Chapitre 3 (4) : Souls spirits

Un lien rouge de sang.

Un lien rouge de sang.

Un lien rouge de sang serré autour de mon cou.

Je n'arrive plus à respirer, je n'arrive plus à respirer, je n'arrive plus à respirer...

Que quelqu'un m'aide... Que quelqu'un m'aide...

Je n'arrive pas à bouger... Mes bras sont coincés, levés haut dans les airs. Ma robe pend en lambeaux autour de moi, rouge sous le sang, rouge sous les liens, rouge selon ma vision brouillée.

Je n'arrive plus à bouger.

Il n'y a plus personne.

Il n'y a plus personne, alors que je voudrais hurler.

Je suis seule, alors que je voudrais hurler.

Je souris, alors que je voudrais hurler.

Je souris, parce que je sais que tout ça...

Je l'ai mérité.




Je me réveille en sursaut. Enfin je crois. Je me souviens à peine de la sensation de mon corps qui se redresse.

Tout ce que dont je me souviens, c'est de m'être évanouie dans la bibliothèque et puis... Et puis plus rien. Je ne me rappelle même pas avoir bougé, pourtant, on est dans ma chambre, je suis allongée sur mon lit, la couverture en travers de mon corps... Même mes cheveux sont tressés, et ne gênent pas ma vision, alors que je les avais laissés libres... Et surtout... Je ne suis pas ce qu'on pourrait appeler seule. Certainement pas alors que l'Écrivain Ultime pose un regard empli d'un soulagement profond sur moi, et encore moins alors que je remarque sa main quitter précipitamment mes draps pour repartir dans ses poches.

Et évidemment, comme je ne suis pas capable de grand-chose d'autre alors que Sora se trouve inopinément dans la même pièce que moi juste à côté de mon lit, mes joues se colorent d'une charmante teinte carmin.

Est-ce que quelqu'un souhaite me libérer de cette malédiction avant que je ne parte en combustion spontanée ?

Essayant d'ignorer autant que je ne le puisse ma gêne, je toussote, et me concentre sur mes fonctions motrices. Visiblement tout semble aller bien. Personne n'a tenté de m'étrangler pendant mon sommeil, et je respire toujours normalement... Mes membres sont également animés de mouvement, bien loin de leur lourdeur avant que je ne sombre. Il s'agissait peut-être d'une simple fatigue passagère...

Alors comment expliquer ce cauchemar ?

Sora, en me voyant faire un diagnostic de mon propre état, pousse un profond soupir de soulagement.

« La vache... tu m'as fait une de ces peurs, Reina, à un moment j'ai presque cru entendre... L'annonce de la découverte de corps. »

Je grimace. Voilà qui m'apprendra à ne pas dormir de la nuit... Et par extension à avoir des montées de colère de ce genre. Je savais, pourtant, qu'exprimer ses émotions ne m'apporterait rien de bon...

En voyant ma grimace, un air inquiet se dessine sur le visage de Sora.

« Est-ce que ça va ? Je ne t'ai pas vue de la journée, hier, alors je me suis inquiété... Rien ne te tracasse ?

— Rien de bien important, je soupire en ramenant la couverture à moi. Je n'ai pas dormi de la nuit, sans doute un effet secondaire du gaz soporifique de Monokuma... Alors j'imagine que c'est juste ma fatigue qui m'a rattrapée.

— Reina je ne voudrais surtout pas croire que tu me caches tes problèmes en complète connaissance de cause... Seulement, me fait Sora, l'air dubitatif, quand je t'ai retrouvée, tu étais raide comme un piquet, les mains crispées autour de ton cou. Si je n'avais pas vu ton sang battre à tes carotides, j'aurais vraiment cru qu'on t'avait tuée... »

... À ce point ?

Je doute que le cauchemar soit seul en cause, je n'ai pas de réactions aussi violentes d'habitude quand j'en fais un... mais je me demande bien quoi d'autre pourrait l'être. La fatigue n'est certainement pas un facteur aggravant, bien qu'elle pourrait expliquer mon évanouissement... Je prends mon menton entre mes mains, pensive, tentant de relater ma journée d'hier. Mais rien de particulier ne me revient en mémoire. À part cette sensation... l'horrible sensation du fil se resserrant autour de mon cou.

