Chapitre 4 (4) : Last Straw
Urgh, quand on me dit de dormir la nuit, ce n'est pas une exagération.
Je crois qu'en tout et pour tout, j'ai dû avoir la possibilité de ne me reposer que trois heures. Ces trois heures uniquement, d'ailleurs, parce que Monokuma est venue voir ce que c'était que cette lumière sous la porte du laboratoire de l'Ultime Assassin et que je n'ai eu que le temps de m'enfuir en laissant abandonné mon matériel, sinon, je doute avoir eu l'occasion de dormir cette nuit.
Au moins ça me confirme que le laboratoire est isolé en termes sonores de manière suffisante. Parce que dans les couloirs, personne ne demande ce que c'était que ces coups de feu toute la nuit. Tout à l'air normal. Même Daisuke ne se doute de rien. Enfin si, il se doute certainement de quelque chose, l'animal, mais en tout cas, il ne l'exprime pas.
C'était ma propre volonté mais j'en ressens très fort les conséquences. Surtout maintenant, au petit déjeuner. Michi me prête une épaule secourable sur laquelle je comate, mais je ne me permets pas de fermer les yeux, pas en présence de tout ce monde. Ce qui m'empêche réellement de me reposer.
Pas que j'en aie vraiment le temps. Notre mois a repris, et cette fois c'est moi qui ne dispose que de cette maigre échéance pour trouver une solution. J'ai beaucoup trop d'informations à déchiffrer, rassembler, trier, pour mettre au point un plan. Et derrière, des gens qui en savent bien plus que moi à qui je devrais sans aucun doute parler.
Michi me caresse doucement les cheveux. Je me laisse me perdre quelques instants dans cette brume de confort qui m'accueille, sur l'épaule de ma chère et tendre qui me soutient comme un roc.
Quelque part, ça fait du bien de la savoir là, près de moi.
J'entends des voix, au cœur de ma brume. Une voix douce et rassurante mais qui ne s'adresse pas à moi, et j'entends le nom de Saki revenir plus d'une fois dans l'adresse à son interlocuteur. Un grognement chasser quelqu'un qui pépiait trop près de mon visage. Une voix plus énigmatique demander d'un ton amusé si je compte vraiment dormir toute la journée. L'écho d'un pleur au loin alors que devant, une voix que j'ai tant aimée me supplie de me réveiller.
Est-ce que je pleure ?
Non, quand même pas. Pourquoi je pleurerais ?
Pourtant, je les sens, les larmes sur mes joues.
Pourquoi je pleure ?
« Reina ! Oh, Reina ! s'il te plaît, tu veux bien émerger ? C'est pas le moment de te laisser perdre ! »
...
Pourquoi je pleure, alors que ça ne peut être que la voix de Michi qui me parle, et aucune autre qui s'y mêle, aucune autre qui me supplie de revenir à moi...Non, rien ne justifie que je me mette à pleurer comme ça... N'est-ce pas ?
Une main sur ma joue. Mes yeux qui clignent. La brume qui disparaît. Michi, dont je suis toujours sur l'épaule, qui me regarde avec une profonde inquiétude.
« Ouh là... Ma puce, tu m'as fait une de ces peurs ! t'as bien dormi cette nuit ? »
J'avoue que je lui dois la vérité. Au moins en partie.
« Pas trop, pas trop. Les lendemains de procès, tu sais...
— Ouais, ouais, je comprends le truc, rigole Michi, tout en me tapotant la tête. Tu sais que je suis le meilleur oreiller du monde, hein, mais comate pas comme ça, tu t'es mise à pleurer d'un coup et j'ai eu vraiment la trouille...
— Ne t'inquiète pas, je lui souris, ça ira, je crois. Je dormirai plus cette nuit, voilà tout... »
Elle me fait une moue dubitative, mais ne proteste pas plus. De toute façon, je crois que j'ai assez profité de son épaule. Saki passe avec des cafetières, et je compte bien en boire tout le contenu au moins pour me permettre de tenir la journée...
