Chapitre 4 (2) : Aquatic Hell

(CW y'a une piscine, un peu de matage et de bisouillage, mais promis rien de méchant :D)

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Akihito pianote sur son tableur depuis voilà bien quelques dizaines de minutes. J'ai reçu il y a un quart d'heure un lien vers un nouveau document, sans doute à cause de l'impossibilité d'acquérir les droits de celui d'Haruko. Même moi, elle ne me les a pas transférés. J'ignore pourquoi. Sans doute qu'à ce stade, c'était à ses yeux les dernières priorités.

Les noms défilent sur les quinze premières cases, d'abord le principal puis celui qui le remplacera. Mon nom apparaît assez tôt dans la liste, en deuxième position. Cela me semble raisonnable. Ensuite, je remplace Soma pour le septième, le cas échéant. Même si j'espère ne pas en avoir besoin.

On l'espère tous.

Personne ne veut revoir un nouveau Taichi.

Soma qui est toujours recroquevillé dans son coin. Cette fois, le stylet est dans sa main, et il griffonne sur sa tablette avec l'ardeur de celui qui se plonge dans son travail pour oublier. Je vois les larmes parcourir son visage. De loin, je trouve son poignet plutôt raide, mais il faut dire qu'il passe son temps à s'en servir, ces derniers temps. Quand je le vois, il ne fait que dessiner...

À côté, tout le monde est silencieux ou désœuvré, à part Saki qui de temps à autres agit sur le tableur. Pourtant, personne n'ose quitter le réfectoire. J'ai l'impression que personne ne sait quoi faire. Et sincèrement, je peux bien parler, moi. Je n'ai rien d'autre à me préoccuper que de tenir la main de Michi sans bouger ni parler, ni même communiquer avec elle.

Je devrais sans doute la soutenir un peu. Elle a perdu un ami, hier, et sans doute de la plus moche des façons. Apprendre qu'il était capable de meurtre doit tout autant l'avoir secouée qu'ensuite, découvrir qu'Haruko était l'Ultime Assassin. Je devrais pouvoir offrir quelques mots de réconfort, au moins. Après tout pourquoi est-ce que les gens m'aiment si ce n'est pas pour le bien que je leur apporte ?

Mais je n'y arrive pas.

Pathétique coquille vide qui n'arrive même pas à réfléchir.

Trop de deuils me reviennent en ce moment en pleine figure. Je revois des sourires, des rires glanés au loin. Je réentends des promesses, des promesses d'avenir entre deux insultes. Je ressens des mains me prendre les joues et les serrer pour me rattacher à la terre, je goûte dans un lointain souvenir aux lèvres de quelqu'un dont je n'ai même plus le visage tant la honte l'entoure de son carcan. Je peux sentir une odeur rassurante émaner d'un T-shirt mêlée à celle, métallique, du sang.

Une avalanche de souvenirs dont seule la main de Michi me rappelle qu'ils n'ont plus rien de réel.

Cette dernière dont je discerne les traits à travers ma brume, prend doucement mon visage entre mes mains. Se télescopant aux mains de mon souvenir, brisant quelques instants la macabre vision.

« Eh, Reina. Reste avec moi, d'accord ? Reste avec moi encore un moment. »

Sa voix m'accroche à notre réalité, douce-amère, alors que les brumes s'éloignent dans les méandres de mon cerveau. Elle a raison. Je ne peux pas m'en aller. Je dois rester, aussi longtemps que possible, parce que j'ai une mission. Et si cette mission implique de faire sortir ces huit personnes avec moi, je ne dois pas la négliger dans mes souvenirs.

Je vois Saki tirer la main d'Akihito. Ce dernier, trop concentré dans son tableur pour la voir, ne réagit pas. Alors, après quelques minutes, l'Ultime Stratège finit par prendre sa place sur le rebord de la table, avant que son Monopad n'émette un son particulièrement bruyant. Un crissement de métal. Merci Saki, trop aimable.

