Chapitre 4 (6) : Life, death and despair

Je suis sur les ordinateurs depuis plusieurs jours, maintenant.

Mon objectif ? Il est assez simple. Kazumi m'a enfin raconté la clé du Projet Renaissance. Même si je ne sais toujours pas pourquoi il a été fondé dans l'urgence, je sais désormais qu'avant Hope's Peak, c'était le premier système de traque et de parquage des génies, que le but soit opposé ou non.

Cela explique pourquoi il y a eu si vite des gens à Hope's Peak. Ce n'était clairement pas un concept nouveau.

Par contre, même si maintenant je sais ce qu'il a à voir avec nous, je n'ai aucune idée du lien avec les Monokuma. Pour l'instant, tout ce que je sais, c'est que la création du groupe a été entraînée par la concrétisation de la thèse de Fusae, l'apparition de nouveaux cas de Désespoir parmi les génies qui ont fait comprendre au gouvernement que ce n'était pas si lointain, cette fameuse fin du monde. Mais pour que Monokuma y glisse autant de références, il faut vraiment qu'il y ait autre chose. Et surtout, qu'est-ce qui rend Kazumi, et par extension Shizuka, si dangereuxes ?

La réponse se trouve sans doute dans les informations de la troisième tête de file du projet, le fameux Freïr Andersen. C'est pour ça que depuis ces trois derniers jours, j'épluche les fichiers d'Haruko sur la fameuse Tuerie de 2017, celle interrompue en plein milieu. Histoire d'en apprendre un maximum.

Malheureusement, c'est assez peu productif. Pas de liens quelconques qu'Haruko a mis dans son document, en tout cas. Je chercherai ailleurs dans ses documents, mais pour l'instant, tout ce que celui-ci me dit, ce sont des informations sur l'ancien Ultime Virologue.

Je relis, encore et encore, la fraction de document affiché devant mes yeux. Comme si une nouvelle info allait se révéler d'entre les lignes.

Freïr Andersen, écrit Haruko, est une personne très faible physiquement. Quand je l'ai rencontré, il était en fauteuil, dans l'impossibilité totale de s'en sortir. Cela faisait de lui une cible facile, mais en vérité, peu de gens osaient vraiment l'approcher.

Il était également une source de savoir qu'il n'était pas trop prêt à partager. De temps en temps, cela lui arrivait de menacer l'Ultime Fabricante de Poupées, notre Monokuma de l'époque. Sans grand succès, puisque cette Monokuma ne s'est jamais vraiment préoccupée des menaces. Mais j'en savais assez pour comprendre qu'elles auraient porté sur n'importe quel autre Monokuma. Il s'agissait de révéler des informations capitales sur leur groupe, leur origine et leurs moyens. J'ignore comment il en savait autant, même au vu de son origine particulière, et je pense qu'il n'aurait de toute façon jamais voulu me le révéler, mais le fait était qu'il restait un élément important de l'histoire des Monokuma et des génies.

Son appartenance au Projet Renaissance ne fait aucun doute, même aussi secret qu'il soit sur son temps dans leurs infrastructures. Il en savait énormément sur le génie. D'après lui, le Projet Renaissance avait de très nombreux buts et tous tournaient autour de la culture de ce fameux génie, si bien que je me demande, quelque part, pourquoi il était aussi secret. Décider de cultiver le génie et à partir de là les géniales créations, surtout quand on considère l'état de la planète avant 2016, cela restait quand même une annonce de progrès assez remarquables. Surtout si on considère que d'après lui, de très nombreux génies ont contribué aux progrès informatiques, environnementaux et scientifiques que nous connaissons aujourd'hui.

Mis à part ça, Freïr était une personne très solitaire. Désagréable, même, à de nombreux moments. Jamais prompt à s'intégrer, toujours très silencieux à part pour nous prédire notre mort prochaine ou cracher sur notre Monokuma. Sa faiblesse physique ne l'empêchait pas de développer une très grande force mentale. Quelque part, il était le pilier des survivants.

Après ça, c'est simplement le profil psychologique et physique de Freïr qui est décrit, et soyons honnêtes, je ne veux pas en apprendre davantage sur un homme dont je ne sais même pas s'il est mort ou non.

Je lève les yeux au ciel. Trois jours que je cherche et même là, il n'y a aucun lien. Même en cherchant des informations sur l'Ultime Fabricante de Poupées, pas moyen d'en savoir plus. Cela ne décrit que sa cruauté et son total non-respect de règles qu'Haruko pensait tacites. Comme l'exécution des meurtriers, ou simplement la volonté de sa maîtresse de jeu.

