Chapitre 3 (9) : First confession
TW : mention et description graphique d'homophobie, d'agression homophobe systémique, de mort, de situation gynécologique engageant le pronostic vital, un peu de sexisme, et puis derrière y'a une légère discussion sur les limites sexuelles mais sapass c'est pas trop freaky-
C'est une sacrée liste de TW mais j'vous promets ça en vaut la peine... *actuellement en sueur*
Allez, Reina. Allez. Tu peux le faire. Tu peux y arriver.
Il va bien falloir, de toute façon.
Alors pourquoi cette fichue porte me fait-elle aussi peur ?
Toque, bon sang, ce n'est pas compliqué, ce n'est pas difficile, pourquoi tu ne toques pas- je n'arrive pas à lever le poing.
Une demi-heure que je tourne en rond devant cette porte. Sora est déjà passé dans le couloir deux fois, il est sûrement en train de demander ce que je fabrique. Voire a des souvenirs de Kichiro ayant le même comportement. J'espère que non, mais il faut bien avouer que ma manière d'agir n'est que trop semblable à la sienne.
A la différence que là, c'est ma mort qui me guette derrière cette porte.
Je soupire. Allez, encore une tentative. Je dois y arriver. Nom d'un chien, ça n'a rien de compliqué de donner une fichue réponse ! Pourquoi je suis tétanisée, pourquoi je n'arrive pas à parler, pourquoi je ne me suis pas simplement enfuie, pourquoi suis-je aussi minable, pourquoi-
« Reina ? »
... Eeeeeeet la porte s'est ouverte. Bravo, Reina, comment te ridiculiser à coup sûr ! Meilleure entrée en matière pour parler à Michi, super, vingt sur vingt. Poids sur vingt, même.
Cette dernière a l'air un peu surprise. Rien d'étonnant. Pendant notre dernière interaction, je lui ai envoyé une beigne que je regretterai pour l'éternité.
« ... tu veux... Quelque chose ? »
Je déglutis. Allez, c'est le moment.
« Je voulais juste m'excuser, et... Te parler.
— t'excuser ? Si c'est pour la baffe que tu m'as mise pendant ta crise d'angoisse, t'inquiète, je comprends le truc. Je suis plus vexée que tu m'aies pas causée pendant trois jours, mais bon, vu que t'es là et un peu en PLS, j'imagine que c'est pas non plus vraiment de ta faute. Allez, c'est pardonné, ça c'est fait, si ça va mieux je retourne à mes activités...
— ... Non, attends, s'il te plaît. »
Cette impression de me faire mettre dehors est horrible. Terrifiante, même. Parce que je sais que si cette porte se referme sur moi, je n'aurai plus jamais le courage de la rouvrir. Mais je la mérite, et je mériterais même que Michi m'écrase les doigts en même temps que ce qu'il me reste de cœur, mais elle se contente de hausser les sourcils.
« Eh, ça va ? tu veux me dire quoi ? »
Je prends une profonde inspiration. Maintenant ou jamais.
« Je voulais... te donner ma réponse. »
Aussitôt, je vois le visage de Michi se tordre. En une émotion que je ne peux m'empêcher de détester. Une anticipation mêlée de terreur.
« Entre. »
Ma jambe s'avance. Et je passe la porte de l'Enfer d'un pas tremblant mais décidé.
Ou bien est-ce celle du Paradis ?
Je ne le saurais qu'en sortant.
La chambre de Michi est très à son image. Décorée de posters de toutes sorte, avec le code moral du judo affiché dans un coin, le plus colorée qu'il soit possible de l'être dans un environnement pareil. Elle prend place sur son lit, orné d'un drap blanc, et me fait signe de m'asseoir où je le veux. Je décide de prendre le fauteuil, et ce choix de ma part semble la faire grimacer.
« T'es sûre de toi, hein ? C'est définitif ? Je veux pas que ce soit un « non, mais », je veux qu'on soit claires... »
Je hoche la tête.
« Ce sera ma réponse... Définitive. Mais avant que je ne te la donne, il faut que je t'explique... Pourquoi je n'ai pas pu te la donner.