Personne ne semble vouloir adresser la parole à l'Ultime Stratège, même alors qu'elle est la seule à assurer le service. Junko et Yuuki sont toujours resserrées l'une sur l'autre, autour cette fois d'une console de l'Ultime Gamer, Shizuka ne lui adresse même pas un regard et Daisuke se contente de poser une tasse devant Soma avant de se casser dans son habituel coin d'ombre. Même alors qu'elle dépose la cafetière sur notre table, ni Michi ni moi ne lui adressons autre chose qu'un remerciement auquel elle ne répond même pas.
Michi lève les yeux au ciel.
« Je persiste à croire que ses pseudos efforts pour s'intégrer, c'est pour se donner bonne conscience.
— Elle reste muette psychologique, j'interviens, dubitative. Ce n'est pas si facile que ça de communiquer contre quelqu'un qui vous balance une vague d'hostilité.
— Ouais, je sais. Pas être psychophobe, tout ça tout ça. Et je veux bien comprendre qu'ici, c'est un cauchemar pour personnes ayant des soucis de santé mentale. J'ai bien vu ce que ça avait fait à ton PTSD, soupire-t-elle. Mais quand même. Elle est pas venue à la piscine avec nous hier alors que c'était un super moment pour s'intégrer. Elle se contente de faire la tour de contrôle au lieu de juste essayer de communiquer. Et puis merde, même pas elle s'excuse de quoi que ce soit alors que même si on lui a fait du mal, ses actions t'ont fait du mal aussi, et ont failli nous tuer au second procès. Et ça, ça me fout les boules, tu vois ? »
Elle lui jette un regard en coin alors que Saki dépose sa dernière cafetière devant elle et Akihito.
« T'sais, Akihito, il est venu s'excuser personnellement auprès de tout le monde, après le procès, » reprend-elle alors que le Chroniqueur se remet à discuter avec son interlocutrice, un sourire aux lèvres. « En avouant sa faute, en expliquant ses raisons. Et il l'a fait même auprès de genre, Yuuki et Junko, qui croyaient vraiment en sa thèse. Elle, que dalle. La Saki des premiers jours qui peinait à parler à tout le monde, je veux bien, grommelle Michi en plissant les yeux, son regard plus noir que jamais. Celle qui arrivait pas à en placer une pendant qu'on l'accusait quand même assez salement, okay, je peux comprendre. Mais celle-ci, qui s'impose en petit chef et qui communique sans le moindre problème du moment qu'elle a sa tablette en main ou Akihito pour traduire son langage des signes, ça, je pige pas. Et ça m'énerve. »
Elle a raison. Saki a énormément évolué depuis son procès, le procès qui a coûté la vie à Hina. Maintenant, elle et Akihito ont pris tant de choses en main, et elle est au cœur de beaucoup d'initiatives pour ne serait-ce que resserrer nos liens. La question étant de savoir si Michi a raison, et que ce comportement pourrait bien foutre en l'air tous ses efforts, ou si elle est la seule à penser ça. Et que sa rancœur est aussi peu justifiée que celle de Saki à mon égard.
Je hausse les épaules. Michi rigole un peu avant de maintenir ma tête. Pas très longtemps toutefois.
« On devrait aller lui parler de ça, si ça te dérange tellement...
— Ouais, on devrait, grommelle Michi. Enfin, moi je suis pas d'humeur pour ça là maintenant, je vais juste gueuler. Mais on devrait. T'as raison. J'essaierai, p't'être plus tard. Fin, de toute façon, elle arrive, tiens. Je crois qu'elle a dû comprendre qu'on parlait d'elle. »
Effectivement. Saki est en train de se diriger vers nous, sans cafetière ou quoi que ce soit. Michi, de son côté, lève les yeux au ciel avant de se lever, décalant doucement sa tête de mon épaule, et m'adresser un regard d'excuse.
« J'vais chercher un peu de bouffe mais ça va juste être une excuse pour éviter la confrontation. Désolée, Reina. Tu m'appelles, hein, s'il y a un souci, là j'hésiterai pas à gueuler...