« Désolée, fait la voix robotique de sa tablette alors que tout le monde grimace de douleur et d'agacement. Mais je ne voyais vraiment pas d'autres moyens d'attirer votre attention.

— Qu'est-ce que tu veux, Tamura ? Grommelle Daisuke. Et ça a intérêt à être important. »

Moment de silence alors que Saki pianote sur sa tablette, ignorant tous les regards énervés. Puis, la voix robotique s'élève de nouveau.

« Ça l'est. On arrive à un stade où les gens isolés vont devenir des victimes faciles. Je pense qu'il faut qu'on organise des activités de groupe. Pour éviter que quelqu'un se sente mis de côté. »

... Alors c'est bien facile de dire ça, hein, mais...

« Quel genre d'activités de groupe ? Intervient Junko, froide. On finit par s'en rendre compte. Les fêtes dans les Tueries se finissent rarement bien. Et si tu as d'autres idées... »

Saki lève les yeux au ciel avant d'écrire de nouveau.

« Pas des fêtes, imbécile. Des activités. De l'art. Du sport. Des réunions. Même explorer la nouvelle zone. Il faut juste que ce soit régulier. Parce que je n'ai pas envie que qui que ce soit subisse le même sort qu'Hikage Aoki. »

Junko grommelle devant l'insulte, mais force est de constater qu'elle n'a pas le moindre argument contre. Son regard, comme celui de Saki d'ailleurs, se dirige d'ailleurs sur le même point que moi. L'endroit où est assis l'Illustrateur aux cheveux arc-en-ciel, la personne la plus isolée depuis le début de ces jeux de la mort, qui vient de le devenir encore plus avec la mort de son seul ami et celui qu'il aimait.

C'est tout juste si Soma relève les yeux de sa tablette. Mais, sans doute devant tous les regards qui pèsent sur lui, son stylet cesse de s'agiter sur l'écran.

« Explorer les lieux ensemble... C'est une bonne idée, renchérit Shizuka, toujours dans sa neutralité. Ça n'empêchera pas grand-chose, évidemment. Beaucoup de survivants l'auraient dit. Mais cela évitera au moins que quelqu'un découvre un petit secret qu'il garde pour lui.

— Ce n'est pas le but premier, Mizutani,» fait la voix robotique du Monopad de Saki.

Cette dernière lae fixe avec agacement avant de hausser les épaules.

« Enfin peu importe. Un avantage ajouté est un avantage ajouté. Qui a des idées ? »

Petit échange de regards entre les gens. Et puis Yuuki lève la main.

« Je peux... Organiser un tournoi de jeux vidéo à inscription obligatoire ? Comme ça, ça me permettra de traquer qui était encore vivant et avec moi à ce moment-là...

— T'as parlé de sport, intervient Michi. Mon labo est ouvert, et s'il y a des salles de sport en bas je peux faire suivre à ceux qui veulent un programme de renforcement musculaire et de self-défense...

— Nous pouvons également mettre en place des groupes de recherche d'informations, renchérit Akihito. Histoire de vider pour de bon la bibliothèque de tout ce qu'elle contient d'utile. »

Saki note les idées, les unes après les autres. Aucune n'est soumise à veto, et personne n'exprime d'une manière ou d'une autre son approbation. Mais je ne peux m'empêcher de voir un motif dans tout ce qui est proposé.

Absolument tout a une utilité secondaire. S'entraîner, vérifier qui est là, rechercher des informations.

Ils ne pensent pas en réunion d'un groupe.

Est-ce que c'est la preuve qu'on est encore désunis ? Très certainement. De toute façon, tout ce qui nous rassemble en cet instant précis, c'est le deuil, rien d'autre. Le deuil et la peur.

Et qui aurait envie de faire ami-ami avec un potentiel instigateur, on se le demande.

Sans vouloir faire jouer de l'ironie grinçante, mais je crois que la belle unité des survivants, c'est un mythe. Un mythe brisé par le doute permanent que Monokuma nous fait traîner depuis le début et la perspective de voir l'un.e d'entre nous dans les chambres d'exécution de Monokuma, à un moment où un autre.