Plus qu'à fermer le document et en ouvrir un autre. De toute façon, j'ai de quoi faire. Haruko m'a même fourni un plan des souterrains et un manuel d'utilisation de la console de commande. Avec un peu de fouille et de la complicité involontaire de la part des autres, comme Junko, je pourrai peut-être même retracer le chemin vers les geôles des proches...

« Salut Reina ! Tu fais quoi ? »

... Bon ben je remettrai à plus tard mes fouilles, on dirait. Hors de question d'expliquer à Yuuki ce qu'il se trouve dans ce document, en tout cas pas tant que je n'aurai pas toute confiance en elle. Dieu merci, je n'avais pas ouvert d'autre Word, et la Gamer Ultime n'est pas arrivée il y a très longtemps si j'en juge par son visage en nage...

Je me contente donc de fermer l'explorateur de dossiers et de vider le cache avant de me tourner vers Yuuki, le plus souriante possible.

« Je prenais des notes sur ce que je sais, c'est tout. C'est-à-dire pas grand-chose, entre nous. Et toi ?

— Oh, je cherchais Saki, grommelle Yuuki, une petite moue sur son visage. Je voulais lui demander de retirer mon nom du tableur, parce que je n'en peux plus. Mais je la trouve pas, et c'est pas faute de courir partout... »

Un moment d'inattention de sa part me permet de déconnecter la clé USB, et j'en profite pour me lever de la chaise avant de me diriger vers l'étagère à jeux vidéo. Le meilleur moyen de distraire Yuuki, en somme. Yuuki qui me suit comme un papillon attiré par une flamme.

« Tu veux jouer ? On peut faire une partie de Smash Bros ?

— Si tu veux, Yuuki, je souris. Je te laisse brancher le jeu, et on ira chercher Akihito après. Pour lui parler de ça. Il sera peut-être plus accessible que Saki... »

Elle hoche la tête, avant d'installer la Wii en deux temps trois mouvements et de prendre dans la bibliothèque la boîte de Super Smash Bros Brawl. Et j'avoue que je suis davantage rassurée par le fait qu'elle ne m'ait pas grillée avec le document d'Haruko que préoccupée par sa requête.

Même si la dernière fois que quelqu'un a manqué à ses devoirs avec les proches, ledit quelqu'un s'est fait tuer.

Yuuki s'installe dans le fauteuil, souriante, avant d'allumer la console et de brancher le jeu. Je m'empare d'une manette avant de me poser à côté d'elle, et la petite me sourit.

« Tu sais, j'aime bien jouer avec toi, Reina ! Toi au moins, tu n'essaies pas de me voler mon titre...

— Tu n'as personne avec qui jouer, Yuuki ?

— Non... avant oui. Shô. Mais Shô est mort.e, elle soupire, et même si j'aime bien jouer avec Junko, c'est pas pareil. Elle aime pas les mêmes jeux que moi et des fois j'ai l'impression qu'elle se force... »

Elle pousse un profond soupir avant de se caler dans le fauteuil.

« Enfin je devrais pas me plaindre... au moins, elle joue avec moi. Ça m'est jamais arrivé, même à Hope's Peak... »

Je hausse un sourcil.

« Vraiment jamais ? Tu n'avais pas d'amis, ou de frères et sœurs ? Ou même d'amis sur Internet ? »

Yuuki pince les lèvres. Et le silence flotte quelques instants dans la salle, seulement interrompu par le thème musical de Brawl, avant qu'elle ne se décide à me répondre.

« Non, jamais. Je n'avais pas le droit d'avoir des amis, et ma famille ne voulait pas que je joue. Ils voulaient que je travaille... »

Je grimace. Oh, ça sent pas bon, cette histoire...

Je ne sais pas si Yuuki se sent vraiment bien heureuse à m'en parler, ou même si j'ai le droit de la questionner, mais de toute façon elle ne me laisse pas le temps de me répondre. C'est à peine si elle me regarde.

« J'vais être honnête, Reina... Ma famille, elle a pas beaucoup d'argent. Et c'est pas faute d'essayer, c'est bien le problème. On est six dans ma famille, pour les aides familiales, et chacune de nous six était censée rapporter de l'argent ou étudier pour en rapporter. »

Ses yeux sont perdus dans le vague. J'y vois traîner quelques très anciens souvenirs, et dans mon propre esprit une soudaine appréhension. Vu la tête qu'elle fait, il y a quelque chose de bien pire dans son passé que le simple fait d'être pauvre. Quelque chose qui n'a pas arrêté Hina et Michi dans leur poursuite du bonheur, même si on pouvait toujours faire mieux... Alors bon, qu'est-ce qui est arrivé à la plus jeune d'entre nous ?

« Tu es sûre que tu veux m'en parler, Yuuki ? J'interviens, oubliant la cinématique de titre de Brawl qui continue sur l'écran. Je veux dire, c'est visiblement quelque chose d'assez lourd...

