Chapitre 4 (20) : Eye
Le silence devient presque commun dans le tribunal.
Mes derniers mots ont claqué dans l'air, résonnant dans toute la salle de procès. L'écho, je l'entends encore. Et je ne sais pas s'il est bien là, ou si c'est juste moi qui l'imagine, au cœur de ma tête vide de toute émotion.
Je fonctionne comme un robot depuis le début de ce procès. Méthode, réflexion, rigueur. C'est cette même méthode qui m'a permis, cette fois, d'accuser Shizuka. Et même si mon accusation ne tient qu'à un fil, même si elle repose sur beaucoup trop de spéculations, je sens, je le sens, que je tiens quelque chose.
Si ce n'est lae coupable, ce sera au moins un secret énorme.
Après tout, on parle d'expériences biologiques inhumaines, du fait que Shizuka a au moins pris une substance que l'éthique nous supplierait d'interdire. Comment expliquer autrement ses veines enflées, formant un motif pareil ?
Elles suintent toujours de sang qui coulent sur le sol, Shizuka n'ayant toujours pas remis ses bandages. Et le bruit de goutte-à-goutte est la seule chose qui brise le silence de la salle.
Shizuka et moi nous fixons dans le blanc de l'œil depuis voilà bien quelques minutes, maintenant. Lae Généticien.ne ne semble plus rien avoir à répondre. Et moi, je n'ai plus rien à dire. Je joue sur le bluff, désormais. Le bluff, pour essayer de lae forcer à commettre un acte qui me permettra de lae confondre. Ou alors, pour qu'iel me sorte enfin une preuve de son innocence, je ne sais pas.
Même si à ce stade, ladite innocence est fort peu probable.
Je ne bouge pas d'un pouce.
J'attends.
J'attends, que quelque chose se produise, que Shizuka me répondre, que la belle façade de lae Généticien.ne plus figé.e que la pierre se brise enfin sur quelque chose d'exploitable.
J'attends.
Et j'attends encore.
Le doigt de Shizuka frémit. Mais ce n'est pas sa bouche qui bouge. C'est son corps. Son corps entier qui d'un seul coup, se projette en avant.
D'un coup sec.
Par-dessus la tribune.
En plein sur moi.
Une seconde, je vois le visage aux yeux écarquillés de Shizuka derrière ses lunettes, trop proche, bien trop proche de moi. Une seconde de trop pour que je porte la main à mon sac.
Et, une seconde plus tard, lae Généticien.ne est par terre, en dessous de Daisuke qui la maintient fermement, les traits crispés et les doigts refermés sur ses bras dans un angle étrange. Le craquement que j'entends vient très probablement de ses épaules.
Iel n'a même pas crié.
« Putain, jure Daisuke en immobilisant ses bras. T'avais pas menti, Reina, lae mecoeuf a une force de malade dans les bras. Je viens de lui déboîter les articulations, comment iel peut encore bouger ?!? »
Tout le monde fixe en silence le corps de Shizuka qui se débat sous la masse de Daisuke, en silence, dans un silence presque trop effrayant pour toute la force qu'iel déploie, pour son visage dans l'ombre et ses dents serrées sur sa lèvre. Daisuke qui peine à lae retenir et semble peser de tout son poids sur son dos, un genou sur sa tête et les deux mains autour de ses poignets.
Sur les bras de Shizuka, je vois une veine exploser.
Ma main se retire de mon sac.
De toute façon, aurais-je osé braquer le pistolet sur luel ?
Je crois que je n'aurai jamais la réponse.
« Défends-toi, Shizuka, je dis, d'un ton bien trop calme pour ce que j'ai à l'intérieur de la tête. De toute façon, maintenant que nous avons un.e coupable, si tu ne dis rien, tout le monde va voter pour toi. Tu es lae plus probable et ce n'est pas une simple histoire d'alibis.
— Oh, et moi qui avait fait tout mon possible pour corser le jeu, quel dommage, ricane Monokuma de sa tribune. On dirait que je vais encore devoir augmenter la difficulté... »
Ce que j'aimerais lui dire de la fermer. Mais ce n'est en ce moment pas elle qui m'intéresse. C'est le corps qui se tord sur le sol, qui se tortille juste assez pour me regarder dans les yeux. Dans ces yeux, où j'y lis toute la rage du continent.
« Eh bien votez pour moi, ce que j'en ai à foutre, Satou, crache Shizuka avec un fiel que je ne lui ai jamais vu, une colère inouïe pour luel dans sa voix qui n'a plus rien de calme. Votez pour moi, débarrassez-vous de l'intrus, puisque vous guettiez une occasion. De toute façon, c'est comme ça que ça marche, le vote, non ? Les isolés meurent toujours sous le coup de la justice populaire... »
Sa remarque semble porter. Au moins sur Soma, qui grimace, et Yuuki, qui semble indécise. Un instant, je la vois même prête à intervenir. Je ne lui en laisse pas le temps.