Après tout, qui aurait pu se douter que notre leader attitrée était l'Ultime Assassin ?

« Personne n'a rien d'autre à proposer ? Demande Saki, tablette interposée. On peut toujours en reparler plus tard...

— Pourquoi pas... Une séance de cuisine ? »

La voix de Soma est toute tremblotante. Il évite tous les regards et sa propre tablette est serrée contre lui, nous mettant dans l'impossibilité de voir ce qu'il y trafique. Pourtant, c'est bien lui qui vient de parler.

Saki se penche vers lui.

« Développe. »

Ce n'est pas une demande. Soma se met à trembler d'autant plus, mais l'ordre est trop fort et de tout façon, rien ne l'en empêche. Il se contente de déglutir, avant de déballer, d'une traite :

« C'est... C'est facile à organiser, la cuisine, avec un banquet derrière. Je sais que c'est le meilleur moment pour empoisonner quelqu'un, qu'un meurtre est si vite, trop vite arrivé, mais derrière ça permet d'impliquer tout le monde, facilement, et... Et c'est pas une fête, non plus, c'est juste cuisiner et manger, et, et...

— Du calme, Soma, le coupe Michi, d'une voix très douce. Moi, je pense que c'est une très bonne idée. Il faudra juste contrôler que personne ne met du poison dans les plats, voilà tout.

— Avec mon laboratoire et celui de Watanabe, renchérit Shizuka, il sera facile de faire les tests les plus basiques pour les poisons les plus communs. Comme la fameuse mort-aux-rats. J'aurais juste besoin de l'aide des scientifiques parmi vous, voire de Matsuoka, pour que vous vérifiez que je ne fais pas de bêtises... »

Iel me lance un regard amusé, avant de se tourner vers Junko, qui lève les yeux au ciel. Mais cette intervention aura au moins eu le mérite de calmer Soma. Ce dernier se recroqueville sur lui-même, mais a au moins cessé de trembler.

« La cuisine, ça me paraît bien, finit par conclure Akihito. Autant fixer une date pour ça, puisque ça impliquera tout le monde. Dans dix jours, est-ce que ça vous va ?

— En espérant qu'il n'y ait pas de meurtre au bout de ces dix jours, grommelle Daisuke. C'est un élément non négligeable. »

Les yeux d'Akihito s'assombrissent.

« Dans ce cas, cela sera la preuve que de toute façon, se mettre en groupe était inutile. »

Saki serre les dents, avant de finir de noter l'idée. La date dite dans le tableur se voit surlignée. Juste le temps que de nouveau, sa tablette se remette à parler.

« Pour l'exploration, vu qu'on va y aller maintenant je pense, le mieux serait que vous formiez des groupes d'au moins deux.

— Sans moi, grommelle Daisuke. Je pars seul, merci. Pas besoin de vous autres pour me chaperonner. »

Le regard de Saki se teinte de rouge. Je vois ses yeux se plisser alors qu'elle fixe Daisuke, sur son expression les stigmates d'une rancœur toujours bien présente. Le genre de regards qui me fait dire que si elle en avait l'occasion, elle le laisserait crever au coin du donjon et grand bien lui fasse. Mais aucun mot ne sort de sa bouche. Aucune hostilité ne transparaît dans son attitude alors qu'elle soupire et pianote de nouveau sur sa tablette.

« Tu fais partie de ce groupe que tu le veuilles ou non, Nakano. Apprends à fonctionner avec les autres avant de te retrouver posé en tueur ou victime. »

Le silence se fait. Je vois Daisuke grincer des dents, son œil unique lançant des éclairs, mais Saki le regarde toujours avec ce mépris dans les yeux et je pense que personne n'osera protester pour lui. Elle a raison, après tout, Saki. Si on ne fonctionne pas d'un même bloc, on aura aucune chance de s'en tirer, et isoler Daisuke ne fera qu'empirer les choses.