— Écoute, toi, tu parles bien de tes secrets, réplique Yuuki avec une légère touche d'humour dans la voix, alors pourquoi pas Yuuki, hein ? De toute façon, bah, ça me gêne pas trop d'en parler. C'est juste compliqué, mais je crois que tu sais. Y'a que Junko qui sait, pour l'instant... »

Elle soupire, avant de sélectionner un mode de jeu.

« Du coup on est six. Y'a Rinka, que tu connais peut-être de loin vu qu'elle est enfermée là en bas, puis Airi, Kaoru, Haruna, Atsuko et moi. Dans l'ordre. Rinka, elle a vingt-quatre ans, j'en ai quatorze. Les autres, je sais plus. Et je m'en fiche. »

Ses yeux sont brillants. Mais pas brillants de joie. Elle me paraît plus sur le point de pleurer qu'autre chose.

« On devait toutes faire quelque chose de nos vies très tôt. Rinka, par exemple, elle a intégré une grande école sur bourse après s'être épuisée au travail, et elle a fait à côté un travail de nuit je sais plus où mais c'était fatigant. Kaoru et Haruna sont devenues secrétaires dans de grandes entreprises à quinze ans histoire de gratter un salaire le plus vite possible, et papa et maman s'attendaient à ce qu'elles grimpent les échelons. Atsuko... Atsuko a fini par fuguer de la maison parce qu'ils l'ont envoyée dans un collège étranger qui apparemment il s'y est passé un truc horrible en 2013. Moi, j'ai dû étudier plein plein plein de matières très, très tôt. Et Airi... »

Cette fois je le vois. Elle est vraiment en train de pleurer.

« Pardon Reina... mais ça me rend juste triste. Parce que Airi, elle savait rien faire. Elle savait pas étudier comme moi, ou faire des grosses activités physiques comme Rinka. Du coup papa et maman, plutôt que de la laisser aller dans un collège tranquille et faire de l'art comme elle voulait... Ils l'ont jetée à la rue. Et ils lui ont dit « fais le tapin et ramène de l'argent ou ne reviens pas. » Je sais pas ce que ça veut dire, mais... »

Mais moi je sais.

Et je me demande bien quel genre de parents peut être assez cruel pour forcer sa propre fille dans la prostitution.

« Mais Airi, reprend Yuuki en reniflant, un jour, elle est pas revenue. Et on a vu son nom dans les faits divers des journaux. Retrouvée morte dans un coin. Je sais pas qui l'a tuée, et dans le journal y'avait plein de mots que je comprenais pas, mais... Mais en tout cas, elle était plus là. Et c'était la seule qui voulait bien s'occuper de moi, alors depuis... »

Inutile de trop chercher la suite. On connaît les risques qui attendent les prostituées, et vu ce qu'il s'est passé, je ne vais pas les expliquer à Yuuki. Je n'ai pas vu passer ce fait divers, et tant mieux vous me direz, mais quelque chose me dit que nombre de mots compliqués dont me parle Yuuki sont très probablement des descriptions graphiques assez sanglantes.

Et on se demande encore pourquoi j'ai peur des hommes.

Quand on est le produit d'une organisation systémique pareille, de gens qui vont dans le milieu médical pour le simple but de commettre des agressions sous couvert d'examens et être protégés par leur position d'autorité, de gens qui imposent aux femmes le code vestimentaire le plus strict pour le simple plaisir de leurs yeux, qui mettent des mains aux fesses des enfants de treize ans sans même y réfléchir avant de sortir traiter une femme qui essayait de survivre comme un objet, voire carrément un jouet, on a pas grand-chose à dire pour sa défense.

J'ai été trop de fois témoins des atrocités du patriarcat pour ne pas nourrir à leur égard une certaine colère, et la grande sœur de Yuuki n'est hélas qu'un exemple parmi tant d'autres.

Yuuki a fait silence, et sélectionne un personnage en silence. Je m'empresse de prendre le mien, un peu coupable, et espérant que cette partie distraira un petit peu l'Ultime Gamer de l'horrible destin d'Airi Maeda.

« Enfin bref, elle soupire pendant que son personnage donne au mien une vision de ce qu'est l'Enfer. Dans un environnement pareil, je pouvais pas jouer comme je voulais, mes parents voulaient pas, et mes sœurs étaient soit trop occupées soit elles m'aimaient pas parce que j'étais une bouche de plus à nourrir. Du coup je pouvais jouer qu'au collège, et seule, puisqu'au collège ils font attention avec les communications à distance... Sans les compétitions, ça serait resté comme ça, je suppose. Mais j'ai été repérée, et... Le jeu a changé de difficulté.

— Je vois, » je ne peux que dire alors que j'essaie de trouver un moyen d'échapper à la terrible Gamer. Qui a un petit rire.

