

« Ne t'inquiète pas, ma puce. Le seul ennui, c'est que Rinka va comater un petit moment. Ça va compliquer la tâche.

— Combien de temps je... Suis restée inconsciente ?

— Cinq minutes, pas plus. J'ai tiré sur Rinka, elle t'a lâchée, et tu t'es mise à respirer très fort. Tu pleurais, aussi, je ne sais pas pourquoi. »

Elle ne me le demande pas. Pas plus de pourquoi j'ai appelé son enfant de mes vœux.

Je lui en suis très reconnaissante.

A la place, elle se contente de soupirer.

« Je suis pas médecin, mais je crois que la soudaine hyperventilation t'as mise out pour un petit moment. Mais heureusement, pas au point de t'évanouir. Ça aurait été compliqué de vous traîner toutes les deux dehors. »

Je vois.

Au moins, ce petit épisode ne m'aura pas fait perdre trop de temps. Je ne sais pas si j'ai du retard sur mon planning, mais si Eri parle vraiment de cinq minutes, sans plus, cela doit vouloir dire qu'on est pas trop mal partis.

Je soupire, et me redresse. Rinka roule au sol à mes pieds pendant que je teste mes fonctions motrices. Après un étranglement pareil, il y aurait de quoi douter.

Heureusement, mon corps me répond comme il le faut. La seule marque de mon expérience de mort approchée est la douleur que je ressens encore à la gorge et le croassement dans ma voix.

« Quelqu'un a glissé ceci sous la porte, juste avant que tu ne te réveilles, annonce Eri en levant un papier. Ça dit que la voie est libre, mais je ne suis pas sûre... »

Je lui prends le papier des mains avant de le parcourir. Et j'ai un léger sourire.

« C'est l'écriture de Saki. À moins que Monokuma ne puisse l'imiter aussi bien, je pense que ça se vaut. »

Et visiblement, je viens de résoudre le mystère du kumarobot neutralisé, ce qui m'a permis de refermer la porte avec bien plus de facilité.

Saki a dû le traîner loin du laboratoire. Qui sait, il y est peut-être enfermé. Du moins je l'espère. Même sans me voir, ce kumarobot contient des images suspectes. Je ne peux pas lui accorder la liberté avant demain matin.

La clé de Kichiro tourne dans la serrure. Eri hisse Rinka un peu plus haut sur ses épaules pendant que je contrôle le couloir, qui s'avère bel et bien vide.

« La voie est libre. »

Je reconnais à peine ma voix. Un croassement, dénué de toute intonation adoucissante, presque un ordre d'avancer, sec et droit au but. Un ordre que j'ai l'impression d'avoir l'habitude de donner.

Je crois que pour éviter de me perturber davantage, je vais le mettre sur le compte de l'étranglement et du choc.

J'aide Eri avec Rinka, et quelques minutes plus tard, nous franchissons enfin l'escalier du belvédère.

Leo, qui visiblement a décidé de rester sur le belvédère, nous accueille seul dans le belvédère, l'inquiétude consommant son visage.

« Vous voilà ! Je commençais à craindre que vous ayez eu un souci...

— Petit ralentissement, marmonne Eri. On s'est fait piéger par un robot. J'ai été obligée de sédater Rinka parce qu'elle a attaqué Reina sur le chemin. Mais ça va, maintenant. »

L'air extérieur semble avoir ragaillardi la mère de Sora. Son dos est plus droit, même alors qu'elle soutient Rinka, et je vois un léger sourire se former sur ses lèvres alors qu'elle s'avance vers la sortie.

Leo pousse un soupir de soulagement.

« Au moins vous êtes là. Et si Rinka est sédatée, c'est pas grave, on la laissera avec ceux qui ne peuvent pas se battre. C'est même un problème en moins... Je craignais qu'elle ne se réveille pendant l'opération et fasse tout capoter.

— Comment on va la faire descendre ? Je croasse. Je n'ai pas assez de force pour la porter sur l'échelle...

— Moi non plus, grimace Eri. Surtout une échelle de corde. »

C'est un problème qui n'a pas l'air de beaucoup embêter Leo. Ce dernier fait signe à Eri de laisser son fardeau au sol, avant de montrer l'échelle.