Ça m'agace juste qu'elle ne s'en rende compte que maintenant.

Junko et Yuuki, sans doute pensant que le débat est terminé, se lèvent et se dirigent vers la sortie sans regarder les autres, discutant à peine entre elles. Akihito et Saki les suivent, accompagnés de Shizuka qui m'adresse un sourire énigmatique.

De son côté, Michi se tourne vers moi.

« Désolée si c'est un peu déplacé, Reina... Mais si possible, on peut emmener Soma avec nous pour l'exploration ? Je sais pas, peut-être que tu voulais qu'on ait un peu de temps pour nous après tout ce qu'il s'est passé, mais le laisser seul avec Nakano me rassure vraiment pas, et comme tu as l'air de bien l'aimer... »

Je hausse les épaules.

« Ça me pose pas souci, Michi. On trouvera bien un moment pour toutes les deux plus tard.... Je suppose. »

C'est elle qui l'a demandé. Pourtant, je vois une lueur s'éteindre dans son regard alors qu'elle hoche la tête et se tourne vers l'Illustrateur pour lui faire signe de venir. Sans doute espérait-elle que j'exprime mes réserves. Est-ce que ça la rassurerait ?

Soma se rapproche d'un pas hésitant, rangeant sa tablette dans son sac, et derrière Daisuke, sans doute conscient qu'il n'a pas trop le choix dans cette situation, finit par se joindre au groupe. Nous sommes donc quatre pour explorer ce nouvel étage de notre donjon de la mort.

Michi, de retour dans sa volubilité habituelle, nous fait un grand signe, et se dirige d'un pas impérial vers la sortie alors que nous la suivons, de manière un peu plus hésitante. Sur le chemin de la porte du réfectoire, Daisuke se penche vers moi.

« Désolé princesse. J'interromps votre rendez-vous amoureux, sans doute.

— Je... Enfin pas du tout, » je bafouille, un artefact de rougeur à peine créé sur mes joues, mais je n'ai pas le temps d'ajouter le moindre mot. Soma s'est étranglé à côté de moi.

« Oh non, je dérange ?!? Je suis désolé, Reina, je voulais pas être de trop ! Je peux explorer tout seul, ça m'embête pas, et puis, vous devriez avoir du temps pour vous deux après ce qu'il s'est passé, je...

— Du calme, la crevette, le coupe sèchement Daisuke. Moi ça m'embête. Tamura a raison, t'es une cible facile autant pour un connard que pour Monokuma. Tu restes avec moi, point. »

Ça a le mérite d'interrompre Soma en plein milieu de sa phrase. Pas qu'il m'agace, mais je n'ai vraiment pas envie qu'il se retrouve isolé par la seule force de son impossibilité à se joindre à des groupes. Je me contente de hausser les épaules.

« Il y aura d'autres occasions. Saki a raison sur un point, il faut qu'on reste unis. Jusque-là, ce qui nous a maintenus en bloc, c'était Haruko. Derrière, tout ce qu'on ressent pour les autres en général, c'est au mieux un attachement, au pire et très souvent de la méfiance... »

Soma baisse les yeux avant de suivre Michi dehors, mais Daisuke retient la porte au moment où elle allait se refermer sur moi. M'empêchant ainsi de passer.

« Tu prends vraiment ta relation au sérieux, princesse ? »

Je hausse un sourcil.

« Comment ça ?

— Gaffe, hein, je vais pas t'accuser d'être toxique. Je sais que c'est compliqué pour toi. Le truc, grommelle Daisuke, c'est que j'ai l'impression que Sasaki passe en dernière priorité et ça risque de commencer à lui peser. »

Une grimace se forme sur son visage alors qu'il m'empêche de passer.

« Vous avez eu un moment à vous depuis que vous êtes ensemble ? Un moment de calme ? Où vous êtes seules, sans trop de stress ou autres missions spéciales Tuerie ? Réfléchis-y bien. »

J'ouvre la bouche.

La referme.

Encore.