« Ah bah ça je sais pas. Mais merci d'avoir écouté quand même. Je te revaudrai ça. »

Seigneur, vu comment elle parle j'ai presque l'impression de voir apparaître au-dessus de sa tête une icône « elle se souviendra de ça » comme dans certains jeux à choix. Approprié, pour l'Ultime Gamer. Qui n'a pas trop le temps de finir de me massacrer, d'ailleurs, vu qu'Akihito entre dans la salle...

« Salut, Reina, Yuuki. Je vous dérange, ou je peux vous parler un peu ?

— Oh non pas du tout ! » S'exclame Yuuki en se retournant d'un coup. Ce qui ne l'empêche pas d'encore m'éjecter. « Tu veux jouer avec nous ? »

Akihito a un sourire un peu gêné.

« Désolé, Yuuki, mais moi et les jeux vidéos... Et j'ai beaucoup de trucs à faire à côté de ça.

— De toute façon, j'interviens, on devait te parler. A propos du tableur des proches...

— Ah oui, zut, c'est vrai, s'exclame Yuuki en se frappant le front. Merci, Reina, j'avais complètement zappé ! »

Akihito a un léger rire.

« Vous ne m'en voudrez pas, dans ce cas, de m'asseoir sur ce troisième fauteuil que nous voyons ici. Alors du coup, dit-il, joignant le geste à la parole, c'est pour quoi ? »

Yuuki grimace.

« Beh je sais pas si je peux demander, mais c'est juste que... euh... »

Elle me jette un regard suppliant, et j'y réponds avec grâce, prenant le relais de la conversation.

« Yuuki voulait savoir si c'était possible que tu retires son nom. Apparemment, qu'elle aille voir les proches serait assez contre-productif pour elle. »

Akihito hoche la tête, avant de sortir son Monopad.

« Bien sûr que je peux. Mais je peux demander si tout va bien avec les proches, Yuuki ? Si certains sont un danger, il vaut mieux que je le sache.

— C'est rien, bougonne Yuuki, c'est juste que Kazumi, elle me fait peur, on dirait un boss final. Et je veux pas voir Rinka. J'ai peur qu'elle fasse baisser ma barre de vie. »

Akihito et moi échangeons un regard. Visiblement, il y a d'autres problèmes, dans la famille de Yuuki...

Il a au moins le bon goût de ne pas insister, et en quelques clics le nom de Yuuki est retiré du tableur. Quelques-uns des nôtres les remplacent, pas assez pour que ça change quoi que ce soit. Yuuki était assez loin dans le tableur, d'ailleurs, je crois qu'elle avait eu son tour hier.

Sans doute était-ce ce qui a motivé son action, d'ailleurs.

« Passons à un autre sujet, intervient Akihito. Le banquet est dans six jours, il faut qu'on décide ce qu'on y mange et ce qu'on y mettra. Monokuma n'a pas l'air d'être très motivée pour nous fournir des tenues spéciales, mais j'ai regardé dans mon placard et je pense être en mesure de faire quelque chose de spécial, ce doit aussi être votre cas...

— Mouaif, je verrai, marmonne Yuuki. Ou sinon je coudrai des trucs avec le labo d'Hina, t'inquiète pas.

— Monokuma ne compte sans doute pas s'en mêler parce qu'on organise ça dix jours après le procès, j'interviens. Pour elle, c'est trop tôt. Pour un meurtre, je veux dire. On a déjà démontré qu'on était du genre à attendre les dernières limites... »

Akihito se mord la lèvre.

« Très, très vrai. Mais c'est un peu rassurant qu'elle ne compte pas s'en servir comme mobile. Enfin peu importe. Tenues mises à part, il faut trouver quoi faire à manger. Tu as des idées, Yuuki ?

— Moi ? Sursaute l'Ultime Gamer. Alors là, que dalle ! Je sais pas cuisiner, moi. Sauf si vous savez faire des Poffins ? »

Elle a un tel espoir dans les yeux que je ne peux m'empêcher de rire.

« Non, mais on peut se débrouiller, je pense. De mon côté, Akihito, je n'ai pas de préférences culinaires. Enfin, je ne mange pas beaucoup de viande, mais à part ça, je peux suivre un menu du moment que quelqu'un parmi nous est en mesure de le cuisiner...

— Comme vous voudrez, opine l'Ultime Chroniqueur. Je prends note. Et Yuuki, nous pourrons toujours tenter, recette fournie, tes... Tes Poffins, je crois ?

— TROP BIEN !!! »

L'adolescente saute en l'air, d'un bond. Un immense sourire sur le visage. Loin de son expression mélancolique de tout à l'heure, Yuuki semble avoir retrouvé toute sa vie.

Pourvu que ça dure...

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