Je me contente de sortir de ma tribune, de me diriger, en silence, vers le centre, avant de me pencher vers Shizuka.
Toute la haine possible dans mes yeux.
« Si tu tenais tant que ça à avoir le statut d'enquêteur, Shizuka, à condamner une personne que tu aimes, à être celle qui porte les accusations, il fallait peut-être y penser dès le début. En attendant, c'est toi qui es au sol, réfutant les accusations sur tes expériences sur ton propre corps, avec une force que tu niais posséder qui nous devient apparente. Et c'est moi qui me retrouve obligée de t'accuser. Alors si c'est ta seule défense, tais-toi. Et ne t'avise plus d'insulter Haruko devant moi. »
Je ne sais pas si c'est le fiel de cette dernière phrase. Ou simplement une colère accumulée pendant des mois et des mois. Mais je n'ai que le temps de me reculer avant qu'un des bras de Shizuka ne se détache de la poigne de Daisuke.
J'entends un second craquement, horrible, celui d'une épaule déboîtée encore et encore.
Pourtant, iel ne hurle même pas alors qu'iel tente de me saisir la gorge.
Je n'en réchappe que d'extrême justesse. Ses doigts passent sur ma peau, et je sens un morceau de chair se déchirer sous la pression. La simple pression du bout de ses doigts, suffisante pour me blesser la gorge.
Un peu de sang coule sur mon cou, mais je choisis de l'ignorer.
« Tu as autre chose à me dire, plutôt que de tenter de me tuer ? »
Je sens tous les regards peser sur nous. Sur moi. Mais je m'en fiche. Il n'y a plus que Shizuka et moi, au centre de cette tribune, qui nous affrontons du regard.
Shizuka qui laisse échapper un léger rire froid.
« Et tu vas faire quoi, Satou ? Me tirer dessus, comme l'aurait fait ta chérie Assassin ? Ordonner à ton larbin monolithe de m'arracher les bras, pour la simple raison que tu as un soupçon sur moi ? Eh bien, qu'est-ce que tu attends, exécute-moi, puisque tu n'attends que ça, venge ceux que tu crois être morts par ma faute, prouve ton manque de discernement ! »
Cette fois, je ne peux me retenir.
Ma main part.
Elle part, et s'écrase en plein sur la joue de Shizuka avec un bruit sonore.
La tête de l'Ultime Généticien.ne est projetée sur le côté. Un court instant, je vois la surprise briller dans ses yeux, juste un court instant, avant qu'iel ne se remette à rire.
« Tiens tiens. Donc la grande Reina Satou, celle qui internalise ses émotions de manière professionnelle, vient d'exprimer sa colère...
— Ferme-là. »
Son rire s'amplifie encore.
« C'est drôle, hein ? Comment on réagit quand les gens insultent quelqu'un qu'on aime. Maintenant, tu comprends peut-être un peu mieux, pas vrai, petite proie aux griffes limées ? »
Daisuke lui enfonce la tête dans le sol, mais rien ne semble capable d'étouffer le rire de Shizuka, glacial, détaché et pourtant tellement effrayant.
« Tu comprends peut-être mieux ce qu'il en coûte aux menteurs et à ceux qui se mêlent de ce qui ne les regardent pas. »
Je plisse les yeux.
« Donc, tu avoues enfin, pas trop tôt. »
Je ne sais pas si c'est l'adrénaline du procès. Mais je me sens plus calme que jamais. Ces mots n'ont fait que ralentir les battements de mon cœur, et je ne peux analyser de mon cerveau que cette étrange euphorie qui monte, qui monte, qui m'envahit toute entière.
C'est enfin fini.
Shizuka, du sol, me montre les dents.
« Puisque mademoiselle est insistante, le voilà, ton aveu, Satou. Oui, je l'ai tué. Parce que c'est le sort qui arrive aux menteurs, aux calomniateurs, à ceux qui parlent sans savoir. Parce que c'est bien ce que tu comptes me faire, pas vrai, pour avoir insulté la personne que tu aimes ? Inutile de nier, Satou, je la voix, la lueur meurtrière dans ton regard, iel ricane, un sourire fin aux lèvres qui tranche avec ses yeux pleins de haine. Je vois que tu n'attends qu'une seule chose, c'est que Monokuma ne mette fin à mes jours. »
Je sens les regards qui pèsent sur moi. Jugement, colère, surprise, attente, inquiétude. Mais je ne réagis pas. Mon attention entière est focalisée sur Shizuka.