Rien n'en sort.

Il a raison. Je n'arrive pas à penser à un seul moment où nous avons pu nous poser au calme. Certes, le contexte ne le permet pas, mais quand même... Est-ce qu'elle pense que je la fuis ?

Une vague de culpabilité vient m'étreindre le cœur alors que je réfléchis à ce que j'ai fait ces trois dernières semaines. Chercher des informations. Aider Haruko. Stresser. Révéler mes secrets. M'enfermer dans mon travail pour oublier la menace.

Le visage de Daisuke s'adoucit un peu.

« T'as intérêt à mieux ménager ton emploi du temps, princesse. Parce que cette fille-là, elle le mérite. Et j'pense que vous avez une chance à condition d'y mettre du tien. Même si c'est seulement pour deux ou trois mois. »

Il me fait signe de sortir, avant de refermer la porte derrière lui. Et nous rejoignons Michi et Soma, qui nus attendaient plus loin, dans le silence le plus total.

L'escalier qui mène au quatrième sous-sol était caché derrière une armoire pleine de livres que je n'avais même pas remarquée. J'aurais bien aimé m'arrêter pour les déchiffrer et chercher ces informations capitales qui pourraient peut-être m'aider à interrompre cette Tuerie, mais visiblement, les trois autres n'ont pas l'air d'être très intéressés par cette perspective. Pas d'autre choix donc que de les suivre, jusqu'au quatrième sous-sol.

Monokuma n'avait pas menti. Comparé à l'ampleur de la bibliothèque précédente, la zone qu'elle nous annonce n'est pas bien grande. Je vois une pièce remplie de machines d'arcades dans un coin, à peine éclairée au néon, vague souvenir des salles où certains tentaient de me traîner après la fin des cours. Hina les adorait. Moi, même en tant qu'amatrice de jeux vidéo, je n'ai jamais vraiment su m'y accrocher.

Yuuki est évidemment accrochée à l'une d'entre elles, les yeux brillants alors que le petit bonhomme de Pac-Man avale fruit sur fruit, évitant les quatre fantômes colorés avec aisance. Junko la regarde de derrière, son expression bien plus douce par rapport à d'habitude.

Dans un autre coin, une salle de sport vitrée transparente s'ouvre sous une lumière beaucoup plus blanche. Assez peu de machines, mais beaucoup de poids. Certains qui semblent frôler les cinquante kilos de fonte. Tout y est, haltères, disques de fonte, cordes, machines qui pourraient presque s'apparenter à de la torture. Akihito est sur l'une d'elle, torse nu, les mains serrées autour d'une barre portant un nombre respectable de poids. Je vois sous ses pectoraux les cicatrices d'une chirurgie mammaire, encore bien fraîches. Sans doute a-t-il pu la faire seulement récemment avant de se retrouver ici.

Shizuka est à côté de lui, en train d'examiner avec soin ses exercices. Iel prend des notes dont j'ignore la teneur, mais cela ne semble pas déranger le Chroniqueur, qui continue de pousser de la fonte avec le même entrain. Dans un coin de la pièce, Saki sort des vestiaires en rassemblant ses cheveux blancs en une coiffure haute. Elle est en crop top et mini-short, des genouillères et des coudières sur les articulations, et se dirige droit vers une machine. Sans doute est-ce sa définition d'explorer.

Je ne saurais expliquer pourquoi en même temps que mes joues se colorent d'une douce teinte rouge, un regret qui n'est pas le mien m'étreint le cœur. Mais je pense qu'on finit par avoir l'habitude. Je ne suis plus à un phénomène étrange près.

Sauf que plus personne n'est là pour me les expliquer.

Le regret étranger se fond en un que je ne peux que reconnaître. Je crois que Sora ne cessera jamais de me manquer.

Michi, qui surprend mon regard, m'adresse un clin d'œil.

« Elle est belle hein ? Même si elle est insupportable, on peut pas lui enlever ça.

— Insupportable, j'irai pas jusque-là, je réponds, encore un peu embrumée. Elle a été une excellente amie, et...