— Oh là, oh là, oh là, s'exclame Michi, les yeux écarquillés. T'es pas obligée, hein ! J'ai pas à savoir toute ta vie juste pour ça !
— Écoute, s'il te plaît, Michi. C'est important aussi pour moi. »
Elle se crispe, mais n'ajoute rien de plus. Elle se contente de se pencher en avant, alors que je prends une profonde inspiration, et entonne le discours que je répète depuis hier, depuis ma conversation avec Khalil. Ou même non. Celui qui me tourne dans la tête, en boucle, depuis celle avec Daisuke.
« Lorsque j'ai obtenu mon diplôme, mon premier acte a été de signer pour une mission humanitaire dans un village congolais encore trop touché par les séquelles de la colonisation et de l'exploitation occidentale. Je voulais aider, je voulais que mon talent serve à quelque chose, et je voulais me montrer digne de mon privilège. Car tu peux t'imaginer qu'en tant qu'héritière d'un conglomérat à plusieurs milliards de yens, on me montrait très souvent du doigt comme la vilaine riche à abattre... On le fait d'ailleurs toujours. »
Et puis je voulais qu'on me reconnaisse enfin pour moi, et pas juste pour l'ex héritière. Je voulais servir à quelque chose, je voulais pouvoir aider au progrès, contribuer à mon niveau déjà énorme. L'idée d'être un de ces génies de décoration me révulsait, j'étais persuadée que mon but dans la vie était d'apporter le plus d'aide possible. Quelque part, je le suis toujours.
Michi écarquille les yeux. Elle le sait, elle le sent, je suis en train de lui raconter un de mes plus gros secrets, celui que j'ai caché pendant ces deux dernières années. Le secret qui s'est mis entre elle et moi, celui qui encore aujourd'hui me terrifie à l'idée qu'on le découvre. Mais si je veux lui donner une réponse claire...
Je dois lui dire.
Je dois tout lui dire.
« Alors j'ai signé. Quelques mois plus tard, je suis partie en Afrique. Et comme je ne voulais pas partir seule, j'ai demandé à ce qu'- ce qu'Elle me suive. Je... Je n'ai jamais autant regretté une décision de toute ma vie. »
Ma voix est hachée. J'ai buté sur son prénom, incapable comme je le suis d'expliquer qui elle était pour moi. Je dois m'y reprendre à plusieurs fois pour me remettre à parler, et retenir les larmes qui montent, insidieuses, tentatrices.
Mais je ne peux pas fondre en larmes.
Pas maintenant.
« Elle m'a suivie, bien sûr. Elle était absolument adorable. Nous étions ensemble depuis plusieurs mois et elle me rendait plus heureuse que n'importe qui. J'étais prête à tout pour elle, y compris à renoncer à une relation plurale, ce qu'elle m'a d'ailleurs maintes fois demandé. Mais je m'en fichais, parce qu'elle me suffisait, et c'était tout ce qui comptait. »
Michi fronce les sourcils à la mention de relation plurale, mais ne m'interrompt pas. De toute façon, je débite mon discours comme un robot, je serais bien incapable de dire quoi que ce soit d'autre. Le flux devient de plus en plus clair, de plus en plus rapide, alimenté par la culpabilité, la douleur et le manque.
Elle me manque tellement.
Tellement...
« Sur place, j'ai été effarée par le travail à faire, je continue, toujours de cette même voix robotique. Des semaines durant, j'ai fait tout mon possible pour aider ces gens, qui vivaient bien en-dessous du seuil de pauvreté. J'ai travaillé avec eux, j'ai soigné leurs maladies, j'ai suivi avec plaisir leurs grossesses. J'ai signé des chèques, aussi, puisque mes parents avaient considérablement rempli mon compte en banque. Et Elle, elle m'aidait. Elle n'avait pas énormément de compétences en médecine, mais elle était avide de faire bien. Tu t'en doutes, pendant ces semaines, nous avons eu très peu de temps pour nous. »
Je soupire. Cette période était... Aurait été heureuse, si elle n'avait pas été tachée de sang. Et je pense que Michi s'en rend compte à mon ton. Muette comme une carpe, elle serre les dents. Elle m'écoute. Je parle, et elle m'écoute.