Je ne jouerai pas son jeu.
« Je ne suis pas comme toi, à relâcher une colère meurtrière sur ceux qui insultent ceux que j'aime, je crache, glaciale. Et encore moins au point de complètement les déchiqueter. As-tu tant que ça un a-priori avec les menteurs, qui n'en sont même pas vraiment ?
— Un a-priori ? Pfeuh ! »
Iel crache au sol, du fiel plein la voix.
« Peut-on vraiment parler d'à priori quand tout ce que vous êtes, vous les Ultimes, ce sont des génies hypocrites, enfermés dans des enveloppes corporelles qui ne veulent même pas assumer le développement de votre âme ? Quand le Désespoir a été découvert, j'aurais dû me douter que vous étiez tous pourris jusqu'à la moelle par votre simple existence, mais il semblerait que j'ai été trop naïfe de pouvoir espérer vous aider ! »
Je me penche vers luel. Dans le silence. Il semblerait qu'iel se soit enfin décidé à parler, et son aveu véritable me paraît tellement proche. Inutile de le ruiner.
Ses yeux brûlent d'une rage sans nom, et même alors que Daisuke lui écrase la tête au sol, je sens toute la force qu'iel met à se dégager, qu'iel dirige dans sa haine contre moi, contre nous.
« Cette Tuerie, l'occasion idéale de tester mes théories, de voir jusqu'où je pouvais emmener le génie ! L'âme, liée au corps, un corps qui la pourrissait parce qu'il n'était pas capable de l'accueillir, un corps que je pouvais sublimer, pousser à la perfection pour annihiler ce défaut ! J'aurais pu guérir le Désespoir, Satou, iel crache depuis sa position, j'aurais pu mettre fin à ce que vous appeler l'Enfer rien qu'en prouvant mes théories ! Et vous, qu'est-ce que vous faites ? »
Iel se débat encore, mais sans effet, Daisuke lae tient bien trop fort. Daisuke qui grince des dents, visiblement mobilisant toute son énergie pour lae retenir au sol.
« Au lieu de faire un effort pour développer vos esprits, vous vous enfermez dans votre propre apathie, vous ignorer l'aide que j'essaie de vous apporter, crache Shizuka, toujours aussi fielleuxe. J'ai essayé des semaines et des semaines de sauver l'un d'entre vous, d'en faire l'image même de la perfection, mais non content de mourir, vous semblez ruiner absolument tous mes efforts pour mener mes expériences ! Étonnez-vous après que je sois de mauvaise humeur... »
J'entends Michi s'étrangler derrière moi.
« Attends une minute. Le mois que t'as passé collé.e à moi, c'était juste parce que... parce que tu te servais de moi pour tes petites expériences ?!? Les raideurs dans mes articulations, le fait que je ne me souvenais pas parfois de journées entières, c'était de ta faute ?!? Tu te fiches de moi, espèce de saloparde ?!? »
L'accusation semble réveiller le reste de l'assistance, puisque j'entends des murmures pleins de surprise, de colère, de rage depuis derrière moi. Mais Shizuka ne semble même pas s'en préoccuper. La colère a envahi ses traits tout entiers.
« Bravo, génie, iel crache, une vraie déduction dans les règles de l'Art. Mais puisque tu n'as rien trouvé de mieux que de t'enfermer dans ton propre deuil, il a bien fallu que je trouve quelqu'un d'autre ! Et Kanda était le candidat idéal, si seulement il n'avait pas décidé de raconter sur le papier que des foutus mensonges !!! »
Michi s'étrangle de rage derrière moi, et n'est sans doute pas la seule. J'entends les voix de Junko, Soma et Yuuki murmurer des choses pas très amicales.
DE mon côté, je garde le silence.
Je suis concentrée sur Shizuka.
Shizuka qui guidé.e par sa colère ne peut s'arrêter de parler.
« Alors oui, je l'ai tué, je l'ai tué pour qu'il cesse de parler, pour qu'il cesse de répandre son fumier dont il n'est même pas sûr de la source ! Voilà, vous êtes contents, j'ai avoué, maintenant vous pouvez me mettre à mort, puisque vous n'attendiez que ça ! C'est bon, je peux entendre des applaudissements et la foule en liesse ? »
Je me penche vers luel avec tout le mépris dont je suis capable.
« Non. Non, Shizuka, nous ne sommes pas contents. Parce que quelqu'un est mort ce matin, et quelqu'un va mourir ce soir, et non, c'est loin de me ravir. Et je tiens à te rappeler que la faute est tienne seule. »
Iel siffle. Mais iel est réduit au silence par un petit bruit de bouton.