— Promis, je lui souris, du même ton bas qu'elle emploie. File. Et ramène-moi des beignets, tu veux bien ?
— Gourmande, pouffe Michi en m'embrassant sur le front. Mais ouais. De toute façon, je crois que j'en veux aussi. »
Elle rigole devant mes joues rouges avant de s'éloigner. Quelques secondes seulement avant que Saki ne s'asseye sur la chaise en face de moi. Quelques instants supplémentaires pour lui permettre d'écrire sur sa tablette.
« Bonjour, Reina. Je peux me permettre ? »
Je fais la moue.
« Je ne vois pas pourquoi non. Installe-toi. Tu voulais quelque chose ? »
Un moment, je crains qu'elle ne décide d'attaquer de front, sur le fait qu'on parle quand même dans son dos. Mais rien. Elle se contente de me jeter un regard indéchiffrable de derrière ses lunettes avant de pianoter sur sa tablette.
« Juste discuter avec toi de l'avenir. Nous devons essayer de nous réorganiser en tant que groupe. Ça implique essayer de t'intégrer, toi. Avec des activités qui pourraient te plaire. »
... Alors je devrais sans doute être contente. Contente qu'elle essaye de me reparler, contente qu'elle mette ses griefs de côté, contente qu'elle me parle de reprendre une vie amicale comme si tout allait bien. Même alors que tout ne va pas bien.
Mais franchement, tout ce à quoi je peux penser, c'est que venant d'elle, c'est fort. Très fort.
Et malgré tout mon self-control, cela se voit dans les traits de mon visage.
Saki plisse les yeux avant d'écrire sur sa tablette.
« Tu conviendras quand même que c'est une idée à envisager. »
Les gens commencent à sortir, autour de moi. Akihito quitte la salle, Junko et Yuuki sont parties depuis cinq bonnes minutes en laissant leur cafetière encore pleine sur la table. Soma est plongé dans son travail, un casque sur les oreilles, et je ne vois même plus Daisuke. Quant à Michi, elle est dans la cuisine. Il n'y a plus vraiment dans le réfectoire que Saki et moi.
Je serre les dents.
« Qui est isolée, Saki, entre toi et moi ? »
Elle lève les yeux au ciel.
« On en a déjà parlé, Reina. Je me suis déjà exprimée sur ce point et je sais que tu attends très justement mes excuses. Mais tu viens de perdre deux personnes qui te sont chères et même avec la petite amie qu'il te reste, tu es distante. Il faut que tu arrives à te distraire. »
... Très franchement, Saki, j'avais pas besoin de toi pour reprendre les choses en main avec Michi. Mais au moins elle essaie de faire des efforts, hein, je devrais m'en réjouir. Alors pourquoi est-ce que ces efforts me prennent dans le mauvais sens du poil, bon sang ?!?
C'est sans doute la fatigue. C'est sûrement la fatigue. Ça ne peut être que la fatigue.
Saki continue de pianoter sur sa tablette. Elle ne me regarde même pas.
« Hier, tu n'as pas proposé grand-chose, pour les activités de groupe. C'est pour ça que je viens voir ce que tu en penses. Il faut des choses qui puissent intégrer tout le monde. Quitte à ce que ce soit une recherche d'informations, par exemple. Je ne sais pas. On peut faire quelque chose qui te tient à cœur. »
Je suis un pion. Un pion sur son échiquier. Voilà mon problème. Voilà ce qui m'emmerde sincèrement depuis le début. C'est cette sensation de n'être rien d'autre qu'une variable à prendre en compte dans l'immense plan de l'Ultime Stratège, d'une femme qui fut autrefois ma meilleure amie, si seulement ça comptait un tant soit peu dans son ressenti.
Elle n'a après tout pas mis tant de temps à me balancer comme une vieille chaussette, même pour un tort que je sais réel.
Tout ça pour ça.
Et elle continue, sans même se rendre compte que je commence à bouillir.