— Et tu peux pas lui enlever qu'en ce moment, elle est chiante, me coupe Michi, la voix pleine d'un fiel que je sens dirigé ailleurs que vers moi. Elle est pragmatique quand ça l'arrange, garde des rancœurs pour n'importe quoi et nous fait la leçon sur se mettre en groupe alors qu'elle est même pas capable de s'excuser pour t'avoir traité comme de la chiasse. Ne va pas me dire que tu lui en veux pas pour ce qu'elle t'a fait ? »

...

Est-ce que je lui en veux ?

Michi soulève un lièvre, là, si je puis dire. Est-ce que j'en veux encore à Saki alors qu'elle a quand même essayé de communiquer avec moi, qu'elle fait des efforts pour le bien d'un groupe qu'il faut essayer de préserver et qu'elle prend en main un rôle que je me refuse à assumer ?

...

Je ne devrais même pas ressentir cette colère, et pourtant. Pourtant quand j'y pense, j'ai envie de hurler.

Quand j'y pense, tout est parti du moment où Hina a été exécutée.

Ou Kichiro a été tué.

Ce moment d'une Tuerie ou tu sais que tout a basculé.

Avant, pourtant, on s'entendait si bien. On était comme les doigts de la main. On s'est disputées, plus d'une fois, pour des raisons diverses. Parce que j'ai laissé Hideki me filer entre les doigts alors qu'Hina voulait qu'on réussisse à construire quelque chose, parce qu'elle voulait être heureuse avec lui et avait laissé tomber ce rêve pour qu'il soit heureux avec moi. Parce que quand j'ai expliqué ma haine des hommes, aucune des deux n'a vraiment pu me comprendre, malgré leurs expériences partagées, et m'en ont voulu d'être « à ce point misandre ». On s'est accrochées malgré les nombreuses disputes et on a tenu, toute l'année scolaire, malgré la peur et le Désespoir, les dramas d'une école et les problèmes d'une adolescente perdue.

Pourquoi ça doit s'écraser maintenant ?

Une pression sur ma main me ramène à la réalité. C'est Michi, les yeux brillant d'une joie presque lutine. Quelque chose semble lui avoir donné une idée, et je ne sais pas si je vais l'apprécier ou non...

« Eh, Reina, tu sens ça ? Ça sent, ça sent... Le chlore !!! »

... Le chl-

Oh seigneur vous qui n'existez je ne sais comment épargnez-moi cette épreuve.

Daisuke a relevé la tête, un peu plus loin, et je vois Soma déglutir. Mais trop tard. Michi m'a déjà traînée jusqu'à la double porte du centre de cet espèce de couloir, avant de la passer en coup de vent.

Tout ça pour révéler le pire cauchemar de n'importe quelle pansexuelle perdue.

Une piscine.

Une foutue piscine d'agrément avec un toboggan et tout le bordel.

Seigneur Jésus de la pan panic, je sens que je vais le sentir passer.

Trop tard pour protester. Si j'ai vraiment envie de protester. A peine ai-je eu le temps de voir cet Enfer Aquatique (aha.) que Michi me traîne jusqu'aux portes non loin qui doivent abriter des vestiaires. Dont Monokuma a visiblement été suffisamment polie pour rajouter une option non-binaire, trop aimable... Enfin ça servira sans doute à Shizuka. Lae seul.e non-binaire qu'il nous reste, aux dernières nouvelles.

J'aime bien me baigner. Mais ça implique montrer un certain nombre de cicatrices sur mon corps qui, certes sont moins impressionnantes que celle qui orne ma tempe, mais restent néanmoins bien présentes. Bon. Après, Daisuke et Soma n'en sont plus à ça près, en termes de cicatrices, et j'ai déjà pu voir de très près que Michi avait eu son propre lot de blessures... Pendant son examen médical. Pendant son examen médical. Pas à un autre moment à part maintenant. À part maintenant où elle se change sans la moindre gêne devant moi et ou j'ai tout le loisir de regarder celle qui descend dans le bas de son dos, jusqu'à... Non, pas là, nom d'un chien !!!

