Chapitre 4 (16) : Hurry

Je suis debout dans une salle vide.

Devant moi, un corps et une table remplie de scalpels.

J'ai fait l'autopsie. Il m'a fallu du temps, il m'a fallu énormément de prise sur moi, bien plus qu'avant, bien plus que pour les autres corps, même Sora qui me tombait en morceaux entre les doigts, même Ryo qui est devenu sujet de test mille et une fois, même Kichiro, le premier que j'avais dû voir dans cet état.

L'état d'Akihito était, à ma défense, à ce point effroyable.

Ses quatre membres sont déboîtés de leurs articulations. Son bras droit, que je replace délicatement sur son buste, ne tenait plus que par quelques lambeaux de chair déchiquetées, un vague reste d'humanité. Sa mâchoire m'est restée entre les doigts quand j'ai voulu la refermer, ses dents me tombant, une à une, des mains pour tinter sur le sol.

J'ai dû les recueillir dans une boîte qu'il tient désormais au niveau du cœur.

Et le nombre de bleus. Le nombre de plaies.

Ce n'est pas seulement un amas de chair, plus ou moins pourrissante, comme d'autres personnes que j'avais appris à apprécier. C'est un tas de lambeaux, un amoncellement de débris, toutes les métaphores que vous voudrez pour dire qu'il a presque littéralement été déchiqueté.

Son corps est encore tiède. À tous les coups, il n'est pas mort il y a tant de temps que ça, trois heures tout au plus. Au vu du fuseau horaire, j'en déduis qu'on l'a trouvé vers quatorze heures, heure du japon, mais ça ne m'aide vraiment pas. Impossible de savoir si nous en sommes proches ou si notre horloge biologique est complètement déréglée à cause de l'absence d'heure et le faible nombre de repères.

Pas grand monde sait interpréter la course du soleil sur un désert, après tout.

Ça ne m'aide je dois bien l'avouer pas beaucoup. Savoir quand il est mort ne m'apporte rien, même si ça innocente de manière plus sûre, du coup, Saki et Soma, qui sont restés avec moi très longtemps, sans doute plus de trois heures. Nous avons après tout petit-déjeuner et déjeuné ensemble. Et je ne sais absolument pas comment il est mort. Ce que j'avais cherché à savoir.

Ses plaies sont très clairement causées par du contondant. Mais son corps a tellement subi que je doute être capable d'identifier l'arme si je ne l'avais pas sous les yeux. Ce n'est pas comme avec Kichiro. Ici, ça pourrait être n'importe quoi de lourd et de manipulable.

... Je devrais peut-être compter les armes de la cache d'Haruko.

Puisque Monokuma a eu la politesse de ne pas les mettre en vrac.

En attendant, Akihito ne peut plus rien m'apprendre. Il est temps de le laisser reposer en paix.

Je referme le caisson.

Et me voilà dehors.

Les mains encore empuanties du sang qui a coulé sur mes gants.

Personne ne m'attend dehors. Même pas Monokuma. Ça me laisse pas mal de marge pour enquêter de mon côté, même avant d'aller chercher Michi. De toute manière, je préfère ne pas la brusquer, du coup... Rendez-vous sur la scène de crime. Avant que tout le monde ne passe et repasse dessus...

Dans le couloir, il y a deux types d'empreinte. Celles de Monokuma, très reconnaissables, qui partent de la scène de crime pour se diriger vers le couloir du belvédère. N'empêche, je me demande ce qu'il y a de si intéressant par là-bas... Enfin bref.

L'autre type d'empreinte, celui qui m'intéresse le plus, est une forme de chaussure dotée, visiblement, d'une solide paire de talons qui semble se diriger dans la direction opposée à celle de Monokuma. Un autre labo, peut-être, ou la zone de plaine ou de rivière. Vu qu'Akihito était au bord du couloir du belvédère, ça ne m'aide pas beaucoup. Je ne peux pas la suivre très, très loin, mais bon...

Si j'en juge par l'écartement entre chaque pas, la personne qui portait ces chaussures courait.

