Chapitre 3 (10) : Soothing resolution
Bon. C'est bien beau de promettre des trucs, mais maintenant que je suis un peu plantée comme un piquet devant la porte de Sora, eh bien, je crois que toute la belle assurance que Michi m'a refilée est en train de partir se mettre bien avec les restes de mon courage.
Ce n'est pas faute d'avoir eu un nouveau regain de force cette dernière semaine, pourtant... Déjà, parce que même un imbécile finirait par comprendre qu'il s'est passé quelque chose entre Michi et moi. Il faut dire que notre relation est passée de « je t'évite et tu me fixes avec inquiétude » à « tu me fais des câlins en plein milieu du réfectoire et même si je suis toujours morte de trouille te les rendre est un des plus gros bonheurs de ma vie ». Pas compliqué pour quelqu'un de piger, même si on n'est pas non plus aussi collées que peuvent l'être Haruko et Sora, parfois... Ou comme l'étaient Taichi et Ryo.
Aussi parce que ça fait désormais deux semaines. La limite de temps est de plus en plus proche et même si je ne vois désormais Monokuma que lors des visites des proches, ou lorsque je dois faire garde-fou pour certains, je ne parviens pas à oublier que nous ne disposons que d'un mois. Un mois qu'il m'est dur de mettre à profit dans la situation présente. Même avec tout ce que j'ai appris sur l'Omnisciente, le projet Renaissance, et tout le reste... Rien là-dedans ne m'indique qui pourrait être l'instigateur, ou comment atteindre Monokuma. Du reste, je serais bien en peine de me concentrer dessus maintenant qu'une certaine Judoka a décidé de forcer mon cerveau vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je préfère laisser ce travail à Haruko.
Haruko que je ne vois presque plus, ces derniers temps. Elle m'a présenté ses félicitations avec un sourire assez neutre, avant de s'enfermer dans la bibliothèque et d'y passer tout son temps. C'est à peine si elle vérifie encore si tout le monde se présente bien aux repas. Il n'y a que Sora qui la voit encore, et comme la dernière fois que je l'ai vu, il parlait à Soma... j'ai préféré ne pas le déranger davantage.
Enfin bon, avant de me retrouver devant sa porte, du moins.
Allez, Reina, ça n'a rien de compliqué de toquer, fais-le, puisque visiblement tu es destinée à faire du porte-à-porte.
Je soupire, et lève le poing. Deux coups frappés plus tard, la porte s'ouvre, et je vois le visage endormi de Sora se pointer entre deux battants, alors qu'un sourire fatigué se dessine sur ses lèvres.
« C'est toi, Reina ? Entre... Désolé, je viens de me réveiller.
— Si je puis me permettre, je rigole, ça se voit. »
Difficile de dire autre chose devant l'Ultime Écrivain en pyjama, les cheveux tellement en bataille qu'ils ressemblent à la cime d'un arbre aux feuilles turquoise, qui me fixe avec des yeux doux mais néanmoins cernés. Parfaitement conscient de sa dégaine particulièrement traître, Sora se contente de hausser les épaules, avant de bailler et de se diriger vers son lit. Un moment, voyant le délice avec lequel il se laisse tomber dedans, je regrette d'avoir choisi cet instant pour venir le voir.
« Si tu veux, je... peux repasser plus tard ?
— Mais non, mais non. T'inquiète... ça fait longtemps que je t'ai pas vue, je vais pas te jeter dehors juste parce que je suis pas capable de dormir correctement. Et puis, ça me fait plaisir de te voir comme ça. J'ai l'impression qu'un poids t'a été ôté, tu vois ? »
Je rougis un peu. Je me doute bien de la raison de ma détente actuelle, et j'avoue que même si la conversation que je veux mener avec lui s'y prête bien, je suis encore particulièrement gênée de le voir évoquer ma relation avec Michi comme ça. Même si techniquement, ce n'est pas la seule cause de ce qu'on pourrait appeler le retour du bonheur... Un sourire se dessine sur mes lèvres à cette pensée.
« Eh bien, si tu le dis...