« Si tu as des idées à incorporer, il faut les dire, d'accord ? Ce que j'ai dit de Soma vaut aussi pour toi. Nous avons des différends, mais dans le cas présent je pense que le mieux est de les mettre de côté le temps de les résoudre, et...
— Mais tu ne veux pas arrêter ton foutu bordel deux minutes ?!? »
Ça y est. J'ai craqué. Je viens de bondir de ma chaise, à deux doigts d'arracher la tablette des mains de Saki, les traits tordus par un concentré de rage qui finit par s'échapper.
La rage de voir Soma en pleurs. La rage de voir Sora mort au sol. La rage d'être toujours celle sur qui on doit compter, avant d'au final faire comme si elle était à peine plus importante qu'un autre.
La rage d'avoir été celle qui a jeté à la mort Shô et Haruko, d'avoir dû assister sans rien faire à l'aveu et l'exécution de ma meilleure amie.
J'en ai plus qu'assez.
« Je ne suis pas un pion sur ton échiquier, Saki, je lui crache à la figure sans lui laisser le temps de taper sur sa tablette. Je suis un être humain avec des émotions et ces émotions commencent à en avoir marre d'être traitées comme inexistantes ! »
Saki se fige. Je vois ses doigts se resserrer sur son appareil, ses yeux s'agrandir, mais cette fois, très sincèrement, j'en ai plus rien à foutre.
S'il faut qu'elle m'écoute, elle va m'écouter, qu'elle le veuille ou non.
« Tu veux que je te dise ce que j'en pense, de ton idée ? J'en pense qu'elle marchera jamais comme tu l'emploies parce que tout ce que tu fais c'est recueillir des données et établir des plans, comme si nous étions les pions d'une foutue stratégie. J'en pense que tes idées pour soi-disant socialiser avec moi sont teintées d'hypocrisie parce que tu ne veux même pas reconnaître que nos rapports entiers sont tachés par une Tuerie ! On est dans une putain de Tuerie, Saki, une Tuerie qui nous a coûté Hina, qui m'a coûté deux personnes que j'aimais comme tu ne m'as pas manqué de le rappeler, qui a coûté des amis, des frères même à d'autres personnes et dont tu négliges le deuil au profit de tes plans et de ta rancœur qui plus le temps passe moins elle devient justifiée ! »
Et tu peux bien faire comme si je t'avais frappée, Saki, tu peux bien jouer la victime comme je suis sûre que tu en meurs d'envie tellement j'en ai marre de réaliser que ton comportement nous détruit alors qu'il devrait nous aider. Fais comme si je t'avais agressée. Vas-y. Plains-toi auprès d'Akihito puisque c'est de toute façon le seul qui t'écoute. Mais pour une fois tu vas me laisser parler.
« Tu veux que je te dise pourquoi je t'ai accusée, que je te croie coupable ou non ? Ce n'est pas que j'ai pensé bien faire, je siffle, toute la colère accumulée depuis plus de trois mois en train d'exploser d'un seul coup. C'est parce que je n'ai pas eu le choix. C'est parce que dans ce jeu de la mort, si tu ne joues pas, tu décèdes à coup sûr, et va donc chercher des pistes plus sûres avec quelqu'un qui joue avec les damnées preuves en prouvant du même coup que l'indépendantisme n'est pas une bonne idée, deux mois avant que tu ne mettes au point la théorie ! »
Mouvement dans l'ombre. L'œil unique de Daisuke cligne. Il était donc là depuis le début, tiens donc. Mais étrangement, je ne sens pas la moindre hostilité dans son attitude. J'ai même l'impression que ça l'amuse, tiens.
Génial. Je suis un sujet d'amusement. Un vrai bonheur.