Difficile de se faire une idée de la taille du pied vu les interférences de Monokuma et la précipitation du porteur de ces chaussures. Mais au moins, je peux écarter encore davantage Soma. Impossible qu'il porte ce genre de talons. Daisuke est aussi exclu, mais rien n'est encore sûr. Dans tous les cas, il s'agit peut-être d'un témoin, et le meurtrier a suivi la bonne idée de Junko avant d'aller cacher les preuves.

Sur la scène de crime, personne. C'est je crois la première fois que je peux enquêter dans le clair, et que les lieux du meurtre sont vides de témoins. C'est une de mes demandes, certes, mais quelque part je me dis que c'est une marque de confiance sans doute mal placée. Si je n'avais pas réussi à me sécuriser d'alibi...

Enfin, c'est sans doute pour ça qu'ils m'ont laissée évoluer seule sans trop de tracas.

De toute façon, je n'ai pas le temps de m'en préoccuper.

La scène de crime. Maintenant qu'elle est vidée du corps, cela me semble beaucoup plus aéré. Je ne sais pas si je vais y trouver grand-chose, mais bon...

Procédons avec méthode. D'abord, un tour d'horizon.

Exprimons l'évidence, celle salle est un bordel sans nom. Le sang partout, la chaise renversée, les papiers éparpillés, puisque visiblement Akihito ne travaillait pas avec un ordinateur. Plein de dossiers au sol, même sans le sang.

Et ces mots sur le mur.

Menteur.

Pourquoi les avoir écrits ? Dans un accès de rage, où pour nous entraîner sur une fausse piste ? Les deux options sont très probables.

Passons aux petits détails que je peux remarquer d'un regard.

Le plateau d'Akihito est encore sur le bureau. Vide. Donc, soit il a mangé, soit le meurtrier a mangé son repas. Ou bien l'a jeté. Dans le premier cas, ça innocente un peu davantage Saki. Dans le second cas, cela s'est produit avant la mort, vu les taches de sang sur le plateau. Et cela m'étonnerait qu'Akihito ait mangé avec quelqu'un qui ne soit pas Saki, alors qu'elle a mangé qui plus est avec nous...

Ça fait beaucoup de spéculations, je ferais mieux de ne pas partir trop loin. Le troisième cas me semble assez peu probable. La poubelle est vide, et vu les taches de sang, cela voudrait dire que le repas a été jeté avant le meurtre. En dehors de la salle. Un peu idiot de faire ça.

Mis à part ça, l'écriture des mots est indéfinissable. Souci ? C'est de l'anglais. Encore plus compliqué de demander à certains, mais ça innocente déjà pas mal Michi.

Ironique que sa non-connaissance de la langue soit ici un atout.

Hmmm. Ne négligeons pas, toutefois, le fait que la scène de crime ait pu être modifiée post-mortem. Pour porter le blâme sur quelqu'un, peut-être.

Les dossiers d'Akihito pourraient peut-être m'indiquer davantage d'informations... Si seulement je savais sur quoi il chroniquait.

J'en prends un au hasard et fronce les sourcils.

Des feuilles blanches.

Le suivant, aussi.

Et encore le suivant.

Et encore.

Des feuilles blanches, ou des articles de journal qui ne sont pas les siens, sans doute du matériel d'inspiration. Rien qui n'ait été écrit par lui là-dedans. Pas de traces de sang sur les dossiers, par ailleurs, pas même minime, à part ce qui a giclé. Difficile à croire que quelqu'un a touché ces dossiers après l'avoir tué.

Bien.

Les petits détails, maintenant.

La méthode, toujours la méthode.

Je me penche au sol, essayant au maximum d'éviter le sang. Beaucoup trop de gens ont marché dans les flaques, je ne peux plus identifier les empreintes de pas, mais je m'y attendais. Nous sommes des Ultimes, pas des détectives professionnels. Nous sommes aussi et surtout des adolescents incapables de savoir comment se comporter face à une scène de crime.

Il a fallu apprendre dans l'expérience.

Le sang qui a coulé dans tous les sens ne m'indique absolument rien sur comment le corps s'est déplacé pendant, ou après le meurtre. Sans doute a-t-il été frappé directement sur sa chaise, vu qu'elle était renversée, ou à côté, mais rien ne prouve qu'il ait ensuite été ou non déplacé. À cause de la quantité de sang, et à cause de nous, ayant trop évolué sur la scène de crime.