— Je le dis. Contente de voir que Michi est pas une vraie petite terreur, franchement j'avais peur, pouffe Sora en se calant dans ses coussins. Vous êtes mignonnes comme tout, toutes les deux. »
Je ne sais pas si c'est vraiment un compliment venant de la personne sur qui j'ai un intérêt d'ordre amoureux mais bon, nous sommes tous les deux polyamoureux et il le sait. Ce qui est censé me motiver à dire les mots... Il t'a laissé l'ouverture parfaite, Reina, enchaîne, bon sang. Mais à la place, je me contente de sourire un peu plus.
« Ça va mieux, avec Soma ? Je vous ai vus discuter la fois dernière, ça m'a fait plaisir...
— Euh, oui, oui, ça va mieux. On va pas se réconcilier comme ça, hein, sourit Sora. Mais au moins, on a pu mettre un peu cartes sur table. Il m'a promis de ne pas trop cracher sur Haruko, on va dire que ça me fait plaisir... Et puis quelque part, ça me fait du bien de parler avec des gens. Même si c'est des gens comme Taichi qui ne disent pas grand-chose...
— Taichi ? Tu le vois ? Moi plus du tout... Il a complètement disparu... »
Sora se renfrogne.
« De temps à autres, oui. On se croise dans les couloirs, des fois Shizuka lui cause, et la dernière fois il a réussi à féliciter Michi pour... Enfin tu sais, vous deux. Ça avait pas l'air super sincère, mais au moins il parle. Mais c'est vrai que maintenant que tu le dis, je suis le seul à l'avoir vu régulièrement... je sais qu'Haruko le cherche mais bon, c'est tout... »
Il soupire, avant de se laisser aller contre ses coussins.
« Enfin bon... au bout d'un moment, je ne peux pas faire grand-chose de plus. On ne peut pas aider quelqu'un qui refuse de l'être. »
C'est vrai, il a raison. Ça me fend le cœur, mais je ne sais pas si je serai en mesure de faire quelque chose. Si seulement je pouvais le voir, alors je lui retransmettrai le message d'Evdokia, nous pourrions parler ensemble de Ryo, essayer de trouver un sens à la vie qu'il mène... J'y serais peut-être arrivée dans un contexte différent, mais là... J'ai l'impression d'avoir trop de choses à penser.
Je soupire.
« Pauvre Taichi. Perdre la personne que tu aimes dans ce contexte doit être la pire chose qui soit.
— Sans doute, mais... Au moins il aura pu être heureux avec lui pendant quelques semaines. De mon avis, il n'en tirera pas regret... Juste de la douleur et de la culpabilité pour autre chose.
— Il se rend toujours coupable pour Ryo ?
— Je crois... Haruko ne l'a pas beaucoup aidé, aussi, soupire Sora. Je crois qu'elle le tient toujours responsable et ça doit pas l'aider à se convaincre lui-même du contraire. Je lui ai dit de se calmer un peu, tu sais ? D'imaginer ce qu'il se passerait si c'était moi qui mourais et qu'elle était persuadée que c'était par sa faute. Un peu cruel de ma part, peut-être, mais au moins elle a compris. Par contre Taichi... Moins.
— J'ai pris sa place pour aller voir ses proches, il y a quelques jours, je soupire. J'ai peur que ça prouve pas du bien.
— Je sais, moi aussi. Avant-hier. Je crois que je peux dire à Haruko de le virer du roulement... »
Nous nous renfermons presque de concert, moi en me calant dans mon fauteuil et lui en se roulant en boule sur son lit. Son visage est fermé, ses yeux dans le vague. Lui comme moi savons ce que cet acte implique. Nous ne sommes pas dans la même situation que moi quand je refusais catégoriquement d'aller voir ma cousine. Le fait que Taichi ne prenne pas ses obligations au sérieux montre qu'il est en train de se détruire de l'intérieur.
Et l'issue sera forcément cruelle.
« Enfin ! rit Sora, un rire un peu forcé. Parlons de quelque chose de plus joyeux. Ça se passe bien, entre toi et Michi ? »
Je remarque tout de suite sa tentative de changer de sujet. Ce qui me rappelle par la même occasion ce que je devais lui dire.
Ô, joie.
« Oui, oui, je souris, essayant de cacher cette pensée par un visage heureux. On va à notre rythme, et elle comprend très bien mes limites actuelles... je n'y aurais pas cru, mais ça me fait... Du bien, je crois.