Pour la première fois.
« Jusqu'à ce jour. Ce jour où une des femmes, enceinte de jumeaux, a fait une éclampsie juste devant moi, une que je n'ai pas vu venir. Tu sais ce qu'est une éclampsie ? »
Sans doute toujours incapable de dire un mot, Michi se contente de secouer la tête. Je cherche un instant dans mes cours, la bonne manière d'expliquer, la bonne manière d'aborder la douleur de ce moment.
L'éclampsie de cette femme.
Le point de rupture.
« Une éclampsie est une affection très grave chez la femme enceinte, je débite, comme si j'étais un professeur particulièrement apathique. Elle est liée à une hypertension artérielle et provoque des convulsions telles que le fœtus en est affecté, le placenta peut parfois même se décoller. Dans nos pays développés, on les voit venir très vite, mais ici... Ici je n'ai pas réussi à surveiller les causes, et je n'ai vu le problème que trop tard... »
La panique revient à mon esprit. Je me rappelle le sang. Je me rappelle les cris, je me rappelle la débandade. Je me rappelle le corps de cette pauvre femme tombant au sol sous l'effet des convulsions. Je me rappelle de la terreur que j'ai ressentie en faisant le diagnostic, de l'horreur d'imaginer le placenta se décoller sous ma charge. De l'idée tellement insidieuse qu'elle allait mourir sous mes yeux.
« Je ne disposais pas de tables chirurgicales ni de matériel très développé. Mais ma négligence ne devait en aucun cas être la cause de la mort de cette femme ou de ses enfants. Je lui ai donc pratiqué une césarienne en urgence, et j'ai réussi au bout de plusieurs heures à la sauver, elle, et les jumeaux qu'elle portait. »
Devenant ainsi l'Ultime Gynécologue.
La voilà, la véritable raison de mon titre.
J'ai sauvé cette femme d'une mort certaine, et dans une tout autre situation, j'en aurais été fière, si fière. Mais ce qui a suivi... Ce qui a suivi...
Je soupire.
Je dois le dire.
Je dois le faire.
Michi doit savoir pourquoi cette histoire prend un tour autant tragique.
Elle doit savoir, parce que maintenant que je suis si loin dans mon récit je ne peux pas simplement m'arrêter. Elle doit savoir, parce que pour le bien de notre relation, quelle que soit ma réponse, je dois lui expliquer pourquoi je l'ai fait autant souffrir. Elle doit savoir, parce que dans un contexte ou n'importe qui peut accéder à ces informations, je ne peux plus me cacher.
« Après avoir veillé plusieurs heures durant à sa bonne santé, j'étais épuisée, et j'avais un sérieux besoin de réconfort... Alors je suis allée La voir. Oubliant qu'on devait se cacher, oubliant que j'étais dans un environnement dont j'ignorais la sécurité, j'ai été surprise en train de l'embrasser. »
Et ce fut probablement la pire erreur de ma vie.
Je ne veux pas jeter la pierre à l'Afrique quant à sa compréhension des gens. Je ne veux pas qu'on se dise que c'est à cause des pays dits sous-développés que je me traîne ces cicatrices depuis bien maintenant deux ans. Mais quelle que soit la raison, le village où je me trouvais était affreusement homophobe.
Et je ne m'en suis rendue compte que quand le mal était fait.
« Les gens ne sont pas tendres avec ce qu'ils ne comprennent pas, je ne peux m'empêcher de sourire, amèrement, alors que Michi retient un cri. Dans la tête de certains, j'étais passée de celle qui avait sauvé des vies à une sorcière venue leur apporter le malin. Malheureusement, ces certains étaient parmi les plus influents. Et une nuit, j'ai été traînée dehors par ces quelques personnes, et avec moi Elle, pour nous faire lapider sur la place du village sans la moindre pitié. »
Je vois dans ses yeux qu'elle a compris. Mais je ne peux plus m'arrêter ; Tout revient. Tout. Les chocs. Les cris. Le sang. La douleur. La douleur dans ma tempe, irradiante, fulgurante. Et la blessure que je sens encore sous mes doigts, même alors qu'elle s'est refermée il y a plus de deux ans, même alors que ce n'est plus qu'une simple cicatrice, même alors que je suis loin de ce village et des fantômes de mon passé.