Beaucoup trop de pistes ont dû être brouillées par notre désespoir.

Et est-ce que je peux vraiment blâmer les gens d'avoir trop souffert ?

Je ne crois pas, non.

Un éclair de lumière attire mon attention près du sol. C'est un reflet, un reflet de la lampe du plafond sur du verre. Sur des morceaux de verre, plus précisément. Celui que je vois est un simple débris non identifiable, mais lorsque je le prends entre mes doigts, des graduations se dessinent sous ma peau, et je le reconnais pour ce que c'est.

Un débris de seringue.

Et de toute façon, au cas où ce n'était pas suffisamment clair, il y a la pointe de l'instrument et un morceau de verre déjà plus identifiable à côté de mon pied.

Donc quelqu'un a amené une seringue ici. Peut-être drogué Akihito. Je dis peut-être, car je n'ai aucun moyen de le prouver. On se rappelle de Ryo. Chat échaudé craint l'eau froide.

Et surtout, son corps comportait tant de lésions et avait perdu tant de sang que même si j'avais pu le faire tester par Shizuka d'une manière où d'une autre, on aurait sans doute pas trouvé grand-chose de plus. Pas de traces de piqûres évidentes, pas de produit dans son sang, rien. Son corps était trop blessé pour que je puisse repérer, du premier coup, une trace de piqûre.

... Je devrais retourner voir.

Je ferais peut-être ça après l'interrogatoire. Si je me sens de ressortir de son repos éternel un corps mutilé par pareille violence.

En attendant, je sors un sac plastique de ma poche, avant d'y ranger un à un les débris de seringue. Il y a peut-être quelque chose que je pourrai en faire.

Regarder attentivement le reste ne me permet pas de déterminer une arme du crime. Au vu des blessures d'Akihito, il faudrait au moins un pied de biche, l'éclater répétitivement sur le bureau ne suffirait pas, et à force je me dis que les traces de sang seraient probablement très différentes, si ça avait été le cas. La chaise aurait pu être une solution, mais contre ses os, il y aurait probablement eu des lésions caractéristiques sur le plastique de la chaise. Pourtant, pas de fissure, pas d'usure, rien d'autre que le sans et un coup à l'endroit où elle a touché le sol. Pas suffisant.

L'arme, s'il y en a une, a sans doute été sortie de la scène du crime.

Par contre, il y a autre chose d'intéressant sur le sol. Les papiers, sur quoi Akihito semblait travailler. Recouverts d'une très fine écriture, gisant à côté d'un stylo plume encore ouvert, dont l'encre goutte encore doucement dans le sang. Les fameuses chroniques.

Au vu du mot sur le mur, peut-être que les regarder pourrait m'apporter au moins un mobile, même simulé.

Les feuilles sont imbibées de sang presque dans leur totalité. Impossible de déchiffrer le sujet, et les idéogrammes d'Akihito sont assez particuliers. Mais j'arrive quand même à détacher quelques mots de derrière le rouge.

Sur un papier, « l'Omnisciente et les Monokuma ».

Sur un autre, « gouvernement », « Stratège » et « Projet Renaissance ».

Sur un troisième « génie scientifique fou » et « Kazumi Mizutani ».

...

Tiens, tiens, tiens.

On dirait qu'Akihito avait de quoi se mettre solidement les gens à dos.

Rien que ces papiers doivent frapper très fort en plein dans les petits secrets de Junko, Saki et Shizuka. Intéressant.

Quel dommage que je ne puisse pas en lire davantage. Akihito savait sûrement des choses qui me sont encore étrangères. Mais à mon avis, si son matériel d'information se trouvait dans les parages, soit le tueur l'a emporté, soit le sang l'a ruiné. Je n'en saurai très probablement pas davantage.

Au cas où, je jette un œil dans le reste du laboratoire, mais cela ne fait que confirmer mes soupçons ; Quoi qu'ait été le secret d'Akihito, il l'a emporté dans la tombe.

Je glisse les papiers dans un autre sac plastique. Je verrai ce que je peux en récupérer plus tard.