— Ah bah j'espère, pouffe Sora, qu'elle te fait pas du mal, sinon tout auteur maigrelet que je sois et Judoka qu'elle est je lui aurai botté le cul. Elle a pris comment ton polyamour ?
— Sans le moindre problème... j'en étais presque surprise, je lui réponds, avec un léger rire. Elle m'a dit que du moment qu'elle était prévenue avant elle s'en fichait, même si elle-même ne l'était pas...
— Hmm ouais, prévenir avant c'est un peu normal je dirais, moi non plus j'aimerais pas trop qu'Haruko me dise cash qu'elle est en couple avec quelqu'un d'autre, sourit l'Écrivain. Mais tant mieux, alors. C'est toujours ça de pris... »
Je soupire. Oui, c'est vrai, c'est tellement plus agréable d'avoir cette limite claire et permissive entre nous, seulement...
« J'espère... J'espère qu'elle ne me ment pas sur ce point. »
Sora hausse un sourcil.
« Tu ne lui fais pas confiance ?
— C'est... Compliqué à décrire, en soi. Est-ce que tu as lu Danganronpa ? Avec attention ? »
Je vois le visage de l'Écrivain se tordre, avant qu'il ne se redresse et soupire.
« Pas attentivement, non, j'ai les grandes lignes, c'est tout. Je sais que ce livre relate comment une Tuerie se passe, qui sont les Monokuma, et la présence d'un instigateur, mais... C'est lié ?
— Oui, grandement. Mon manque de confiance en Michi n'est pas dû à sa personne même... En une tout autre situation, j'aurais sans doute moins eu en tête cette peur qu'elle me mente. Mais dans ce livre... Wen Xiang explique qu'une des personnes qu'elle a aimées a accepté son polyamour en apparence, avant de faire tout son possible pour mettre fin à la vie de ses autres amours. Ça a, disons, particulièrement résonné en moi... »
Sora hoche doucement la tête, avant de se redresser et de poser une main sur mon épaule. Son sourire rassurant s'étire sur ses lèvres, alors qu'il me regarde avec affection et cette lueur dans son regard, celle qui dit qu'il comprend exactement ce que je ressens. Ne pas rougir, Reina, ne pas rougir...
« C'est tout à fait normal d'avoir peur dans cette situation, et je vais pas te dire de pleinement lui faire confiance, je vois bien que c'est très dur pour toi. Je suis assez surpris comme ça que tu aies voulu tenter un couple sachant à quel point tu es flippée des relations... Mais ne laisse pas cette peur te bouffer, non plus. Si elle ne s'avère pas justifiée, ça vous fera juste mal, à toi comme à elle. Et puis, rigole Sora, je suis sûr que tes autres crushs sauraient se défendre, t'inquiète ! »
... Sans vouloir te vexer, tu ne tiendrais pas longtemps dans un combat face à elle. Je retiens ces mots qui me brûlent les lèvres, avant de hocher la tête en douceur, reconnaissant la sagacité de son conseil. Mais bon, cela n'empêche pas que j'étais venue ici pour faire quelque chose, et je ne sais toujours pas comment aborder le sujet, nom d'un chien !
Sora rigole devant mon expression sans doute particulièrement désopilante, vu que selon mes propres perceptions je dois avoir l'air de ressasser à peu près tous les noms que j'associe au mot « crush ». Hmmm le doux mélange de gêne et d'affection, j'adore, mes compliments au chef. Mais visiblement, il n'a pas l'air de vouloir m'aider, puisqu'il se décide même à m'enfoncer davantage !
« Eh, si ce n'est pas indiscret, tu as pensé à qui, Reina ? »
JE- super, meilleure manière de mettre les pieds dans le plat de tous les temps ! Soit une puissance divine a décidé de m'aider dans ma tâche, soit le Diable en personne a décidé de s'occuper de mon cas. Devant le direct de cette question, j'ai deux choix : Soit citer des noms au hasard et lui mentir éhontément, puisqu'il ne me croira certainement pas si je lui dis personne, soit lui avouer ce que je ressens pour lui et par extension les sentiments que j'ai peut-être bien pour sa femme... Ah ah, comme dirait Michi, meilleure manière de s'incruster dans un mariage. Elle va mourir de rire quand je vais lui raconter ça...