« Je me rappelle encore... Des insultes, des chocs de la pierre sur mes membres, des hurlements que j'ai poussés, je crache, cédant à la douleur qui remonte. Tout, tout est gravé dans ma mémoire, et cette cicatrice... Elle s'assure que je ne puisse rien oublier. Mais je ne m'en suis tirée qu'avec une simple marque, moi. Elle... Elle, elle n'a pas pu survivre aux pierres. L'une d'entre elle a frappé trop fort sur son crâne et a provoqué un hématome extra-dural... »
Et elle
Elle est...
...
Morte.
Dans mes bras.
La femme que j'aimais, tuée par ma négligence.
Que j'avais traînée là-bas sur un caprice, que j'avais embrassée dans ma stupidité, que j'ai entraîné moi-même au cœur du danger.
Je ne suis plus un robot.
Je suis une fontaine.
Une fontaine qui parle, encore et encore, derrière ses sanglots, derrière la douleur, derrière les hurlements qui résonnent à mes oreilles. Je suis là-bas et ici en même temps, j'entends Michi qui se précipite à mes côtés en même temps que cet homme me traiter de pécheresse, je sens ma gorge parler en même temps que hurler.
« Les médecins qui m'accompagnaient... m'ont traînée dans un hélicoptère avec le corps inanimé de... D'Elle. Je n'ai pas perdu connaissance... malgré m-mon hémorragie... mais de toute façon je ne pouvais pas m'arrêter de La fixer, de La voir passer de vie à trépas sans que je puisse rien faire, parce que ma bêtise et l'ignorance des gens avaient provoqué cette situation catastrophique, parce que je n'avais rien eu de mieux à faire que la traîner dans le danger, parce que je n'avais pas été assez prudente, parce que j'avais été stupide, parce que je n'étais même pas fichue de nous mettre en sécurité... Une idiote, juste une sale imbécile égoïste et naïve, désormais responsable de rien de plus rien de moins que la mort de celle qu'elle aimait... »
Et je pleure, encore, et encore, sans pouvoir m'arrêter, dans les bras de Michi, dans les bras du docteur Fugisaki, dans une chambre isolée d'un donjon mortel, sur la chaise inconfortable d'un hélicoptère d'évacuation.
Il me faut quelques dizaines secondes pour me calmer. Dizaines de secondes durant lesquelles les yeux pleins d'inquiétude de Michi se mêlent à son regard plein d'amour. Ou les bras de la Judoka se substituent aux siens. Ou sa comptine rassurante, murmurée d'un ton presque inaudible, prend ses accents de mots d'amour.
« Tu t'en doutes, je finis par renifler, la mission humanitaire a pris fin ici pour moi... Mes parents ont fait ce qu'ils pouvaient pour étouffer l'affaire et cacher mon implication dans Sa mort, mais Hope's Peak, je ne sais comment, en a entendu parler, et je suis devenue l'Ultime Gynécologue quelques mois plus tard, pour rentrer en avril 2017 à Hope's Peak... »
Mes doigts se crispent sur ses bras, avant que je ne finisse par soupirer, presque fluidement après mes sanglots de tout à l'heure :
« J'ai longtemps hésité à refuser le titre. Surtout que juste après qu'ils m'aient proposé ma scolarité là-bas, le livre de Wen Xiang Monogatari est sorti et tu sais comme moi ce qu'il révèle sur cette école... Mais mes parents ont choisi de prendre le risque, parce que la direction de l'école leur avait garanti que là-bas, aucune discrimination, aucune recherche sur les Ultimes, aucune attaque d'aucun type n'était tolérée. Pour eux c'était l'occasion idéale de me mettre en sécurité... »
Rire jaune.
Je balaie la pièce d'un geste de la main.
« ...Comme ils doivent regretter aujourd'hui. »
Fin.
Fin de l'histoire, fin de ma lente agonie silencieuse, qui étonnamment cesse dans un silence profond. Ni Michi, ni moi ne sommes capables de dire le moindre mot. Elle, sans doute parce qu'elle ne sait pas quoi dire. Moi, parce que j'ai déjà tout dit.