Je me crispe d'un coup, et Sora se penche aussitôt vers moi, l'air inquiet.

« Est-ce que ça va ? Tu t'es souvenue de quelque chose ?

— Pas vraiment, non... Juste, avant de m'évanouir, il y a eu cette sensation d'étranglement, c'est peut-être pour ça que tu m'as retrouvée dans cet état... mais si ce n'est pas la fatigue qui l'a déclenchée, je ne vois pas ce que ça pourrait être d'autre. »

Sora pince les lèvres.

« Reina, est-ce que ça ne te dérange pas de me raconter exactement dans quelles circonstances tu t'es évanouie ? Et aussi, si tu te souviens de quelque chose de ta nuit...

— ...Ma nuit ?

— ... Alors comment dire, fait un Sora embarrassé, la main coincée dans ses cheveux qu'il se triture non sans une étrange concentration. On est le matin, il doit être quelque chose comme six heures... C'est pas très correct de ma part, mais je suis resté enfermé dans ta chambre avec toi pour le déroulement de la nuit. Je voulais m'assurer que tout aille bien... »

... Oh, par tous les esprits, est-ce que ça veut dire que j'ai dormi pendant plus de seize heures ?!? ... Et est-ce que ça veut dire qu'il me regarde dormir depuis le milieu de l'après-midi ? J'avoue que je ne sais pas trop comment prendre cette information, et d'ailleurs Sora le voit très bien, puisqu'il se recule de mon lit, les deux mains occupées. L'une, dans sa chevelure turquoise, l'autre, en train de tirer sur le col de son T-shirt. Même son sourire se fait plus crispé.

« Je suis vraiment désolé ! Je sais que ça a l'air super creepy, surtout alors qu'on ressort juste d'un procès, ce genre de choses... T'es pas obligée de me croire, tu peux me ficher dehors, je sais que t'as ton déverrouilleur et que tu peux, mais je te promets que je faisais que m'inquiéter pour toi ! »

Je préfère ne pas croiser son regard. Qu'il le veuille ou non, Sora m'a rappelé que durant ces seize heures d'inconscience, j'étais en grave danger. Peu importe qu'il ait été là et que je lui fasse plus confiance qu'à la plupart des hommes. S'il avait été un tant soit peu plus mal intentionné... Si ça avait été quelqu'un d'autre...

Je ne serais peut-être plus là pour en parler.

Sora, voyant que je suis incapable de répondre, se recroqueville encore davantage sur sa chaise.

« ... Vraiment désolé, Reina.

— ... N'y pensons plus, je soupire. C'est normal que tu t'inquiètes, j'imagine, et tu n'étais sans doute pas tellement en position de me prévenir que tu allais rester là.

— Je... ouais, sans doute... ça reste pas super correct de ma part.

— Oublions ça, je te dis, je grommelle, sans doute un peu rudement vu qu'il se recroqueville encore plus. Il ne s'est rien passé, c'est le principal. »

Même si j'ai une petite idée maintenant de ce qui a tressé mes cheveux. Sora... Je veux bien imaginer que tu t'ennuies, mais quand même... Tu pourrais au moins me le préciser.

L'Écrivain, sans doute devant mon agacement, se contente de hocher la tête.

« D'accord... Mais du coup, si ça ne te dérange pas de me répondre... j'aimerais toujours savoir ce qu'il s'est passé. »

Je secoue doucement la tête, tentant de remettre mes pensées en place.

« Eh bien... Je me suis sentie lourde. J'ai entendu la porte claquer au loin, j'imagine que ça devait être toi... Mais je n'ai pas trop fait attention. J'étais prise de frissons, j'avais les membres et les paupières pesant au moins une tonne, et puis au moment de m'évanouir j'ai senti quelque chose se refermer autour de mon cou... Comme une espèce de fil. Un fil qui dégoulinait de sang... Et puis après... »

Je frissonne au souvenir de mon cauchemar.