Bon. Comment je formule ça, puisque j'étais bien là pour lui dire... Joie et bonheur, je dois être rouge tomate en cet instant, et ce n'est pas son joli sourire dénué de toute raillerie qui va changer quoi que ce soit ! Pourquoi est-ce que de tous les hommes je tombe sur le plus mignon d'entre eux ?!?
« Euh... Je n'y ai pas vraiment... Réfléchi, je crois ? Michi m'occupe déjà beaucoup l'esprit... »
C'est ça, gagne du temps, Reina, tu ne crois même pas à tes propres paroles. D'ailleurs, il s'en rend bien compte, puisque ses yeux se plissent et... Bon sang mais ne me dites pas que tous les auteurs ont ce genre de sourire en coin ? Emerens sors de ce corps immédiatement et laisse Sora tranquille, je ne veux pas me faire railler davantage ! J'ai presque l'impression de l'entendre me charrier à l'oreille alors que l'Écrivain pouffe, tiens !
« C'est vrai ce mensonge ?
— Je vois pas de quoi tu parles, je grommelle devant son air amusé, plus rouge encore qu'une boule de Noël.
— Eh, on me la fait pas à moi. Tu pouvais juste me dire que ça ne me concernait pas tu sais, pas la peine de trouver un prétexte aussi vaseux... Michi est très jolie certes, mais quand même ! »
Oui, certes, mais, euh, zut, hein. Super, je perds mes mots. Et visiblement, Sora s'en rend bien compte, puisqu'il se recule, et la raillerie dans son sourire devient simple amusement.
« Enfin, je vais pas forcer non plus. Si tu ne veux pas me le dire, ce ne sont pas mes oignons...
— C'esttoiàquij'aipenséespèced'idiot- »
Eeeeet je plaque aussitôt mes mains sur ma bouche. Eh bah voilà, je ne suis plus une boule de Noël, je suis un piment ! Meilleure manière de lui annoncer possible, on ne fait décidément pas mieux avec moi...
Sora semble sous l'effet de ce qu'on appelle communément un bug monumental. Il me regarde avec des yeux de merlan frit, et sa mâchoire pend tellement qu'il est pas loin de pouvoir gober toutes les mouches pouvant voler dans sa chambre. Au point qu'il lui faille cinq secondes pour reprendre ses esprits assez pour que sa mâchoire puisse bouger.
« Tu... Tu peux répéter ça plus lentement ? Je crois j'ai pas bien entendu... »
Ah ah, ah ah ah... Est-ce une chance pour moi de revenir sur ma parole ? oh si seulement je pouvais me permettre d'être lâche et de la prendre sans rien dire de plus. Mais bon, d'un, dans l'état ou je suis-je ne vais pouvoir trouver aucune excuse... De deux, eh bien, je ne peux plus reculer, et au bout d'un moment être lâche n'est plus une option.
« J-je disais, je bafouille, octroyant un monumental effort à détacher chaque mot clairement, que c'était à... à t-toi que... Que je pensais. »
Voilà, plus moyen de reculer, ce qui est dit est dit. Et je suis un monumental gros tas de gêne la plus absolue.
Sora cligne des yeux. Une fois. Deux fois. Et puis ton teint se colore d'une couleur rouge qui doit être presque autant spectaculaire que celle qui arbore mon teint en cet instant précis.
« H-Heeeeeein ?!?!? »
Je cache aussitôt mon visage entre mes mains. Quelle galère de révéler ses sentiments, mais quelle galère ! J'en viendrais presque à regretter ma confession à Michi, même si boooon... Elle s'est quand même quelque part, finie dans les larmes. Quelle honte je suis en train de me payer, là...