« Je ne suis pas une putain d'enquêtrice, nom d'un chien ! Je ne suis pas la protagoniste d'une histoire et ce n'est pas moi qui ai eu toutes les foutues réponses simplement parce que je n'ai pas eu d'autre foutu choix que de disséquer le cadavre de ton frère ! Ce n'est pas moi qui ai choisi de t'accuser et ce n'est encore moins moi qui me suis trompée délibérément en laissant Hina s'envoyer à la mort ! Tu crois que je voulais vous accuser toutes les deux ?!? Je ne voulais accuser personne ! Je voulais juste essayer de jouer le jeu pour éviter d'envoyer, oh, je ne sais pas, quatorze personnes à la mort dont moi-même ?!? Parce que c'est la seule chose que je pouvais faire dans cette prison de règles !!! »
Et c'est encore aujourd'hui la seule chose qui me garantit ma survie tous les mois. Accuser, encore, et encore, et encore. Avant-hier, c'est la femme que j'aimais que j'aie envoyé se faire tuer. Il y a un mois, c'est Shô, qui voulait juste sauver la peau de son frère, qui a perdu la vie sur mon accusation. Et elle essaie de le présenter comme si ça me fait plaisir de penser que c'est ma faute, si les criminels meurent sous le jugement de Monokuma.
« On a des différends, tu disais ? je vais te dire ce qu'on a, je finis par lancer, à bout. On a moi qui n'a plus aucune envie de faire des efforts pour quelqu'un même pas capable d'aller au-delà de sa dignité offensée, pour des raisons qui ont certes dû te faire mal je dis pas, mais qui derrière se transforme en égoïsme monstrueux que tu n'arrives même pas à voir ! Je crois que questions différends, Saki, tu ne peux pas simplement me demander de mettre ça de côté comme si le sacrifice venait de toi juste parce que tu ne veux pas t'excuser !!! »
Silence.
Profonde inspiration.
Je suis à bout de souffle.
Mes yeux brûlent, une nausée montante est en train de méchamment me tordre les tripes, et le nœud que sont devenus mes muscles est la seule chose qui m'empêche d'éclater mon poing sur la table.
Je crois que ça vaut mieux que je ne sois plus capable de bouger sachant que j'ai encore une arme au fond de mon sac.
Saki me fixe de ses grands yeux écarquillés. Cette fois, son visage n'a plus rien d'indéchiffrable. Je n'y vois plus qu'une surprise monumentale, presque enfantine, et derrière des larmes perlant au coin de ses paupières qui me donnent encore plus l'envie de frapper quelque chose. Mais avant que je ne puisse céder à cette pulsion, ou simplement me rasseoir et faire comme si tout allait bien comme je l'ai toujours fait, elle ferme les yeux, avant de passer ses doigts sous ses paupières et de se remettre à écrire sur sa tablette.
« D'accord. Je vois.
— Tu vois, je siffle, encore passablement énervée. Et c'est tout ce que tu trouves à dire ? »
Elle secoue la tête, en continuant à écrire sans me regarder.
« Non. Je dois m'excuser. »
...
Tiens donc.
J'ai envie de dire que ce n'est pas trop tôt, en espérant que ce soit motivé par un vrai désir de faire amende. Mais bon. Je me suis exprimée. À son tour de parler. D'ailleurs, elle continue de pianoter sur sa tablette sans même me regarder.
« Quand on est Stratège, le plus souvent, on doit voir les choses en grand. C'est ce qu'on m'a toujours répété, au gouvernement. Que les sentiments des soldats ne valaient quelque chose que s'ils pouvaient empêcher le plan de se réaliser. C'est la logique que j'ai appliquée ici, sans vouloir reconnaître qu'elle avait des défauts. Et encore moins que tout le monde ne suivait pas la même. »
Enfin, elle lève les yeux. Et elle me regarde.
« Nous nous sommes faites mutuellement du tort, Reina. Toi, comme moi. Et de toute évidence, ce n'est pas quelque chose qui sera laissé de côté sans excuses. Donc je m'excuse. Je reconnais mes torts. C'est tout. »
Je me rassieds. Mes muscles ont cessé de se contracter. Et je crois que j'y vois un peu plus clair.
Elle a toujours ses larmes au coin des yeux, mais maintenant que je suis un peu calmée, ça me tend moins les nerfs. Je suppose. Elle continue de pianoter sur sa tablette, l'air toujours pas décidée à me reparler de nouveau, mais j'imagine que nous ne redeviendront pas magiquement les meilleures amies du monde.