« Après, j'ai eu un mauvais rêve, puis je me suis réveillée dans mon lit avec toi à côté. C'est tout... J'ai probablement attrapé un mauvais virus, ou bien ce sont les effets de la fatigue... »

Sora grimace, avant de se pencher vers moi.

« Reina, je suis pas médecin ni dans ta tête mais... Sentir un fil gouttant de sang se refermer autour de ton cou avant de t'évanouir ne m'a pas l'air d'être un effet secondaire de la fatigue. Surtout au vu de ta réaction... Tu ne t'es pas simplement endormie, ton corps entier était crispé. Je crois qu'il y a autre chose à l'œuvre... Et mon hypothèse est peut-être abracadabrante, mais je pense que ça se rapproche un peu de la vérité. »

Je hausse un sourcil. À quoi pense-t-il pour en douter autant ? Je veux bien admettre que j'ai sans doute le dernier mot concernant ma santé, mais tout de même, ce n'est pas si idiot, ce qu'il a en tête ?

« Dis toujours ?

— Eh bien, soupire Sora, je ne sais pas si tu le sais, mais je suis pas mal versé en médiumnique. À un moment, je pouvais passer des heures sur l'étude des fantômes et des phénomènes surnaturels, j'ai d'ailleurs construit une histoire entière sur des manifestations hallucinatoires... Une de mes plus grosses œuvres de fantastique, d'ailleurs, bien qu'au départ ce n'ait pas été mon intention. Mais je pense que tu es peut-être rentrée en contact avec le monde spirituel... Ou au moins un résidu de la conscience d'une personne. »

... Ah, je comprends mieux pourquoi il pensait que son explication était abracadabrante.

Devant mon air dubitatif, il hausse les épaules.

« Je me doute bien que tu ne me crois pas. Pas grand-monde ici croit aux fantômes, d'ailleurs même Haruko n'a pas l'air de prendre mes explications en compte...

— Non, explique toujours, je le coupe, un peu coupable de lui donner l'impression de réfuter totalement sa thèse alors qu'il a l'air si sérieux. Pourquoi tu penses que c'est ça ? »

Un léger sourire se dessine sur le visage de Sora.

« Alors en fait, la médiumnique est une discipline pas mal compliquée, donc je ne pourrais pas vraiment te donner d'explications logiques et cartésiennes... C'est juste un pressentiment, hein, surtout que je ne suis moi-même jamais rentré en contact avec des fantômes ou le monde spirituel. Mais je peux te dire qu'il y a plusieurs types de personnes possédant une perception du monde... Il y a ceux qui perçoivent les bas esprits, ceux retenus sur notre monde pour des raisons diverses et variées, les bas plans du monde spirituel en somme... Il y a ceux capables de communiquer avec les entités supérieures, ceux qu'on appelle parfois anges, démons, dieux, idoles, enfin... Un peu les shamans, quoi, même si c'est beaucoup plus large que ça... Et puis il y a ceux en mesure de communiquer avec les fantômes, les êtres du passé et tous ceux qui ont eu une vie dans notre monde, sur cette terre... »

Son sourire s'élargit au fur et à mesure qu'il parle, et je vois ses yeux briller alors qu'il me donne ses explications. Son expression est si joyeuse que je n'ai pas le cœur de lui dire que pour l'instant, il parle beaucoup sans m'apporter la moindre réponse.

« Ces gens-là peuvent voir les manifestations du monde spirituel, et d'ailleurs lesdites manifestations se montrent plus souvent à eux, continue Sora, toujours souriant. Les portes qui claquent, les blessures dont on ne sait d'où elles viennent, les courants d'air, les sensations étrangères... Parfois, des voix qui t'appellent alors que personne n'est dans la pièce... Tout ça, ce sont des signes. Les bas esprits sont souvent ceux qui blessent et laissent dans des mauvais états, mais certains fantômes peuvent aussi, et... »

Et c'est à ce moment-là qu'il remarque mon air perdu et se stoppe net.