Par tous les esprits qui habitent cette terre, elle va me tuer avant la fin de cette journée.

Un énorme « plouf » se fait entendre de dehors. C'est Daisuke, je ne peux que constater en sortant, qui tient Soma en short-Tshirt sous son épaule. Le pauvre se couvre précipitamment la partie du visage que je sais ravagée, heureusement assez vite pour que le Révolutionnaire facétieux (si on peut vraiment dire facétieux au vu de sa tête absolument vide d'émotions) ne puisse pas voir ce qui s'y trouve vraiment.

Daisuke lui-même est de toute façon recouvert de cicatrices. Son torse, qu'il affiche sans la moindre honte, est plus traversé de tissu cicatriciel que de peau saine. Je crois même qu'il lui manque un morceau du pectoral. Ça ne l'empêche pas, visiblement, de nager en short de bain uniquement en tenant un Soma gêné et paniqué sous le bras. A croire qu'il prend très au sérieux cette idée de groupe. Ça m'étonne presque de lui, tiens.

Je mets un orteil dans l'eau. Puis un autre. Puis finalement, mon corps entier, que je guide jusqu'à un coin de mur loin des deux garçons en pleine... Activité, je suppose, même si je plains Soma qui à l'air d'être à deux doigts de se noyer sous la nage très, très rude de son geôlier. Ça me permet de me soustraire, de toute façon, à leur vue et à celle de la porte.

Mais pas à celle de Michi, qui me rejoint dans l'eau en achevant de relever ses cheveux. Et seigneur ce que je peux être gay. Plus encore quand elle sourit.

« On se détend un peu, ma puce ? »

Je hoche la tête, incapable dans mon homosexualité de dire quoi que ce soit de plus. De toute façon, je pense que ça ne va pas s'arranger, vu comment elle se colle à moi. Dans l'eau. Peau contre peau, et avec ce sourire...

Je vais vraiment mourir.

Mes cheveux me collent à la peau. Le gros désavantage de se les laisser pousser. Dans une tentative de reprendre le contrôle de moi-même, j'essaye de les écarter de mes épaules, d'en faire un truc, histoire d'oublier qu'autre chose me colle à la peau en cet instant précis, mais sans succès. Deux mains remplacent les miennes, et un rire émane de la gorge de Michi alors qu'elle commence à jouer avec mes cheveux.

« M'en veux pas trop, ma puce, mais je vais pas te laisser me piquer ce privilège... »

Son rire se fait un peu plus doux. Bordel, je suis gay.

« J'ai toujours beaucoup aimé faire ça. Avec mes précédentes copines, j'étais presque la coiffeuse attitrée, et bon, j'ai eu de l'entraînement sur mes petites sœurs, aussi... »

Dit-elle alors que je ne peux même pas me concentrer sur ce qu'elle fait de mes cheveux tant ses mains accaparent toute mon attention. Ses mains et le reste de son corps, d'ailleurs. Le temps d'une seconde, une minute, j'oublie où nous sommes, le danger qui règne, et un désir ancien vient me remuer les tripes pour la première fois depuis très longtemps.

Juste assez longtemps pour qu'un visage souriant encadré de cheveux blonds seulement décrit dans les livres ne se rappelle à mon attention.

Aussitôt, je me tends. Fort. Assez fort pour que Michi stoppe tout mouvement dans mes cheveux.

« Ça ne va pas, Reina ? Je... Tu veux que j'arrête ? »

La question est tellement... tellement sincère, tellement pleine de déception sous-jacente alors que pourtant, les doigts de Michi se retirent presque immédiatement de mes cheveux que je ne peux m'en empêcher. Une pulsion m'oblige à l'attraper par les épaules, à fourrer ma tête dans son cou, tout plutôt que de fondre en larmes devant cette sensation de solitude que mon propre corps nous impose à toutes les deux. Une ultime protection qui ne m'empêche pourtant pas de bafouiller.