C'est la fin d'un silence de deux ans qui m'a protégée autant que rongée durant mon agonie silencieuse. Oh bien sûr, il n'y a pas que ça dans ma vie. Je n'ai pas parlé et ne pourrai sans doute pas le faire maintenant de toutes les insultes, toutes les micro-agressions, tous les « tu l'as bien mérité ». Je ne pourrai sans doute pas expliquer ce que grandir dans un univers sexiste jusqu'à la prise de contrôle de Raraka Son a fait à ma santé mentale. Je ne pourrai sans doute pas relater la peur constante qui m'habite depuis que j'ai compris que mes actes avaient des conséquences même alors qu'ils ne devraient pas en avoir.
Mais cette histoire...
Son histoire.
J'ai pu la raconter.
J'inspire.
J'expire.
Encore.
Et encore.
Michi ne dit toujours rien.
Elle se contente de me serrer dans ses bras en silence.
Silence que je brise, de nouveau.
« C'est pour ça que... Que j'ai aussi peur. Parce que ça ne se serait jamais passé si je m'étais cachée, si je n'avais pas été en couple avec elle... Si j'avais été un peu moins idiote, elle.... Elle serait vivante et sans doute heureuse, à l'heure qu'il est. Je ne veux pas répéter mon erreur... je ne veux pas encore condamner quelqu'un...
— Reina. »
Pour la première fois depuis que j'ai commencé à raconter, Michi parle. Ses deux mains se sont saisies de mes joues, et dans un tout autre contexte, j'aurais senti l'anticipation mêlée de terreur qu'elle avance son visage plus près du mien. Mais elle se contente de me fixer droit dans les yeux, de ses pupilles noires pénétrantes.
« Écoute-moi. Rien de tout ça n'est de ta faute. La faute, elle est à ceux qui ont jeté les pierres. C'est comme ça que ça marche, c'est comme ça que c'est décrit dans les textes sacrés. Tu n'as pas commis un péché pour aimer quelqu'un. »
Elle serre les dents, avant de soupirer.
« C'est pour ça, cette crise de panique, la fois dernière ? Parce que t'avais peur qu'on trouve ces infos dans ton laboratoire, et qu'on te balance ça à la gueule... »
Je hoche doucement la tête.
« J'ai passé deux ans à me cacher, de tous y compris moi-même. Personne n'est réellement au courant, et je croyais stupidement qu'entre ça et me plonger dans mon travail... je pourrais récupérer une vie normale. Mais ici, les secrets tombent les uns après les autres. Le sister complex de Kichiro, les sentiments d'Hina pour Saki, le protégé de Ryo, la présence de l'Ultime Assassin... Et maintenant, ça. Rester dans mon silence est devenu plus dangereux que jamais... »
Michi cligne doucement des yeux, avant de remarquer sa position, et de se décaler de moi. Je vois, l'espace d'un instant, ses joues rougir.
« Désolée... Et merci de m'en avoir parlé. C'est pour ça que tu refuses, donc ? T'inquiète, je comprends... »
Est-ce que je choisis cette voie de la sécurité qu'elle m'offre ? Quelque part, ce serait encore le mieux pour moi. D'un autre côté... Quoi qu'il arrive, l'épée de Damoclès est au-dessus de ma tête, et je ne veux pas nous faire de mal inutilement.
Si c'est vraiment inutile.
Décide-toi, Reina.
Elle l'a dit, ta réponse sera définitive.
Si c'est non, dis-lui.
Si c'est oui... Il va falloir lui expliquer bien des choses encore.
Alors... Qu'est-ce que je fais ?
Qu'est-ce que je fais qu'est-ce que je fais qu'est-ce que je-
« Je n'ai pas parlé d'un refus... »
Michi écarquille les yeux. Avant de se pencher vers moi.
« Eh là. Ça veut dire qu'après tout ce que tu m'as dit... »
Je la coupe dans son élan.
Je veux être seule à le dire.