« ... Désolé... Je voulais pas infodump.

— Ce n'est rien, je souris. Par contre, tu ne m'as pas encore donné d'éléments de réponse... »

Il se gratte la tête, son sourire bien plus crispé que tout à l'heure.

« Encore désolé... En fait, ce que je pense, c'est que même si ce que tu me décris ressemble plus à une attaque très violente d'un esprit des plus bas étages, tu as probablement rencontré, ou même juste ressenti, le souvenir d'un fantôme. Et... Et probablement pas n'importe quel fantôme, d'ailleurs, parce que... le fil gouttant de sang... Quelqu'un... Quelqu'un, il soupire, a été exécuté comme ça. »

... Hina...

Un nouveau frisson me parcourt, et je referme mes bras autour de moi, cherchant à chasser la sensation. Super, maintenant je vais ressentir des fantômes à tous coins de rue sur des réactions naturelles... J'espère que je ne vais pas prendre de paranoïa. Autant encore questionner Sora. Tant que j'ai sous la main quelqu'un qui a des explications...

« ... Et comment c'est possible ?

— Bonne question, soupire Sora. Habituellement, les fantômes ne se manifestent pas comme ça. Ils essaient de communiquer avec toi, ou tu les perçois, d'une manière ou d'un autre. Mais honnêtement, si j'avais une théorie, c'est que les morts très violentes laissent des espèces de résidus mémoriels, qui s'accrochent à un lieu, ou une personne... Et les personnes très sensibles perçoivent plus ou moins ces souvenirs. Je devrais essayer de faire le tour, pour voir si tout le monde a des sensations étranges... après, ça n'explique pas pourquoi tu commences à peine à les percevoir alors qu'Hina est morte il y a plus d'un mois, mais... »

Il hausse les épaules.

« Il y a peut-être un truc qui s'est débloqué dans ta sensibilité, ou alors c'est juste le fait qu'il y ait de plus en plus de... De morts, dans ce donjon. Dis-moi, est-ce qu'il y avait des médiums dans ta famille ?

— Côté paternel, non, je soupire. Ils sont tous carrés et cartésiens. Du côté maternel... ma mère me disait que ma grand-mère Khadija y croyait dur comme fer, et était persuadée pouvoir communiquer avec les morts... Je la paraphrase, parce qu'elle ne semblait vraiment pas y croire.

— Je vois... C'est possible qu'elle ait eu raison, tu sais, sourit Sora. Le monde spirituel est une mine d'informations à qui veut bien s'y ouvrir... Après, je ne te demande pas de me croire. Mon explication est sans doute dénuée de preuves bien solides, bien scientifiques, mais si tu en as besoin, elle est là. »

J'ignore comment lui dire que je suis encore un peu dubitative quant à ce qu'il me dit. Mais au même moment, le verrou de ma chambre se désenclenche dans un bruit sonore, et Sora s'excuse en me disant qu'il a passé bien assez de temps dans ma chambre. Me laissant donc sans plus d'explications, seule à l'heure du réveil et toujours pleine de doutes.

Difficile d'employer ma matinée à réfléchir, et quoi qu'il se passe, je préfère ne pas retenter la bibliothèque avant un peu de temps, histoire de me reposer au maximum avant de chercher de nouvelles informations. Ce qui fait que je passe une partie de mon temps dans mon laboratoire. Sans visite aucune, jusqu'aux alentours de midi, ou sortir de mon cabinet me fait tomber sur Shizuka, qui a un léger sourire à mon approche.

« Tiens. Satou. Mauvaise journée hier ? »

... Je me demande bien comment iel a su ça. Enfin, je préfère ne pas lae questionner de trop près, je crois que je ne vais pas aimer la réponse.

« On va dire ça...