« Je... Je tiens à dire que je prendrais très bien un refus, hein, je bafouille, incapable de retenir les mots. Te sens pas obligé à quoi que ce soit ou je sais pas moi, je sais pas, juste dis moi à quoi je dois m-m'attendre, que... »
Que je me casse d'ici en vitesse et aille oublier ce moment de gêne pure. Y'a pas à dire, les déclarations en vrai, ça n'a rien d'aussi classe que dans les romans à l'eau de rose, avec la fille soit courageuse soit qui peut se permettre d'attendre tranquillement que le gars lui fasse sa confession... Dans les faits, c'est surtout gênant et difficile à amener, et il n'y a pas de gros câlins derrière, juste l'attente du rejet et le visage éberlué de Sora... Qui s'est d'ailleurs mis à agiter les mains avec frénésie.
« A... Att-attends, t'emballes pas, je, je voulais pas dire ça, je voulais pas avoir l'air dé... désapprobateur ! C'est juste, c'est juste que... »
Je sens deux mains entourer les miennes, et Sora les relève à la hauteur de son visage écarlate, les siennes les entourant en coupe. Je sens ses paumes trembler contre les miennes, mais il me tient avec fermeté.
« ... Je veux dire, est-ce- est-ce que tu as la moindre idée, Reina, de depuis combien de temps j-j'ai un énorme crush sur toi et que je me dis qu'il sera jamais réciproque ? J-je crois que c'est les mots aux... Auxquels je m'attendais le moins de... de... »
Il ne finit pas sa phrase. Son regard quitte le mien pour fixer ses genoux, et toutes ses mèches turquoise laissées libres lui tombent devant les yeux alors que je ne peux détacher mon regard de nos mains jointes. Qu'il n'a toujours pas lâchées. Qu'il tient toujours alors que je tente d'enregistrer ce qu'il vient de me dire, ce que ça signifie, ce que...
Je me crispe aussi sec.
Oh par tous les esprits, il vient d'avouer une réciprocité.
...
Il est où le chemin le plus court pour décéder ?
Nous restons dans cette position encore quelques instants, instants où mes mains sont toujours dans les siennes, où mes yeux sont fixés sur ses épaules et mon cerveau sur ces mots que je ne croyais pas entendre un jour de sa part. Et puis, je vois son dos se secouer, d'abord un peu, puis de plus en plus au fur et à mesure que le rire que j'entends prend de l'ampleur. Un rire effroyablement soulagé, empreint d'un immense bonheur, hystérique et pourtant communicatif, un rire que je ne peux m'empêcher de joindre alors que ses doigts s'entremêlent aux miens et que je me sens sourire encore davantage.
« Bon sang... On fait vraiment une belle paire d'idiots. »
C'est le moins qu'il puisse dire. Je suis une idiote. Mais je crois que je suis une idiote heureuse.
Sora relève la tête. Je vois toute l'affection dans ses yeux verts alors qu'il continue de rire.
« Mais je suis content d'être un idiot, pour une fois. Est-ce que l'idiot que je suis peut avoir un câlin, s'il te plaît, Reina ? »
Dans l'état ou je suis, je ne vois aucune raison de refuser. Je m'installe sur son lit, et enroule mes bras autour de sa taille, pendant qu'il cale sa tête dans le creux de mon cou. Ses cheveux me chatouillent le nez, c'en est presque drôle. Je dois d'ailleurs être masochiste puisque je me laisse aller dedans, pendant que Sora rit, encore un peu.
« J'imaginais pas avoir droit à ça un jour...
— Profite, alors, je ne peux m'empêcher de dire. Au point où on en est... »
Je sens ses épaules tressauter sous l'hilarité, puis il se calme un peu.
« Non, non, je vais pas non plus profiter, comme tu dis... tu as droit à tes limites. J'ai peur que tu en fasses trop, que ce qui te bloquait avant, tu l'ignores sans vraiment y faire gaffe. Tu as le droit de poser des barrières, Reina... »
Je soupire, mon euphorie calmée.
« C'est vrai que je... Ne vais pas me jeter à ton cou chaque fois que je vais te voir. Et je ne m'attends pas à résoudre mes problèmes du jour au lendemain, ni à oublier... mon passé, ou mes craintes. Mais tant qu'elles ne viennent pas me tourmenter... Autant en profiter.
— Si tu le dis...