« Navrée d'interrompre cette charmante discussion, mais... »
Tout le monde se tourne dans la même direction. Vers la tribune, vers le sourire de Monokuma dont le marteau vient de s'abattre sur le bois de son bureau.
« Je crois que puisque nous avons un aveu, je peux passer la séquence votes, n'est-ce pas ? Je vais donc dès maintenant lancer l'exécution, upupupupu !
— Je te trouve bien pressée, Monokuma, siffle Junko. Tu as un planning à respecter ? »
Mais le reste de sa phrase est couverte par le hurlement de rage de Shizuka. Qui se débat, de toutes ses forces, mais sans rien pouvoir faire. Daisuke la retient trop solidement.
Puis après Daisuke, la pince.
« Ça, c'est mon petit secret, ricane Monokuma. En attendant, merci Nakano pour avoir daigné retenir cette vilaine arme biologique sur pattes, et c'est parti pour le show, upupupupu ! »
L'empressement dans sa voix est palpable. Mais je m'en préoccuperai plus tard. Pour l'instant, tout ce que je peux regarder, c'est la trappe qui s'ouvre sous le corps de Shizuka.
Et la longue chute de l'Ultime Généticien.ne dans le vide éternel.
EXECUTION
Shizuka Mizutani, Ultime Généticien.ne
Destin dans les gènes
Une salle est la seule chose qui accueille la chute de Shizuka.
J'ignore combien de temps iel a passé dans ce tunnel sans fond, même pas traîné.e par une pince ; plusieurs minutes, sans doute, puisque c'est le temps que l'écran met à s'allumer dans la salle de procès. Plusieurs minutes qui s'achèvent par un choc de toute violence sur le sol de la chambre carrelée.
Cette chute aurait dû lae tuer, pourtant, iel se relève. Le sang coule de ses bras, de ses lèvres, de sa tête ; mais iel est debout, sans trembler, sans faillir, la seule chose trahissant le mal-être de son corps étant ses yeux écarquillés, dont le sang coule, en goutte à goutte.
Iel aurait dû mourir, sans doute. Iel aurait dû mourir pour la pitié que cette chute lui aurait apportée. Le regard de Monokuma, infaillible, euphorique, ne fait qu'indiquer la cruauté du sort qu'elle lui réserve. Du tribunal, elle joue avec une manette, appuyant sur les boutons avec un rire déchirant tous tympans sur son chemin. On croirait une petite fille devant un jeu vidéo. Mais le jeu est bien réel. Et le jeu est bien mortel.
Un bouton, et une trappe s'ouvre. Un bouton, une seringue en sort. Un bouton, le dos de Shizuka est pris pour cible ; Un bouton, un cri de surprise.
La seringue, de taille humaine, vient de déverser un produit dans le dos de ce qui ne sera bientôt plus l'Ultime Généticien.ne. Qui, le premier cri passé, en pousse un, encore plus fort. Un cri de douleur, répercuté dans les haut-parleurs. L'expression même de la souffrance.
Iel tombe au sol. Iel crache du sang. Sa bouche, du sang. Ses yeux, du sang. Tous ses orifices, du sang. Ses veines, si étrangement imbriquées sur son bras, du sang. Partout, partout du sang, rouge sur le carrelage blanc, du sang qui ne s'arrête plus, qui tombe en pluie, qui fuse en jets, repeignant les murs de la salle aussi sûrement que le sol du laboratoire d'Akihito.
Et les cris.
Les cris.
La souffrance personnifiée jaillit des haut-parleurs alors que la première veine explose. Ce visage pourtant si calme, si souriant, se déforme par le fait de la douleur qui parcourt son corps entier, qui lui entraine des spasmes sous l'euphorie enfantine de Monokuma, plus âgée que nous mais pourtant si jeune dans sa cruauté.
Elle n'a plus besoin de faire quoi que ce soit. Iel est à terre, hurlant, le sang coulant partout partout partout du sang du sang qui jaillit du sang qui fuse du sang qui trempe du sang qui recouvre
Ses doigts qui se plongent dans ses globes oculaires le sang qui coule les cris les cris encore les cris le sang qui fuse l'œil dans sa main la douleur sur son visage les rires de Monokuma tout ce qu'il se passe tout ce qu'il se passe les membres qui tombent en miettes en miettes de chair qui s'effondrent sur eux-mêmes et puis
Et puis
Plus rien.
Plus rien que ce qui traîne désormais au sol, déchiquetée par son propre corps, sa propre douleur. Les bras qui ne ressemblent plus qu'à un amas de veines. Le sang qui a cessé de couler. Les cris qui ont cessé de résonner.
Plus rien que cet œil accusateur, qui nous fixe depuis une paume de sa prunelle bleu glacé.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top