— Inutile de prendre cet air fâché. J'ai vu passer l'Écrivain Fantasy en panique dans les couloirs, et sa chérie te portait dans ses bras. Tu avais l'air en plein milieu d'une crise de panique, alors je dois avouer ne pas avoir cherché plus loin... »

Oh, je vois. Si je cherchais une réponse à « comment Sora m'a transportée dans ma chambre alors qu'il est plus faible physiquement que moi »... Il faut croire que ça aide d'avoir une petite amie à la force considérable. Et non, je ne vais pas penser au fait que je pourrais également disposer de cette chance si j'étais un peu moins terrorisée. C'est mieux pour le mental.

« D'ailleurs, renchérit Shizuka, la petite Judoka est passée te voir dans la soirée. J'ai cru comprendre qu'elle avait passé la pause du repas à tresser tes cheveux, sans doute dans l'ennui... D'après la Journaliste, du moins, qui ne semblait pas très convaincue. Tu as un véritable défilé dans ta chambre, Satou. Te construirais-tu un harem ? Dois-je réserver ma place ? »

... Alors merci pour ce commentaire, Shizuka, premièrement je suis rouge de honte, deuxièmement je suis morte de peur. Ah, et accessoirement, je sais désormais que ce n'est pas Sora qui m'a tressé les cheveux, ce qui n'est pas forcément rassurant. Je ne sais pas du tout comment interpréter ce que tu me dis, là, et en plus je n'ai aucune envie de me constituer un harem, merci bien... Et puis pourquoi y voudrais-tu une place, d'abord ?!?

Voyant ma crispation, iel rigole, avant de hausser les épaules.

« Interprète ça comme une plaisanterie si tu le souhaites, je n'étais pas réellement sérieuxe. Cependant, tu as quand même eu un sacré nombre de soupirants durant cette soirée pour le moins mouvementée. Et tu te demandes encore ce que tu as d'intéressant... »

D'intéressant... La conversation d'hier... Non, d'avant-hier avec Kazumi me revient. Comme quoi Shizuka s'intéressait de très près à moi... Franchement, je préfère ne pas m'imaginer comment, lae Généticien.ne reste une énorme énigme à mes yeux, et quand iel n'est pas entouré.e de mystère, iel me terrifie au plus haut point. Malgré toute l'aide qu'iel m'a apportée durant ce dernier mois...

Devant mon absence de réponse, iel hausse les épaules de nouveau, avant de laisser se dessiner sur ses lèvres un léger sourire.

« C'était mon tour d'aller voir les proches, tu sais. Kita a insisté. Sans doute pas pour les raisons qui ont poussé Yamasaki à t'attribuer la première place, je sens qu'elle se méfie de moi. Mais toujours est-il que j'ai eu une longue conversation avec ma sœur. Une conversation... assez intéressante, à ton sujet, dont je devrais peut-être t'en relater le contenu.

— Je suis... Un sujet de conversation... Si intéressant que ça ?

— Toi, et tout ce que tu représentes. Tiens, nous disposons d'un peu de temps avant de manger. Veux-tu bien me suivre jusqu'à mon laboratoire ? »

Je grimace. Ça commence à faire beaucoup de louche, ça... Je lui dis, ou je ne lui dis pas ? ... Oh, et puis, zut, hein.

« Tu sais, Shizuka... Je crois que, je bredouille doucement, que me faire inviter dans un laboratoire jamais vu, par quelqu'un dans une Tuerie, qui me dit en des termes peu rassurants qu'iel parle de moi...Ce n'est pas spécialement la proposition la plus rassurante de l'histoire. »

J'ai envie de ravaler mes mots à peine le regard inquisiteur de Shizuka plonge dans mes propres yeux. Presque paralysée par la panique, je ne peux m'empêcher de déglutir, une déglutition qui me fiche bien évidemment la honte parce que mes muscles crispés l'ont rendue particulièrement bruyante. Mais ma panique s'arrange encore moins lorsque je vois ses yeux briller.

« ... On dirait que tu sors enfin de ta carapace, Satou. »

Je me crispe encore plus, et lae Généticien.ne a un léger rire.