« On va se servir de ça. L'une de vous va descendre, puis une fois en bas, elle tirera sur l'échelle deux fois. Comme ça, je saurai que je peux la remonter. Et une fois ça fait, on attachera Rinka à l'échelle, et on la fera descendre doucement. Faudra la réceptionner, en bas, mais ça devrait aller, c'est pas bien haut. »

Oui, deux mètres tout au plus. Je me rappelle encore quand Sora en est tombé. Et je crois que ce n'est pas un souvenir que je devrais exposer à Eri dans cette situation.

Cette dernière me fait signe de descendre.

« Vas-y, Reina. Il vaut mieux que ce soit toi. Si Rinka se réveille, j'ai mon arme. En bas, tu pourras te faire aider de Viktor. Là, tu n'as rien pour te défendre. »

Le regard entendu qu'elle me jette prouve qu'elle n'en croit rien. Elle m'a vu sortir mon couteau. Mais elle ne l'aborde même pas devant Leo, même alors que ce dernier jette un coup d'œil craintif au pistolet à fléchettes.

Je ne sais pas si elle veut garder ça pour elle ou simplement me dissuader d'utiliser une arme létale.

Je préfère ne pas lui poser la question.

Je m'installe sur l'échelle, et jette un dernier regard au petit groupe avant d'entamer ma descente, qui de toute façon n'est pas bien longue. Deux mètres, c'est vite franchi.

En bas, visiblement, deux autres personnes m'attendaient. Viktor et Evdokia, qui me saluent avec amitié et un semblant d'inquiétude.

« Tout le monde est là-haut, Reina ? Me demande l'adolescente avec une pointe d'hésitation dans la voix. Il n'y a pas eu de... Problème ? »

Ce disant, elle montre mon cou. Ou plus précisément, les bleus qui doivent le parer. Je remercie Rinka d'une pensée sarcastique avant de tâter les dégâts. Ma gorge me fait mal au contact, certes, mais si j'arrive encore à parler sans avoir trop mal, j'imagine que ce n'est pas irréversible. Je mettrai de la glace dessus une fois l'opération terminée, et à partir de là... On verra bien.

« On a eu un souci sur la route, je réponds, doucement. Un robot nous a piégés et le temps qu'on puisse sortir, Rinka s'est réveillée et m'a attaquée. Mais tout le monde est là sain et sauf. Rinka est juste sédatée plus violemment que tout à l'heure.

— c'est un soulagement, soupire Viktor. Leo est toujours là-haut, et en ne vous voyant pas arriver on a cru qu'il s'était produit un... Imprévu, pour être poli. Mais si tout va bien, tant mieux. »

Je tire doucement sur l'échelle, et Leo pointe le bout de son nez sur le balcon avant de commencer à la rétracter. Les deux autres le regardent faire avec intérêt.

« On va faire descendre Rinka, je leur explique. Vous pouvez m'aider à la réceptionner ? Comme mon cou vous l'aura appris, je ne suis pas très en forme.

— c'est Rinka qui t'a fait ça ? Grimace Evdokia. La vache... Elle est vraiment pas bien, cette meuf.

— Doucement, la réprimande Viktor. Rinka est fragile psychologiquement et tout le monde n'a pas supporté l'enfermement au même niveau que nous. Rappelle-toi ce qu'il s'est passé avec Kyu. »

Je hausse un sourcil surpris, mais pas le temps de questionner Viktor ou même Evdokia, qui vient de grimacer. Le corps attaché solidement à l'échelle de Rinka vient de passer par-dessus le balcon, et nous voilà tous trois obligés de nous mettre en position pour récupérer correctement le chargement endormi sans la blesser ou nous attirer malheur.

Heureusement, deux mètres, ce n'est pas compliqué à franchir. Je ne tarde pas à la récupérer entre mes bras, et Viktor la récupère avant de la transporter vers ce qui je suppose est leur campement, à savoir un amoncellement de buissons non loin du belvédère. Leo et Eri ne tardent pas à nous y rejoindre.

Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils ont bien choisi leur endroit. Notre belvédère est construit entouré de plantes désertiques et d'amas de buissons des sables, plus ce que je soupçonne être les traitements de déchets des Monokuma vu les conteneurs d'ordures qui n'attendent que d'être pris ; c'est le seul lieu possible pour se cacher, mais il est efficace. Et leur manière de s'y abriter prouve une certaine expérience.

J'ai déjà vu ça en Afrique. Les gens qui s'abritaient, du mieux qu'ils pouvaient, attendant l'une ou l'autre catastrophe. Les aléas de la nature. Ou ceux de la civilisation. Qui pouvait savoir.