Si on était dans un conte de fées, ça se saurait, depuis le temps.
Saki attend sans doute que je parle. Que j'accepte ses excuses, sans doute. Je ne sais pas si je peux. Pas sans me remettre à crier. Mais bon.
« Eh bien. Au moins c'est un début. »
Elle hoche la tête, avant de se remettre à écrire sur sa tablette.
« Oui. Disons ça comme ça. Mais je pense qu'on ne redeviendra pas comme avant, pour être honnêtes. Avant, c'était quand il y avait Hina. »
Et cette fois je la vois. La contraction de sa paupière, la larme qui en tombe. Ses lèvres qui tremblent. La façade de Saki éclate en même temps que le nom d'Hina est prononcé, même par la voix robotique de sa tablette.
Ma colère retombe dans l'instant.
« Oui. Elle me manque aussi. Beaucoup. »
Saki hoche la tête.
« Elle aurait mieux fait de ne pas me protéger.
— ça n'aurait pas changé quoi que ce soit, Saki, je grommelle. On aurait quand même exécuté quelqu'un, même Kichiro, pour rien. Et la suite aurait été la même.
— Elle aurait peut-être été en vie. Elle le méritait plus que nous tous ici. »
Nous ne croisons même pas le regard l'une de l'autre. La conversation est lourde, de tensions, de regrets. Nous sommes deux étrangères qui échangeons des souvenirs chers et communs. C'est une étrange sensation. Un peu réconfortante, peut-être.
« Ça, je ne peux pas le nier. Elle le méritait. Elle était le rayon de soleil qu'il nous fallait à tous...
— Elle savait comment réconforter les gens. Elle aurait peut-être su, elle, comment faire des activités de groupe. »
Je pince les lèvres. La voix robotique de la tablette de Saki est toujours aussi égale, pourtant, quand ces mots flottent dans l'air, je la vois pincer les lèvres, ses larmes s'échapper un peu plus de derrière ses lunettes. Et je me dis, tout compte fait, que Saki a peut-être une très bonne raison d'insister pour ces activités de groupe.
« Tu te souviens, continue la voix robotique alors qu'un petit sanglot s'échappe de la gorge de Saki, quand elle nous a traînés au BDE pour organiser la semaine de la romance ? Ce n'était même pas son idée ou son domaine de compétences, mais elle était si passionnée... Elle voulait même qu'on en rajoute des romances queer, pour t'aider, qu'elle disait. »
Je baisse les yeux.
« Oui, je me souviens. À cette époque, j'avais tellement eu peur qu'Emerens ou n'importe qui d'autre du BDE comprenne que je m'étais énervée sur elle pour m'avoir embarquée là-dedans. On s'était disputées très fort, mais ça n'avait pas duré très longtemps... »
Son stylet court sur l'écran de plus en plus vite. Une larme tombe sur le rebord.
« Il n'a sûrement pas compris mais elle, si. Elle comprenait tout tellement vite. Elle a compris pourquoi à part Kyutaro, je me tenais à distance des hommes. Elle a compris pourquoi tu avais rejeté Hideki, même si elle t'en avait voulu. Elle ne l'avait pas vécu, mais elle avait compris. »
Oui, Hina comprenait tout tellement vite. On avait même pas besoin de lui en parler. Il m'avait suffi de lui expliquer le mal que Raraka avait eu à affirmer sa filiation, même avec le testament de sa famille, pour qu'elle comprenne le sexisme rampant dans notre milieu. Il avait suffi à Saki de raconter son vécu au gouvernement pour qu'elle comprenne pourquoi les hommes lui faisaient peur, pourquoi Kyutaro, faible comme il est, était son seul refuge.
Elle avait compris sans même que j'aie eu à lui expliquer l'ampleur de ce que j'avais vécu pendant ma mission humanitaire.
Un petit bruit d'eau parvient à mes oreilles.
Saki pleure franchement.
J'ai quelque chose d'humide sur les joues, moi aussi.
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