« Ne t'en fais pas, je serais stupide de te faire le moindre mal dans mon laboratoire alors que deux des personnes les plus capables de cette Tuerie me tueraient sans doute dans l'instant. De toute façon, ils ne tarderont pas à venir voir ce que tu fais. Kita est d'une vigilance absolument impressionnante pour une simple Journaliste... »

Ça ne me motive pas vraiment à accepter sa proposition... Mais de toute façon, Shizuka vient de déverrouiller la porte, et je n'ai pas d'autre choix que de lae suivre parce que je me suis bien assez ridiculisée comme ça.

Le Laboratoire de lae Généticien.ne Ultime est une pièce immense, presque trop pour l'endroit où elle est. Creusée en profondeur, elle est bien plus grande que mon cabinet médical, ou les laboratoires de Kichiro et d'Hina. D'ailleurs, ma première pensée quand j'y pénètre est qu'on dirait beaucoup trop le laboratoire d'un scientifique fou à mon goût. Les murs sont noirs, il y a des armoires entières pleines de boîtes de Pétri et de réactifs, de très nombreuses machines que j'imagine être de test PCR, ou d'utilisation de CRISPR-CAS9 peut-être, ornent les murs, toutes dans des tons noirs, bleu pâle ou gris. Et dans un coin, un rideau recouvre une espèce d'armoire dont je peux à peine discerner les contours.

Shizuka semble bien plus à l'aise dans ce lieu que moi. Normal, vu qu'il est aussi glauque que luel, je ne peux m'empêcher de penser avant de secouer la tête. Pas le moment d'avoir ce genre de pensées alors que je dois déjà bien assez me concentrer sur ne pas m'enfuir en courant. Surtout maintenant qu'iel est assis.e sur un tabouret et m'invite à faire de même, devant une série de tubes remplis de ce qui semble être des prélèvements.

... mais des prélèvements de quoi ?

« Tu constateras, pouffe doucement Shizuka, que j'ai déjà commencé quelques expériences depuis hier, où j'ai trouvé ma clé. Désolé.e pour le manque de propreté. J'ai fait mes premiers prélèvements sur moi, vois-tu... »

Ah oui. Sur luel-même. Iel est déterminé, si je puis me permettre. Mais bon, comme d'habitude, je ne suis pas en mesure d'exprimer grand-chose. Je suis en environnement hostile seule avec une personne qui me terrifie, et je ne sais toujours pas pourquoi je ne m'enfuis pas en courant. La peur d'être rattrapée, celle d'avoir l'air idiote, ou peut-être une pointe de fascination envers l'être tout entier de l'Ultime Généticien.ne...

Shizuka écarte d'un revers de la main les prélèvements, avant de se tourner vers moi.

« Kazumi et moi, nous avons une opinion assez particulière sur les êtres qui peuplent cette terre. Nous considérons que certains ont des potentiels différents et des utilités différentes en ce monde, bien que chacun y ait sa place. Elle a tendance cependant à séparer les gens en catégories assez strictes. Dans son ordre d'idées, il y a les proies, ceux qui servent à la progression des autres. Les prédateurs, ceux qui régulent notre population et s'imposent dans notre monde. Et les catalyseurs. Ceux qui rassemblent, ceux qui fédèrent, ceux qui aident à progresser.

— Étrange manière de nommer les gens, je ne peux m'empêcher d'intervenir. Une proie ne servirait donc qu'à être mangée ? »

Peu flatteur pour moi vu le qualificatif qu'elle a employé lors de cette fameuse visite. Mais Shizuka n'a pas l'air de s'en formaliser.

« Je trouve ce genre de qualificatif simpliste, et suis davantage partisan.e de la théorie regroupant les tremplins et les progressistes, plus que les proies et les prédateurs. Mais Kazumi et moi nous accordons volontiers sur l'existence des catalyseurs. »

Ce disant, iel me jette un regard énigmatique, avant de secouer légèrement la tête.