« Je suis terrifiée, oui. Mais ici, la mort nous guette quelle qu'en soit la raison. Je ne veux pas mourir ou causer la mort de quelqu'un, mais je ne veux pas non plus voir ce quelqu'un partir sur un non-dit, ou sur la souffrance des regrets. Je ne veux pas me demander toute ma vie si j'aurais mieux fait d'accepter ou de refuser. »
Les larmes me montent aux yeux, alors que je balance toutes mes craintes, laissant mon cœur s'ouvrir et rouler dans sa main.
« Je m'attends pas à être la parfaite petite amie du jour au lendemain... Ou réussir à oublier ce qu'il s'est passé comme ça. Je crois que je n'y arriverai jamais. Mais je ne veux pas non plus ruiner notre relation, je ne veux pas vivre avec un poids supplémentaire... Je veux vivre pleinement les derniers jours qu'il nous reste ensemble plutôt que d'avoir le doute ou les regrets nous séparer. Je veux essayer, avec toi, parce que je t'aime et parce que moi aussi, je veux faire évoluer notre relation. »
Je prends une profonde inspiration.
« Je sais que c'est une requête égoïste, et il y a beaucoup de choses dont on devra parler avant que je sache si ça en vaille vraiment la peine, mais... »
Mais je suis en larmes derrière mon sourire, et la félicité pointe derrière la terreur.
« Mais s'il te plait... Laisse moi être la personne que tu aimes. »
Ces mots, si lourds à porter mais pourtant si légers dans l'air. Ils flottent quelques secondes autour de nous, autour de mon visage larmoyant, autour des yeux écarquillés de Michi qui me fixe comme deux ronds de flan. Je vois ses joues prendre une somptueuse couleur bordeaux, et pour la première fois je permets à mon cœur de s'accélérer en oubliant le coup de poignard de la terreur latente.
Michi continue de me fixer, toujours les yeux ronds, toujours ses mains serrées sur ses cuisses. Les miennes tremblent sur mes genoux, terrifiées par la réponse, quelle qu'elle soit. Froides, glaciales même, jusqu'à ce qu'elle s'avance, et que je sente des doigts chauds et doux les entourer avec délicatesse, jusqu'à ce que je voie le sourire rassurant sur le visage de Michi.
« Ma puce, ça n'a rien d'égoïste à vouloir être heureuse. »
Ma puce. Ce surnom que je n'avais pas entendu de ses lèvres depuis si longtemps. Cela suffit à faire exploser mon cœur de félicité. Est-ce bien naturelle d'être tellement heureuse ?
Je ne sais pas, et je m'en fiche.
Son sourire en coin que j'aime tant revient sur ses lèvres, et elle me fait un clin d'œil pour la première fois depuis si longtemps. Et cela suffit à anéantir toute race trop persistante de regret pour les prochaines minutes.
« Évidemment qu'on va devoir parler hein, toute relation se construit sur l'établissement des limites ! Voilà les miennes, tiens. Ici c'est pas trop d'actualité, mais j'aimerais bien, quand on sortira, que j'ai toujours un peu le droit de dragouiller. Voire d'emmener des gens au pieu, si tu vois ce que j'veux dire. Pas que ça me manquerait si tu me dis non, et on en parle autant que tu veux, mais si j'ai le droit sans que ça te gêne... »
Quand on sortira... Je ne sais pas si l'optimisme de Michi me réjouit ou me terrifie. Mais sa condition n'est pas trop lourde au vu de ce que moi, je dois lui dire... Au cas où, je préfère encore demander.
« Ce serait... Juste des aventures, ou tu souhaites d'autres relations amoureuses ?
— Ouh là non. Ça resterait du cul pour le cul, c'est pour ça que je dis que je peux très bien m'en passer. Je suis, aux dernières nouvelles, capable d'offrir mon cœur à une seule personne, et tu ne peux te comparer à personne d'autre de ce point de vue ! »
Son flirt qui revient si vite, coule naturellement dans ses phrases comme auparavant, ce ton railleur que j'ai appris à aimer... Je ne me rends pas compte à quel point il m'a manqué. Je ne peux m'empêcher de sourire, et ma tête vient naturellement s'incliner.