En attendant, le labo d'Akihito ne m'apprendra je pense rien de plus. Toutes les informations nécessaires sont dans mon sac, et pour le reste, j'aimerais autant ne pas rester plus longtemps dans cet univers de tragédie. J'ai une enquête à finir, et je ne pourrai ignorer ma nausée très longtemps.

Au sortir de la pièce, par contre, j'ai une étrange surprise.

En la présence de Shizuka, qui se tient, autant surprixe que moi, devant la porte du laboratoire d'Akihito.

Je plisse les yeux. Personne ne l'a prévenu.e de rejoindre le réfectoire ?

« Tiens. Reina Satou en personne. Qu'est-ce que tu fiches ici, toute seule ?

— Je te retourne la question, Shizuka, je réponds, essayant de présenter la façade la plus froide possible pour ne pas me laisser déstabiliser. J'avais demandé à ce que tout le monde rejoigne le réfectoire. »

Un léger sourire se dessine sur ses lèvres. Un frisson me parcourt le dos, mais je l'ignore. Ce n'est pas le moment de se laisser distraire.

« Au vu de l'alarme que je viens d'entendre, tu as donc décidé de prendre l'enquête en main seule. Intéressant.

— Tu as un problème avec ça, Shizuka ? »

Ma question est teintée de défiance, bien que je la pose vraiment. La présence de l'Ultime Généticien.ne dans ce couloir alors que tout le monde devrait avoir rejoint le réfectoire est bien assez étrange pour que je me le permette. Mais ce.tte dernier.e ne semble pas en prendre ombrage. Iel se contente de hausser les épaules.

« Pas plus que ça. Je suppose que les autres avaient de bonnes raisons de te laisser faire. Et, pour répondre à ta question, je dois avouer que tu m'apprends quelque chose. Depuis l'alarme, je n'ai croisé personne. Sans doute ne se préoccupaient-ils pas de me chercher. »

... ça se tient. C'est vrai que ce fichu donjon est suffisamment immense pour que quelqu'un soit introuvable. Les seules personnes qui n'ont pas vu le corps avec moi étant Michi, Yuuki et Shizuka, l'un.e étant beaucoup moins facile à dénicher que les deux autres, en général. Mais je reste méfiante, malgré tout.

« En parlant de ça, Shizuka. Tu faisais quoi, ce matin ?

— Tout de suite le questionnaire... Tu ne veux pas attendre le procès ?

— Non. »

Ma voix a claqué dans l'air du couloir. Je n'ai pas la patience de suivre le petit jeu de Monokuma. Je veux son alibi, si iel en a un. Je veux en finir vite, je veux avoir la possibilité, pendant ce procès, de sortir un nom dans les premières minutes. Qu'on doive le discuter ou pas.

Shizuka hausse un sourcil, mais ne se départit pas de son sourire de travers.

« Navré.e de te décevoir mais je ne peux rien prouver pour toi. Ce matin, je ne faisais pas grand-chose. J'étais dans la bibliothèque une partie de la matinée, mais impossible de te dire quand à cause de Monokuma. Par contre, quand je suis remonté.e vers les laboratoires, un peu de temps après mon petit déjeuner... »

Iel pousse un profond soupir, avant de désigner la porte encore ouverte du labo d'Akihito, puis l'empreinte de pas ensanglantée.

« Je suis tombé.e sur ça, et le spectacle fort désagréable du corps du Chroniqueur en train de se refroidir sur un coin du mur. Pas très agréable à voir en vérité. »

Je me crispe. Shizuka... A vu le corps ???

« Et tu n'en as parlé à personne ?

— À qui ? Sourit une Shizuka imperturbable. Je n'ai vu personne de la journée, et l'alarme ne se déclenche pas sur un seul témoin. De toute façon, tu sembles être tombée dessus bien avant que je ne te trouve, non ? »

... Et encore une fois, la taille de de maudit donjon joue contre moi. Impossible de déterminer si ce qu'iel me dit est vrai ou non. Mais cela ajoute une toute nouvelle donnée dans l'enquête. Car désormais, l'alarme n'innocente plus à coup sûr ni Saki, ni Soma. Ils sont uniquement mis de côté par un alibi qui ne tient que faiblement.

Et je commence à enavoir marre de ces enquêtes qui se transforment en sac de nœuds.

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