« Ces gens sont sans doute les plus intéressants. Rares sont ceux dotés de cette capacité à rassembler les gens autour d'eux, à en faire un groupe. Certains s'y essaient, comme Kita, bien que je pense qu'elle n'en ait pas les réelles capacités. Mais les vrais catalyseurs y arrivent sans effort, et inclinent facilement les gens à penser comme eux de la sorte. »

De nouveau, ce regard en coin. Je ne peux considérer, cependant, qu'iel parle de moi. Capacité à rassembler les gens ? à part être utile aux enquêtes, qu'ai-je donc fait d'impactant ?

« D'ailleurs, reprend Shizuka, Wen Xiang Monogatari était sans doute douée de la même capacité. Je dis était, car maintenant qu'elle n'est plus qu'une coquille vide, je doute qu'elle n'ait l'occasion de fédérer de nouveau des gens autour d'elle... Mais ce qu'il y a d'étrange avec les catalyseurs, c'est qu'ils se multiplient de plus en plus dans notre monde. Et ils se trouvent très souvent au sein de ceux qu'on appelle génies, Ultimes, ou n'importe quel autre terme pour les désigner. »

Iel fait un large geste de la main, m'empêchant de parler. Comme si j'en avais envie. Je n'y comprends déjà pas grand-chose. Certaines formulations me hérissent le poil, mais je serais bien en peine de dire pourquoi.

« Est-ce que c'est une bonne nouvelle, tu vas sans doute me demander ? c'en serait une, sans la fameuse théorie de Fusae Amane. Les catalyseurs en quantité suffisante pourraient être en mesure d'entraîner le monde dans la direction de la perfection, de la renaissance, même. Mais si la moindre contrariété les précipite dans le Désespoir, et que ce Désespoir les conduit à utiliser leurs dons pour la destruction du monde... »

Iel soupire.

« Enfin, nous n'en sommes pas là. De plus, les Tueries semblent créées pour pallier à cette éventualité. Je réprouve ce genre de méthodes, cela ne sert qu'à créer des distorsions de l'âme, mais ils faut bien reconnaître que je ne suis pas lae seul.e à voir le danger. »

Cela fait... Beaucoup de philosophie pour une personne de sciences. Pas qu'on ne puisse associer les deux disciplines, loin de là, même ; mais je ne m'attendais pas à voir un.e Généticien.ne me parler d'âme et de capacités innées comme si ce n'était rien. Ce qui m'amène d'ailleurs à me poser une question.

« Alors du coup... C'est ça que tu étudies ? »

Le sourire de Shizuka s'élargit.

« Tu comprends vite. En effet, la génétique est aussi la porte ouverte à l'étude des capacités innées. Évidemment, bon nombre de mes théories ne sont pas prouvées, et j'imagine qu'en parler auprès de mes confrères les feraient hurler à l'eugénisme. Mais la science de la génomique est d'une vastitude considérable. Il m'est même possible d'étudier mes liens avec le corps et l'âme. »

Pas le temps d'exiger une explication, comme d'habitude. Shizuka continue de parler. Sauf qu'à la différence de Sora, iel ne s'arrête pas pour me laisser l'occasion de poser une question.

« L'âme est une notion fumeuse mais extrêmement importante dans notre compréhension du monde, quand on réfléchit à la nature même de notre conscience. Considérer que le cerveau est en mesure, par de simples transferts électriques et chimiques, de créer une forme de vie aussi complexe que la nôtre est presque plus abracadabrant, dans un sens, que d'imaginer la présence d'une entité différente de la matière ou de l'énergie, qu'on appellerait la conscience. Beaucoup de scientifiques d'ailleurs, croient en Dieu ou en une entité supérieure pour cette unique raison. Est-ce ton cas ? »

Il me fait quelques secondes pour constater qu'iel attend une réponse de moi.

« Je... Je n'y ai jamais réfléchi, je balbutie. Je préfère me concentrer sur mon travail plus que sur des théories... pourquoi ? Tu as une idée sur la question ? »

Shizuka hoche la tête.