« Ça ne me dérange pas plus que ça, je préfère juste savoir... Surtout que je ne risque pas d'offrir une satisfaction... En termes sexuels avant un bon moment.
— C'est pas grave, je te dis ! Je peux très bien me passer de ça, j'ai une main droite, voyons ! Et toi ? Est-ce qu'il y a des trucs que tu aimerais me dire pour que ça fonctionne ? »
Je soupire à son commentaire, avant de hocher la tête. Allez, Reina. De toute façon, il va bien falloir que tu y passes au vu de la situation.
« Eh bien... Je suis polyamoureuse, et je crois... Que j'aime deux autres personnes ici. Je ne sais pas si c'est possible, mais j'aimerais quand même... Essayer, avec eux aussi... Alors... »
Alors je préfère te prévenir et prier pour que ça ne finisse pas comme avec quelqu'un.
Heureusement pour moi, Michi hausse les épaules, dans un geste que j'espère sincère.
« Aucun souci pour moi ! Je veux juste savoir qui c'est, et aussi que tu me préviennes avant de leur faire ta déclaration, hein, j'aimerais autant éviter d'être mise devant le fait accompli. C'est qui, du coup ?
— Sora, et... Haruko. »
La dernière étant bien moins sûre que le premier. Le fait que j'ai en quelque sorte vaincu mes peurs pour Michi ne signifie pas qu'Haruko me donnera la même force... Mais au point où on en est... autant être la plus honnête possible.
Un léger pouffement s'échappe d'entre les lèvres de Michi, et puis cette dernière éclate de dire.
« Eh bah ça, c'est ce qui s'appelle s'incruster dans un mariage ! Non pas que je te blâme, ils sont choupi, tous les deux. Je dois m'attendre à voir du triple bisouillage dans un futur proche ?
— Je... Je compte leur dire, hein je bégaie, luttant contre la gêne qui fait son chemin sur mes joues, mais je m'attendrais pas non plus à une réponse positive...
— Ma pupuce, faut être optimiste dans la vie. Et si tu veux mon avis, tu devrais leur en parler vite, parce qu'on sait jamais ce que peut faire un non-dit dans cet endroit de merde ! Tu comptes leur dire ce que tu m'as raconté, ou pas ?
— Oui. En fait... »
En fait, je crois même que je vais cesser d'apposer dessus le sceau du secret.
Ce seront quelques mots, pas tout un discours, de quoi expliquer pourquoi mon passé est tellement enfoui, pourquoi est-ce que personne ne trouve réellement d'informations sur moi et l'obtention de mon titre, je ne pourrai pas reparler du sang, je ne pourrai pas reparler de la terreur, je ne pourrai pas expliquer le regret.
Mais si ça peut faire en sorte que Junko cesse de me fixer avec méfiance...
Si ça peut faire en sorte que Daisuke comprenne à quoi il a affaire...
Si ça peut faire comprendre à Taichi qu'il ne traverse pas cette douleur seul...
Si ça peut apaiser toutes les tensions...
Je soupire, et Michi m'entoure de ses bras. Me permettant, pour la toute première fois, de me laisser aller contre elle sans regret.
« Je trouve que tu es très courageuse, Reina. Je vais pas te demander à pouvoir t'embrasser maintenant, mais j'veux que tu saches que j'en ai très envie, parce que je suis super fière de toi. »
L'épée de Damoclès quiplane autour de ma tète a encore grandi en taille. Mais là, enfouie dans sesbras, la tête au creux de son cou et son parfum omniprésent autour de moi, jeme surprends à penser que sa fierté n'est peut-être pas si mal placée que ça.
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HI COUCOU LES GENS :D
Vous vous rendez pas compte d'à quel point j'avais HÂTE d'écrire ce chapitre absolument déterminant dans le développement de Reina. Au point même que j'ai écrit le dialogue en avance ptdr- J'espère que ça s'est pas trop vu.
Du coup vous avez là la majorité de sa backstory qui comme BEAUCOUP ont pu le remarquer n'est pas joyeuse joyeuse... Mais vous en faites pas, après ça ça va aller un peu mieux pour elle, c'est promis. Au moins jusqu'au prochain meurtre-
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