— Je le dis. Tu sais, je dois te dire... Ma petite amie précédente... Elle... Elle est m-morte. Encore aujourd'hui, j'ai le sentiment que c'était ma faute... Mais ici, où la mort peut arriver pour n'importe quelle raison... Je préfère partir avec les regrets qu'avec la question permanente de ce qu'il se serait passé si j'avais eu le courage qu'il me fallait. »
Prononcer ces mots blesse profondément ma gorge. Peu importe ce que j'ai pu dire à Michi, même si elle a le déroulé de toute l'histoire que Sora n'aura sans doute pas, le dire, le situer dans la réalité, reste la plus désagréable des expériences auxquelles je me suis confrontée depuis le début de ces deux dernières semaines. Pas avant, évidemment, vu qu'il y avait la présence non négligeable des meurtres et des procès.
Mais heureusement, je n'entends aucune demande m'incitant à en révéler davantage. Sora redresse la tête, et me sourit, avant de faire doucement glisser ses doigts dans mes cheveux.
« Tu sais, tu n'es pas obligée de me parler de ce que tu as vécu. Je veux pas être le grand méchant homme qui t'aurait forcé à quoi que ce soit de désagréable. S'il faut qu'on prenne du temps pour que tu te sentes mieux, je le prendrai. Si tu veux qu'on conserve notre relation d'origine avec simplement cette... On va dire information que nous connaissons tous deux, c'est comme il te plaira. Une relation, ça se construit à deux. Et ton passé n'appartient qu'à toi.
— C'est très aimable à toi, Sora... »
Je pousse un profond soupir, et je le vois hausser un sourcil.
« Mais je veux en parler. Les deux derniers mois m'ont suffisamment fait comprendre que mon silence n'allait m'apporter que des problèmes, et je ne veux pas m'effondrer maintenant. Et puis, mon passé est dissimulé même du gouvernement. Si j'explique pourquoi, je cesserai peut-être enfin d'avoir des regards méfiants, et peut-être... »
Que personne ne voudra fouiller dans mon laboratoire, m'épargnant de les voir apprendre des informations que je ne serai pas capable de leur dire.
Oui.
Je dois leur dire.
J'en ai assez de me cacher.
J'en ai assez de rester étalée au sol comme une pathétique créature incapable d'être aidée ou d'aider.
Je...
Je dois le faire, je dois absolument le faire...
Flash. Le couloir des chambres, le bruit de mes pas précipités. Mon dos trempé de sueur, le poids qui alourdit ma main, lourd de promesses, lourd d'anticipation, lourd de péché à expier. Le bruit de ma respiration haletante, presque trop rauque, alors que je me plante devant sa porte, sors l'appareil de ma ceinture.
Ma main droite qui se lève...
Le cri que j'entends au loin.
Eh !
Je sursaute. Devant moi, plus que du flou ; pourtant, je discerne le visage de Sora dans la brume, les yeux écarquillés. C'est lui qui m'a hélée ; je crois. Je ne reconnais pas sa voix. Mais c'est lui qui me serre les poignets, me ramenant doucement à la réalité.
« Est-ce que ça va, Reina ? Tu faisais une sale tête... »
Je cligne des yeux, et son visage devient un peu plus net. J'arrive à voir son sourire revenir et chasser les dernières traces de brume dans mon esprit. Si bien que je me sens en mesure de le lui rendre.
« Oui, oui, je crois. Une sorte de vision bizarre, peut-être un début de crise d'angoisse. C'est juste étrange comme début...
— Eeeeh, c'est ptêtre bien un fantôme, qui sait ? »
Il pouffe, mais je vois le sérieux briller dans ses yeux verts. Je hausse les épaules, peu convaincue.
« Peut-être. Mais dans ce cas, j'aimerais bien qu'il me laisse tranquille, un peu.
— Si tu veux, je peux exorciser ma chambre ? C'est ma version de les chasser à coups de pied au derrière pour qu'ils ne viennent plus t'embêter... »
J'éclate de rire, et Sora me suit. C'est agréable.
« Est-ce que je me suis gagné un preux chevalier anti-créatures de l'invisible ?
— Chevalier, j'irai pas jusque-là, mais je peux te garantir que ces vilains spectres ne viendront plus tant que je les regarderai mal, tiens ! »
Et il fait une moue fâchée tellement adorable que je ne peux m'empêcher de rire de plus belle. Rire dans lequel il me suit, en un chœur presque parfait.
Nos mains toujours jointes.
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