« Je crois en effet en l'existence de l'âme, une entité parfaite qui alliée au corps crée la vie. L'âme est un concentré de ce qui nous définit, émotions, intelligences, souvenirs, que le corps exploite pour lui permettre de progresser et d'évoluer dans notre monde. À la différence de l'âme, cependant, le corps est une entité imparfaite, que l'évolution n'a pas encore achevé. Beaucoup trop d'éléments dans le tas de cellules qui nous constituent sont encore bourrés de défauts, et le fait que nous soyons mortels en est sans doute le plus important. La question que je me pose, cependant, est la suivante. Est-ce que se débarrasser de la mort n'est pas l'étape final de notre évolution, est-ce qu'après le monde ne sera pas figé pour l'éternité ? Est-ce que pour le bien de l'évolution de notre monde, nous ne devrions pas ne jamais poursuivre la quête de l'immortalité ?

— C'est... C'est trop métaphysique pour moi là. »

Un léger rire retentit dans le laboratoire. Shizuka me fait un léger signe de tête, même pas vexé.e par ma remarque pourtant fort peu polie. Je n'ai juste pas pu m'en empêcher... Trop compliqué pour moi.

« Pourtant tu es capable de suivre, je le vois à ton regard. Tu n'as juste pas envie d'y réfléchir, ce que je comprends car il s'agit de questions existentielles. Mais je pense qu'à un moment où un autre de la vie de l'être vivant, il doit répondre à un certain nombre de ce type de questions. Bien qu'elles en amènent toujours davantage. Par exemple, d'où viennent les personnes transgenres ? Qu'est-ce qu'est ce que vous appelez la non-binarité ? Quel est le but de l'existence de chaque chose ?

— Tu... Es non-binaire, non ? je suis cisgenre, je pense que tu dois plus savoir que moi...

— Vrai, rigole Shizuka. Ma propre déconnexion de vos normes genrées m'a conduit.e à me poser ces questions. Pour moi l'âme ne s'embarrasse pas d'un genre et nous nous attribuons seulement celui que les normes sociétales nous imposent. Mais ce point de vue n'est pas vraiment en faveur des personnes transgenres de manière binaire. Qui plus est, cela n'explique pas pourquoi les êtres du monde spirituel peuvent parfois en garder un.

— Comment ça, le monde spirituel ? »

Shizuka hausse un sourcil.

« Tu as des théories au sujet de ce monde ?

— Non, pas vraiment... C'est juste que... Eh bien, Sora m'en a justement parlé ce matin. Par rapport à... Des phénomènes étranges... »

Inutile de lui dire que ce sont des choses qui me sont arrivées, ce serait partir un peu trop en terrain glissant. Par chance, Shizuka ne me questionne pas davantage. Iel se contente de hocher la tête.

« Dans cette théorie que j'ai, les âmes peuvent être séparées d'un corps. Et évidemment, il y en a plusieurs types, tout comme il y a plusieurs types de matière. Elles ne sont juste plus en mesure de communiquer, ou d'évoluer. Elles laissent simplement des souvenirs derrière eux, ou tentent de rentrer en contact avec nous, êtres pour ainsi dire complets. Cela explique probablement la médiumnique et toutes les sciences de l'occulte, mais étant donné que nous nous aventurons dans les domaines de la spiritualité, il devient plus dur de prouver cela de manière scientifique. D'ailleurs, beaucoup de théoriciens me cracheraient dessus pour avoir osé exprimer une telle idée. »

Iel sourit.

« Quel que soit le phénomène étrange, Satou, celui qui l'a perçu est un petit veinard. Il pourra récolter de plus près des éléments essentiels à mes recherches. »

Comment dire qu'après ça je n'ai aucune envie d'avouer que c'est moi ?

Je déteste au plus haut point servir de cobaye.

Plus encore quand ils'agit de phénomènes que je ne comprends pas.

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Pour info, j'ai fait mes recherches sur la médiumnique, Sora sort pas ce qu'il dit de nulle part x)

Mais du coup, ptit chapitre du jour basé sur la spiritualité et les phénomènes incompris ! Qu'en dites-vous ?

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