Tout le monde est plus ou moins recroquevillé. Viktor semble monter la garde dans un coin, et a de toute évidence repris son poste après notre arrivée, à Eri, Rinka et moi. Les autres personnes armées font visiblement la même chose. Akumu est recroquevillé près de Kyutaro, dont le visage est vidé de toute son énergie. Scott leur tourne un peu autour, de loin.

Evdokia, qu s'est assise à côté de moi, pousse un profond soupir.

« J'imagine... Que tu te demandes ce qui est arrivé à Kyu.

— Un peu. »

Evdokia pince les lèvres.

« Lorsque vous êtes pas venus, le premier jour après que Monokuma ait emmené Kazumi... on était tous terrifiés. La dernière fois que ça s'est produit, Monokuma... Elle était venue à votre place, et avait ramené des instruments de torture... Et Shirô... »

Elle pousse un profond soupir. Pas besoin pour elle de finir sa phrase. J'ai eu l'aperçu de l'autre côté de cet affreux mobile.

Il a mené à la mort de deux personnes que j'aurais pu apprécier.

Deux personnes qui de toute façon, n'avaient rien fait.

Evdokia fixe le sol. Je vois ses doigts trembler.

« Sauf que Monokuma est pas venue. Et je sais que... ça doit sembler rassurant, mais certains ont commencé à psychoter. On perdait la tête, là-dedans, Reina, elle dit, un frisson dans la voix. On a commencé à imaginer des scénarios tous plus horribles les uns que les autres. Qu'on était abandonnés. Que la Tuerie était finie sans nous. Que Monokuma nous laissait juste mariner dans les restes de notre santé mentale avant de finir de nous briser. »

Elle a l'air si petite, adolescente, à peine quatorze ans, quand elle me raconte ça. Pourtant, en même temps, je sens dans sa voix une douleur toute adulte.

Et c'est normal.

Aucun enfant ne devrait avoir à subir ça.

« Ça s'est arrangé lorsque... lorsque Junko est venue. On a enfin compris ce qu'il se passait, on a regagné espoir, elle soupire, le visage inexpressif. Mais pour certains, c'était déjà trop tard. La veille de sa première visite, on a retrouvé Kyu les poignets ensanglantés. J'ignore comment il a fait ça avec ses ongles... mais il s'était arraché presque des lambeaux de chair. Et il hurlait. Il hurlait qu'il valait mieux mourir que subir cette attente... »

...

Normalement, elle aurait dû pleurer.

Normalement, cette larme dans ses yeux aurait dû couler.

Normalement, j'aurais dû être horrifiée. Horrifiée d'apprendre qu'un garçon d'à peine mon âge avait tenté de se suicider dans sa cellule, sous le contrecoup de la brisure de son mental.

Mais tout ce qui transparaît de moi, de l'expression d'Evdokia, de sa voix, c'est un vide plus pénétrant encore que le silence du désert.

On en a trop vu.

Toutes mes deux.

« Et tu veux savoir le pire ? Elle ajoute, les yeux toujours fixés sur le sol. C'est que si Junko n'était pas venue... Je pense qu'on l'aurait suivi. C'est elle qui l'a vraiment soigné. Nous, on y arrivait pas. Nous, on arrivait pas à voir le défaut de sa logique... Ou à lui refuser son souhait... »

Elle serre les dents.

« Je sais qu'on tente un coup de poker, Reina. Mais si jamais je dois me retrouver enfermée encore une fois dans cet endroit sans âme, dans ce souterrain qui a pris la vie de mon frère, je crois que je n'y survivrais pas très longtemps.

— Personne n'y survivra, retentit une voix èche à côté de moi. Nous sommes pour la plupart des humains normaux. Et même un génie ne peut lutter face à cette pression. Surtout un génie, n'est-ce pas ? »

Evdokia sursaute. Avant de relever le visage vers Isami, qui est plantée en face de moi avec une expression indéchiffrable. Son pistolet pend à sa ceinture.

Je plisse les yeux.

« Qu'est-ce que tu veux ? »

Une étrange lueur brille dans les yeux onyx de ma cousine.

« Evie, elle lance sans me lâcher du regard, est-ce que tu peux aller me remplacer à la garde ? Je dois parler avec ma cousine. Seule à seule. »

Evdokia grimace, mais s'exécute sans perdre trop de temps. Me laissant seule avec la femme qui me hait sans doute le plus de ce petit groupe, un pistolet à sa ceinture.

Alors que j'ai moi-même des armes et sans doute plus de capacité à m'en servir.

Super. J'adore ce plan.


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