« Non, je... Je suis désolée... »

Michi me serre dans ses bras sans perdre une minute, et je ne peux m'empêcher d'y voir de l'urgence, comme si j'allais lui filer entre les doigts, comme si cette instant était rien de plus qu'un moment éphémère jamais reproduit.

Ce qui, évidemment, m'étreint d'autant plus les tripes.

« Je... Je ne voulais pas te rendre mal à l'aise, je ne voulais pas te négliger, je ne voulais pas... ça n'a rien à voir avec toi, je déblatère, à deux doigts de rompre cette dernière barrière et de fondre en larmes. Ça a juste à voir avec moi et mes fichus problèmes que je ne suis même pas fichue de gérer correctement. J'ai jamais voulu te blesser, je veux pas, je veux pas, je...

— Reina, chuchote Michi en me caressant doucement le dos. Calme-toi. Je t'en veux pas parce que c'est dur pour toi. Tu viens de perdre deux personnes que tu aimais et tu sais pas quoi faire maintenant, c'est normal. Je ne veux pas te forcer à quoi que ce soit juste parce que moi aussi, j'ai peur de te perdre. Ce ne serait vraiment pas très juste pour toi surtout au vu de ton passé. »

Sa main quitte mon dos pour retourner dans mes cheveux. Et petit à petit, sa voix apaise les battements de mon cœur.

Du coin de l'œil, je surprends Daisuke traîner Soma en dehors de la piscine. Il me jette un léger regard en coin au moment de passer les portes, toujours en maillot de bain. Je crois même voir se former sur ses lèvres un semblant de sourire. Mais peut-être est-ce simplement parce que je suis trop loin pour discerner les traits de son visage.

« Je... Ne veux pas te perdre non plus, Michi, je finis par soupirer, un peu calmée, une fois la piscine rendue à nous-mêmes. D'aucune façon. Et je ne veux pas me sentir injuste envers toi ou te donner l'impression que je te fuis...

— Mon amour. Ça va aller. »

Mon amour.

Le surnom fait monter en moi une vague de chaleur presque trop forte pour être naturelle. Pourtant, là, dans l'eau et au creux des bras de celle que j'aime... Je me surprendrais presque à apprécier.

« On est dans une Tuerie, continue de chuchoter Michi de sa voix toute douce. Et tu essaies de nous faire sortir au maximum de vivants. Je trouve que c'est louable de ta part d'avoir l'espoir qu'on ait plus de quelques mois à vivre ensemble. Et je t'aime d'autant plus pour ça.

— Mais si derrière je te néglige...

— Je sais pas ce que t'en penses, rigole Michi, une pointe d'humour dans la voix, mais moi j'ai pas l'impression que tu me négliges en l'instant précis. On communique. On se fait des câlins. Et on est seules dans cette piscine, vu que Daisuke et Soma sont partis rejoindre les autres. Moi, ça me paraît beaucoup être un moment pour toutes les deux. »

... C'est vrai. C'est vrai, sans doute.

Ma culpabilité me dit encore que c'est un moment glané parce que Daisuke a décidé de râler sur ce point, avant d'entraîner Soma tel un sac à patates.

Mais je n'ai pas envie d'écouter ma culpabilité. Pas maintenant.

Michi relève mon visage de son épaule. Sa main se glisse sur ma joue.

« Tu permets ? »

Je hoche la tête. Oui, plus que jamais oui.

Elle se penche.

Juste un peu.

Ses lèvres sont sur ma joue. Longtemps. Pas assez longtemps toutefois à mon goût. Je sens ses mains jouer avec l'élastique de mon maillot de bain. Les miennes rejoignent ses épaules. Ce n'est pas encore aujourd'hui que je chercherai plus loin. Et elle non plus, je le sens dans la retenue de ses gestes. Mais quelque part, c'est déjà beaucoup.

Quelques instants deparadis volés au cœur d'un Enfer Aquatique.

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